C'était un projet que je caressais
depuis longtemps : réaliser un
dispositif de précinéma "projecteur".
Ma
première idée a bien sûr
été celle de
construire un phénakistiscope de projection. Dans l'histoire du cinéma,
ce sont von Uchatius et Demenÿ (avec son phonoscope) qui ont
les
premiers fabriqué un tel engin, réalisant ainsi les premières
projections animées de l'histoire.
Attention
cependant au
fait que l'Autrichien von Uchatius a construit par la
suite un autre appareil, à douze images et douze objectifs, le tout
rangé en cercle, architecture qui permettait, par déplacement
circulaire d'une unique source de lumière (oxy-acétylénique, je pense),
de projeter les images l'une après l'autre.
Cette dernière configuration possédait
d'ailleurs la
qualité précieuse de lier les images successives par autant de
fondus-enchaînés (comme
dans le Théâtre Optique d'Émile Reynaud, ce qui n'est pas assez
compris, à mon sens). Mais c'est un autre débat...
Bref, je me suis
lancé à la poursuite des grands (avec quelques années
de retard).
Mais,
parce que la réalisation d'un phénakistiscope projecteur impose
l'utilisation d'engrenages (le disque obturateur devant tourner 12 fois
plus vite que le disque portant les douze images), j'ai préféré me
lancer dans la fabrication d'un zootrope-projecteur.
Un tel
appareil ne nécessite pas d'engrenages puisque les fentes, à
l'opposé des images sur le cylindre, sont naturellement synchronisées
avec ces images lors de la rotation de l'appareil.
Voici le
premier état de ma réalisation (n'y cherchez que les qualités,
négligez les naïvetés et le manque de moyens techniques). Le cylindre a
été ouvragé dans une casserole en aluminium :
Lorsque
la vitesse du cylindre est suffisante, le scintillement et la
curieuse définition de l'image projetée (l'image est en effet
définie par déplacement latéral d'un créneau) ne sont plus sensibles.
Ce
bricolage manque évidemment de précision, et pourtant, malgré la
difficulté du sujet choisi (les pattes du cheval de Muybridge sont
évidemment on ne peut plus animées) on arrive bien à voir le
déroulement desdites pattes... J'en ai fait la preuve à l'occasion
d'une conférence à l'École des Beaux Arts de S
t
Brieuc : j'y ai réalisé une projection avec cet appareil en prenant
soin
de le faire tourner à l'envers. Et ce que j'espérais est arrivé :
l'une des élèves a dit "On dirait que les pattes du cheval marchent à
l'envers"...
L'animation produite par ce
zootrope projecteur est donc plus précise qu'on aurait pu le craindre.
Mais si l'on veut comprendre comment le zootrope anime les mouvements
rapides (les pattes de
"Daisy", la jument filmée par Muybridge, étant évidemment mues par un
mouvement rapide) il faut prendre conscience du fait que
l'image
est définie par défilement latéral d'un créneau vertical (ce créneau
étant ici d'une
largeur de
l'ordre du dixième de la celle de chaque photogramme à projeter) :
chaque image fixe de
Daisy est donc vue à travers un créneau qui se déplace
latéralement :
Ce créneau, en se déplaçant de droite à
gauche dans notre animation, donne donc à voir pendant son
défilement la totalité d'une image fixe, puis à nouveau la totalité de
l'image
fixe suivante, etc.
(nous
avons volontairement abaissé la définition de ces animations (grâce au
site
http://reduction-image.com/gif-anime/
) pour nous rapprocher de la résolution procurée par notre appareil en
projection.
Pour obtenir les meilleurs résultats, il est même conseillé de froncer
les yeux...)
Mais l'animation gif que nous avons
réalisée
ci-dessus n'est pas tout à fait fidèle
! En effet, dans notre zootrope, à mesure que le
créneau défile latéralement, l'image fixe qu'il donne à
découvrir se déplace également dans l'autre sens : pendant que
le
créneau avance vers la gauche, l'image fixe se déplace vers la droite.
Il en
résulte que l'image fixe projetée est légèrement raccourcie dans le
sens horizontal
(Daisy, la jument, paraît plus courte) :
Ce
pourrait être un défaut s'il n'était facile, en allongeant
tous les
photogrammes de la bande à projeter, de rétablir la bonne échelle
horizontale (ce que nous n'avons pas fait sur notre bande, ne serait-ce
que pour des raisons pédagogiques).
Mais
ce défilement de la bande
verticale dans un certain sens pendant que le photogramme défile dans
l'autre sens
est aussi un avantage !
Nous venons d'expliquer que durant la
projection,
chaque image fixe de Daisy avance vers la droite. Les pattes de Daisy
avancent donc également vers la droite : elles ne sont donc pas
projetées
comme des pattes fixes mais comme
des pattes en mouvements latéral : du même coup, le zootrope
projecteur est
supérieur au cinéma des frères Lumière pour l'animation du galop de
Daisy puisqu'il anime (ou réanime) ces pattes tout en les projetant
(alors que le cinéma des frères
Lumière projette, on le sait, une suite d'images immobiles).
Pour
résumer, le
zootrope projecteur ne se contente pas de projeter des images fixes
successives des pattes de la jument Daisy mais il anime ces pattes !
Voici une animation montrant la
projection
strictement "cinématographique" d'une des pattes de Daisy (une suite de
quatre images
fixes) :
À présent, voici une animation donnant
une idée de
la façon dont notre zootrope projecteur anime ladite patte de Daisy :
Ci-dessous sont les images que nous
avons insérées dans
ce
dernier gif animé :
Les images 1, 2, 3 et 4 sont celles qui,
par contre, ont été
utilisées dans notre animation gif dite strictement
"cinématographique"...
On peut voir que, pour les autres
images, nous avons
simplement déplacé horizontalement la jambe qui nous intéressait plus
particulièrement : c'est un peu ce que fait le zootrope
projecteur...
Il est
temps, à présent, de préciser que lorsque cette animation
systémique (on
pourrait aussi dire
supplétive)
anime les pattes dans le sens où elles se déplacent réellement dans la
vie (dans le sens normal du temps, donc) elle améliore la perception du
mouvement. A contrario, si l'animation
systémique se fait
à l'inverse
du mouvement réel, elle nuit à la perception du mouvement.
Autrement dit, dans notre exemple, les
mouvements
vers l'arrière sont restitués de façon plus liée que les
mouvements
vers l'avant (c'est l'inverse si le sens
de rotation du zootrope est inversé).
Cette
propriété que nous venons de décrire est
évidemment celle des autres appareils de précinéma à fentes :
phénakistiscopes et zootropes à vision directe...
Pour ce qui est de la projection des lignes verticales
fixes, par
contre (les jambes d'une personne immobile), cet animation systémique
du zootrope est forcément néfaste (elle occasionne un
bougé
horizontal) : c'est là le défaut classique des zootropes et des
phénakistiscopes : les lignes verticales fixes qu'ils donnent à voir
apparaissent bougées ( floues)...
Ce défaut est évidemment visible lors
des
projections réalisées avec notre zootrope projecteur : c'est la source
du flou existant sur le cavalier, par exemple.
Pour conclure cette présentation de
notre zootrope
projecteur, ajoutons qu'à notre sens sa construction serait très facile
en cartonnage, ce qui pourrait donner l'occasion à des élèves de
collège de réaliser leur modèle de projecteur de précinéma...
À cette
fin nous donnons
ici
le lien vers la bande que nous avons fait tirer sur PVC par un copiste
à partir d'une clé USB. Toutes les dimensions d'un zootrope-projecteur
en carton se
déduiront de son périmètre. Lors de cette construction, pensez à ouvrir
dans ledit périmètre des lumières plus larges que les créneaux de notre
appareil : une contre-virole pivotante dotée
également de 12
larges lumières permettra, par pivotement, de déterminer la largeur
optimale des créneaux :
Lorsque
nous disons "largeur optimale des créneaux", il faut comprendre :
-soit
optimale du point de vue de la
luminosité de la projection
-soit
optimale pour la netteté des images,
ces deux
qualités s'opposant, on le sait, l'une à l'autre...
Un dernier mot pour évoquer une
curiosité : il
ne nous semble pas que l'histoire du cinéma ait jamais relaté
l'existence d'un zootrope-projecteur. Go Mars pourrait donc bien en
être l'inventeuse étonnée...
Bernard de Go
Mars !