Jean Duprat, chercheur au CNRS, devant les panneaux indicateurs de Bassussarry et Lucmau à la station polaire antarctique Concordia. C.C-E
Article intégral (avant réduction pour le journal) :
En 1999, Jean Duprat effectue une première expédition au
Dôme C, situé non loin du pôle Sud, sur le haut plateau
du continent Antarctique, grâce à la logistique de l’Institut
Polaire Français Paul-Emile Victor (IPEV) qui y a établi
la base scientifique franco-italienne Concordia. Astrophysicien, chercheur,
responsable du programme français de recherche de Micrométéorites
en Antarctique, il vient collecter dans cette neige d’une pureté extrême
des poussières de comètes dont l’analyse devrait permettre
de mieux connaître le processus de formation du système solaire,
il y a 4,5 milliards d’années.
«
Le Dôme C est très isolé, à 560 km de la station
continentale la plus proche, Vostok, et 1100 km de la base côtière
Dumont d’Urville, elle-même distante de 2700 km du port d’Hobart,
en Tasmanie, au sud de l’Australie, où j’ai embarqué sur
l’Astrolabe, un bateau brise-glace. On se sent totalement dépaysé.
Le campement est installé sur 3300 mètres de neige et de
glace au-dessus du socle rocheux, la lumière est réverbérée
en continu par cette myriade de cristaux durant les trois mois d’été austral,
de novembre à février, où le soleil tourne en cercle
au-dessus de l’horizon sans jamais se coucher. Le souffle manque
en raison de l’altitude et la température varie sur l’année
entre –30° et –80°C... » décrit le chercheur.
Il
n’est donc pas étonnant que ses occupants temporaires ressentent
le désir de l’humaniser et sacrifient davantage que dans les
autres stations à la tradition de marquer leur passage par la pose
d’un panneau où figure le nom de leur lieu d’origine,
souvent un petit village des Alpes, ou des Dolomites. « J’ai
posé deux pancartes, l’une indiquant la direction de Bassussarry,
d’où provient mon épouse, et l’autre Lucmau,
où je séjournais durant mon enfance pour les vacances chez
mes grands-parents, aux confins de la Gironde et des Landes » précise-t-il.
Il est marié à l’écrivain Marie Darrieussecq,
qui publie en 2003 White, un roman d’anticipation inspiré de
cette expérience. Jean Duprat décrira lui-même en 2006
son travail dans un film documentaire, « Poussières du Pôle », élaboré par
le CNRS sur un support DVD pour le public et les scolaires, et qui sera
primé en 2008 lors du Festival du film du chercheur à Nancy.
«
Il faut savoir que, s’il tombe chaque année sur Terre 3 à 8
tonnes de météorites, elle reçoit également
une pluie d’environ 6000 tonnes de micrométéorites
! Celles qui nous intéressent ont une taille allant de 0,03 à 0,1
millimètre et sont souvent recouvertes d’une coquille noire
de magnétite, un oxyde de fer caractéristique de leur origine
extra-terrestre, qui se forme avec l’échauffement causé par
la chute dans l’atmosphère » explique le chercheur.
Ces poussières, collectées encore à deux reprises
en 2002 et 2006, sont analysées en France, au Centre de Spectrométrie
Nucléaire et Spectrométrie de Masse (CSNSM-IN2P3-CNRS) d’Orsay,
où est basé Jean Duprat. Une partie provient de la ceinture
d’astéroïdes qui gravitent entre Mars et Jupiter, mais
certaines poussières sont issues de comètes qui ont été déstabilisées
de leur orbite aux confins du système solaire et gravitent désormais
plus près du Soleil. Ses rayons subliment la glace qui s’échappe
en une queue lumineuse dont quelques éléments atterrissent
sur Terre.
L’équipe de recherche a eu la confirmation de cette origine
cométaire en recoupant ses informations avec les données
recueillies par Stardust, la sonde de la NASA qui a rapporté fin
2006 des échantillons prélevés dans la queue de la
comète Wild 2. « Ces poussières contiennent parfois
des inclusions réfractaires qui n’ont pu se former qu’à proximité du
Soleil en formation, puis qui ont été projetées très
loin et se sont agglomérées à d’autres éléments
et de la neige pour former des comètes. Il faudra sans doute plus
de dix ans de recherche pour reconstituer leur histoire et celle de la
formation du système solaire… qui est aussi la nôtre
! » commente le scientifique.
Encart : le Dôme C
Alors que 44 bases se répartissent sur le pourtour du continent
antarctique, il n'existe en 1993 que 2 bases continentales : Amundsen-Scott
(USA) et Vostok (Russie). Le site du Dôme C a été choisi
conjointement par la France et l’Italie en fonction de plusieurs
critères scientifiques : Présence d'une épaisse calotte
glaciaire (3.300 mètres d'épaisseur) permettant d'accéder
aux archives du climat de la planète et de reconstruire les cycles
interglaciaires sur plus de 800.000 ans, Atmosphère particulièrement
stable, pure et sèche, idéale pour des observations en astronomie
et pour des études sur la composition chimique des basses et hautes
couches de l'atmosphère, Situation éloignée des perturbations
côtières, favorable aux observatoires en magnétisme
et sismologie, complétant ainsi le réseau mondial de données
peu fournies dans l'hémisphère sud.
Cathy Constant-Elissagaray
Lien
avec le compte-rendu de mon entretien
avec Jean Duprat.
Cathy Constant-Elissagaray, correspondante locale au journal Sud-Ouest pour les villages de Bassussarry et d'Arcangues
Article paru le 5 juin 2009 : "Jean a indiqué le village au bout du monde"