Ce qui s’est fait
 
 

 

 

130- Le conflit de la manipulation et de la représentation


- Le fait et l'effet dans une animation

Pour produire l'illusion du défilement d'une bande magnétique, il suffit d'introduire ponctuellement la même image dans le scénario. Ainsi, sans mimer aucun déplacement, par le seul fait d'une image répétée à intervalle régulier avec une durée de 1/25ème de seconde, l'effet d'avancée est obtenu.


- Objet et trajet: représentation et manipulation

Questions d'atelier relativement à l'apport d'un objet usuel: "que voyez vous, qu'en faites vous?" Suscite-t-il une action ou une représentation? Que va-t-on en faire dans le trajet d'une action : un moyen ou/et une fin ? Ou, en tant qu'objet d'une représentation: un indice ou/et un sens ? Ex: Magritte regardant l'oeuf voit un oiseau mais que devient l'oeuf si je cherche l'étui pour éviter de le casser ou si je prends en compte plus que le moyen de l'ouvrir, le couvoir qui assure une fin, une température, pour faire advenir la vie qu'il propose? En conséquence de l'orientation de travail choisie ou de l'image qui s'impose à vous, comment prenez-vous le matériel employé et comment voyez-vous le produit escompté?
Il s'agit de considérer la chose dans un rapport d'activité, de voir que ses pouvoirs dépassent ce à quoi elle sert, que son existence physique séparée du reste des choses n'en fait pas une unité du point de vue de l'activité (elle implique d'autres gestes relatifs à d'autres objets usuels qui montrent ses possibilités (ustensilités et fonctionnalités possibles): s'il s'agit de briser l'oeuf, l'étui n'a plus d'utilité mais la dureté et le bord d'un récipient qui la matérialise) Il s'agit de faire valoir diversement la prise de la chose en question, en vérifiant que cette chose n'est pas le même trajet pour tout le monde, qu'elle peut s'analyser en moyens multiples et différents, que cette chose est à chaque fois re-produite (au sens de transformée) par la façon de faire mise en oeuvre qui utilise seulement un de ses pouvoirs (du poids de l'oeuf dans le rapport à l'eau, test de fraîcheur alimentaire, à sa forme de poussah qui lui assure un équilibre oscillant, en passant par toutes sortes d'utilisations) .

Dans l'enchaînement des actions, les choses passent successivement du statut de fin à celui de moyen pour être finalement oubliées au bénéfice du terminus. D'où le concept de trajet, rapport à la chose introduit par l'action. A la différence du technicien* qui recherche la technique, l'acteur* au sens naturel du terme, fait toujours un trajet, il n'est pas dans le rapport fixe à un moyen ou à une fin, si bien que le trajet comporte son propre évidement soit comme fin soit comme moyen. Dans le concept de dématérialisation , tel qu'il en est question lorsqu'on invoque le trait dématérialisé en ligne , il y a l'appréhension de ce processus mais en même temps le télescopage de la manipulation et de la représentation. Puisque d'un trajet on ne peut retenir un objet et pour se restreindre à l'analyse propre à l'activité, il est préférable de parler de détrajectivation: le trajet moyen se détrajective, comme par transparence, en trajet fin .

* technicien et acteur se confondent dialectiquement dans la réalité performancielle, l'opération, du constructeur

- Le hiatus dont il est ici question est donc là, non entre un objet imaginé ou conçu et un autre plus réel parce que perceptif mais entre ce qu'on voit, imagine ou conçoit, fondé sur l'apparence indicielle de la chose et ce qu'on va faire à partir des moyens et des fins disponibles.(Le haut et le bas d'une page, le cube pensé et le cube produit, le traitement d'une matière à travers la représentation d'un autre matériau, un bloc de glaise pensé comme un bloc de pierre, etc.)

- Contre le schéma conception / réalisation

La conséquence de cette analyse est une position critique face à la séparation admise dans le métier entre deux moments qui feraient valoir en premier la conception, autrement dit la reperésentation et la réalisation où prime la manipulation. Plutôt que cette fausse opposition, il y a travail de conception et travail de réalisation, chacun des deux moments comporte aussi sa part de représentation. Il serait plus exact de repenser cette complexité à partir de l'hypothèse d'une rencontre socioartistique de deux techniques mettant en oeuvre des moyens et des fins différentes.

- Contre l'idée de contrainte technique

Cette idée est une autre conséquence de l'analyse qui confronte brutalement la représentation et la manipulation pour ne voir dans celle-ci qu'une façon de faire à la remorque d'une pensée toute puissante. Si la technique inclut les fins, on ne peut espérer d'elle plus que ce qu'elle gère, c'est-à-dire ce pour quoi nous l'avons faite de par les équipements élaborés. N'attendons pas d'une machine à laver qu'elle sèche sauf si elle intègre un dispositif d'essorage, d'une image fixe qu'elle se mette en mouvement sauf si on y ajoute de la rotation, de l'automation, de la locomotion, etc. ce qui n'interdit pas l'impression de mouvement, à titre d'effet (les futuristes jusqu'à l'art optique, l'ont abondamment prouvé).

 - Comment on rend compte ainsi nouvellement de l'effet d'oubli de la teinte dans le rapport au monochrome:

Lorsqu'on a recours au monochrome pour ne représenter du visuel que les variations de clareté, on néglige la teinte. Bien qu'elle soit présente dans la couleur, techniquement la teinte n'existe pas puisqu'elle n'est pas utile dans l'image comme l'est alors la clarté. Pour se rendre compte de cette différence de fonction de la couleur il suffit de confronter une image monochrome avec la même image à variante polychrome utilisant parmi ses teintes (la teinte a alors la réalité de trajet) la couleur du monochrome.

- Le fait en deçà de l'effet

Si le fait désigne non ce qui émerge à la conscience mais ce qui s'est produit et comment, dans la réalité spécifique du travail, alors on comprendra que l'opposition fait/effet, qui s'annule par une similarité paronymique, tient au réinvestissement dialectique du résultat dans l'activité qui suit autant qu'au rapport à une représentation, hâtive, parce qu'elle n'intègre pas l'expérience du travail.

Il ne s'agit pas de promouvoir un réalisme spécifique au travail, mais de considérer que le résultat obtenu n'est pas séparable analytiquement du processus qui y conduit. Celui-ci est double et cette dualité s'observe encore dans le produit. Tantôt ce sont les effets industriels qui sont privilégiés conformément à l'efficacité visée ou en décalage, tantôt ce sont les faits de fabrication par un certain regard sur la façon de faire sans souci de rendement.

- Le constrructeur voit ce qu'il fait

A reconsidérer cette photo de Henri Cartier-Bresson que commente Hubert Damisch, "Traité du trait" (p.17) et qu'on gagnerait encore à mettre en rapport avec cette aporie de celui-ci quant aux toiles de Fontana: (p.8) "l'oeil ne voit qu'au travers de la fente qui l'entaille" (spontanément j'écris:"qu'il entaille", image de l'oeil actif et non subissant): elle correspondrait aussi bien à un regard sérigraphique puisque la fente donne à voir (par l'inefficacité du cache) entre deux toiles tendues laissent aussi entrevoir par leurs ouvertures de mailles. Il n'y a ligne que dans un rapport aux choses qui s'effectue par le dessin ("la ligne n'existe pas dans la nature" dit Ingre, entendons par là qu'elle est artificielle c'est à dire produite par la technique du dessin. A chaque technique son regard sur le monde: la traversée, l'occulté, l'obturé pourraient être formés par la sérigraphie regoignant ce qui se fait jour à travers l'ajouré.

Le dessin tend à homogénéiser des techniques diverses et à nier leur différences: Hubert Damisch cite encore la légende de "l'invention de la peinture", dixit: "sur la pierre où s'inscrit l'ombre de son amant, la jeune Corinthienne (Dibutade) en dessine la trace, qui cerne les contours de la silhouette." (p.9) L'éclairage n'est pas nommé et son effet est d'emblée rapporté à de l'inscription ; pourtant, à la lumière de la sérigraphie et de la photographie que ne connaissait pas Dibutade mais que n'ignore pas Hubert Damisch, l'amant est cache dans un dispositif d'occultation photo-sérigraphique.

- La dématérialisation du travail

Rappelons que le trait n'est ni plus ni moins matériel que la ligne: tous deux relèvent de déterminations distinctes et participent à la forme de réalités autonomisables. La dématérialisation de l'objet est en cause dans la perception de la ligne, objet artificiel, indice qui se rapporte à un objet réel qui est son sens ; celle du trajet dans l'élaboration du trait, trajet moyen qui se détrajective dans le rapport à un autre qui est sa fin.

Si l'action n'a cure de la différenciation des moyens que dans la perspective de la fin, l'activité outillée est indifférente à celle-ci, jusqu'au refus de faire pour rendre des moyens et des fins disponibles en permanence, en les opposant et les segmentant entre eux. La dématérialisation naturelle fait place à une autre dématérialisation qui est une analyse.

Cette analyse soustend à sa façon les formes qu'on isole ou qu'on met en relation dans l'ouvrage ; elle est un processus inverse de désinvestissement, négateur du trajet.

- Les faits opératoires et les effets représentatifs

L'hypothèse médiationniste de l'autonomie de l'art implique que dans le rapport à la représentation médiatisée par le langage, l'art ne fait que prendre en compte une forme qui ne le conditionne pas lui-même dans sa propre forme. La sensation, l'imaginaire ou la pensée ne formeront jamais l'art mais, par la déïctique, un de ses contenus. Cette restriction majeure rend impérieuse une interrogation portant sur la réalité de la ligne et du point quand il s'agit d'en faire les composants d'"une boîte à outil" et lorsqu'ils sont appréhendés en tant qu'objets.

Un exemple permettra de voir plus clairement les enjeux d'une telle dissociation: pour l'imprimeur à qui s'impose l'estimation de la quantité d'encre nécessaire, la forme visuelle de l'image à imprimer importe peu, mais l'étendue des surfaces d'encre, ce qu'il mesure. Le point n'a pas de réalité à cet égard. Par contre, dans la mesure où il est lié au non déplacement de la pointe dans la stylographie, on peut constater qu'il est abstraitement à l'oeuvre dans l'estampage et ce quelle que soit la configuration visuelle résultante: le point peut apparaître carré, d'une surface telle qu'il macule toute la surface mise à disposition, il n'est "point" qu'en raison du mode d'application de l'encre, dépôt. outillé par simple contact.

14 - LA RÉALITÉ TECHNIQUE PRÉSENTE DANS LE REGARD

 

 
Les faits sous les effets
les racines du pouvoir faire
L’entonnoir moulant