Photo. Jean-François Terrasse s’inquiète des eaux boueuses qui s’écoulent à travers les vannes d’Errota Handia, le Grand Moulin, indice de l’érosion des sols. C.C-E
Un moulin ne se réduit pas à un bâtiment industriel
sur une chute d’eau : il est la plupart du temps associé à un étang
parfois alimenté par un canal de dérivation d’un ruisseau
ou d’une rivière, et constitue donc un véritable outil
de gestion de l’eau et de régulation des débits, en
même temps qu’un biotope spécifique des zones humides.
Jean-François Terrasse l’entend bien ainsi, et c’est
la raison pour laquelle il a fait l’acquisition, il y a une quarantaine
d’années, d’Errota Handia, le Grand Moulin, bien que
les constructions soient en ruine. « Après avoir restauré la
digue et l’étang, la propriété a été classée
en Réserve de chasse, puis en Réserve Naturelle Volontaire,
et enfin en Réserve Naturelle Régionale. J’ai signé une
convention avec le Conservatoire Régional d’Espaces Naturels
d’Aquitaine (CREN) qui m’assiste dans la gestion et le suivi écologique,
et les travaux d’entretien sont effectués par la Maison d’Initiation à la
Faune et aux Espaces Naturels (MIFEN) » explique-t-il en précisant
qu’ainsi les frais sont indirectement pris en charge par la Région,
au moyen de subventions à ces associations. Le travail d’inventaire
des espèces est immense, et bien qu’il soit un naturaliste
passionné depuis sa plus tendre enfance, ancien pharmacien, membre
de la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO) et ancien directeur scientifique
de la section française du World Wildlife Fund (WWF), il ne peut
pas toutes les connaître et se fait parfois aider de spécialistes. « Pierre-Camille
Leblanc, de l’Association Paon du Jour de Cambo, est venu passer
une nuit à la réserve pour inventorier les papillons nocturnes.
Il a eu l’heureuse surprise d’y découvrir une espèce
que l’on croyait disparue d’Aquitaine, Diachrysia nejas, de
la famille des noctuidae ! » rapporte-t-il.
La turbidité anormale du ruisseau qui s’écoule par
les anciennes vannes du moulin l’inquiète. « Les analyses
n’indiquent pas de pollution excessive, mais il n’y a pas eu
de grosses pluies depuis longtemps et l’eau devrait être limpide.
D’une part, cette boue est néfaste aux espèces qui
y résident, et d’autre part, le rejet de la terre arable dans
la mer est une perte de richesse incommensurable. Notre pays si fertile,
au patrimoine naturel extraordinaire, est en train de se vider de sa substance.
Autrefois, dans un paysage forestier, les vaches pâturaient dans
des prairies séparées par des haies de buissons. La végétation
retenait une grande partie des eaux pluviales qui, en s’écoulant,
n’emportaient que peu de terre. Maintenant, on cultive du maïs
pour nourrir le bétail enfermé dans des enclos : de ce fait,
particulièrement sur les pentes de notre région vallonnée,
les sols décapés par les désherbants et dénudés
pendant la période humide sont davantage exposés aux intempéries
et s’érodent » regrette-t-il.
Se promenant dans son domaine, il aperçoit un petit papillon bleu
qui volette. « L’Azuré du serpolet est une espèce
protégée de la famille des lycènes. Sa chenille qui
se nourrit des fleurs du serpolet sécrète un liquide sucré qui
attire les fourmis. Celles-ci l’entraînent dans la fourmilière
où elle est nourrie, jusqu’à sa métamorphose,
de larves de fourmis en échange de son miellat » décrit-il
pour montrer l’infini complexité de la nature et l’imbrication
des espèces dans des symbioses extraordinaires. Modifier un seul élément
entraîne des conséquences inimaginables, et la suppression
d’une espèce induit la disparition d’une myriade d’autres
dont on ne soupçonne même pas l’implication.
Enfin, à l’instar de l’association très dynamique
de vulgarisation et maintenance du patrimoine local des Causses, Los Adralhans,
Jean-François Terrasse aimerait qu’un chercheur s’attache à étudier
le site d’Errota Handia. Sa digue monumentale de pierres de taille
et le moulin qui y était associé remonteraient à la
deuxième moitié du XVIIe siècle, époque des
grands travaux commandés par Louis XIV pour la réalisation
de sa flotte au Pays Basque, et le moulin aurait actionné une forge
ou un concasseur. Converti en moulin à farine, son activité s’est
poursuivie jusqu’à la fin des années 1930 avant de
péricliter pendant la guerre. Des fours à chaux sont creusés
dans la pente d’une des collines qui encadrent l’étang,
sortes de larges puits à ciel ouvert, profonds de quelques mètres.
Un tel patrimoine mériterait que l’on
se penche sur son histoire.
Cathy Constant-Elissagaray
Cathy Constant-Elissagaray, correspondante locale au journal Sud-Ouest pour les villages de Bassussarry et d'Arcangues
Article paru le 18 août 2008 : "Biodiversité reine"