PREMIER TABLEAU

FREDERIC LORDON

Actes - Actions - Actions collectives              

Nous devons retenir que ce n'est primitivement que par une action motrice sur l'environnement que l'individu peut satisfaire à la recherche de l'équilibre biologique, du "bien-être", du "plaisir". Cette action motrice aboutit en réalité à conserver la structure complexe de l'organisme dans un environnement moins "organisé" grâce à des échanges énergétiques maintenus par certaines limites entre cet environnement et lui. (N.G.74)

HENRI LABORIT

Actes - Actions - Actions collectives              

Nous devons retenir que ce n'est primitivement que par une action motrice sur l'environnement que l'individu peut satisfaire à la recherche de l'équilibre biologique, du "bien-être", du "plaisir". Cette action motrice aboutit en réalité à conserver la structure complexe de l'organisme dans un environnement moins "organisé" grâce à des échanges énergétiques maintenus par certaines limites entre cet environnement et lui. (N.G.74)

              Actes - Actions - Actions collectives              

Nous devons retenir que ce n'est primitivement que par une action motrice sur l'environnement que l'individu peut satisfaire à la recherche de l'équilibre biologique, du "bien-être", du "plaisir". Cette action motrice aboutit en réalité à conserver la structure complexe de l'organisme dans un environnement moins "organisé" grâce à des échanges énergétiques maintenus par certaines limites entre cet environnement et lui. (N.G.74)

Parmi les fonctions du système nerveux central, on a peut-être trop privilégié ce qu’il est convenu d’appeler, chez l’homme, la pensée et ses sources, les sensations, et pas suffisamment apprécié l’importance de l’action, sans laquelle les deux autres ne peuvent s’organiser. Un individu n’existe pas en dehors de son environnement matériel et humain et il paraît absurde d’envisager séparément l’individu et l’environnement, sans préciser les mécanismes de fonctionnement du système qui leur permet de réagir l’un sur l’autre, le système nerveux. Quelle que soit la complexité que celui-ci a atteinte au cours de l’évolution, sa seule finalité est de permettre l’action, celle-ci assurant en retour la protection de l’homéostasie (Cannon), de la constance des conditions de vie dans le milieu intérieur (Claude Bernard), du plaisir (Freud). C’est lorsque l’action qui doit en résulter s’avère impossible que le système inhibiteur de l’action est mis en jeu et, en conséquence, la libération de noradrénaline, d’ACTH (1) et de glucocorticoïdes avec leurs incidences vasomotrices, cardio-vasculaires et métaboliques, périphériques et centrales. Alors naît l’angoisse.

(1) ACTH sont les initiales de Adréno Cortico Trophic Hormone. Ce terme, utilisé par les auteurs anglais, désigne l'hormone corticotrope qui est sécrétée par l'hypophyse et plus précisément sa partie antérieure (lobe antérieur). Cette hormone est stimulée par l'hypothalamus (zone du système nerveux située en plein centre du cerveau) et par l'hormone antidiurétique. La production d'ACTH est variable au cours de la journée. C'est ainsi que sa quantité maximale dans le sang se situe vers 8 heures du matin et sa quantité minimale vers minuit. Le stress augmente la sécrétion de corticotrophine (synonyme d' ACTH).

La seule raison d’être d’un être est d’être. Ce qu’il est convenu d’appeler la pensée chez l’homme ne sert qu’à rendre plus efficace l’action. (C.A.83)

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              Acte de violence - Action directe             

La police ou les armées n’ont jamais interdit les actes de violence, de même que les institutions internationales n’ont interdit les guerres, car elles ont simplement imposé les lois exprimant la dominance du plus fort sans essayer de comprendre les mécanismes en cause; elles font respecter, par la violence, une violence institutionnalisée, lorsque s’oppose à elle une violence explosive. (C.A.83)

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              Action gratifiante - Recherche du plaisir...              

Le seul comportement « inné », contrairement à ce que l’on a pu dire, nous semble être l’action gratifiante…. Pour se réaliser en situation sociale, l’action gratifiante s’appuiera dès lors sur l’établissement des hiérarchies de dominance, le dominant imposant son « projet » au dominé.

Les objets et les êtres qui permettent un apprentissage gratifiant devront rester à la disposition de l’organisme pour assurer le réenforcement. Cet organisme aura tendance à se les approprier et à s’opposer dans l’espace où ils se trouvent, dans son « territoire », à l’appropriation des mêmes objets et êtres gratifiants par d’autres.

Tout ce qui s’oppose à une action gratifiante, celle qui assouvit le besoin inné ou acquis, mettra en jeu une réaction endocrine-sympathique, préjudiciable, si elle dure, au fonctionnement des organes périphériques. Elle donne naissance au sentiment d’angoisse et se trouve à l’origine des affections dites « psychosomatiques ».

En situation sociale la dominance s’est établie sur le degré d’abstraction atteint par un individu dans son information professionnelle. C’est elle qui aujourd’hui est à la base des hiérarchies, non seulement professionnelles, mais de pouvoir économique et politique.

Le paternalisme, le narcissisme, la recherche de la dominance, savent prendre tous les visages. Dans le contact avec l’autre on est toujours deux. Si l’autre vous cherche, ce n’est pas souvent pour vous trouver, mais pour se trouver lui-même, et ce que vous cherchez chez l’autre, c’est encore vous. Vous ne pouvez pas sortir du sillon que votre niche environnementale a gravé dans la cire vierge de votre mémoire depuis sa naissance au monde de l’inconscient. (E.F.76)

La recherche du plaisir ne devient le plus souvent qu’un sous-produit de la culture (désir mimétique - JPP), une observance récompensée du réglement de manoeuvre social, toute déviation devenant punissable et source de déplaisir. Ajoutons que les conflits entre les pulsions les plus banales, qui se heurtent aux interdits sociaux, ne pouvant effleurer la conscience sans y provoquer une inhibition comportementale difficilement supportable, ce qu’il est convenu d’appeler le refoulement séquestre dans le domaine de l’inconscient ou du rêve l’imagerie gratifiante ou douloureuse. Mais la caresse sociale, flatteuse pour le toutou bien sage qui s’est élevé dans les cadres, n’est généralement pas suffisante, même avec l’appui des tranquilisants, pour faire disparaître le conflit. Celui-ci continue sa sape en profondeur et se venge en enfonçant dans la chair soumise le fer brûlant des maladies psychosomatiques.

...si nous voulons éviter le refoulement, avec son cortège «psychosomatique», c’est-à-dire d’inhibition d’actes gratifiants, nous sommes limités à quelques actions que nous pouvons rapidement énumérer. La première c’est le suicide. C’est un acte d’agressivité mais qui est toléré par la socioculture parce que d’abord ses armes arrivent généralement trop tard pour l’interdire lorsqu’il est réussi et que, d’autre part, il n’est dirigé que vers une seule personne. La cohésion du groupe social s’en trouve rarement compromise. Le suicide est un langage en même temps qu’une action (le langage étant de toute façon une action) mais, quand on ne peut se faire entendre, il constitue une action assez définitive pour que parfois ce langage soit entendu. Il facilite ou renforce parfois même la cohésion du groupe dont il crie la détresse. Il y a aussi l’agressivité défensive, qui est rarement efficace, mais qui en restituant à l’action sa participation au bien-être permet, dans son inefficacité même, de trouver une solution à des problèmes insolubles. Il y a également un langage qui est celui du névrosé. Pierre Jeannet a dit que c’était le «langage du corps». L’individu qui est pris dans un système manichéen, qui se trouve placé devant un problème dont les éléments lui sont la plupart du temps inconscients et qu’il ne peut résoudre dans l’action, va, par un certain comportement, exprimer ce qu’il ne peut pas dire.

Si dans l’espace contenant des objets et des êtres gratifiants, dans le territoire, se trouvent également d’autres individus cherchant à se gratifier avec les mêmes objets et les mêmes êtres, il en résultera l’établissement, par la lutte, des s ; en haut de la hiérarchie, le dominant qui peut se gratifier sera moins agressif, sera tolérant et l’expérimentation montre qu’il est en équilibre biologique, que sa cortisolémie est normale, et que l’ensemble de son système endocrinien fonctionne harmonieusement, du moins aussi longtemps que sa dominance ne sera pas contestée et lorsque sera passée la période d’établissement de la dominance. Le dominé, au contraire, mettant en jeu le système inhibiteur de l’action pour éviter les punitions infligées par les dominants, fait l’expérience de l’angoisse. (C.A.83)

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              Agression - Agressivité              

Il y a déjà bien des années nous avons proposé de définir l’agression comme la quantité d’énergie cinétique capable d’accélérer la tendance à l’entropie d’un système, d’accélérer son nivellement thermodynamique, autrement dit, d’en détruire plus ou moins complètement la structure.

L’homme ne peut appréhender que des ensembles et chaque ensemble est constitué d’éléments. Ces éléments ne sont pas placés au hasard à l’intérieur d’un ensemble. Ils présentent entre eux des relations qui aboutissent à une «forme» et ces relations, cette «mise en forme» constituent un nouvel ensemble: l’ensemble des relations. C’est cet ensemble de relations unissant les éléments d’un ensemble que nous appelons «structure». L’agression va donc perturber les relations existantes entre les éléments d’un ensemble, augmenter à l’intérieur de cet ensemble le désordre.

On peut dire que l’agressivité est alors la caractéristique d’un agent quel qu’il soit, capable d’agir, de faire quelque chose, et ce quelque chose sera d’appliquer une quantité d’énergie cinétique sur un ensemble organisé de telle façon qu’il en augmentera l’entropie et, en conséquence, le désordre, en diminuant son information, sa mise en forme. Dans ce cas, la violence n’exprimera pas la quantité d’énergie libérée par cet agent, mais pourra être conçue comme exprimant, quelle que soit cette quantité d’énergie, la caractéristique d’un agent assurant son application à un ensemble organisé en y provoquant un certain désordre.

Agressivité compétitive : Celle-ci est pratiquement la seule qui persiste chez l’homme. Elle résulte de l’apprentissage de la «gratification» à la suite du contact avec un être ou un objet «gratifiant», c’est-à-dire permettant le maintien ou la restauration de la «constance des conditions de vie dans notre milieu intérieur» (Claude Bernard), de notre «homéostasie» (Cannon), autrement dit de notre «plaisir» (Freud). Pour renouveler la gratification (réenforcement des auteurs anglo-saxons), il faut que l’objet reconnu, et mémorisé comme gratifiant, reste à notre disposition. Si la même expérience des mêmes objets ou êtres a été faite par un autre qui veut aussi les conserver à sa disposition, il en résulte la notion de propriété (qui n’est pas un instinct puisqu’il faut un apprentissage) et l’apparition d’une compétition pour conserver l’usage et la jouissance de l’objet gratifiant. Le processus est à l’origine de l’agressivité compétitive et de la recherche de la dominance.

Le perdant dans la bagarre, le soumis, mettra en jeu un certain nombre de voies et d’aires cérébrales aboutissant à l’inhibition de l’action. Celle-ci est un processus adaptatif puisqu’il évite la destruction par le vainqueur. Le petit rongeur en s’immobilisant n’attirera plus l’attention du rapace et rejoindra l’abri de son terrier quand celui-ci se sera éloigné. Mais si l’inhibition persiste, le remue-ménage biologique qu’elle entraîne, résultant en particulier de la libération de corticoïdes surrénaliens (cortisol) et de médiateurs chimiques sympathiques contractant les vaisseaux (noradrénaline), va dominer toute la pathologie: blocage du système immunitaire qui ouvrira la porte aux infections et aux évolutions tumorales, destructions protéiques à l’origine des insomnies, amaigrissement, rétention d’eau et de sels, d’où hypertension artérielle et accidents cardio-vasculaires, comportements anormaux, névroses, dépressions, etc.

Enfin, l’histoire existentielle de chaque individu est unique. C’est avec l’expérience inconsciente qui s’accumule dans son système nerveux depuis la naissance qu’il va négocier son environnement, se «comporter» par rapport à lui. Suivant que cette expérience a été gratifiante ou non, qu’elle aura permis ou interdit l’action, le retentissement affectif de tout sujet aux événements qui peuplent son existence sera variable, différent à l’infini, du plus grossier au plus élaboré.

En résumé, l’agressivité telle que nous la comprenons aujourd’hui, dans l’espèce humaine, ne nous parait pas faire partie de notre «essence». Comme l’affectivité dont elle ne représente qu’une expression particulière, elle résulte d’un apprentissage. Le nouveau-né ne nous semble pas pouvoir être agressif pas plus que sentimental. En dehors d’une réponse stéréotypée à des stimuli douloureux qui pourront secondairement, par mémorisation, constituer les éléments sur lesquels prendra naissance une affectivité capable elle-même de s’exprimer agressivement, il ne sait pas qu’il «est» dans un milieu différent de lui. Comment pourrait-il éprouver un ressentiment agressif à l’égard de ce dernier ?

Agressivité prédatrice : C’est par l’intermédiaire de l’agressivité prédatrice que la grande coulée d’énergie photonique solaire passe à travers la biosphère et coule au sein des individus et des espèces. C’est elle qui établit l’harmonie des systèmes écologiques dans toutes les régions de la planète et c’est parce que l’homme ne s’y est pas intégralement soumis qu’il est en train de détruire cette biosphère.

Au lieu de limiter sa prédation à sa faim, il l’a utilisée pour faire des marchandises, pour établir sa dominance sur ses semblables, à travers la production de ces marchandises et leur vente. Mais dans nos sociétés contemporaines évoluées, l’agressivité prédatrice motivée par la faim est exceptionnelle. Même parmi les millions d’individus qui, chaque année encore, meurent de faim, ce type d’agressivité n’est pas rentable car il n’est plus efficace en face des armes de ceux qui n’ont pas faim. On ne peut le confondre avec un comportement de vol ou de délinquance dont nous avons dit qu’il avait pour base le plus souvent un apprentissage d’objets gratifiants, c’est-à-dire un besoin acquis d’origine socioculturelle. Enfin, faut-il le souligner, l’agressivité prédatrice s’exerce toujours sur un individu d’une autre espèce que l’espèce observée et jamais sur un animal de la même espèce. Si la faim peut encore exceptionnellement motiver les comportements humains d’agressivité, son but n’est pas de manger l’autre mais de lui prendre son bien, avec des deux côtés, toujours, un discours logique permettant d’interpréter et de fournir un alibi au comportement agressif offensant comme au comportement agressif défensif. Et l’on devine que l’on entre dans une catégorie de comportements agressifs, (...) c’est celle de l’agressivité compétitive. (C.A.83)

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              Amour - Haine              

Avec ce mot on explique tout, on pardonne tout… C’est le mot de passe qui permet d’ouvrir les cœurs, les sexes, les sacristies et les communautés humaines. Il couvre d’un voile prétendument désintéressé, voire transcendant, la recherche de la dominance et le prétendu instinct de propriété. C’est un mot qui ment à longueur de journée et ce mensonge est accepté, la larme à l’œil, sans discussion, par tous les hommes.

Il fournit une tunique honorable à l’assassin, à la mère de famille, au prêtre, aux militaires, aux bourreaux, aux inquisiteurs, aux hommes politiques. Celui qui oserait le mettre à nu, le dépouiller jusqu’à son slip des préjugés qui le recouvrent, n’est pas considéré comme lucide, mais comme cynique.

Il donne bonne conscience, sans gros efforts, ni gros risques, à tout l’inconscient biologique. Il déculpabilise, car pour que les groupes sociaux survivent, c’est-à-dire maintiennent leurs structures hiérarchiques, les règles de dominances, il faut que les motivations profondes de tous les actes humains soient ignorés. Leur connaissance, leur mise à nu, conduirait à la révolte des dominés, à la contestation des structures hiérarchiques.

Le mot d’amour se trouve là pour motiver la soumission, pour transfigurer le principe de plaisir, l’assouvissement de la dominance.

Le mot d’amour demeure ce terme mensonger qui absout toutes les exploitations de l’homme par l’homme, puisqu’il se veut d’une autre essence que celle des motivations les plus primitives, contre lesquelles d’ailleurs il ne peut rien, pas plus que le mot « bouclier » ne peut protéger des balles.

Aimer l’autre, cela devrait vouloir dire que l’on admet qu’il puisse penser, sentir, agir de façon non conforme à nos désirs, à notre propre gratification, accepter qu’il vive conformément à son système de gratification personnel et non conformément au nôtre. Mais l’apprentissage culturel au cours des millénaires a tellement lié le sentiment amoureux à celui de possession, d’appropriation, de dépendance par rapport à l’image que nous nous faisons de l’autre, que celui qui se comporterait ainsi par rapport à l’autre serait en effet qualifié d’indifférent.

J’ai compris que ce l’on appelle « amour » naissait du réenforcement de l’action gratifiante autorisée par un autre être situé dans notre espace opérationnel et que le mal d’amour résultait du fait que cet être pouvait refuser d’être notre objet gratifiant ou devenir celui d’un autre, se soustrayant ainsi plus ou moins complètement à notre action. Que ce refus ou ce partage blessait l’image idéale que l’on se faisait de soi, blessait notre narcissisme et initiait soit la dépression, soit l’agressivité, soit le dénigrement de l’être aimé.

Décrire l’amour comme la dépendance du système nerveux à l’égard de l’action gratifiante réalisée grâce à la présence d’un autre être dans notre espace, est sans doute objectivement vrai. Inversement, la haine ne prend t-elle pas naissance quand l’autre cesse de nous gratifier, ou que l’on s’empare de l’objet de nos désirs, ou que l’on s’insinue dans notre espace gratifiant et que d’autres se gratifient avec l’être ou l’objet de notre gratification antérieure ?

Le seul amour qui soit vraiment humain, c’est un amour imaginaire, c’est celui après lequel on court sa vie durant, qui trouve généralement son origine dans l’être aimé, mais qui n’en aura bientôt plus ni la taille, ni la forme palpable, ni la voix, pour devenir une véritable création, une image sans réalité.

Il est plus facile de dire que l’on aime l’espèce humaine, l’homme avec un grand H, que d’aimer, et non pas simplement l’air d’aimer, son voisin de palier. Mais il est plus facile aussi d’aimer sa femme et ses enfants quand ils font partie des objets gratifiants de votre territoire spatial et culturel, que d’aimer le concept abstrait de l’Humanité dans son ensemble. (E.F.76)

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              Angoisse              

Les conflits entre pulsions instinctuelles (sexuelles en particulier) et interdits socioculturels (le sur-moi freudien) sont une des premières sources d'angoisse. Or, il important de souligner que dès la naissance l'individu se trouve pris dans un cadre socioculturel dont le but essentiel est de lui créer des automatismes d'action et de pensée indispensables au maintien de la structure hiérarchique de la société à laquelle il appartient. Les automatismes de pensée constituent l'ensemble des jugements de valeur et des préjugés d'une société et d'une époque. Mais qui dit automatismes dit inconscience et nous sommes en effet inconscients du déterminisme socioculturel de la presque totalité de nos jugements. Comme nous sommes également inconscients de la signification biologique de nos pulsions, le conflit entre les deux demeure le plus souvent dans le domaine de l'inconscient.

Si l'angoisse peut se résorber dans l'action, un discours conscient fournira toujours un alibi, une analyse logique et déculpabilisante du comportement qui en résultera. Mais il faut signaler que si les systèmes hiérarchiques sont sources de situations conflictuelles et d'angoisse, ils sont aussi une source de sécurisation. La création d'automatismes conceptuels et comportementaux d'origine socioculturelle permet l'occultation de l'angoisse existentielle en fournissant des grilles explicatives simples, des chefs responsables et sécurisants et le plus souvent de plus petits que soi à paternaliser pour assouvir le narcissisme congénital. Malheureusement, elle châtre toute créativité en punissant tout projet non conforme au système de valeurs imposé par les dominants. La soumission sans condition à ce dernier limitant considérablement l'action gratifiante, et mobilisant pourtant inconsciemment la réaction organique du fait de l'insatisfaction partielle qui en résulte, sera probablement une source principale d'affections dites « psychosomatiques ». En effet, nous venons de voir que cette réaction pour permettre la fuite ou la lutte provoque des perturbations circulatoires et nutritionnelles au niveau d'organes non immédiatement indispensables à ce comportement. Il en résultera à la longue des lésions, c'est-à-dire une perte progressive de leur information-structure normale.

Un autre mécanisme provocateur de l'angoisse résultera de ce que l'on peut appeler un « déficit informationnel » cercernant un événement survenant dans l'environnement. L'apprentissage de l'agréable et du désagréable permet en effet de classer ou non un événement nouveau. S'il peut être répertorié, le comportement actif de renforcement ou d'évitement évitera l'angoisse. Sinon, l'impossibilité d'agir de façon efficace est, là encore, provocatrice d'angoisse au même titre que l'impossibilité d'agir devant un événement dangereux mais inévitable. Notons aussi que l'inconnu anxiogène n'est pas uniquement événementiel, mais bien souvent constitué par l'autre, et l'incertitude concernant son comportement.

Enfin, chez l'homme l'existence de l'imaginaire dont le matériel est l'ensemble mémorisé, conscient ou inconscient, est peut-être la source la plus fréquente de l'angoisse. En effet, l'apprentissage de l'existence des différentes formes du déplaisir et de la douleur fournit un matériel dont la plasticité se plie facilement aux manipulations associatives, à la création de nouvelles structures imaginaires qui peuvent ne se produire jamais, mais dont la crainte qu'elles ne surviennent peut également inhiber l'action. (N.G.74)

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              Art - Culture              

On a depuis longtemps divisé les activités humaines en activités artistiques et techniques. Aujourd'hui, on parle du travail professionnel et de la culture. La culture, c'est en principe ce qui ne se vend pas, un besoin inné qu'éprouverait l'Homme et qui le ferait accéder à sa véritable " essence ", celle de l'art et de l'esprit C'est cette idée de l'Homme, aspect dichotomique, moitié producteur, moitié culturel, que l'on répand et que l'on tente d'imposer dans toutes les formes d'idéologies politiques. Pourquoi cette idée d'un homme double présente-t-elle tant d'attraits pour ces idéologies, de droite ou de gauche ?

La première raison est que, quel que soit le type d'idéologie, toutes admettent que l'homme représente d'abord un moyen de production puisque toutes établissent leurs échelles hiérarchiques sur le degré d'abstraction atteint dans l'information professionnelle.

La culture exige des créateurs et des consommateurs. Tentons de voir les mécanismes qui contrôlent ces deux volants du diptyque.

Le créateur doit être motivé à créer. Pour cela, il doit généralement ne pas trouver de gratification suffisante dans la société à laquelle il appartient. Il doit avoir des difficultés à s'inscrire dans une échelle hiérarchique fondée sur la production de marchandises. Celle-ci exigeant, pour assurer sa promotion sociale, une certaine faculté d'adaptation à l'abstraction physique et mathématique, beaucoup, rebutés d'autre part par la forme "insignifiante" prise par le travail manuel à notre époque, s'orientent vers les sciences dites humaines ou vers les activités artistiques, "culturelles". Mais celles-ci sont moins "payantes" pour une société dite de production, et les débouchés moins nombreux. Par contre, l'appréciation de la valeur de l'œuvre étant pratiquement impossible, tant l'échelle en est mobile, affective, non logique, l'artiste conserve un territoire vaste pour agir et surtout une possibilité de consolation narcissique. S'il n'est pas apprécié, aucun critère objectif solide ne permettant d'affirmer que les autres ont raison, il peut toujours se considérer comme incompris. Envisagée sous cet aspect, la création est bien une fuite de la vie quotidienne, une fuite des réalités sociales, des échelles hiérarchiques, une fuite dans l'imaginaire. Mais, avant d'atteindre le ciel nimbé d'étoiles de l'imaginaire, la motivation pulsionnelle, la recherche du plaisir qui n'a pu s'inscrire dans une dominance hiérarchique, doit encore traverser la couche nuageuse de la socioculture en place. L'artiste, dès l'œuf fécondé, est forcément lié à elle dans le temps et l'espace social. Il la fuit mais il en reste plus ou moins imprégné. Aussi génial soit-il, l'artiste appartient à une époque, réalisant la synthèse de ceux qui l'ont précédé et la réaction aux habitudes culturelles que ceux-ci ont imposées. C'est dans cette réaction d'ailleurs qu'il peut trouver son originalité. Mais c'est aussi en elle que réside l'ambiguïté de l'art pour ses contemporains. Le besoin d'être admiré, aimé, apprécié, qui envahit chacun de nous, pousse l'artiste au non-conformisme. Il refuse le déjà vu, le déjà entendu. La création est à ce prix et l'admiration qu'elle suscite également. Mais l'œuvre originale s'éloigne alors des critères de références généralement utilisés pour la juger et l'art se devant de ne pas être objectif, de prendre ses distances d'avec la sensation, d'avec le monde du réel, il devient fort difficile d'émettre à son égard un jugement immédiat. L'art est un plat qui se mange froid, comme la vengeance. Seule l'évolution imprévisible du goût pourra par la suite affirmer le génie.

Évidemment, l'artiste ou soi-disant tel peut encore bénéficier de l'approbation des snobs pour qui tout ce qui n'est pas conforme entre dans le domaine de l'art. Le comportement du snob est assez limpide d'ailleurs. Stérile, il ne peut affirmer sa singularité qu'en paraissant participer à ce qui est singulier. Il se revêt de la singularité des autres et fait semblant de la comprendre et de l'apprécier. Il fait ainsi partie d'une élite avertie, au milieu de la cohue vulgaire et homogénéisante. Si enfin, de l'accouplement du non-conformiste et du snob, un système marchand peut naître, la réussite sociale, heureusement temporaire, l'inscription de l'artiste ou prétendu tel dans l'échelle consommatrice et hiérarchique peuvent se rencontrer. Tout cela est d'autant plus facile d'ailleurs que l'expérience historique montre que le novateur est presque toujours incompris par la majorité de ses contemporains. De là à penser que tout artiste incompris est un génie créateur il n'y a qu'un pas.

Il est facilement franchi, dans la société dite libérale où tout ce qui peut se vendre en faisant appel aux moyens variés d'intoxication publicitaire trouve sa raison d'être. Mais l'artiste peut être suffisamment paranoïaque pour ne pas rechercher, ni même apprécier, cette réussite sociale, ce pansement narcissique. Cela ne veut pas dire qu'il soit pour autant un génie créateur. Aucun système de référence n'est là pour nous le dire. Cependant, c'est dans ce groupe des psychotiques-ou à ses frontières qu'on a le plus de chance de le trouver. En effet, sa motivation n'est plus de s'inscrire dans un système pour en profiter, soit matériellement, soit de façon narcissique. Il trouve sa gratification dans l'imaginaire et ]'œuvre qui en résulte. On peut admettre que celle-ci est moins suspecte.

Cette analyse motivationnelle et comportementale de l'artiste que nous venons de faire est d'ailleurs approximative et l'on ne peut nier qu'à travers l'histoire certains génies créateurs ont trouvé une place dans la société de leur temps, et que le consensus historique, par la suite, confirma l'opinion favorable de leurs contemporains. C'est en effet qu'il existe deux niveaux d'abstraction dans le comportement de l'artiste. Le premier pourrait être interprété comme une fuite du réel non gratifiant vers un imaginaire qui apaise. Le second, qui prend naissance à partir de l'oeuvre créée, est un retour par son intermédiaire dans la réalité sociale, retour qui, pour les raisons que nous avons indiquées, peut être diversement apprécié, car il dépend du consommateur. Or, le consommateur n'est jamais seul. Si nous éliminons le snob, dont nous avons déjà parlé, il représente l'expression d'un certain type de société, à une certaine époque. Et nous retrouvons là la culture et son rôle social.

Pour bien des raisons, les sociétés de l'ennui ont besoin de l'art et de la culture, qu'elles séparent de façon péremptoire du travail et de la production. D'abord, l'homme que l'on dit cultivé est celui qui a le temps de le devenir, celui que sa vie professionnelle laisse suffisamment disponible, ou dont la vie professionnelle est elle-même inscrite dans la culture. Dans une société marchande, être cultivé, c'est déjà appartenir à la partie favorisée de la société qui peut se permettre de le devenir. Accorder à ceux qui n'ont pas cette chance une participation à la culture, c'est en quelque sorte leur permettre une ascension sociale. C'est un moyen de les gratifier narcissiquement, d'améliorer leur standing, d'enrichir l'image qu'ils peuvent donner d'eux-mêmes aux autres. Il est probable que ce processus découle directement du regret du bourgeois de ne pas appartenir à une aristocratie inutile, non productrice et cultivée. Qu'on se souvienne du Bourgeois Gentilhomme et de ses efforts pour acquérir les plumages culturels liés aux attributs de la classe à laquelle il tente d'accéder. Le Bourgeois Gentilhomme appartient à une race prolifique et qui s'est largement multipliée. Mais, dans la contestation de classe qui ne cesse de s'étendre, l'intérêt de la bourgeoisie étant de conserver avant tout ses prérogatives hiérarchiques de dominance et celles-ci n'étant plus exclusivement établies sur la naissance et le comportement, mais sur la propriété des marchandises, elle accepte bien volontiers de diffuser une culture, surtout si elle se vend. Elle compte par-là apaiser la rancœur due aux différences, tout en conservant les différences qui lui paraissent essentielles, le pouvoir, la dominance hiérarchiques. D'où l'effort qu'elle fait et auquel se laissent prendre les masses laborieuses, pour valoriser la culture, sa culture, tout en la séparant obstinément de l'activité professionnelle productrice, où son système hiérarchique demeure intransigeant. Il est bon de noter que si la société industrielle a institué depuis longtemps examens et concours pour établir ses échelles hiérarchiques sur les connaissances professionnelles, elle n'a jamais fait de même pour la culture, car celle-ci n'est pour elle qu'un amuse-gueule, incapable d'assurer un pouvoir social. Elle n'a donc pas besoin de hiérarchie, ni du contrôle des connaissances "culturelles". Elle espère ainsi calmer le malaise, panser les plaies narcissiques de ceux qui n'ont pas le pouvoir, d'autant qu'en maintenant une différence de nature, une différence fondamentale entre activité productrice et activité culturelle, on peut même au sein de cette dernière exprimer une contestation du système hiérarchique de dominance établie dans la première. (E.F.76)

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              Ascension sociale              

Comment se regarder soi-même avec une certaine tendresse, si les autres ne vous apprécient qu’à travers le prisme déformant de votre ascension sociale, lorsque cette ascension n’a pas dépassé les premières marches ? (E.F.76)

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              Automatisme             

Pinel a désenchaîné les fous. Les drogues antipsychotiques les rendent souvent, aujourd’hui, à la vie sociale. Quand les hommes sains seront-ils désenchaînés de leurs préjugés, de leur groupe, de leur classe, de leur or ? Quand sortiront-ils enfin de la prison de leurs automatismes et de leur langage ? (N.G.74)

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              Autorité - Oppression              

Don Quichotte avait raison. Sa position est la seule défendable. Toute autorité imposée par la force est à combattre. Mais la force, la violence, ne sont pas toujours du côté où l’on croit les voir. La violence institutionnalisée, celle qui prétend s’appuyer sur la volonté du plus grand nombre, plus grand nombre devenu gâteux non sous l’action de la marijuana, mais sous l’intoxication des mass media et des automatismes culturels traînant leur sabre sur le sol poussiéreux de l’Histoire, la violence des justes et des bien-pensants, ceux-là même qui envoyèrent le Christ en croix, toujours solidement accrochés à leur temple, leurs décorations et leurs marchandises, la violence qui s’ignore ou se croit justifiée, est fondamentalement contraire à l’évolution de l’espèce. Il faut la combattre et lui pardonner car elle ne sait pas ce qu’elle fait. (E.F.76)

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              Besoins fondamentaux              

Comme dans toutes les espèces, la partie la plus primitive du système nerveux va permettre à l’individu de répondre aux exigences de la collectivité cellulaire qui constitue son organisme. Il lui répondra de façon programmée par la structure même de ses régions primitives, en d’autres termes, de façon instinctive. Trois exigences fonctionnelles devront être assouvies, boire, manger, copuler. Ce sont les seuls instincts, tout le reste n’étant qu’apprentissage, à commencer par la façon dont il sera autorisé à les exprimer, apprentissage qui en conséquence dépend de la culture dans laquelle il se situe, ou, si l’on veut, qui est fonction de ce que nous avons nommé préjugés, lieux communs, jugements de valeur, d’un lieu et d’une époque. Boire, manger et copuler, toutes activités exigées par la survie de l’individu dans les deux premiers cas, de l’espèce dans le troisième, paraissent donc être non des droits, et pas seulement pour l’homme mais pour tout être vivant, mais une nécessité, si les individus, et avec eux l’espèce qu’ils représentent, doivent se perpétuer. L’âne de la noria, il faudra bien lui fournir l’avoine nécessaire au maintien de sa structure d’âne et à la compensation de l’effort thermodynamique dépensé pour monter l’eau du puits, si l’on veut continuer à bénéficier de sa force de travail. Mais cet âne n’a aucun droit, il rend service à son propriétaire. L’homme décide, notons-le au passage, de la possibilité de réaliser ces fonctions pour les autres espèces animales que la sienne et les meilleurs amis des bêtes, qui ne sont point agressifs, n’hésitent pas à faire châtrer leur «cher compagnon» pour qu’il ne souffre pas des affres d’une libido insatisfaite; ce faisant, ils se jugent charitables. Quand j’écris que l’homme décide, je me comprends, car sa liberté ne fait qu’obéir aux principes exigeants de son propre bien-être, il ne fait d’ailleurs pas autre chose à l’égard des enfants du Biafra, du Bangladesh, de l’Angola ou d’ailleurs, enfants décharnés, mourant de faim et couverts de mouches, qui n’ont qu’à se débrouiller comme ces « chers compagnons » pour trouver un bon patron qui les nourrisse, les tienne en laisse et organise chez eux la contraception, car ils ne lui sont pour l’instant d’aucune utilité.

«Nécessité» donc d’assouvir ses besoins fondamentaux et non pas «droits». Or, cette nécessité n’est satisfaite que si, en échange, l’individu fournit au groupe social, et pour le maintien de ses échelles hiérarchiques de dominance, un certain travail participant à la production de marchandises. D’où l’apparition de la notion de droit au travail. L’inutile dans le cadre des lois du marché peut crever de faim et disparaître. On aurait pu aussi bien décréter qu’il existait un droit à la paresse, mais la propriété privée ou d'État, qui charpente les hiérarchies de dominance, n’y aurait plus trouvé son compte. On ne peut donc parler dans ce cas de droits de l’homme, mais du droit des dominant à conserver leur dominance. [...] Après avoir appris, depuis le début du néolithique, aux individus peuplant les zones tempérées du globe que leur devoir était de travailler à la sueur de leur front, cet automatisme culturel est si bien ancré dans leur système nerveux que ces individus exigent aujourd’hui le droit au travail, le droit de faire suer leur front pour la croissance du monde productiviste et le maintien des hiérarchies. Au chômage, ils souffrent de ne pouvoir réaliser l’image idéale que ce monde, qui en avait besoin, leur a donnée d’eux-mêmes. (C.A.83)

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              Bien-être              

La recherche du bien-être peut-elle représenter une cause ? Mais d'abord, qu'est-ce que le « bien-être » ? Notons qu'il s'agit d'un état relatif. Sa base est vraisemblablement physiologique et biologique. Cabanac a montré qu'un stimulus n'est pas plaisant ou déplaisant en lui-même, mais ressenti en fonction de son utilité en relation avec des signaux internes. Par exemple, quand on demande à un sujet placé dans un bain, de caractériser sur une échelle à cinq niveaux (très plaisant, plaisant, neutre, déplaisant, très déplaisant), la sensation qu'il éprouve s'il plonge la main dans un seau d'eau extérieur au bain, on constate qu'il trouve l'eau froide du seau très déplaisante s'il est placé dans un bain froid et très plaisante s'il est placé dans un bain très chaud. Tout se passe, au cours de nombreuses expériences de ce type, comme si la satiété modifiait la sensation de bien-être ou de plaisir jusqu'à l'inverser. C'est ce que Cabanac propose d'appeler l' « alliesthésie ». C'est un problème identique qui est posé par l'insatisfaction qui résulte de tout assouvissement d'un besoin acquis, socioculturel, par l'appétit jamais comblé de consommation.

Nous devons ajouter que le plaisir ou la souffrance dépendent aussi de l'entraînement, c'est-à-dire des possibilités accrues acquises par un organisme d'osciller autour de valeurs moyennes. L'entraînement permet de mieux supporter les écarts thermiques, les efforts musculaires rapides ou soutenus par exemple, et recule l'apparition du déplaisir ou de la souffrance.

Il y a donc probablement une régulation en « tendance » provoquée par l'action de l'homme sur son milieu, aboutissant à en homéostasier de mieux en mieux les caractéristiques physico-chimiques mais aboutissant à la perte progressive de l'entraînement aux variations de ces caractéristiques, rétrécissant d'autant la marge des écarts supportables entre lesquels le « bien-être » est conservé. Il en est ainsi pour l'air conditionné, l'ascenseur, les différents moyens de locomotion remplaçant la marche, etc.

Il faut ajouter à cela le plaisir qui résulte des communications et des échanges d'informations plus rapides, des moyens d'hygiène améliorés. Nous retrouvons là une notion émise au début de ce travail, à savoir que l'invention de la machine, s'interposant entre la main et l'objet désiré pour en faciliter la production, diminue d'autant l'énergie humaine nécessaire à cette production et en conséquence recule la limite où cette dépense énergétique devient désagréable. Mais si elle augmente l'efficacité des actions humaines sur la matière, elle rend aussi l'homme plus dépendant de la machine dans la proportion où son inadaptation au milieu non transformé accroît son désentraînement.

Mais au fond, la question n'est pas là. Si le « bien-être » résulte de la satisfaction des besoins fondamentaux, nous avons déjà signalé que l'industrie moderne n'est pas indispensable à la réalisation de cet assouvissement. Les besoins hypothalamiques n'exigent pas l'industrie moderne ni la croissance pour être satisfaits. Nos grands-parents, même dans la meilleure société bourgeoise, auraient été dans ce cas bien malheureux. Cette constatation implique que le bien-être est surtout fonction de l'apprentissage que l'on peut en faire. Le bien-être devient alors une notion socioculturelle. Si l'on avait demandé à un homme du paléolithique ce dont il avait le plus « besoin » il aurait sans doute répondu : « Un ours à chaque repas et un peu de feu pour le faire cuire. » Il n'aurait pas demandé une. R 16. En réalité, la notion de bien-être est intimement liée à la notion de besoins. Mais celle-ci, lorsque les besoins fondamentaux sont assurés, est forcément liée à la connaissance de ce que l'on peut désirer. Toute la publicité est fondée sur cette nécessité de faire connaître pour susciter le besoin. On ne peut désirer ce que l'on ignore. Par contre, on peut désirer ce qu'un autre possède et que l'on ne possède pas. Surtout si la possession de l'objet permet de se situer dans un ordre hiérarchique et participe à l'établissement de la dominance. De sa possession résultent alors deux effets, l'assouvissement d'un besoin non fondamental, d'un désir appris, la réalisation d'un bien-être créé par la société et la facilitation de l'obtention de ce bien-être par la facilitation de la dominance... (N.G.74)

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              Bonheur             

Être heureux, c’est à la fois être capable de désirer, capable d’éprouver du plaisir à la satisfaction du désir et du bien-être lorsqu’il est satisfait, en attendant le retour du désir pour recommencer. On ne peut être heureux si l’on ne désire rien. Le bonheur est ignoré de celui qui désire sans assouvir son désir, sans connaître le plaisir qu’il y a à l’assouvissement, ni le bien-être ressenti lorsqu’il est assouvi. (E.F.76)

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              Bourgeois - Bourgeoisie             

Mais, dans la contestation de classe qui ne cesse de s’étendre, l’intérêt de la bourgeoisie étant de conserver avant tout ses prérogatives hiérarchiques de dominance et celles-ci n’étant plus exclusivement établies sur la naissance et le comportement, mais sur la propriété des marchandises, elle accepte bien volontiers de diffuser une culture, surtout si elle se vend. Elle compte par-là apaiser la rancœur due aux différences, tout en conservant les différences qui lui paraissent essentielles, le pouvoir, la dominance hiérarchiques. D’où l’effort qu’elle fait et auquel se laissent prendre les masses laborieuses, pour valoriser la culture, sa culture, tout en la séparant obstinément de l’activité professionnelle productrice, où son système hiérarchique demeure intransigeant. (E.F.76)

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              Certitude             

L’éducation de la créativité exige d’abord de dire qu’il n’existe pas de certitudes, ou du moins que celles-ci sont toujours temporaires, efficaces pour un instant donné de l’évolution, mais qu’elles sont toujours à redécouvrir dans le seul but de les abandonner, aussitôt que leur valeur opérationnelle a pu être démontrée. (N.G.74)

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              Conformisme - Préjugés             

L’époque de la chevalerie est loin où l’on se mesurait un à un, en champ clos. Ce sont les confréries qui s’attaquent aujourd’hui à l’homme seul, et si celui-ci a le malheur d’accepter la confrontation, elles sont sûres de la victoire, car elles exprimeront le conformisme, les préjugés, les lois socioculturelles du moment. Si vous vous promenez seul dans la rue, vous ne rencontrerez jamais un autre homme seul, mais toujours une compagnie de transport en commun. (E.F.76)

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              Conscient - Inconscient              

Sous la couverture consciente des discours logiques nous ne communiquons que l’accumulation historique des processus inconscients qui ont procédé aux choix de nos modèles abstraits.

Toute pensée, tout jugement, toute pseudo-analyse logique n’expriment que nos désirs inconscients, la recherche d’une valorisation de nous-mêmes à nos yeux et à ceux de nos contemporains.

Malheureusement, le langage fournit seulement une interprétation logique des faits de conscience. Les pulsions, l’apprentissage culturel, demeurent dans le domaine de l’inconscient. Ce sont eux qui guident les discours, et celui-ci couvre d’alibis logiques l’infinie complexité des fonctions primitives et des acquis automatisés. (L'inconscient) n’est refoulé que parce que trop douloureux à supporter s’il devait être maintenu sur le plan de la conscience. Mais en réalité, l’inconscient est tout ce qui forme une personnalité humaine. Ce sont tous les automatismes qui peuplent nos voies neuronales depuis notre naissance et peut-être avant, et qui nous viennent de nos apprentissages culturels. L’enfant qui vient de naître ne sait ni marcher ni parler et nous avons vu qu’il faudra qu’il apprenne à marcher, à parler; avec le langage, nous avons vu aussi qu’il va parcourir en quelques mois, ou quelques années, l’apprentissage des générations qui l’ont précédé, depuis que quelque chose qui ressemble à l’homme est apparu sur la planète. Mais ce qu’il apprendra, ce qui sera transmis à travers les générations sera très spécifique d’une époque et d’une région. On comprend également que ce qu’il apprendra peut, dans certains cas, lui être utile en tant qu’individu mais sera d’abord utile au maintien de la cohésion du groupe humain auquel il appartient. D’autre part, la finalité de l’individu qui réside dans le maintien de sa structure, la recherche de son plaisir en d’autres termes, n’est pas celle du groupe social dans lequel il est plongé, qui a sa propre finalité, celle de maintenir aussi sa structure et on conçoit que des antagonismes, des conflits vont apparaître au sein du système nerveux individuel, venant de ses pulsions ne pouvant se résoudre par une action, du fait de l’existence d’interdits sociaux. Or, tous ces automatismes se passent dans l’inconscient et dans l’ignorance pour l’individu des mécanismes qui les gouvernent. Ces automatismes sont pourtant indispensables à rendre efficace l’action, et nous ne pourrions pas vivre sans l’acquisition progressive de ces automatismes. Mais faut-il encore savoir que ce sont des automatismes.

Si nous n’étions qu’automatismes, nous serions donc obligatoirement inconscients. C’est le sort de l’individu dans la majorité des espèces animales, encore que le terme de conscience soit bien difficile à définir et qu’il existe sans doute des états de conscience pour toutes les formes vivantes, mais que là encore ces états de conscience sont liés au niveau d’organisation atteint par chaque espèce. D’autre part, si nous n’étions (ce qui est difficilement pensable, puisque la mémoire, telle que nous l’avons décrite, apparaît déjà chez l’être unicellulaire) nous-mêmes qu’à l’instant présent et un autre la seconde d’après, nous ne pourrions pas non plus être conscients. En effet, la conscience est d’abord le souvenir d’un schéma corporel qui est le nôtre et qui évolue dans le temps. La conscience ou les états de conscience ont donc besoin de la mémoire de nous-mêmes et de notre expérience du milieu qui nous entoure, alors que cette mémoire a comme principal résultat de créer en nous des automatismes, c’est-à-dire un monde inconscient. Je ne pense pas qu’on puisse dire qu’un enfant nouveau-né soit conscient. Il n’a sans doute pas encore accumulé suffisamment d’expériences dans son système nerveux pour utiliser un nombre suffisant d’automatismes acquis. D’ailleurs nous ne nous souvenons pas de nos premières années parce que nous n’étions pas conscients d’être. Ce schéma grossier aboutit à la notion que ce que l’on appelle chez l’homme la conscience consiste dans l’impossibilité pour lui d’être à la fois entièrement automatisé, donc inconscient, et entièrement aléatoire, donc également inconscient, ce qui serait le cas si ses systèmes associatifs ne faisaient qu’associer à l’instant présent les différentes informations sensorielles qui lui parviennent de lui-même et du monde qui l’entoure, sans référence au passé. Si l’on admet ces distinctions, l’homme sera d’autant plus conscient qu’il aura à sa disposition un plus grand nombre d’automatismes inconscients à fournir à ses zones associatives de façon à créer des structures nouvelles projetant dans l’avenir une action à réaliser. C’est cette possibilité de se délivrer, par l’imaginaire, des problèmes manichéens qui lui sont posés par son environnement qui lui a fait croire à sa liberté. Mais les automatismes moteurs, conceptuels, langagiers, qui coordonnent le bric-à-brac de nos préjugés, de nos jugements de valeur, qui n’ont de valeur que relative à l’intérêt et à la survie d’un homme ou d’un ensemble d’hommes dans un certain milieu à une certaine époque, ne peuvent prétendre servir à autre chose qu’à maintenir les échelles hiérarchiques de dominance qui ont jusqu’ici permis la cohésion des groupes sociaux. Ce sont donc des valeurs relatives et non point absolues. (E.F.76)

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              Décision              

Au terme de liberté s'accroche celui de décision. Celui-ci est indispensable pour maintenir les dominances. Il faut laisser croire qu'une décision est prise en connaissance des causes, qu'elle est donc liée au savoir. Il s'agit bien entendu uniquement d'un savoir technique qui a fait la fortune du technicien, savoir séparé généralement de façon complète des ensembles conceptuels dans lesquels cette technique se trouve incluse. L'acquisition de ce savoir technique permet d'acquérir une position hiérarchique favorable. Dès lors la décision n'ira jamais à l'encontre du maintien du système hiérarchique qui gratifie celui qui la prend. Ce qui veut dire que la décision n'est pas prise, mais que dans un système socio-économique et hiérarchique donné, la décision ne fait qu'obéir au système. Elle n'est donc pas libre mais déterminée. Au terme de liberté s'accroche aussi celui de responsabilité, cette part très lourde qui revient aux cadres paraît-il, et aux patrons. Responsabilité qui constitue la base de la contrepartie de dominance qui est accordée à ceux auxquels elle échoit.

Mais s'il n'existe pas de liberté de la décision, il ne peut exister de responsabilité. Tout au plus peut-on dire que l'accomplissement d'une certaine fonction exige un certain niveau d'abstraction des connaissances techniques et une certaine quantité d'informations professionnelles qui permettent d'assurer efficacement ou non cette fonction. En possession de cet acquis, la décision est obligatoire, s'inscrit dans une nécessité. Ou bien si plusieurs choix sont possibles, la solution adoptée en définitive appartient au domaine de l'inconscient pulsionnel ou de l'acquis socioculturel.

Il est exceptionnel qu'une solution imaginaire qui serait elle-même d'ailleurs motivée par les facteurs précédents apporte quelque chose de neuf aux automatismes antérieurement expérimentés. L'exprimer serait le rôle du « découvreur », mais celui-ci se heurte alors aux systèmes hiérarchiques qui ne peuvent admettre la nouveauté si elle ne se vend pas. Il a donc peu de chances de s'élever dans les hiérarchies. D'où la rareté des motivations amenant à la découverte car celle-ci est rarement gratifiante dans un système hiérarchique établi.

Il semble que reconnaître l'inexistence de la liberté, de la décision, de la responsabilité, conduit à la disparition de toute motivation gratifiante. Plus de raisons de chercher à s'élever dans les hiérarchies. Plus de récompense pour des valeurs qui n'existeraient pas. Plus de hiérarchies non plus. Le monde de la production pour la production, c'est-à-dire pour l'obtention de la dominance, s'écroule. N'y aurait-il donc pas d'autre motivation humaine que celle de s'élever dans les hiérarchies ?

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              Démocratie              

La démocratie est un mot dangereux, car on l'utilise sans préciser le contenu sémantique variable qu'il recouvre. Le gouvernement par le peuple. Qu'est-ce que le peuple ? Est-ce l'ensemble des hommes qui habitent un même pays ? Est-ce le plus grand nombre ? L'ensemble des individus gouvernés par une oligarchie ? La partie la moins aisée, la moins instruite d'une nation, et la moins instruite de quoi ? Admettons que ce soit un peu tout cela à la fois, mais surtout le gouvernement par le plus grand nombre se dégageant des oligarchies. Il serait bien étonnant que les oligarchies gouvernent pour le peuple et non pour leur bien-être personnel d'abord. Mais quand bien même elles le feraient, c'est justement ce gouvernement, même pour son bien, que le peuple refuse aujourd'hui. Il ne veut déléguer son pouvoir à personne pour agir en sa faveur, ce en quoi on ne peut que le féliciter car l'histoire nous apprend que même dans les pays où la propriété privée des moyens de production a été supprimée, l'ignorance des bases biophysiologiques des comportements fait que tout bienfaiteur du peuple, s'il fait autre chose que de parler en son nom et se mêle d'agir, agira rapidement pour lui-même ou pour les concepts qu'il manipule et qui ne sont pas généralement ceux du commun, ceux du peuple. Fusion encore du législatif (informatif) et de l'exécutif. Le peuple se trouve ainsi rapidement exploité par ceux qui possèdent «l'information» et qui s'en servent pour assurer leur «pouvoir».

Mais puisque l'information est nécessaire à l'action efficace, comment le peuple peut-il agir puisqu'il est ou bien non informé, ou plus gravement encore, informé de façon unidimensionnelle, orientée de manière à maintenir les structures hiérarchiques et de domination, cela aussi bien en régimes capitalistes que socialistes existants. Tant que les informations seront entre les mains de quelques-uns, que leur diffusion se fera de haut en bas, après filtrage, et quelles seront reçues à travers la grille imposée par ceux qui ne désirent pas, pour la satisfaction de leur dominance, que cette grille soit contestée ou qu'elle se transforme, la démocratie est un vain mot, la fausse monnaie du socialisme.

Or, pour que les informations puissent sourdre de partout et non pas sortir toujours du même robinet, une totale liberté d'expression (nous ne disons pas d'action) et de diffusion de l'expression est évidemment indispensable. [...] On peut ainsi exprimer cette notion fondamentale que l'existence du socialisme est fonction du temps qui sera accordé au peuple, (au plus grand nombre) , et quel que soit le degré de la formation technique des individus qui le composent, pour s'informer, la production et la croissance dussent-elles en souffrir, ce qui est probable. (N.G.74)

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              Dépouillement              

Quand il vous arrive de rencontrer un homme qui accepte de se dépouiller de son uniforme et de ses galons, quelle joie ! L’humanité devrait se promener à poil, comme un amiral se présente devant son médecin, car nous devrions tous être les médecins les uns des autres. Mais si peu se savent malades et désirent être soignés ! N’ont-ils pas suivi très fidèlement les règles du livre d’Hygiène et de Prophylaxie que la société bienveillante a déposé dans leur berceau à la naissance ? (E.F.76)

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              Dignité              

On n'est pas plus « digne » quand on est riche que lorsqu'on est pauvre, lorsqu'on tient une place élevée dans les hiérarchies que lorsqu'on y tient une place plus modeste. Par contre, quand on est riche ou que l'on détient une place élevée dans les hiérarchies on croit posséder plus de « pouvoir ». On assure plus facilement son plaisir par la dominance. Autant dire que les dominants chercheront toujours à conserver le pouvoir en laissant aux dominés « la dignité » dont ils n'ont rien à faire. Et ce que les dominés chercheront à obtenir, ce n'est pas une dignité dont ils ne voient pas à juste titre à quoi elle peut leur servir, mais bien le pouvoir. Or, aussi longtemps que celui-ci sera lié à l'information spécialisée permettant de s'élever dans les hiérarchies de salaire et de valeur, les sociétés humaines ne pourront sortir du stade thermodynamique de la productivité, puisque de près ou de loin ces hiérarchies ne s'établissent que sur la quantification de la participation informative spécialisée de l'individu à la production des marchandises.

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              Discours - Langage              

Le langage rationnel en dehors des lois précises de la matière n'a jamais exprimé autre chose que notre inconscient, c'est-à-dire nos désirs et nos automatismes socioculturels...

... l'homme utilise un langage qui transmet les informations de génération en génération. Le langage écrit, mieux que le langage gestuel qui disparaît avec l'acteur, lui permet d'institutionnaliser les règles de la dominance. C'est ainsi que s'institutionnalisent les règles morales, éthiques, les préjugés, les jugements de valeur et les lois qui régissent le comportement des individus d'une société à une certaine époque. Il est certain que ce ne sont pas les dominés qui vont imposer leurs lois aux dominants. La « culture » d'une époque représente donc bien les règles auxquelles un individu doit se soumettre à cette époque pour s'élever dans les hiérarchies et atteindre la dominance. (N.G.74)

A partir du moment où le signe s’inscrit dans un ensemble complexe permettant de transmettre l’expérience qu’un individu possède de son environnement à d’autres individus, chacun de ceux-ci étant situé dans un espace et un temps différents, chacun étant un être unique, doué d’une expérience du monde également unique, le langage, signifiant support de toute sémantique qui lui est propre, n’exprime plus l’objet seulement mais l’affectivité liant celui qui s’exprime à cet objet. L’homme est passé ainsi de la description significative au concept lui permettant de s’éloigner de plus en plus de l’objet et de manipuler des idées à travers les mots, sans être vraiment conscient de ce qui animait sa pensée, à savoir ses pulsions, ses affects, ses automatismes acquis et ses cultures antérieures. Ainsi, en croyant qu’il exprimait toujours des faits qu’il appelle objectifs, il ne s’est pas rendu compte qu’il ne faisait qu’exprimer toute la soupe inconsciente dont ses voies neuronales s’étaient remplies depuis sa naissance, grâce à l’enrichissement culturel, c’est-à-dire à ce que les autres, les morts et les vivants, avaient pu coder dans ces voies neuronales. La Science a bien essayé de plus en plus précisément, au cours des millénaires, de revenir à une description précise du monde en décidant que tel objet ou tel ensemble n’était représenté que par tel signe et par lui seul; ce qui lui permet d’écrire des protocoles que tout le monde peut reproduire en retrouvant généralement le même résultat. Mais ceci n’a été possible, jusqu’à une date récente, qu’en ce qui concerne le monde inanimé, celui vers lequel le regard de l’homme s’est d’abord tourné, celui qui semblait le plus inquiétant et le moins compréhensible, alors que la clarté limpide de son discours logique lui faisait croire que le monde qui vivait en lui ne pouvait avoir de secret. Plus récemment, on fit une distinction entre le rationnel et l’irrationnel. Le premier ne fait généralement que valoriser l’expression d’une causalité linéaire enfantine, alors que le second est respecté comme ce qui, chez l’homme, ne peut être réduit aux lois de la matière. Malheureusement, cet irrationnel est parfaitement rationnel au niveau d’organisation de la biochimie et de la neurophysiologie du cerveau humain, s’il ne l’est pas à celui du discours logique. C’est ainsi que le rêve est parfaitement rationnel mais que nous n’en connaissons pas encore suffisamment bien les mécanismes. Ce sont pourtant la biochimie et la neurophysiologie qui nous ont récemment fait faire quelque progrès dans sa compréhension plus que tous les discours antérieurs élaborés à son sujet.

...le langage est, pour une très grande part, inconscient. Nous ne sommes pas conscients de la façon dont nous associons, suivant les règles bien précises, syntaxiques et grammaticales, des phonèmes, des monènes, dans une sentence, qui doit elle-même être le support d’une sémantique, d’une information. Et nous sommes encore moins conscients que, ce faisant, nous ne faisons qu’exprimer nos automatismes conceptuels, langagiers, nos jugements de valeur, nos préjugés, tout ce qui a été mis, depuis notre naissance, dans notre cerveau, par punitions ou récompenses, et que nous mobilisons chaque fois que nous voulons exprimer quelque chose. Ainsi sans le savoir, en apprenant à parler, un enfant apprend à exprimer «objectivement» les préjugés, les jugements de valeur, ses désirs inassouvis, tout ce qui fait la caractéristique d’un homme plongé dans la culture d’un lieu et d’une époque. En d’autres termes, on peut dire que le contenu du discours est moins important à connaître, à comprendre, que ce qui l’anime, ce qui le fait prononcer. Et ce qui anime un discours est unique, est propre à chaque homme qui le prononce, il est particulier à son expérience personnelle du monde, depuis sa naissance, et peut-être avant. Un père et un fils, utilisant le même langage, ne peuvent plus se comprendre souvent, parce que l’expérience qu’ils ont des mots s’est établie dans des époques différentes et parfois même dans des milieux différents. C’est là sans doute un des facteurs principaux des conflits de générations.

...ce n’est que depuis trente ans que la partie la plus difficile à comprendre, celle de l’organisation fonctionnelle du cerveau humain, a commencé à intervenir dans l’interprétation du comportement humain. Entre-temps, un discours logique a toujours fourni des alibis langagiers aux pulsions dominatrices inconscientes. Le progrès technique a été considéré comme un bien en soi, comme le seul progrès, alors que les lois biologiques commandant au comportement n’ont pas dépassé, jusqu’à une date récente, les connaissances acquises au paléolithique. Si, depuis deux mille ans, on nous a dit de nous aimer les uns les autres, en commençant par soi-même, le besoin des hommes dcomportement les a enfermés dans un dualisme, matière et pensée, qui ne pouvait aboutir qu’à une utilisation extrêmement habile du monde inanimé, au service d’un psychisme qui n’était jusqu’ici qu’un psychisme de blabla, une phraséologie prétendant toujours détenir une vérité, vérité qui n’était valable que pour les sous-groupes dominateurs et prédateurs, et jamais pour l’espèce entière. (C.A.83)

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              Domination - Dominant - Dominé - Dominance              

Il paraît évident que la pulsion hypothalamique (le ça freudien), la recherche du plaisir de l'individu, va se heurter, en situation sociale, à celle des autres. Ce facteur, dans toutes les espèces animales, est à l'origine des hiérarchies et de l'établissement des dominances. Chez les primates comme chez l'homme, l'observation montre que les individus issus de sujets dominants deviennent le plus souvent eux-mêmes dominants, du fait de l'éducation qu'ils reçoivent. Mais chez l'homme, grâce aux langages les règles à suivre pour établir la dominance s'institutionnalisent et se transmettent à travers plusieurs générations, constituant l'essentiel d'une culture. Si les lois représentent ainsi les interdits socioculturels valables en principe pour tous les citoyens, en réalité ces interdits paraissent d'autant plus nombreux et oppressants que le niveau dans l'échelle hiérarchique et économique est plus bas.

Dans tous les cas (sociétés humaines ou sociétés animales) l'établissement des hiérarchies résulte de la recherche par l'individu de son équilibre biologique, de sa satisfaction. Pour les trouver il doit dominer les autres individus du groupe. Mais à son tour le groupe, pour survivre, doit dominer les autres groupes et pour ce faire s'approprier l'environnement et l'exploiter au mieux pour en tirer la masse et l'énergie qu'il utilisera de façon à accroître sa puissance.

C'est en cela que très tôt les sociétés humaines se sont distinguées des sociétés animales. En effet, comme nous l'avons vu, 'cette exploitation de l'environnement s'est faite en fonction de la quantité d'informations que les individus étaient capables d'ajouter à la masse et à l'énergie. Un homme capable de tirer à l'arc était sans doute moins vulnérable que celui qui n'était encore capable que de tailler des silex pour en faire un coup-de-poing. Le premier était capable de dominer le second à distance, sans en venir au corps à corps.

C'est grâce à une information de plus en plus abstraite, qu'avec la révolution industrielle l'homme a pu se rendre maître de l'énergie et traiter la matière de façon à fabriquer des quantités considérables d'objets, grâce à l'invention des machines. Ce ne fut d'abord que pour accroître le capital par la vente de ces objets, le capital restant jusqu'à nos jours le moyen le plus efficace de domination des hommes et des groupes humains entre eux. (N.G.74)

L’expérimentation montre que la mise en alerte de l’hypophyse et de la corticosurrénale, qui aboutit si elle dure à la pathologie viscérale des maladies dites « psychosomatiques », est le fait des dominés, ou de ceux qui cherchent sans succès à établir leur dominance, ou encore des dominants dont la dominance est contestée et qui tente de la maintenir.

Les dominants ont toujours utilisé l’imaginaire des dominés à leur profit. Cela est d’autant plus facile que la faculté de création imaginaire que possède l’espèce humaine est la seule à lui permettre la fuite gratifiante d’une objectivité douloureuse.

Tout homme qui, ne serait-ce que parfois le soir en s’endormant, a tenté de pénétrer l’obscurité de son inconscient, sait qu’il a vécu pour lui-même. Ceux qui ne peuvent trouver leur plaisir dans le monde de la dominance et qui, drogués, poètes ou psychotiques, appareillent pour celui de l’imaginaire, font encore la même chose.

Les langages, intermédiaires obligés des relations humaines, ont couvert de leur logique et de leur justification l’établissement des hiérarchies de dominances fondées sur la recherche inconsciente et individuelle du plaisir, de l’équilibre biologique. Les dominants ont ainsi toujours trouvé de « bonnes » raisons pour justifier leur dominance, et les dominés de « bonnes » raisons pour les accepter religieusement ou pour les rejeter avec violence.

Il ne faut pas croire que les dominants possèdent un réel pouvoir politique en dehors de celui exigé pour le maintien de leur dominance. Bien sûr, ils possèdent « le » pouvoir politique, en ce sens que ce qu'il est convenu d'appeler l'information et les moyens de la diffuser, les mass media, sont à leur disposition entière. Ils peuvent ainsi orienter l'opinion, les besoins, et donner avec le suffrage universel l'impression de réaliser la démocratie. Bien sûr, ils possèdent la direction des grandes entreprises, des banques, les appuis des hommes politiques qui entérinent leurs décisions. Mais là encore ce ne sont pas les  «capitalistes» qui importent, mais la «structure» dans laquelle ils agissent. Si ces capitalistes qui n'agissent que pour conserver leur dominance hiérarchique, disparaissent, la structure hiérarchique persistant, ils seront remplacés par les technocrates ou les bureaucrates, dont les motivations restent identiques, même si les moyens utilisés ne sont pas toujours identiques. Le profit n'est qu'un moyen d'assurer la dominance ; la police, l'internement en hôpitaux psychiatriques ou en camps de concentration en sont d'autres, de même que l'espionnage, les tables d'écoute et les micros clandestins. Mais l'automatisation de la pensée, la création de réflexes conditionnés et de jugements de valeur restent sans doute les plus efficaces et les plus généralement utilisés. L'enseignement et les mass media aux mains des pouvoirs, c'est-à-dire du système hiérarchique, n'ont pas d'autres fonctions.

On voit par là que l'institutionnalisation des règles d'obtention de la dominance constitue bien la structure hiérarchique professionnelle qui permet l'acquisition du pouvoir politique, mais que ce pouvoir politique est un faux pouvoir politique puisque sa seule raison d'être est le maintien de la dominance des dominants et de la soumission des dominés dans un processus de production des marchandises.

Rappelons que la finalité fondamentale d'un organisme vivant est la recherche du plaisir qui s'obtient par la dominance. Aussi longtemps que celle-ci aboutit à deux types d'individus, le maître et l'esclave, l'oppresseur et l'opprimé, le dominant et le dominé, la distinction hiérarchique est simple, l'antagonisme facile. Dès qu'un système hiérarchique complexe apparaît il n'en est plus de même. Ce qui fait la solidité d'un système hiérarchique complexe , c'est qu'on y trouve à chaque niveau de l'échelle des dominants et des dominés.

Dans un tel système, tout individu est dominé par d'autres mais domine un plus " petit " que lui-même ; le manœuvre le plus défavorisé, dans notre système social, en rentrant chez lui frappera du poing sur la table, s'écriera : " Femme, apporte-moi la soupe " et, si un enfant est un peu turbulent, il lui donnera une claque. Il aura l'impression d'être le maître chez lui, celui auquel on obéit, celui qu'on respecte et qu'on admire, tout enfant prenant son père comme idéal du moi dans sa tendre enfance. Cette domination familiale lui suffira souvent à combler son désir de se satisfaire. Par contre, dès qu'il sort de chez lui il trouvera des dominants, ceux situés à l'échelon immédiatement supérieur dans la hiérarchies du degré d'abstraction de l'information professionnelle. Et, comme le chimpanzé soumis à l'égard du chimpanzé dominant, tout son système nerveux sera en remue-ménage, en activité sécrétoire désordonnée, car dans nos sociétés modernes il lui est impossible de fuir. Il doit se soumettre. Il ne peut plus combattre sous peine de voir sa subsistance lui échapper. Il en résulte une souffrance biologique journalière, un malaise, un mal-être. Cependant, cette soumission n'a pas que des inconvénients. Le travail en " miettes " qui institue une dépendance étroite de chaque individu à l'égard des autres, n'est plus ressenti seulement comme une aliénation. Alors que l'homme du paléolithique était un véritable polytechnicien à l'égard de la technique du moment, l'homme moderne est incapable, quel que soit son niveau technique, de subvenir seul à ses besoins fondamentaux. Ce que l'homme moderne ressent comme une aliénation, c'est de ne pouvoir décider de son propre destin, de ne pouvoir agir sur l'environnement, dans tous les cas par un acte gratifiant pour lui-même. Mais d'un autre côté, cette absence de pouvoir de décisions…Il sait qu'il a peu de chances de mourir de faim et que certaines responsabilités lui sont épargnées. Son déficit informationnel, source d'angoisse, est considérable et cependant il fait confiance à ceux qui sont prétendus savoir et agir à sa place. Cette confiance le sécurise. (E.F.76)

Chez l’homme, les langages ont permis d’institutionnaliser les règles de la dominance. Celles-ci se sont établies successivement au départ sur la force, la force physique, puis, à travers la production de marchandises, sur la propriété des moyens de production et d’échange, celle du capital que ces productions permettaient d’accumuler, et puis, dans une dernière étape d’évolution historique et dans toutes les civilisations industrielles contemporaines, sur le degré d’abstraction atteint dans l’information professionnelle. Suivant ce degré d’abstraction, surtout celle qu’utilisent la physique et les mathématiques, l’individu ou le groupe seront d’autant plus capables de réaliser des machines de plus en plus sophistiquées, de plus en plus efficaces, pour la production d’objets; cette production va permettre l’établissement de dominance des groupes, des Etats et des ensembles d’Etats.

Des groupes humains possédant une information technique ou professionnelle élaborée ont ainsi imposé leur dominance à ceux qui ne la possédaient pas, d’autant que cette évolution technique a permis de réaliser des armes plus efficaces pour imposer par la force, et non plus simplement directement par une technologie avancée, la forme de vie, les concepts et les jugements de valeur. Cette information technique a été en effet utilisée pour la construction d’armes redoutables qui leur ont permis d’aller emprunter, hors de leur niche écologique, les matières premières et l’énergie situées dans celles des groupes humains ne sachant pas les utiliser. En effet, la matière et l’énergie (nous les distinguerons, bien qu’une relation existe entre elles, nous le savons depuis Einstein) ont toujours été à la disposition de toutes les espèces et de l’espèce humaine en particulier. Mais seule l’information technique permet de les utiliser efficacement, donc de dominer son semblable.

L’individu et l’espèce ont la même finalité: survivre. Entre eux, s’interposent les groupes sociaux qui veulent survivre également, mais ont cru que la survie n’était possible qu’en établissant leur dominance sur d’autres groupes sociaux. On passe ainsi donc au niveau d’organisation des groupes, qui sont eux-mêmes englobés par une société globale occidentale ou non occidentale, le tout appartenant à l’espèce. Ce qu’il est convenu d’appeler le monde occidental a produit plus d’information technique qu’il avait de matière et d’énergie à transformer. Il n’a pas à s’en flatter, cela vient du fait qu’à la fin de la dernière glaciation, celle du Würm, il y a dix ou douze mille ans, s’est établi, dans l’hémisphère nord, un climat tempéré où, l’été, il faisait bon vivre mais où, l’hiver, il fallait recommencer à craindre la famine, si la chasse n’était pas suffisante à alimenter le groupe. C’est une pression de nécessité qui a obligé les ethnies se trouvant dans ces régions autour du 45° parallèle à inventer la culture et l’élevage, qui furent à l’origine de toute l’évolution technique qui a suivi. Le monde occidental s’est approprié la matière et l’énergie situées dans des niches géoclimatiques habitées par des ethnies dont l’évolution technologique était moindre. Mais à l’intérieur même de ce monde technicisé, la dominance s’est établie sur la productivité en marchandises ;

Dans le monde présent, les dominances sont établies sur la puissance des armes et la perfection de la technique, considérée comme le seul progrès, la seule raison d’être de l’espèce. Ceux qui pour des raisons géoclimatiques millénaires n’ont pu en profiter, individus ou ethnies, se voient dépouillés du droit à la propriété. Leur seul droit est de se taire ou de tenter de suivre le même chemin que ceux qui les dominent: courses aux diplômes, à la technologie, course à l’industrialisation. Quand ce chemin leur paraît trop long à parcourir, pris comme tout névrosé dans un système manichéen qui interdit à la pulsion de se réaliser sans enfreindre les lois culturelles, c’est parfois l’explosion agressive, le retour à l’action, même inefficace, puisque leur langage n’est pas entendu: ce sont alors les attaques à main armée, les prises d’otages, etc. La bonne conscience de la société productiviste crie au scandale, appelle à la répression, aux règles éthiques et morales des droits de l’homme. Mais le poète français Fernand Gregh avait écrit, il y a quelques années: «Il n’est pas de méchants, il n’est que des souffrants». (C.A.83)

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              Droits de l'homme              

Existe-t-il quelque chose de plus changeant dans son contenu sémantique que les droits de l’homme, celui des peuples à disposer d’eux-mêmes, etc., et peut-on expliquer cette variabilité autrement que par l’idée changeante que les hommes se font d’eux-mêmes à travers les époques et les régions, certains hommes imposant d’ailleurs leurs opinions et leurs intérêts aux autres? L’esclave du temps passé n’avait que le droit de travailler et de mourir. Sa force de travail, sa vie, constituant un capital qui ne lui appartenait pas, étaient entretenues aux moindres frais par son maître. L’OS des temps modernes est-il très différent? Avoir «le droit de…» renvoie à une autorisation, une permission d’être et d’agir, sans que l’autre ne vienne contrecarrer notre projet. La notion de droit débouche alors sur celle de liberté.

...où peuvent bien se situer les droits de l’homme? Son droit le plus strict est de vivre, de vivre sans souffrir, mais faut-il encore que les autres, les plus forts, lui en donnent l’autorisation. Il me semble alors qu’aussi longtemps que les matières premières, l’énergie et surtout l’information technique sans laquelle les deux premières sont inutiles ne seront pas la propriété de tout homme sur la planète, l’institutionnalisation langagière des droits de 1 ‘homme ne lui permettra pas d’assurer son droit à la vie pour lequel il ne devrait avoir rien à fournir en échange. Utopie. Bien sûr. Mais en dehors d’elle, l’histoire ne fera que reproduire l’institutionnalisation par les individus, les groupes humains, les Etats dominants, des droits des dominés à le demeurer. Ils leur expliqueront sans doute que c’est pour le bien de l’humanité tout entière, et les dominés arriveront bien souvent à le croire, en faisant tous leurs efforts pour partager les mêmes droits, ceux de la dominance. C’est quand on l’a perdue que l’on comprend ce qu’est la liberté, dit-on. C’est vrai. Mais il n’y a pas que des prisons avec des barreaux, il y en a de beaucoup plus subtiles dont il est difficile de s’échapper parce qu’on ne sait pas qu’on y est enfermé. Ce sont les prisons de nos automatismes culturels qui châtrent les processus imaginaires, source de la créativité, qui ramènent l’homme au statut biologique d’un mammifère qui parle et fait des outils. C’est peut-être parce que l’imaginaire est la clef qui permet de fuir toutes les prisons que l’homme en bande n’a qu’un souci, celui de le faire disparaître pour maintenir la cohésion hiérarchique du groupe. L’heure n’est pas encore venue où l’ouvrier de la dernière heure aura le droit d’être «payé» comme les autres. (C.A.83)

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              École - Éducation              

L’éducation de la créativité exige d’abord de dire qu’il n’existe pas de certitudes, ou du moins que celles-ci sont toujours temporaires, efficaces pour un instant donné de l’évolution, mais qu’elles sont toujours à redécouvrir dans le seul but de les abandonner, aussitôt que leur valeur opérationnelle a pu être démontrée.

La fonction d'un maître est de transmettre certaines informations pour éviter à l'enseigné de parcourir seul à nouveau le chemin cahoteux des connaissances humaines depuis la préhistoire. Sa fonction n'est pas d'imposer cette information et pour l'imposer il doit utiliser des moyens de coercition. S'il en arrive là, c'est que la finalité de l'enseigné n'est pas la sienne et que dans l'ensemble structuré que représente une classe, chacun des éléments ne concourt pas à la même finalité. Il faut donc chercher à fournir à tous les éléments une même finalité à leurs motivations fondamentales. Mais la motivation de l'enseignant est-elle toujours de transmettre une information ou n'est-elle pas plus souvent de se soumettre à un certain programme imposé pour faciliter, par sa soumission à ce programme, son avancement hiérarchique ? La motivation de l'enseigné est-elle celle qu'attend de lui la structure socio-économique, à savoir de s'inscrire le plus vite et le plus efficacement dans un processus de production en acquérant une formation professionnelle ? D'un autre côté, l'enseigné ne recherche-t-il pas aussi la sécurisation paternalisante de celui qui sait, l'enseignant ? Et celui qui sait, l'enseignant, n'est-il pas suffisamment gratifié par la soumission infantile de l'enseigné ? Autrement dit, la «fonction» qui pour le premier serait essentiellement de recevoir une information correspondant à sa motivation, n'est-elle pas plus souvent transformée en une aliénation sécurisante à un «pouvoir» qui n'a pas de raison d'être. De même pour le second, l'enseignant, la « fonction » de transmettre une information répondant à la motivation des enseignés n'est-elle pas transformée en un paternalisme gratifiant, issu de la recherche d'une dominance, d'un «pouvoir», qui n'a pas de justification fonctionnelle ? (N.G.74)

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              Égalité - Inégalité              

L'égalité ? Concept vide qui a motivé les hommes depuis des siècles pourtant. L'égalité conçue comme identité est contraire au bon sens, même le plus commun. Mais dès lors que l'on admet, ne pouvant faire autrement, la " différence ", comment retenir encore le concept d'égalité ? On voit cependant les pulsions qui ont motivé sa naissance : la recherche du plaisir, de l'équilibre biologique de chaque individu en situation sociale, c'est-à-dire en situation qui toujours, jusqu'ici, fut hiérarchique. Comment les idéologies peuvent-elles encore mobiliser les masses par le concept d'égalité, tout en s'accrochant désespérément aux hiérarchies de pouvoir, de salaire, de connaissances, etc. L'égalité des chances ? Mais des chances à quoi ? A l'instruction ? Cette instruction qui permet l'ascension hiérarchique, cette instruction technique et professionnelle plus ou moins abstraite, qui permet la dominance dans un univers rempli de marchandises ? Cette instruction qui permet aussi l'accès à la consommation et à la respectabilité ? Dans un tel système pourquoi pas ? Mais alors, c'est aussi le système familial qu'il faut remettre en jeu, l'Oedipe bourgeois, la niche environnementale. Et à supposer même que l'on puisse uniformiser cette niche environnementale, que restera-t-il ? Le mérite, le mérite d'un homme à s'élever dans les hiérarchies, techniques, consommatrices et de - notabilité. Mais ce mérite, d'où vient-il s'il ne vient pas de la niche environnementale, de l'acquis ? Ne viendrait-il pas alors de l'inné, de la rencontre fortuite d'un ovule et d'un spermatozoïde, de ce qu'on peut appeler le hasard, car la combinatoire génétique est soumise à un tel nombre de facteurs qu'on s'y perd vite. On ne peut sortir de ce dilemme : si l'on uniformise les chances sociologiques de l'accession à l'information technique et professionnelle, ou l'on retombe sur une injustice fondamentale, celle du don inné, ou l'on obtient des individus tous semblables dans leur comportement, leurs motivations, leurs automatismes socioculturels, leur imaginaire même. Ainsi, l'égalité des chances, que l'on peut souhaiter, c'est simplement celle de pouvoir être heureux dans sa peau. Or, être heureux dans sa peau n'est possible qu'en dehors de tout système hiérarchique, puisque c'est ce système qui institue les inégalités économiques, de dominance et de gratification.

Mais si l'égalité ne peut exister dans le monde vivant, cela ne veut pas dire que le pouvoir doit être réparti hiérarchiquement. L'égalité n'existe que dans l'indispensabilité des classes fonctionnelles, car l'indispensabilité est un critère absolu, seule base efficace d'égalité agissante. Mais il s'agit alors d'égalité de pouvoir politique et rien d'autre, et de celle d'une classe fonctionnelle et non d'un individu par rapport aux autres individus.

Dans un organisme vivant, aucune cellule, aucun organe ne sont libres ou égaux. L'un travaille plus ou moins que l'autre, et a besoin de consommer plus ou moins que l'autre. Leur liberté et leur égalité aboutissent à une anarchie cellulaire (cancer) ou à un dysfonctionnement des systèmes incompatibles avec la survie de l'ensemble. Ils n'ont d'ailleurs que faire de cette liberté individuelle puisqu'ils réalisent leurs " désirs ", le maintien de leur structure, par l'intermédiaire de la cohérence de toutes leurs finalités partielles avec celles de l'ensemble. La finalité de celui-ci ne peut donc être que la leur. Aucun individu, aucune cellule n'est indispensable à la bonne marche de l'ensemble. Par contre, la réunion de plusieurs individus assurant la même fonction, en organes, la réunion de certains organes en systèmes, est indispensable au fonctionnement de l'ensemble organique. Ainsi, quand on passe d'un niveau d'organisation à un autre, quand on opère l'inclusion d'un ensemble dans un plus grand ensemble, la liberté et l'égalité des éléments de cet ensemble n'ont plus de sens, mais l'indispensabilité des sous-ensembles en acquiert. C'est parce que l'information-structure fermée de l'individu, est inconsciente des relations qui l'unissent à sa niche environnementale, et que l'information-structure fermée des groupes et des sociétés humaines l'est aussi, que nous traînons encore avec nous ces concepts vides. La liberté ne commencera qu'à partir du jour où chaque individu sera totalement aliéné à la finalité de l'espèce, celle-ci ne trouvant plus alors d'organisations antagonistes dans la biosphère capables de lui faire désirer une non-aliénation.

...on parle beaucoup de cette égalité des chances que l'on a bien du mal à réaliser. Vous comprenez d'ailleurs que cette égalité des chances est celle qui permet de devenir inégal, de s'élever dans la société de façon à dominer les autres. Et pour cela il faut faire ce que la société attend de vous, être conforme à son but qui est de produire le plus de marchandises possible, les plus perfectionnées, de façon à les vendre, ici et à l'étranger.

La publicité, partout et tous les jours, vous montre les objets que vous devez posséder pour être heureux et bien considéré. Elle permet de vendre plus et de faire marcher le commerce, même si pendant ce temps, dans d'autres pays du monde, des millions d'enfants meurent de faim, couverts de mouches, leur pauvre regard vide d'espoir. (N.G.74)

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              Élection - Vote - Suffrage universel               

Ce qu'exprime un bulletin de vote, ce n'est pas un pouvoir politique réel, informé de façon généralisée, un pouvoir fondé sur un savoir ou une indispensabilité, mais bien l'acceptation ou le refus d'un système hiérarchique qui prolonge sur le plan politique une hiérarchie professionnelle, suivant que l'individu se sent suffisamment ou non gratifié par sa situation hiérarchique professionnelle.

La démocratie des pays « libres » (terme destiné sans doute à créer un mouvement d'opinion) montre que la plupart des individus votent pour ceux qui leur promettent d'acquérir plus d'aisance ou ceux qui leur promettent de conserver celle qu'ils possèdent déjà. On vote suivant la conscience qu'on a de sa propre gratification dans un système donné, suivant que l'on est satisfait ou non de son statut de dominance. Et lorsque l'on est insatisfait on vote contre le système, pour un autre système qui ne remet jamais fondamentalement en cause les hiérarchies de dominance professionnelles non plus que l'expansion. On vote pour un système qui reproduira intégralement en changeant les étiquettes, les hiérarchies professionnelles, source fondamentale des aliénations. (N.G.74)

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              Enfant              

Si vous rencontrez quelqu’un vous affirmant qu’il sait comment on doit élever des enfants, je vous conseille de ne pas lui confier les vôtres.

L’enfant est l’entière expression de son milieu le plus souvent, même lorsqu’il se révolte contre lui puisque alors il n’en représente que la face inverse, contestataire. Il se comporte dans tous les cas par rapport aux critères des automatismes qui lui ont été imposés. (N.G.74)

Mieux vaut fournir à l’enfant une « bonne » éducation, capable avant tout de lui permettre de trouver un « débouché » professionnel honorable. On lui apprend à « servir », autrement dit on lui apprend la servitude à l’égard des structures hiérarchiques de dominance.

Alors que le sol vierge de l’enfance pourrait donner naissance à ces paysages diversifiés où faune et flore s’harmonisent spontanément dans un système écologique d’ajustements réciproques, l’adulte se préoccupe essentiellement de sa mise en « culture » en « monoculture », en sillons tout tracés, où jamais le blé ne se mélange à la rhubarbe, le colza à la betterave, mais où les tracteurs et les bétonneuses de l’idéologie dominante ou de son contraire vont figer à jamais l’espace intérieur.

Lorsque des parents sont persuadés que le bonheur s’obtient par la soumission aux règles imposées par la structure socio-économique, il est compréhensible qu’ils imposent à leurs enfants l’acquisition coercitive des automatismes de pensée, de jugement et d’action conformes à cette structure.

Dans cette foire, vous pouvez apprendre à vos enfants à montrer leurs biceps, le torse nu dans une position avantageuse. cette attitude risque d’impressionner les foules. Sinon, leur espace gratifiant sera sans doute particulièrement exigu. (E.F.76)

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              Évolution              

Toute la bagarre économique, internationale, la recherche de la dominance sont venues de cette pseudo-référence scientifique à l'évolution darwinienne. C'est très joli d'avoir une théorie qui permettait de dire : « Nous sommes les meilleurs, les plus forts, donc les mieux adaptés. Nous allons dominer le monde, etc. » Dans ce cas, je préfère être sioux qu'être américain ! J'aime mieux leur gueule, d'ailleurs, que celle de M. Clinton ! Voilà comment on peut tout déformer ! Que l'évolution soit une théorie me semble difficilement discutable, mais il est vrai que l'interprétation que nous faisons de son mécanisme, et qui est autre chose, favorise ou dessert une idéologie. D'autre part, il faut préciser qu' à côté de l'idéologie darwinienne ou néo-darwinienne, il y a tout de même des gens qui ont parlé de l'entraide, et nous n'avons jamais eu de réponse de la part des darwiniens sur ce sujet ! Une autre chose : pour expliquer l'évolution, on parle souvent, et l'Américaine Margoulis fut la première à le faire, des mitochondries. Ces mitochondries résultaient d'une symbiose entre des formes préexistantes qui pouvaient vivre en l'absence d'oxygène, les anaérobiotiques, et des formes nouvelles qui, lorsque la photosynthèse a produit dans l'atmosphère de l'oxygène, radical libre et dangereux pour toutes les structures vivantes, ont réussi à s'adapter de telle façon qu'elles utilisaient cet oxygène pour faire de l'A.T.P., tout en s'en débarrassant puisqu'elles donnaient à l'oxygène les deux électrons qui lui manquaient et qui, une fois acquis, faisaient d'elle une molécule comme une autre. Pour que cette symbiose s'effectue, il n'y a pas eu compétition mais entraide, et quelle étape de l'évolution est plus importante que celle-là ?

Une autre étape de l'évolution, tout aussi fondamentale que l'évolution du pied du cheval, est le passage des formes monocellulaires à des formes pluricellulaires. Ce qui s'est réalisé à ce moment-là n'est pas une compétition, mais une association de structures cellulaires dans des organismes pluricellulaires, dans lesquels chaque groupe de cellules a eu sa fonction spécifique, qui a concordé avec la survie de l'ensemble. C'était une relation d'entraide ! Quel sacré bond ! Mais ce qui paraît important est qu' à chaque niveau de cette évolution, de ces énormes étapes, une certaine stabilisation s'est produite, un niveau d'organisation s'est institué. Et c'est simplement à partir de ce moment-là qu'une compétition a eu lieu entre les formes. Mais pour qu'il y eût compétition, il fallait une entraide préalable. (U.V.?)

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              Famille              

La dominance décisionnelle et économique du mari sur la femme, des parents sur les enfants et la soumission des seconds aux premiers, la transmission de l’héritage et des automatismes culturels pourraient bien être, au niveau d’organisation englobant, du groupe, des classes, des Etats, à l’origine des mêmes structures de dominance, centrées sur la notion de propriété des choses et des êtres. Il est vrai que l’on peut aussi bien en faire remonter l’origine à l’individu lui-même, inventeur de la famille dans un cadre géoclimatique particulier. De toute façon, on comprend qu’une telle structure ne peut être que conflictuelle, même si elle n’est pas que cela. Il faudrait que la société dans laquelle elle s’inscrit soit non évolutive ou régressive, pour que la génération parentale puisse longtemps dominer celle des descendants.

Mais dans un monde en évolution technique et sociologique accélérée comme le nôtre, quelle expérience du monde l’adulte ou le vieillard ont-ils, alors que le monde d’hier est déjà différent de celui d’aujourd’hui et encore plus de celui de demain (en paraphrasant Rosemonde Gérard)? L’expérience que l’on respectait, que l’on admirait et utilisait chez eux au cours des siècles passés, ne pouvait s’accumuler que parce que le milieu évoluait alors au ralenti. Le recyclage aujourd’hui aurait besoin d’être non seulement technique mais généralisé. Au sein des groupes et de l’Etat le pouvoir grandissant avec l’âge et les services rendus s’impose encore, car il se cramponne à des situations de fait le plus souvent, en s’appuyant sur les niveaux hiérarchiques sous-jacents. Ceux-ci attendent de lui rarement la sagesse ou «la» connaissance, mais l’utilisation de « ses » connaissances, de ses « relations » pour assurer leur propre élévation hiérarchique.

Mais dans la famille, groupe restreint, la contestation, la recherche de la dominance, l’affirmation de soi, pour les jeunes, créeront entre les générations des conflits, parfois violents. Est-ce la perte de « certaines valeurs » qu’il faut accuser, ou simplement le passage rapide d’une société artisanale à une société industrielle, en attendant celle qu’on nous promet, la post-industrielle ? Est-ce l’évolution accélérée des structures de la société globale qui a détruit la famille classique ou au contraire l’évolution de la famille classique, la démission des parents (sic), qui a engendré la société globale. Poser cette question montre que les cybernéticiens n’ont pas encore suffisamment diffusé leur forme de pensée. Cela montre que l’on nmment les notions d’effecteur, de facteur, d’effet, de boucle rétroactive, et surtout de servomécanisme et de niveau d’organisation, quand on aborde un problème, fût-il celui-ci.

La famille, la nucléaire avant tout, est sans doute la structure sociale la plus simple pour laquelle tout ce qui a été dit précédemment au sujet des bases biologiques des comportements est directement applicable. Il ne nous semble même pas utile de développer le rôle des processus de l’empreinte, de l’établissement progressif du schéma corporel, de la notion d’objet, celui de l’être ou de l’objet gratifiants, de la naissance des lois de la compétition, de l’idéal du moi, du narcissisme enfantin ou parental, du mimétisme ou de l’expérience gratifiante ou nociceptive, pour comprendre les facteurs intervenant dans la violence familiale, comme dans toute violence d’ailleurs. Mais ces facteurs, tous fondamentaux et liés au fonctionnement d’un cerveau humain en situation sociale et conflictuelle, ne peuvent être isolés des ensembles sociaux plus vastes englobant la famille et dont les relations, les structures se sont établies historiquement au cours de l’évolution des sociétés humaines dans l’espace géoclimatique où elles se sont situées. Tous les aspects, psychologiques, sociologiques, économiques et politiques (dans un sens large), ne peuvent alors être qu’artificiellement isolés, dans leur étroite interdépendance. Ils résultent eux-mêmes des structures biocomportementales des hommes qui sont en définitive les éléments de ces ensembles complexes. Ceux-ci, en retour, réagiront sur les structures biocomportementales.

Tout ce que nous venons d’exposer, concernant les rapports interindividuels et la naissance de l’agressivité dans une dyade ou une triade, est directement utilisable dans le contexte familial. Cependant, en général, quand on parle de la violence dans la famille, c’est pour envisager la violence des parents sur leurs enfants, donnant naissance à ce que l’on appelle les enfants martyrs. Mais il faut noter que si cet aspect est souvent le plus révoltant puisqu’il représente la violence d’un adulte sur un être sans défense, il est cependant loin d’être le seul et, s’il est spectaculaire, il n’est pas le plus fréquent.

Que dire de lui qui n’ait déjà été dit ? Et comment, une fois de plus, rester enfermé dans le groupe familial et ne pas voir que ce qui s’y passe résulte de la réaction des individus constituant ce groupe à la société globale ? Enfants non désirés, considérés comme une charge supplémentaire venant s’ajouter à celle que le couple est incapable d’assumer du fait de son salaire insuffisant. Enfant à charge d’un des membres isolés du couple, l’autre l’ayant abandonné, représentant en conséquence l’image même du couple désuni bien souvent par la misère. Le plus étonnant, c’est que ces enfants retirés aux parents « indignes » et placés dans une famille adoptive préfèrent parfois retrouver leur famille première avec l’agressivité qui y règne et les coups qu’ils y reçoivent, ce qui montre que la période de l’empreinte est une marque indélébile et qu’un bien-être apparent est quelquefois plus douloureux ensuite à supporter que la douleur réelle qui a accompagné son établissement.

Plutôt que de punir les parents indignes, ne serait-il pas préférable d’éviter que soient réalisées les circonstances socio-économiques qui font qu’ils le deviennent ? Mais la violence n’est pas absente non plus dans les familles, bien sous tous rapports, où un code rigide et sans amour est appliqué à l’enfant pour assurer son bonheur à l’âge adulte. Il ne s’agit pas de réaliser, aussitôt qu’il les exprime, tous les désirs ou toutes les envies de l’enfant. Celui-ci a besoin d’apprendre que la réalité n’est pas toujours conforme à ses désirs, et de l’apprendre progressivement mais suffisamment tôt afin d’éviter plus tard des déboires, des déceptions. D’autre part, pour éprouver un sentiment de sécurité, essentiel pour lui, il a besoin de se sentir à la fois protégé et contrôlé. Mais en dehors de ces notions bien banales, la formation d’un enfant, je ne dirais pas l’éducation, est quelque chose de bien trop complexe pour que l’on puisse donner des règles à appliquer. Je pense que si l’on rencontre quelqu’un disant qu’il sait comment on doit élever un enfant, il vaut mieux ne pas lui envoyer les siens pour qu’il s’en occupe. (C.A.83)

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              Finalité              

Un organisme est constitué de structures possédant une finalité fonctionnelle qui par niveaux d'organisation concourent à la finalité de l'ensemble, finalité qui paraît être ce que l'on peut appeler la survie de cet organisme et qui résulte du maintien de sa structure complexe dans un milieu qui l'est moins, ce qui paraît être aussi un échappement constant au deuxième principe de la thermodynamique, à l'entropie. Cette notion nous amène à considérer que la finalité de chaque élément, de chaque sous-ensemble ou partie d'un organisme vivant, concourt à la finalité de cet organisme, mais qu'en rétroaction, le maintien de sa structure d'ensemble, finalité de cet organisme, assure la finalité de chacun de ces éléments, et donc le maintien de leur structure. (N.G.74)

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              Force - Violence              

Chez l’homme comme chez l’animal, la violence à l’intérieur du groupe s’exprime par la recherche de la dominance. C’est le seul processus que nous serions tentés d’appeler «loi», qui persiste à travers les millénaires, et nous avons vu pourquoi. C’est la conséquence même de la structure du système nerveux animal et humain, recherchant l’appropriation de l’objet gratifiant, lorsque apparaît une compétition pour son obtention.

Lorsque ces dominances sont établies, il y a une tendance constante à pérenniser, par l’apprentissage, les échelles hiérarchiques et le moyen de les réaliser. On passe alors à l’institutionnalisation de ces règles d’établissement de la dominance qui vont être légalisées et ces lois ne seront que celles réglant les différents types d’appropriation et leurs différents objets. Ces objets peuvent être des choses, des êtres, ou des concepts liés aux êtres, des coutumes, des rites et des savoirs. Il semble évident que ces lois sont érigées par les dominants et non par les dominés, et qu’elles seront favorables à la dominance et non à la soumission. «La loi du plus fort est toujours la meilleure»; «suivant que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous feront blanc ou noir». La constatation du fait n’est pas récente.

Bien sûr, l’établissement des hiérarchies va avoir pour résultat la possibilité pour les plus forts, pour les dominants, de maintenir au fil des années la structure hiérarchique de dominance et, en conséquence, d’éviter la violence actualisée en s’appuyant sur une violence antérieure, secondairement institutionnalisée. Mais il m’est difficile de comprendre comment il est possible de ne pas se rendre à l’évidence que la violence première à l’intérieur du groupe résulte justement de l’établissement de ces inégalités. Les explosions de violence qui ont jalonné toute l’histoire humaine me semblent être nées de l’existence des inégalités, des révoltes paysannes, dues à la famine, à l’époque préindustrielle, aux révoltes ouvrières de l’époque industrielle.

Au début, nous avons tenté de définir la violence comme la caractéristique d’un acteur assurant l’application d’une certaine quantité d’énergie sur un ensemble organisé, y provoquant un certain désordre, augmentant son entropie, perturbant sa structure (ensemble des relations existant entre les éléments de cet ensemble organisé). Cette définition s’applique à la violence interindividuelle (crimes, suicides, coups et blessures «volontaires»). Elle s’applique encore à un ensemble social, mais dans ce dernier cas, la structure est moins apparente puisqu’elle consiste en relations interindividuelles: relations économiques, culturelles, idéologiques ou politiques qui furent toujours jusqu’ici des relations hiérarchiques de dominance, généralement institutionnalisées, après un épisode de terreur, et s’exprimant par des lois. Cependant, cette structure étant parfaitement abstraite, impalpable, la violence ne pourra s’exercer contre elle qu’en s’exerçant sur les individus, qui sont censés en profiter et en être les défenseurs.

Dans ce cas, la violence sera le fait des dominés, lorsqu’ils ne pourront plus supporter l’inhibition de leurs actions gratifiantes (impossibilité d’assurer leurs besoins fondamentaux ou acquis, blessures narcissiques et absence ou suppression secondaire de pouvoir). Mais les individus profitant de la violence institutionnalisée ne seront pas toujours atteints. Le terrorisme est un moyen de focaliser sur quelques-uns, qui ne sont malheureusement pas toujours les «responsables», la violence contre la structure de dominance institutionnalisée. La révolution sanglante en est un autre. Mais bien souvent, entre les dominants et les dominés s’interposent la police et l’armée, ce qu’il est convenu d’appeler les «forces de maintien de l’ordre», du maintien justement de cet ordre où existent dominants et dominé, de l’ordre hiérarchique de dominance. Et la police et l’armée seront presque toujours aux côtés du pouvoir, pour le maintien d’un ordre dans lequel leur ordre personnel s’inscrit. Si bien que, à moins que la subversion soit alimentée en armes efficaces par un Etat étranger pouvant avoir intérêt à la «déstabilisation» (sic) de la structure en cause, la révolution sera toujours perdante et se limitera à l’émeute.

Il est même curieux de constater qu’un comportement social, comme la grève, qui paraît essentiellement non violent, puisque caractérisé par l’inaction, est souvent susceptible de déstructurer l’organisation sociale fondée sur la productivité en marchandises qui l’autorise. Si bien que le pouvoir utilise parfois la police ou l’armée pour l’interdire et que c’est lui qui, dans ce cas, introduit une violence active à laquelle risque de répondre une violence défensive qui ne s’était pas encore exprimée. Mais il est aussi curieux de constater qu’à l’intérieur même du prolétariat en grève, les centrales syndicales qui savent ce qui est «bon» pour les syndiqués essaieront d’établir leur dominance, les unes par rapport aux autres, jusqu’à l’action violente corporelle envers l’individu, le groupe ou le syndicat localement dominé si celui-ci ne veut pas suivre l’ordre de grève, et tout cela au cri de «Liberté» avec un discours logique à la clef comme alibi indiscutable à l’action violente. «Ton analyse, mon vieux, ne tient pas debout!» et suit un discours fondé sur un système de causalités linéaire et simpliste, faisant en général appel aux grands ancêtres qui ont pensé pour ceux qui n’avaient pas le temps de le faire, et qui n’exprime que l’intérêt particulier, conscient et surtout inconscient, de celui qui le prononce. (C.A.83)

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              Hiérarchie - Structure hiérarchique              

Le système étant fondé sur une hiérarchie de pouvoir professionnel à spectre extrêmement large, chaque individu trouve toujours un « inférieur » à paternaliser pour se gratifier, pour l'aliéner, mais aussi une institution qui le sécurise sur l'avenir réservé à l'assouvissement de ses besoins fondamentaux. Ni heureux ni malheureux, l'individu est automatisé par les mass media de telle façon que ses motivations sont entièrement orientées vers la consommation des marchandises et la promotion sociale qui perpétuent les hiérarchies de valeur et de salaires puisque celles-ci sont entièrement organisées par la production de marchandises.

A notre avis il n'existe pas un nombre restreint de classes, bourgeoisie, prolétariat, secteur tertiaire, fondées sur la propriété ou non des moyens de production, mais une infinité de classes sociales que nous avons appelées « fonctionnelles ». La distinction précédente de classes en nombre restreint résultait, semble-t-il encore, de l'établissement de concepts économiques, sociologiques et politiques, sans distinction entre informations et thermodynamique.

Dans un tel schéma simpliste, il est déjà fort difficile de faire cohabiter les « travailleurs manuels et intellectuels ». Il en résulte que l'on voit naître des hiérarchies donc des inégalités de pouvoir, fondées sur une notion ignorée, qui n'est pas prise en compte, à savoir la quantité d'information spécialisée manipulée par un individu. Et parallèlement à cette ignorance des hiérarchies informationnelles et technique, on veut égaliser sur le plan thermodynamique de la consommation, mais égaliser seulement en intention, puisque l'on conserve en les ignorant les hiérarchies informationnelles, qui demeurent ce qu'elles sont déjà, des hiérarchies de salaires et de pouvoir professionnel. Répétons-le, il est parfaitement évident que ce que l'on rétribue par un gain de salaire et de puissance dans tous les régimes connus, ce n'est que l'information introduite dans le système nerveux d'un individu et qu'il restitue à la société sous des formes thermodynamiques variées.

Tout cela permet de comprendre que de la définition du « peuple » découlera la notion de « démocratie ». Les sociétés modernes étant de plus en plus avides et consommatrices d'informations spécialisées et de moins en moins de force de travail mécanique humain, la loi de l'offre et de la demande aboutit à l'établissement de hiérarchies économiques et de pouvoirs professionnel fondées sur l'information spécialisée beaucoup plus que sur le travail mécanique humain, peu chargé en information. .... Si le peuple représente la masse la moins informée professionnellement d'une nation, dans un tel système il est certain qu'il ne pourra conquérir un pouvoir politique.

Comme l'information en général «n'est qu'information et n'est ni masse, ni énergie» (Wiener), l'information professionnelle n'est que l'information professionnelle. Il n'y a aucune raison qu'elle assure à elle seule le pouvoir politique, si la politique a un jour l'espoir de servir à autre chose qu'au contrôle de la production. Elle se targue bien souvent de vouloir assurer le bonheur des hommes. Or l'homme est ainsi fait que, tel un bourgeon terminal actuel d'une longue évolution complexifiante dont il assume à lui tout seul toutes les intégrations séculaire, il ne peut trouver un bonheur général au sein des hiérarchies, puisque toutes les hiérarchies ne sont toujours que l'expression des dominances. Si la finalité de l'espèce humaine demeure le travail productif des objets de consommation, on peut affirmer qu'après la domination des hiérarchies fondées sur la possession du capital, à laquelle a succédé ici ou là, la domination des hiérarchies bureaucratiques, organisant la production et gardienne des structures sociales, apparaîtra une domination technocratique, fondée sur le degré d'abstraction des connaissances professionnelles. Hiérarchies pour hiérarchies, tout ne sera toujours que hiérarchies, le seul changement provenant de la part progressivement croissante de l'information spécialisée prise dans leur établissement.

En poussant jusqu'à la caricature on pourrait même imaginer des sociétés futures dans lesquelles on paierait à ne rien faire, le travail étant presque totalement automatisé, des masses humaines non informées professionnellement et devenues en conséquence inutiles. On leur assurerait donc un pouvoir économique moyen pour les dédommager de l'abandon total qu'elles feraient de leur pouvoir politique aux individus mieux informés professionnellement, donc plus utilisables, dans la création, la programmation et le contrôle des machines et la production des marchandises.

Mais on peut imager, à l'opposé, des sociétés futures dans lesquelles « le peuple » serait très généralement informé professionnellement, dans lesquelles l'effort principal serait orienté vers l'apprentissage, vers un apprentissage de plus en plus précoce, de plus en plus conceptuel, de plus en plus abstrait. Si les hiérarchies sont encore et toujours établies selon la quantité et le degré d'abstraction des informations professionnelles, ce qui est probable, si la finalité des ensembles sociaux demeure la production de marchandises, il est certain que la démocratie restera toujours un espoir mythique, un mot, et non une réalité pratique.

Il apparaît semble-t-il nécessaire de séparer le pouvoir politique du pouvoir professionnel. Mais si le pouvoir professionnel s'entend à l'intérieur d'une institution restreinte, comme pouvoir de domination (conquis par l'information spécialisée, sur la thermodynamique), par contre au niveau supérieur d'organisation, au niveau d'intégration des entreprises en industries et de celles-ci au niveau national pris comme unité organique de départ, on constate qu'apparaissent des « classes de pouvoir politique » qui sont nées de l'établissement aux niveaux d'organisation sous-jacents des classes de pouvoir professionnel. Les hiérarchies professionnelles, liées à l'information spécialisée, s'étendent ainsi à des hiérarchies de pouvoir politique, et l'on est bien alors obligé de constater que le pouvoir professionnel lié à l'information spécialisée s'étend et se confond avec le pouvoir politique, le pouvoir des « notables », quand celui-ci ne s'appuie pas plus simplement sur la simple possession du capital.

Un premier problème se pose donc de savoir si, compte tenu du fait des différences en informations professionnelles plus ou moins abstraites que contiennent les systèmes nerveux individuels, et des hiérarchies «fonctionnelles» qui en résultent au sein d'une entreprise quelconque, la maintenance d'un «pouvoir» de domination hiérarchique professionnel est indispensable. Il est vrai que l'individu, du fait qu'il ignore la somme d'informations acquises par l'autre, somme d'informations qui ne s'exprime peut-être pas journellement dans son action professionnelle, à tendance à les minimiser.

Nous retrouvons ainsi cette notion : aussi longtemps que l'on considérera l'homme uniquement comme un faiseur d'outils, donc comme un producteur de marchandises, et que l'on se contentera de mettre en balance cet aspect professionnel de ses activités avec ces mots creux de la «qualité de la vie» de «sa dignité» etc., le pouvoir continuera à s'établir sur une hiérarchie professionnelle, fonction elle-même du degré d'abstraction de l'information professionnelle.

Or il est bon de rappeler une fois encore que le pouvoir est fonction d'abord de l'indispensabilité de la fonction, pour l'ensemble humain considéré. Tout individu ou tout groupe d'individus non indispensables à la structure d'un ensemble n'ont pas de raison de détenir un «pouvoir» puisque cet ensemble peut assurer sa fonction sans eux.

Pour nous l'écueil fondamental rencontré dans la réalisation d'une société socialiste est avant tout constitué par les hiérarchies, par la distribution du pouvoir économique et politique suivant une échelle de valeur, elle-même établie en fonction de la productivité en marchandises. Quand une structure sociale n'est pas impliquée directement dans le système de production, elle l'est dans la protection de ce système et la protection de ses hiérarchies, comme c'est le cas de l'armée, la justice, la police, la bureaucratie, l'art et ce qu'il est convenu d'appeler la culture.

La structure même de la société, structure hiérarchique, n'a jamais été remise fondamentalement en cause, ce qui n'a pour conséquence que le remplacement de certains éléments (les capitalistes) par d'autres (les technocrates ou les bureaucrates), mais qu'on ne s'est jamais posé la question de savoir quelles étaient les bases des hiérarchies, leur signification. On aurait en effet abouti à la finalité globale de l'espèce humaine et c'est elle qu'il aurait fallu remettre en question. L'homme, en définitive, est-il un animal programmé par l'évolution pour faire essentiellement des marchandises ?

Nous avons mis en évidence à plusieurs reprises que c'est sur le degré d'abstraction de l'information professionnelle traitée que s'établissaient les échelles hiérarchiques. Or il existe tous les niveaux de passage de l'information encore très liée au concret, celle du manœuvre, à celle déjà plus élaborée de l'artisan, à celle enfin de plus en plus abstraite, de l'ingénieur, du technocrate ou du bureaucrate en général. Il en résulte l'existence d'un nombre infini de niveaux hiérarchiques qui, insensiblement, permettent de passer du manœuvre à l'intellectuel.

Dans cette échelle hiérarchique, où finit le prolétaire et où commence le bourgeois ? Marx a défini la bourgeoisie par la propriété privée des moyens de production. Les bourgeois modernes vous diront que le capital et les moyens de production sont de moins en moins la propriété de quelques-uns mais celle d'un grand nombre. Dans les pays socialistes contemporains, ils sont même devenus la propriété de l'Etat, c'est-à-dire en principe de la collectivité. Les systèmes hiérarchiques et l'aliénation qui en résulte ont-ils disparu pour autant ?

Or, aussi longtemps que subsisteront des systèmes hiérarchiques de valeur, le plein " épanouissement de l'individu ", comme il est dit dans les discours électoraux, ne sera qu'un mythe. Dans un système hiérarchique de valeur, nous l'avons vu, tout individu est dominateur de quelques-uns, et le dominé de quelques autres. Son " épanouissement " est donc impossible. La transformation qui sera sans doute la dernière à être réalisée est, à tous les niveaux de cette organisation hiérarchique, l'abandon par chaque individu, du paternalisme de type psycho-familial à l'égard de ceux appartenant à une " classe " qu'il considère comme inférieure, et de l'infantilisme à l'égard de ceux, chefs ou institution, qu'il considère comme supérieurs à lui et qui le sécurisent tout en empêchant qu'il se gratifie pleinement.

Il me semble que ce qui constitue la solidité particulière de certains systèmes hiérarchiques fortement structurés comme l'armée, la magistrature ou certaines organisations comme les hiérarchies hospitalières par exemple, ne tient pas tellement à leur structure hiérarchique elle-même, terriblement contraignante, comme on a tendance à le faire croire. Elle tient au fait que l'on inculque à tout élément du système et quel que soit son niveau dans la hiérarchie, la notion qu'il fait partie d'une élite, différente et supérieure par ses " idéaux " à toutes les autres ; au fait qu'on élève des jugements de valeur d'une pauvreté désespérante au rang d'éthique et que par cela même l'individu est gratifié. L'uniforme, l'esprit de corps, l'esprit de " boutons " ou de casquette ou de béret, fait participer l'individu à une prétendue race des seigneurs et lui fait accepter par ailleurs son aliénation totale à la hiérarchie sans même se poser la question de savoir ce qu'est cet ensemble hiérarchisé auquel il appartient. C'est ce déterminisme faisant appel aux fonctions dominatrices les plus primitives du cerveau reptilien, au narcissisme congénital, aux débauches colorées des plumages des oiseaux mâles au cours des danses nuptiales, aux automatismes sous-culturels les moins élaborés, c'est ce déterminisme inconscient que l'on dénomme " discipline librement consentie ". Bien mieux, ces systèmes paraissent généreusement désintéressés. Dans un monde dominé par le profit et la marchandise, les individus qui leur appartiennent marchent au pas, la tête haute, sans baisser les yeux vers la bourse tendue, relativement pauvres mais dignes. Cependant, demandez au lieutenant si son idéal est de terminer sa carrière comme capitaine et si son ascension hiérarchique n'est pas le facteur motivationnel dominant de son comportement. Vous les entendrez dire d'ailleurs, sans rire ou sans pleurer de tristesse, qu'ils ont vocation au " commandement ". La vocation à la découverte, ou au moins à l'imagination, semble ne jamais leur être venue à l'idée, et comme l'improvisation est généralement peu appréciée des hiérarchies, leur idéal se limite à faire appliquer le règlement de manœuvres. Leur avancement dans la hiérarchie est d'ailleurs fonction de leur soumission à celui-ci.

Or, le règlement de manœuvre n'a qu'un but : protéger le système socio-économique, mais en réalité hiérarchique, qui les paie. On discute souvent de l'armée de métier, ou de l'armée de la nation. Peu importe car il semble bien s'agir d'un faux problème. Dans les deux cas son action ne peut aboutir qu'à la protection ou à la défense d'une structure sociale. Or, toute structure sociale jusqu'à maintenant est une structure hiérarchique de valeur. Ce n'est que lorsque les échelles hiérarchiques n'offrent plus suffisamment d'échelons intermédiaires, que les classes fonctionnelles dans le corps social sont peu nombreuses et soumises à une véritable ségrégation, que les risques d'explosion de la violence ont de fortes chances de survenir. Dans ce cas, la gratification par la promotion sociale au sein des processus de production étant difficile sinon impossible, même en se soumettant aux règles d'établissement de la dominance institutionnalisée (examens, concours, etc.), les réactions d'agressivité sont probables. Elles sont rapidement contrôlées, le plus souvent par l'emploi de la force armée qui se place généralement du côté des dominants, lesquels défendent évidemment les structures sociales en place. De telles structures hiérarchiques interdisent toute circulation de l'information, donc toute cohésion du groupe humain, et pérennisent les dominances. Il en résultera tôt ou tard une " crise ", un éclatement, qu'il est intéressant d'opposer au malaise résultant de l'établissement des échelles hiérarchiques, mêlant adroitement l'assouvi et l'inassouvi. La crise apparaît ainsi comme l'antagonisme violent entre structures fermées. Il en est de même de la guerre.

Nous voyons ainsi comment l'on passe de l'angoisse au malaise ou de l'angoisse à la crise. Nous ne devons jamais oublier que la satisfaction s'obtient fondamentalement par l'action gratifiante sur le milieu. Si celle-ci est impossible, une crise est possible ; on l'appelle chez l'individu agressivité, chez la population, révolution quand le conflit survient à l'intérieur de l'organisme social entre deux sous-ensembles nationaux, guerre quand il survient entre deux structures nationales. Mais l'acte peut n'être ni pleinement gratifiant, ni pleinement irréalisable, ce qui survient nous venons de le voir dans les sociétés hiérarchiques à multiples niveaux, et dont la finalité (l'expansion) ne coïncide pas totalement avec celle de l'individu. (N.G.74)

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              Hiérarchie de valeur - Hiérarchie de fonction              

Dans un organisme vivant, chaque cellule, chaque organe, chaque système ne commande à rien. Il se contente d'informer et d'être informé. Il n'existe pas de hiérarchies de pouvoir, mais d'organisation. Le terme de hiérarchie devrait même, dans ce cas, être abandonné, car difficile à débarrasser de tout jugement de valeur, et être remplacé par celui que nous utilisons depuis de nombreuses années de niveaux d'organisation, c'est-à-dire niveaux de complexité : niveau moléculaire (à rapprocher du niveau individuel), niveau cellulaire (à rapprocher du niveau du groupe social), niveau des organes (à rapprocher du niveau des ensembles humains assumant une certaine fonction sociale), niveau des systèmes (nations), niveau de l'organisme entier (espèces). Chaque niveau n'a pas à détenir un « pouvoir » sur l'autre, mais à s'associer à lui pour que fonctionne harmonieusement l'ensemble par rapport à l'environnement. Mais pour que chaque niveau d'organisation puisse s'intégrer fonctionnellement à l'ensemble, il faut qu'il soit informé de la finalité de l'ensemble et qui plus est, qu'il puisse participer au choix de cette finalité. Quand nous parlons de choix, il ne s'agit pas de l'expression d'un libre arbitre. Il s'agit, pour un organisme, de l'action spécifique en réponse à un stimulus donné, capable de maintenir l'équilibre homéostasique par rapport à l'environnement, c'est-à-dire sa structure organique dont le maintien s'exprime par le plaisir, la récompense. Pour un organisme social, il s'agit donc de diffuser l'information à tous les membres qui le constituent, quelles que soient leurs fonctions.

Mais quand nous parlons de société informationnelles il ne s'agit pas de l'information spécialisée permettant à l'individu de transformer efficacement la matière inanimée, il ne s'agit pas de l'information fournie par l'apprentissage manuel ou conceptuel, mais bien d'une information beaucoup plus vaste, concernant la signification d'un individu en tant qu'individu au sein de la collectivité humaine. La première ne peut lui fournir qu'un pouvoir spécialisé au sein d'une hiérarchie, mais lui interdit de participer au pouvoir « politique ». La seconde au contraire lui permet de s'inscrire dans une classe fonctionnelle et de prendre part aux décisions de l'ensemble organique car « pouvoir c'est savoir ». Sur le plan politique, c'est-à-dire sur celui de la signification du travail de chacun intégré dans un ensemble et sur la finalité de cet ensemble dans les ensembles de complexité supérieure qui l'englobent, un ingénieur hautement spécialisé n'a souvent pas plus de connaissances qu'un O.S., bien qu'elles soient différentes car dictées par des jugements de valeurs et des préjugés nécessaires au maintien de sa dominance hiérarchique. Ainsi, malheureusement l'information spécialisée paraît être à la base du pouvoir politique, car elle est d'abord à la base des hiérarchies, alors qu'elle est incapable du fait de sa spécialisation d'éclairer le pouvoir politique (mais cela même n'est qu'une apparence).

Dans mon organisme, il est certain que mon gros orteil ne peut pas remplir les « fonctions » assurées par mon foie, que ma rate ne peut assurer le travail de mon coeur. Cela signifie-t-il que mon foie est « mieux » que mon coeur ou que ma rate et leur commande ? Il assure simplement une fonction différente du fait de sa spécialisation professionnelle. Bien mieux, dans chaque cellule de chaque organe, le noyau contient l'ensemble du capital génomique, ce qui veut dire qu'il pourrait donner naissance à une cellule remplissant n'importe quelle fonction. S'il ne le fait pas, c'est que ses potentialités fonctionnelles sont « réprimées » par certaines molécules qui lui interdisent de remplir une autre fonction que celle dévolue à l'organe dans lequel la cellule qui le contient se trouve située. [...] Cet exemple ne m'a servi que pour montrer que dans un organisme vivant, la spécialisation fonctionnelle, qui équivaut dans un organisme social à la spécialisation professionnelle, ne s'accompagne d'aucune valeur particulière et qu'elle ne procure d'autre part aucune possibilité d'agir séparée de l'ensemble organique. Celui-ci doit sans cesse l'informer des nécessités requises par cet ensemble organique pour sa survie en tant qu'ensemble, de même qu'en sens inverse elle doit informer l'ensemble de l'organisme de ce qui lui est nécessaire pour assurer sa fonction. Cette double circulation de l'information de la cellule à l'organisme et de l'organisme à la cellule est une notion fondamentale à comprendre.

Ainsi dans ce type de société autogérée que représente tout organisme pluricellulaire, on peut observer une nette distinction entre l'information spécialisée d'une part, qui n'est en réalité, pour une cellule, un organe ou un système, qu'une fraction minuscule de l'ensemble de l'information génétique globale que contient son noyau et qui résulte de la place qui lui a été réservée par l'évolution ontogénique, et d'autre part l'information généralisée. Celle-ci lui vient de l'ensemble des autres cellules de l'organisme et la tient au courant à chaque instant de l'état de bien-être ou de souffrance de l'ensemble de ces cellules, de façon qu'elle puisse adapter sa propre fonction spécialisée à la recherche de l'équilibre global perdu ou à son maintien dans un environnement donné. Il ne s'agit pas d'étendre ses connaissances fonctionnelles (j'allais dire professionnelles), mais bien celles qui résultent du fonctionnement de l'ensemble organique. Aucun supérieur hiérarchique ne lui donne d'ordres mais elle est sans cesse informée de ce qu'elle doit faire, suivant sa place et son rôle, pour concourir au bon fonctionnement de l'ensemble. De même, inversement, elle informe sans cesse cet ensemble de ses besoins fondamentaux, ceux qui lui sont nécessaires pour assurer correctement sa fonction.

Que l'on ne croie pas qu'il s'agisse là d'une simple analogie entre un organisme vivant et un organisme social. En réalité, l'organisme social est lui-même un organisme vivant d'un niveau d'organisation supérieur, et dans ce cas l'organisme vivant constitue bel et bien un « modèle ». Bien plus, il s'agit d'un modèle de même nature puisqu'il appartient au même règne. On ne peut nier qu'un organisme constitue une « société » cellulaire dont l'élément est la cellule au même titre que pour une « société » humaine l'élément est représenté par l'individu. Puisque la société cellulaire nous montre le fonctionnement harmonieux d'un modèle social non mécanique, il peut être intéressant de comprendre quels sont les principes dynamiques de cette harmonie, pour essayer de voir s'ils sont utilisables dans les sociétés humaines. Il ne s'agit pas, comme au cours de toute expérimentation biologique, de transposer simplement ce qui est découvert à un niveau d'organisation au niveau d'organisation sus-jacent, mais d'abord de comprendre en quoi et pourquoi le niveau sus-jacent, le niveau social, ne se comporte pas aujourd'hui de la même manière que le niveau biologique.

Aussi longtemps que subsisteront des systèmes hiérarchiques de valeur, le plein « épanouissement de l'individu », comme il est dit dans les discours électoraux, ne sera qu'un mythe. Dans un système hiérarchique de valeur, nous l'avons vu, tout individu est dominateur de quelques-uns, et le dominé de quelques autres. Son « épanouissement » est donc impossible. La transformation oui sera sans doute la dernière à être réalisée est, à tous les niveaux de cette organisation hiérarchique, l'abandon par chaque individu, du paternalisme de type psycho-familial à l'égard de ceux appartenant à une « classe » qu'il considère comme inférieure, et de l'infantilisme à l'égard de ceux, chefs ou institution, qu'il considère comme supérieurs à lui et qui le sécurisent tout en empêchant qu'il se gratifie pleinement. Il me semble que ce qui constitue la solidité particulière de certains systèmes hiérarchiques fortement structurés comme l'armée, la magistrature ou certaines organisations comme les hiérarchies hospitalières par exemple, ne tient pas tellement à leur structure hiérarchique elle-même, terriblement contraignante, comme on a tendance à le faire croire. Elle tient au fait que l'on inculque à tout élément du système et quel que soit son niveau dans la hiérarchie, la notion qu'il fait partie d'une élite, différente et supérieure par ses « idéaux » à toutes les autres ; au fait qu'on élève des jugements de valeur d'une pauvreté désespérante au rang d'éthique et que par cela même l'individu est gratifié. L'uniforme, l'esprit de corps, l'esprit de « boutons » ou de casquette ou de béret, fait participer l'individu à une prétendue race des seigneurs et lui fait accepter par ailleurs son aliénation totale à la hiérarchie sans même se poser la question de savoir ce qu'est cet ensemble hiérarchisé auquel il appartient. C'est ce déterminisme faisant appel aux fonctions dominatrices les plus primitives du cerveau reptilien, au narcissisme congénital, aux débauches colorées des plumages des oiseaux mâles au cours des danses nuptiales, aux automatismes sous-culturels les moins élaborés, c'est ce déterminisme inconscient que l'on dénomme « discipline librement consentie ».

Bien mieux,ces systèmes paraissent généreusement désintéressés. Dans un monde dominé par le profit et la marchandise, les individus qui leur appartiennent marchent au pas, la tête haute, sans baisser les yeux vers la bourse tendue, relativement pauvres mais dignes. Cependant, demandez au lieutenant si son idéal est de terminer sa carrière comme capitaine et si son ascension hiérarchique n'est pas le facteur motivationnel dominant de son comportement. Vous les entendrez dire d'ailleurs, sans rire ou sans pleurer de tristesse, qu'ils ont vocation au « commandement ». La vocation à la découverte, ou au moins à l'imagination, semble ne jamais leur être venue à l'idée, et comme l'improvisation est généralement peu appréciée des hiérarchies, leur idéal se limite à faire appliquer le règlement de manoeuvre. Leur avancement dans la hiérarchie est d'ailleurs fonction de leur soumission à celui-ci. Or, le règlement de manoeuvre n'a qu'un but : protéger le système socio-économique, mais en réalité hiérarchique, qui les paie. On discute souvent de l'armée de métier, ou de l'armée de la nation. Peu importe car il semble bien s'agir d'un faux problème. Dans les deux cas son action ne peut aboutir qu'à la protection ou à la défense d'une structure sociale. Or, toute structure sociale jusqu'à maintenant est une structure hiérarchique de valeur. Ce n'est que lorsque les échelles hiérarchiques n'offrent plus suffisamment d'échelons intermédiaires, que les classes fonctionnelles dans le corps social sont peu nombreuses et soumises à une véritable ségrégation, que les risques d'explosion de la violence ont de fortes chances de survenir. Dans ce cas, la gratification par la promotion sociale au sein des processus de production étant difficile sinon impossible, même en se soumettant aux règles d'établissement de la dominance institutionnalisée (examens,concours etc.) les réactions d'agressivité sont probables.

Dans une organisation quelle qu'elle soit, les individus sont groupés en réalité par une analogie de fonction. Or, on les associe généralement sur une analogie hiérarchique, le patronat, les cadres, les ouvriers, hiérarchie dont le pouvoir est régressif en ce qui concerne les décisions à prendre pour la bonne marche de l'entreprise. En réalité, à côté de cette hiérarchie de valeur qui satisfait l'instinct de puissance, existe fondamentalement, nous l'avons dit, une hiérarchie de fonction que nous avons préféré dénommer « niveaux d'organisation » fonctionnels, pour la débarrasser de tout jugement de valeur. A tel point que si nous avons parlé jusqu'ici de hiérarchies de valeur et de fonction, c'était pour faciliter la compréhension, car en réalité toute hiérarchie est de valeur. L'organisation d'un corps individuel ou social nous montre au contraire des niveaux dans cette organisation. Chaque niveau supérieur englobant le niveau de complexité qui le précède, ne le commande pas : il l'informe grâce à cette « information circulante » dont nous avons parlé et que nous avons distinguée de 1' « information-structure ». Dans un tel organisme individuel, où sont les « classes » d'éléments ? Nous savons qu'il existe des fonctions différentes, toutes informées de la finalité de l'ensemble dont dépend leur activité métabolique commandant leur travail « professionnel ». Il existe donc des classes fonctionnelles multiples, chacune concourant à l'activité d'un grand système (nerveux, endocrinien, cardio-vasculaire, respiratoire, locomoteur, digestif, etc.), chacun de ces systèmes concourant à l'activité de l'ensemble organique au sein de l'environnement. Ces classes fonctionnelles n'ont donc rien à voir avec les classes hiérarchiques de la « lutte des classes ».

En conséquence, quand nous parlerons de classes sociales ce sera de classes fonctionnelles, c'est-à-dire de l'ensemble des individus qui dans un organisme social remplissent la même fonction ou une fonction analogue. Seule la conscience de classe et donc de l'indispensabilité de cette classe, mais aussi de l'indispensabilité des autres classes fonctionnelles, permet d'atteindre à cette « dignité de la personne humaine » dont on remplit abondamment les discours électoraux, parce que chacun met dans ce mot ce que bon lui semble.

Le pouvoir aujourd'hui est fonction de l'information spécialisée et c'est elle surtout qui permet l'établissement des dominances. Aussi longtemps que les hiérarchies de valeurs fondées sur l'information spécialisée ne seront pas supprimées, il existera des dominants et des dominés. Par contre, si une hiérarchie de fonction s'installe, les classes sociales deviendront aussi nombreuses que les fonctions assurées et un même individu pourra fort bien appartenir à plusieurs classes sociales à la fois, dans plusieurs institutions différentes, suivant ses différentes activités. C'est ainsi qu'une classe nouvelle paraît prendre naissance avec les associations de consommateurs.

Aussi longtemps que les hiérarchies de valeur subsisteront et qu'elles s'établiront sur la propriété par l'intermédiaire de la possession de l'information spécialisée acquise par l'apprentissage manuel ou conceptuel, les dominés chercheront à conquérir un faux pouvoir qui est celui de consommer. Or, la consommation n'a pas de fin, et jamais une égalité réelle des chances et du pouvoir ne pourra s'établir sur la consommation. Le pouvoir réel qu'exige le dominé, c'est moins celui de consommer que celui de participer à la décision. Or, pour cela c'est une information généralisée et non pas seulement spécialisée qu'il doit acquérir. (N.G.74)

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              Homme - Femme - Individu              

L’individu reste persuadé de son dévouement, de son altruisme, cependant qu’il n’a jamais agi que pour sa propre satisfaction, mais satisfaction déformée par l’apprentissage de la socio-culture. (E.F.76)

A cette question — qu’est-ce qu’un homme ? — on peut répondre, sans craindre de se tromper, que c’est un être vivant et les « amis des bêtes » vous diront que tout être vivant a des droits. Qui en a décidé ainsi? L’homme bien sûr. La boucle se ferme sur lui-même. Arrivé au bout de la chaîne évolutive, il n’a pas trouvé de système englobant. L’individu se conçoit bien comme appartenant à un groupe, mais au-delà de l’espèce, il ne pouvait plus recevoir d’ordre d’un système organisé lui indiquant ce qu’il devait faire. Se croyant le roi de la nature, il s’est cru libre d’une part, sans voir qu’il était entièrement dépendant, lui aussi, d’une biosphère. L’espèce humaine est la seule à se croire libre parce qu’elle parle et que l’abstraction permise par le langage lui a fait croire à la réalité de ses conceptions abstraites.

L’homme, ignorant les règles à appliquer, les a inventées. Il a construit un monde qui le dépassait, un système englobant. Ce furent d’abord les mythes, les religions, les morales, puis les structures étatiques, s’exprimant par des lois. Notons que, en agissant ainsi, il se libérait en grande partie de l’angoisse qui, nous le savons, résulte de l’inhibition de l’action, dont l’un des facteurs est le déficit informationnel. A partir du moment où on lui expliquait qu’il fallait agir d’une certaine façon, il pouvait en grande partie occulter son angoisse. Il n’avait plus à hésiter, à réfléchir avant d’agir: il appliquait les règles, ces règles étaient évidemment aussi nombreuses et variées que les mythes, les religions et les Etats ayant chacun sécrété leurs idéologies et leurs lois.

L ‘homme est un être vivant dont l’histoire phylogénique et ontogénique est particulière. Comme pour tout être vivant possédant un système nerveux, ce dernier lui permet de contrôler ses conditions de vie en lui permettant d’agir sur l’environnement au mieux de son bien-être, car la seule raison d’être d’un être, c’est d’être. Ce n’est pas un droit cela, c’est une obligation sans laquelle il n’y aurait pas d’êtres vivants. Mais dès que cet organisme et le système nerveux qui l’anime se trouvent réunis avec d’autres organismes de la même espèce, les éléments les plus importants de son environnement, avant les «espaces verts et les terrains de planches à roulettes», ce sont les autres hommes. Il en résulte qu’il semble indispensable de connaître l’essentiel du fonctionnement de ce système nerveux qui va lui permettre d’entrer en contact avec les autres et de construire grâce à eux ce qu’on appelle «sa personnalité». (C.A.83)

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              Imaginaire              

La seule caractéristique d’un cerveau humain est de posséder les zones associatives particulièrement développées qui permettent, aidées par l’abstraction du langage, une combinaison originale des voies nerveuses codées, engrammées antérieurement par l’expérience. Un enfant qui vient de naître, répétons-le, ne peut rien imaginer parce qu’il n’a encore rien appris. La seule caractéristique humaine est ainsi le pouvoir imaginaire, celui de pouvoir mettre en forme des structures nouvelles qu’il pourra par la suite confronter à l’expérience. C’est là la seule liberté, si l’on tient à conserver ce mot dangereusement suspect. Combien de millions d’hommes ont-ils été assassinés en son honneur ? (C.A.83)

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              Information structure - Information circulante              

information-structure : c'est elle qui nous permet de distinguer un homme d'un éléphant. Elle doit être aussi protégée du brouillage. Mais elle ne circule pas, elle est invariante, du moins en ce qui concerne l'individu. Sa transmission se fait à une autre échelle de temps grâce à la reproduction et au code génétique. L'individu du point de vue de l'information-structure peut être considéré grossièrement comme un système fermé. Bien sûr cette structure s'enrichit de l'acquis mémorisé. Mais en réalité à l'intérieur d'elle-même chaque sous-ensemble a la même finalité que l'ensemble : la protection de son intégrité dans le temps. Tout le malheur de l'homme vient de ce qu'il n'a pas encore trouvé le moyen d'inclure cette structure fermée dans le plus grand ensemble dont la finalité serait aussi la sienne et celle de toutes les autres. Son malheur vient de ce qu'on n'a pas trouvé le moyen de transformer la régulation individuelle en servomécanisme inclus dans l'espèce. Un organisme est donc un système ouvert à l'intérieur de lui-même, par niveaux d'organisation ; c'est une chaîne de servomécanismes. L'entité qu'il représente est ouverte du point de vue de l'information circulante puisque grâce aux organes des sens, il s'informe de ce qui se passe dans l'environnement. Mais ces informations recueillies ne lui servent qu'à agir sur l'environnement au mieux de la conservation de l'information-structure.

La seule façon d'ouvrir l'information-structure d'un organisme, d'ouvrir l'entité organique individuelle régulée, est de la transformer en servomécanisme, c'est-à-dire l'inclure dans un niveau d'organisation supérieur, à savoir le groupe social, mais dont la finalité devra être la même que la sienne. Malheureusement le groupe social devient aussitôt un système fermé, dont la finalité sera de maintenir sa structure, et cela évidemment contre celles des groupes sociaux environnants ; à moins que ces groupes ne s'associent comme sous-ensembles dans un ensemble plus grand. Il faudra une fois de plus trouver pour ce nouvel ensemble une finalité identique à celle des sous-ensembles qui le constituent.

Information circulante : l'ouverture informationnelle qui résulte de la structure par niveaux d'organisation des organismes vivants autorise ce qu'on peut appeler une information circulante. (N.G.74)

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              Inhibition de l'action              

L’étage le plus primitif du cerveau, cerveau appelé reptilien par Mac Lean, va être le contrôleur de notre équilibre biologique. Il va nous pousser à agir immédiatement, en présence d’une perturbation interne, combinée à une stimulation provenant de l’environnement. C’est le cerveau du présent. Il contrôle immédiatement notre bien-être, c’est-à-dire le maintien de la structure de l’ensemble cellulaire que constitue un organisme. Le cerveau des mammifères qui vient se superposer au précédent, nous avons vu qu’il était le cerveau de la mémoire, de l’apprentissage. Et déjà, on comprend que puisque cette mémoire va nous faire nous souvenir des expériences agréables ou désagréables, des récompenses ou des punitions, il risque de s’opposer fréquemment à l’activité du premier. C’est ainsi que, lorsque les pulsions à agir pour nous faire plaisir vont, dans nos systèmes neuronaux, trouver l’opposition, l’antagonisme de voies codées par l’apprentissage, c’est-à-dire par la socioculture, nous interdisant d’agir, l’inhibition de l’action qui va en résulter sera à l’origine des perturbations biologiques dont nous avons déjà parlé. Lorsque ce conflit neuronal va déboucher sur le troisième étage, étage cortical, et devenir conscient non pas de ces mécanismes nerveux, mais des problèmes qui sont non résolus et qui sont à son origine, il peut en résulter une souffrance telle que le problème sera, suivant l’expression psychanalytique, «refoulé».

La pulsion, d’une part, l’interdit, d’autre part, n’en sont pas moins là et continueront à parcourir les voies neuronales en dehors du champ de conscience et les conséquences qui en résulteront vont être aussi bien somatiques que comportementales, autrement dit psychiques. C’est là un premier mécanisme de l’inhibition de l’action, qui est très souvent rencontré. Un autre fait appel à ce que nous appelons le déficit informationnel et survient lorsque, à l’occasion d’un événement qui n’a pas encore été classé dans notre répertoire comme étant agréable ou au contraire douloureux, nous ne pouvons pas agir en conséquence de façon efficace et sommes dans une attente en tension.

A l’opposé, l’abondance des informations, si l’on voit qu’il est impossible de les classer suivant un système de jugements de valeur, met également l’individu dans une situation d’inhibition. Il faut reconnaître que notre civilisation contemporaine au sein de laquelle les informations se multiplient grâce aux moyens modernes de communication, les mass media en particulier, et par la vitesse de ces communications à travers le monde, place l’individu dans une situation où le plus souvent il ne peut agir sur son environnement pour le contrôler. Les paysans vendéens de mon enfance qui n’allaient à la ville, pour certains, que trois fois au cours d’une vie, ville pourtant qui n’était située qu’à trente-cinq kilomètres, avaient des sources d’information qui ne leur venaient pratiquement que de leur environnement immédiat. Pas de journaux, pas de télévision, pas de radio. Bien sûr, il existait des événements que l’on pouvait craindre, les mauvaises récoltes, les épidémies. Il n’en demeure pas moins que chaque individu avait l’impression de pouvoir contrôler par son action sa niche environnementale. Ce n’est plus le cas aujourd’hui et quand on diffuse à la télévision les atrocités qui apparaissent à travers le monde, quand on voit un enfant du Biafra en train de mourir de faim, squelettique et couvert de mouches, malgré l’intérêt très limité que peut représenter cet enfant pour un homme bien nourri du monde occidental, cet homme ne peut s’empêcher de se représenter inconsciemment que ce qui est possible pour certains hommes défavorisés pourrait peut-être le devenir aussi un jour pour lui, et il ne peut rien faire. C’est en cela que les préjugés, les lieux communs, les jugements de valeur, le militantisme, les idéologies et les religions ont une valeur thérapeutique certaine car ils fournissent à l’homme désemparé un règlement de manœuvre qui lui évite de réfléchir, classe les informations qui l’atteignent dans un cadre préconçu et mieux encore, lorsque l’information n’entre pas dans ce cadre, elles ne sont pas signifiantes pour lui, en quelque sorte, il ne les entend pas. Il est prêt, en d’autres termes, à sacrifier sa vie pour supprimer son angoisse ou si l’on veut il préfère éprouver la peur, débouchant sur l’action, que l’angoisse. Il est même à noter que la peur ne l’envahit que les courts instants qui précèdent l’action. Dès qu’il agit, il n’a plus peur, et il le sait bien.

Mais il existe aussi des mécanismes proprement humains que nous devons à l’existence, dans notre espèce, des lobes orbito-frontaux, c’est-à-dire de l’imaginaire. Nous sommes en effet capables d’imaginer la survenue d’un événement douloureux, qui ne se produira peut-être jamais, mais nous craignons qu’il ne survienne. Quand il n’est pas là, nous ne pouvons pas agir, nous sommes dans l’attente en tension, en inhibition de l’action, nous sommes donc angoissés. L’angoisse du nucléaire appartient à ce type, par exemple. Enfin, dans ce cadre, il existe une cause d’angoisse proprement humaine: l’angoisse de la mort. L’homme est sans doute la seule espèce dans laquelle l’individu sait qu’il doit mourir. C’est sans doute aussi la seule espèce qui sache qu’elle existe en tant qu’espèce et où chaque individu sait appartenir à cette espèce. Les abeilles du Texas ne savent pas qu’il existe des abeilles en Chine ou dans le Périgord. L’homme sait qu’il existe des hommes en toutes les régions du globe et il sait qu’ils sont pareils à lui. Il sait que tous ces hommes doivent mourir et qu’il est un homme.

Si j’avais une pneumonie, je serais content qu’on utilise de la pénicilline pour me traiter. De même, si j’étais atteint d’un ulcère perforé, j’aimerais qu’un chirurgien adroit et un anesthésiste compétent permettent l’ablation de l’ulcère et même de l’estomac où l’ulcère est apparu. Il m’éviterait ainsi la péritonite mortelle. Mais dans les deux cas, pris comme exemples, pourquoi ai-je fait une pneumonie et pourquoi ai-je fait un ulcère qui s’est perforé ? C’est parce que j’étais en inhibition de l’action. Or, les raisons qui font que j’étais en inhibition de l’action sont enfermées dans mon système nerveux, dans son histoire, dans ses automatismes inconscients. En d’autres termes, nous soignons au niveau d’organisation de l’individu les effets qui ont pris naissance aux niveaux d’organisation englobants, c’est-à-dire au niveau des groupes social, familial, professionnel ou d’une société globale, car nous négocions notre instant présent avec tout notre acquis mémorisé inconscient. (c.A.83)

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              Intelligence             

J’ai l’impression qu’en général l’adjectif « intelligent » est surtout utilisé pour honorer une activité de mémoire et la facilité d’établissement d’automatismes culturels. Le plus souvent est déclaré intelligent celui qui réussi socialement, c’est à dire le plus conforme, le moins imaginatif. (N.G.74)

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              Juge - Justice - Magistrat              

Les critères choisis pour définir la justice ou l’injustice sociale sont, en pays capitalistes, ceux de la classe dominante, à savoir essentiellement la valeur de la propriété privée. Le prolétariat s’est en cela soumis à ces critères imposés par une classe qu’il déteste mais qu’il envie à la fois.

Comment une société peut-elle désirer, ou même envisager plus de justice sociale, quand la motivation fondamentale des individus est la lutte pour la vie et le besoin de dominer ? Les doux, les non-agressifs, seront toujours, dans une telle société, les grands perdants. (N.G.74)

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              Jugement de valeur              

Ce qu’il paraît utile de connaître, ce sont les règles d’établissement des structures sociales au sein des quelles l’ensemble des systèmes nerveux des hommes d’une époque, héritiers temporaires des automatismes culturels de ceux qui les ont précédés, emprisonnent l’enfant à sa naissance, ne laissant à sa disposition qu’une pleine armoire de jugements de valeur. (E.F.76)

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              Liberté - Libre              

Ce que nous appelons liberté consiste en général dans la possibilité de répondre à nos pulsions primitives, lesquelles sont déjà fortement aliénées par les automatismes socioculturels, les préjugés et les jugements de valeur du groupe social et de l'époque dans lesquels nous sommes insérés. Les sociétés libérales ont réussi ainsi à convaincre l'individu que la liberté se trouvait dans l'obéissance et la soumission aux règles des hiérarchies du moment et à l'institutionnalisation des règles nécessaires à observer pour s'élever dans ces hiérarchies. D'ailleurs, on parle rarement du manque de liberté de l'ouvrier, des populations du crabe au Brésil ou dans les pays sous-développés, de celle enfin de tous les hommes enchaînés aux lois de la production. Pauvre liberté qui se satisfait de l'inconscience où nous sommes des déterminismes qui commandent à nos comportements sociaux. La liberté commence où finit la connaissance. Avant, elle n'existe pas, car la connaissance des lois nous oblige à leur obéir. Après elle n'existe que par l'ignorance des lois à venir et la croyance que nous avons de ne pas être commandés par elles puisque nous les ignorons. En réalité, ce que l'on peut appeler " liberté ", si vraiment nous tenons à conserver ce terme, c'est l'indépendance très relative que l'homme peut acquérir en découvrant, partiellement et progressivement, les lois du déterminisme universel. Il est alors capable, mais seulement alors, d'imaginer un moyen d'utiliser ces lois au mieux de sa survie, ce qui le fait pénétrer dans un autre déterminisme, d'un autre niveau d'organisation qu'il ignorait encore. Le rôle de la science est de pénétrer sans cesse dans un nouveau niveau d'organisation des lois universelles. Tant que l'on a ignoré les lois de la gravitation, l'homme a cru qu'il pouvait être libre de voler. Mais comme Icare il s'est écrasé au sol. Ou bien encore, ignorant qu'il avait la possibilité de voler, il ne savait être privé d'une liberté qui n'existait pas pour lui. Lorsque les lois de la gravitation ont été connues, l'homme a pu aller sur la lune. Ce faisant, il ne s'est pas libéré des lois de la gravitation mais il a pu les utiliser à son avantage. Comment être libre quand une grille explicative implacable nous interdit de concevoir le monde d'une façon différente de celle imposée par les automatismes socioculturels qu'elle commande ? Quand le prétendu choix de l'un ou de l'autre résulte de nos pulsions instinctives, de notre recherche du plaisir par la dominance et de nos automatismes socioculturels déterminés par notre niche environnementale ? Comment être libre aussi quand on sait que ce que nous possédons dans notre système nerveux, ce ne sont que nos relations intériorisées avec les autres ?

Quand on sait qu'un élément n'est jamais séparé d'un ensemble. Qu'un individu séparé de tout environnement social devient un enfant sauvage qui ne sera jamais un homme ? Que l'individu n'existe pas en dehors de sa niche environnementale à nulle autre pareille qui le conditionne entièrement à être ce qu'il est ? Comment être libre quand on sait que cet individu, élément d'un ensemble, est également dépendant des ensembles plus complexes qui englobent l'ensemble auquel il appartient ? Quand on sait que l'organisation des sociétés humaines jusqu'au plus grand ensemble que constitue l'espèce, se fait par niveaux d'organisation qui chacun représente la commande du servomécanisme contrôlant la régulation du niveau sous-jacent ? La liberté ou du moins l'imagination créatrice ne se trouve qu'au niveau de la finalité du plus grand ensemble et encore obéit-elle sans doute, même à ce niveau, à un déterminisme cosmique qui nous est caché, car nous n'en connaissons pas les lois.

Ainsi, le terme de liberté ne s'oppose pas comme on pourrait le croire à celui de déterminisme. Ce dernier, est-il besoin maintenant de le rappeler, ne peut plus être conçu comme il le fut à la fin du XIXe siècle comme un déterminisme de causalité linéaire, une cause produisant un effet. C'est encore ce type de déterminisme enfantin qu'utilisent souvent les " analyses " sociopolitiques langagières. Or des effecteurs dont nous ne connaissons pas souvent la structure fournissent des effets multiples à la suite de l'action de non moins multiples facteurs, loin d'être tous identifiés et mesurés, eux-mêmes contrôlés par les feedbacks émanant des effets. Ils constituent des systèmes fort complexes, mais cette complexité, du fait que nous ne la connaissons pas, ne nous permet pas de parler de liberté ou d'aléatoire, mais de notre ignorance. (N.G.74)

Ce que nous appelons liberté, c'est la possibilité de réaliser les actes gratifiants, de réaliser notre projet, sans nous heurter au projet de l'autre. Mais l'acte gratifiant n'est pas libre. Il est même entièrement déterminé. L'absence de liberté résulte donc de l'antagonisme de deux déterminismes comportementaux et de la domination de l'un sur l'autre. Dans cette optique, la liberté consisterait à créer des automatismes culturels tels que le déterminisme comportemental de chaque individu aurait la même finalité, mais située en dehors de lui-même. Or, on conçoit que ceci est impossible en dehors des périodes de crise, quel que soit le régime socio-économique, dans un système hiérarchique de dominance. (E.F.76)

...l’ignorance des déterminismes, des lois, des structures complexes en rétroaction dynamique, établies par niveaux d’organisation, au sein des organismes vivants, nous fait croire à la liberté. Elle ne commence qu’où commence notre ignorance, c’est-à-dire très précocement.

Mais ce que nous savons déjà de ces mécanismes complexes, qui, de la molécule au comportement humain en situation sociale, animent notre système nerveux, dirigent notre attention, établissent nos processus de mémorisation et d’apprentissage, eux-mêmes fondements biochimiques et neurophysiologiques de notre affectivité, de nos envies simplistes, de notre imaginaire créateur, de ce que recouvrent des mots comme pulsion, motivation, désir, et qui restent des mots si on ne tente pas de leur fournir des bases expérimentales, à chaque niveau d’organisation phylogénique et ontogénique, permet de se demander ce qui reste de notre liberté. Ce n’est guère plus sans doute que la possibilité pour un cerveau humain, motivé inconsciemment par la conservation de la structure organique, de son bien-être, de son plaisir, motivation contrôlée par l’apprentissage également inconscient des lois culturelles lui infligeant l’application d’un règlement de manœuvre avec récompense et punition, de pouvoir parfois, si ces automatismes ne sont pas trop contraignants et si l’on sait qu’ils existent, ce qui permet de s’en méfier, d’imaginer, grâce à l’expérience déterminée par le vécu antérieur inconscient, une solution nouvelle aux problèmes anciens. C’est peu sans doute mais c’est peut-être déjà beaucoup.

La logique du discours n’est pas celle de la biologie ni de la physiologie du système nerveux qui le prononce, celle de notre inconscient. Et pour cet homme divisé en deux, moitié productrice, moitié culturelle, le droit à la culture n’est le plus souvent que le droit de participer aux signes de reconnaissance de la fraction dominante, à une culture devenue elle-même marchandise, permettant la reproduction de la structure sociale, calmant les frustrations, permettant à la moitié productrice de l’individu de mieux poursuivre son aliénation, grâce à la récompense de l’autre moitié. La notion de liberté est finalement dangereuse, parce qu’elle aboutit à l’intolérance et l’agressivité. Détenant forcément la vérité et l’ayant choisie «librement», si l’autre n’est pas de notre avis, s’il a choisi aussi «librement» l’erreur et s’oppose à la réalisation de notre vérité, il faut le tuer, et la liberté trouvera toujours un alibi logique aux meurtres, aux tortures, aux guerres, aux génocides. L’instinct de mort freudien, à notre avis, est là, dans le langage humain justifiant, déculpabilisant, et qui absout tous les crimes des hommes contre l’homme, souvent au titre de ses droits.

Le droit pour l’individu ou pour les groupes sociaux à exprimer «librement» leurs pensées, en d’autres termes à communiquer le résultat de leur déterminisme et de leur expérience inconsciente du monde, est, sans doute, un droit naturel qu’il est utile de conserver si l’on désire permettre l’évolution culturelle de l’espèce par la combinatoire conceptuelle. On sait que c’est grâce à la combinatoire génétique, grâce à la sexualité, que l’évolution biologique a été possible. Au stade où en est parvenue l’espèce humaine, son évolution ne peut résider que dans une combinatoire des concepts en sachant qu’aucun d’eux n’est globalisant, ne débouche sur une vérité et que chacun d’eux n’exprime qu’un sous-ensemble d’un ensemble, la «réalité», que nous ne connaîtrons jamais, sous-ensemble qui résulte encore de la spécialisation et de l’analyse. Mais il faudrait surtout que cela ne débouche pas sur l’action, action fanatique, agressive, dominatrice, sûre de son bon droit. Or, comment y parvenir dans l’ignorance de ce qui anime le discours, des mécanismes qui le font naître? Si le meurtre intraspécifique n’existe pas chez l’animal, c’est sans doute parce que l’animal ne parle pas. (C.A.83)

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              Lucidité              

Notre seule lucidité envers nous-mêmes peut-elle consister en autre chose que de savoir que nous déformons inconsciemment les faits à notre avantage et à celui de l’image que nous tentons de donner aux autres de ce que nous voudrions être ? (E.F.76)

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              Lutte de classes              

Où situer la classe des «travailleurs» et leurs intérêts de classe ? Il est probable qu'un cadre supérieur ou un OS pourront avoir conscience d'appartenir, ou de ne pas appartenir, au prolétariat, à la classe des « travailleurs »; suivant les satisfactions de domination hiérarchique, ou les insatisfactions qu'ils éprouvent. Il existe dans la classe ouvrière de parfaits bourgeois et heureux de l'être, bien qu'exploités et dépouillés de leur plus-value, de même qu'il existe dans la bourgeoisie d'authentiques prolétaires, et fiers de l'être, bien que profitant pleinement par ailleurs de leur pouvoir économique et politique dont ils admettent l'équité puisqu'ils ne discutent l'existence du pouvoir hiérarchique, mais plutôt son mode de distribution. La notion de classe a été jusqu'ici fondée uniquement sur la possession ou non d'un pouvoir économique et politique. Ce pouvoir économique et politique est lui-même fondé sur un système hiérarchique, lequel est fonction de l'information professionnelle. Aussi longtemps que les partis dits de «gauche» ne remettront pas en cause ces bases mêmes du système hiérarchique, la lutte des classes n'aura qu'un sens tronqué et renaîtra toujours de ses cendres, puisque le système qui lui donne naissance n'aura pas été aboli.

Dans ce cadre il existe évidemment des dominants et des dominés, qui nous pouvons bien appeler si bon nous semble bourgeois et prolétaires. Nous pouvons désigner chaque ensemble par le terme de «classe sociale». Nous admettrons sans aucun doute que l'effort des dominants pour maintenir leur dominance et celui des dominés pour atteindre la dominance constitue la «lutte des classes». Cependant, il semble aussi certain que nous nous limiterons à une phraséologie révolutionnaire, si nous n'inscrivons pas dans ce cadre l'ensemble des notions avons abordées concernant l'information et la thermodynamique (voir hiérarchie/structure hiérarchique), les hiérarchies professionnelles et le pouvoir politique. Or, ces notions rendent beaucoup plus difficile la délimitation des classes sociales que nous pouvons appeler «classiques». Nous savons maintenant que ces classes sont caractérisées par le rapport : abstraction de l'information/travail mécanique dans l'activité des individus, la classe étant d'autant plus élevée que le rapport l'est aussi.

C'est ce rapport qui donne le «pouvoir» d'agir, puisque l'action est d'autant plus efficace que mieux informée. Nous savons que ce pouvoir s'inscrit dans les hiérarchies professionnelles et devient un pouvoir politique du fait que la «politique» n'a jamais fait autre chose jusqu'ici que d'assurer le maintien du pouvoir des dominants (conservatisme) ou de chercher à leur prendre (progressisme, révolutionnarisme, gauchisme) en restant dans le cadre actuel de l'expansion économique. (N.G.74)

Qu’est-ce qu’une classe ? Ce mot définit un ensemble d’individus qui ont en commun une fonction, un genre de vie, une idéologie, des intérêts, etc. La multiplicité des facteurs qui entrent en jeu pour la définir rend difficile l’appréciation de ses limites. Le marxisme en a fourni une définition simple. La classe prolétarienne ne possède que sa force de travail, la classe bourgeoise détenant la propriété privée des moyens de production et d’échanges. Il est clair qu’aujourd’hui un nombre considérable d’individus, ne possédant pas la propriété privée des moyens de production et d’échanges, a des intérêts, une idéologie, un genre de vie, une échelle de salaires qui en font de parfaits bourgeois. De même, définir le prolétariat par sa force de travail consiste à dire que, lorsque l’on n’appartient pas à cette classe, on ne travaille pas, on vit dans l’oisiveté. Cependant, un bon nombre de bourgeois, ou soi-disant tels, remplissent plus d’heures de travail par semaine que n’importe quel ouvrier spécialisé.

Est-ce alors le genre de travail effectué qui constitue le facteur essentiel de division par classes de la société? Le travail manuel serait-il prolétarien, et l’intellectuel, petit ou grand bourgeois! L’artisan serait alors un prolétarien, au même titre que le manœuvre, et le philosophe marxiste ou l’instituteur, un bourgeois. Ce qui n’est pas toujours faux. Certaines fonctions sont sans doute plus motivantes que d’autres, et un travail dans lequel on joue avec des informations variées, un travail créateur de nouveaux ensembles abstraits, est plus motivant que le geste stéréotypé du travailleur à la chaîne. Celui qui réalise le premier sera souvent moins contestataire de la structure sociale qui lui permet de se gratifier que le second. Mais la frontière entre travail intellectuel et manuel est encore bien mal délimitée et ce n’est pas parce qu’un travail fait moins appel à l’énergie thermodynamique du muscle et de la main et plus à celle, métabolique et informationnelle, du cerveau humain, qu’il n’est pas aussi automatisé, aussi dénué d’intérêt, aussi peu motivant. Mais ayant demandé à celui qui l’effectue d’avoir atteint un certain degré dans l’abstraction, il sera mieux récompensé par une structure sociale productiviste.

Mieux récompensé ? En quoi consiste la récompense, source le plus souvent de l’inégalité? Elle est salariale, bien sûr. Mais certaines professions, dont le salaire dépend de l’Etat, bien que professions dites «intellectuelles», ne sont guère mieux rétribuées que celle remplie par un chef d’atelier dans l’industrie. Pourquoi existe-t-il encore des médecins militaires, par exemple, passant des concours, alors que leurs équivalents civils ont des situations économiques beaucoup plus rentables? Le salaire est un facteur motivant mais insuffisant à séparer les classes sociales. Un chercheur scientifique dira avec ostentation si on lui demande quelle est sa fonction: «Je suis chercheur», alors qu’il est payé parfois juste au-dessus du SMIC. (C.A.83)

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              Média              

L’utilisation des mass média, qui, paraît-il, « informent », ne permet à l’information que de s’écouler toujours dans un seul sens, du pouvoir vers les masses. La seule différence entre l’Est (avant la chute du mur de Berlin) et l’Ouest consiste en ce que, dans le premier cas, il s’agit d’un pouvoir dogmatique, qui n’a pour imposer son discours que la coercition et le crime d’Etat sur une vaste échelle, alors que, dans le second, l’argent permet de réaliser, de façon subtile et inapparente, l’automatisation robotique des motivations, de créer des envies, de manipuler affectivement l’opinion sans que la finalité du système apparaisse jamais au grand jour. Ceux-là m@?mes qui sont chargés d’informer le font le plus souvent à travers les propres verres déformants de leur affectivité et de leur intérêt narcissique et promotionnel. (C.A.83)

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              Mémoire, apprentissage et affectivité              

Chez les premiers mammifères apparaissent des formations nouvelles en « dérivation » sur le système précédent (cerveau reptilien), c'est ce qu'il est convenu d'appeler le système limbique. Considéré classiquement comme le système dominant l'affectivité, il nous paraît plus exact de dire qu'il joue un rôle essentiel dans l'établissement de la mémoire à long terme sans laquelle l'affectivité ne nous paraît guère possible. En effet, la mémoire à long terme que l'on s'accorde de plus en plus à considérer comme liée à la synthèse de protéines au niveau des synapses mises en jeu par l'expérience est nécessaire pour savoir qu'une situation a été déjà éprouvée antérieurement comme agréable ou désagréable et pour que ce qu'il est convenu d'appeler un « affect » puisse être déclenché par son apparition ou par celle de toute situation qu'il n'est pas possible de classer a priori dans l'un des deux types précédents par suite d'un « déficit informationnel » à son égard. L'expérience agréable est primitivement celle permettant le retour ou le maintien de l'équilibre biologique ; la désagréable, celle dangereuse pour cet équilibre, donc pour la survie, pour le maintien de la structure organique dans un environnement donné. La mémoire à long terme va donc permettre la répétition de l'expérience agréable et la fuite ou l'évitement de l'expérience désagréable. Elle va surtout permettre l'association temporelle et spatiale au sein des voies synaptiques, de traces mémorisées liées à un signal signifiant à l'égard de l'expérience, donc provoquer l'apparition de réflexes conditionnés aussi bien pavloviens (affectifs ou végétatifs) que skinnériens opérants (à expression neuromotrice).

La synthèse de molécules protéiques à la suite d'une stimulation résultant de variations survenues dans l'environnement « coderait » les synapses au niveau desquelles l'influx nerveux est passé. La voie nerveuse empruntée par l'influx serait ainsi transformée plus ou moins définitivement, de telle sorte qu'une stimulation analogue aurait alors tendance à ne mettre en jeu à nouveau que les mêmes voies nerveuses, les mêmes synapses mises en jeu par la première. (N.G.74)

Pour l’individu, il s’agit d’apprentissage entrepris dès la naissance de la façon dont il peut assouvir ses besoins fondamentaux dans l’ensemble social où le hasard de cette naissance l’a placé. Il apprend très vite l’agréable et le désagréable, le bien-être, l’équilibre biologique, le principe du plaisir, mais il découvre aussi très tôt que le monde qui l’entoure n’est pas lui; dès qu’il a construit son schéma corporel, il a compris qu’il est seul dans sa peau, il découvre le principe de réalité, qui n’est pas toujours conforme à celui de son plaisir. Tous les mammifères comme l’homme possèdent un cerveau capable de mémoriser, d’apprendre et qui leur permet, en accumulant les expériences passées, d’éviter celles qui ont été désagréables si le cadre événementiel dans lequel elles se sont produites se représente. Cela permet aussi de reproduire la stratégie d’action qui a apporté la satisfaction, le plaisir. Dans le premier cas, la fuite ou, si elle est impossible, la lutte permettent d’éviter la punition, dans le second, l’acte gratifiant sera renouvelé. Mais pour cela, il faut que l’objet ou l’être gratifiant restent à la disposition de l’individu. Si un autre individu a fait l’expérience de la gratification obtenue par l’usage du même objet ou du même être, il y aura compétition et apparition d’une hiérarchie : un dominant qui gagne et s’approprie et un dominé qui perd et se soumet. Il n’existe donc pas d’instinct de propriété inné, mais apprentissage par un système nerveux du plaisir éprouvé par le contact et l’usage des objets et des êtres qu’il tente dès lors de conserver pour lui. Comment, dans ce cas, inscrire la propriété comme un droit naturel de l’homme, alors qu’il ne s’agit que d’un apprentissage culturel? Certaines cultures ne l’ont jamais connu. De même, si l’on fait appel à une loi naturelle, en parlant de défense du territoire, faut-il du moins considérer que, si ce territoire était vide, il n’y aurait pas besoin de le défendre. Aussi est-ce bien parce qu’il contient des objets et des êtres gratifiants qu’on le défend contre l’envahisseur.

Donc, apprentissage des règles sociales, des récompenses (salaires, promotion sociale, décorations, pouvoirs) et des punitions si ces règles sont transgressées; les droits de l’homme ne sont plus alors que les droits de l’ensemble social à maintenir ses structures, quelles qu’en soient les règles d’établissement à l’est, à l’ouest ou au centre, à droite ou à gauche. L'État, c’est-à-dire la structure hiérarchique (théocratique, aristocratique, bourgeoise, bureaucratique, technocratique), est omniprésent. L’Etat s’infiltre partout dans son abstraction langagière. On parle ainsi du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, mais qu’est-ce qu’un peuple, une nation? Sont-ils représentés par autre chose que par un groupe humain, établi depuis des millénaires dans un espace géoclimatique particulier et dont le comportement a été façonné par ce cadre, qui l’a conduit à l’établissement d’une culture, c’est-à-dire d’un comportement et d’un langage ? Alors il existe une nation bretonne, basque, corse, occitane. Et comme il n’est plus pensable pour ces ethnies de vivre en autarcie, il faut bien qu’elles s’intègrent dans un système englobant. Mais alors pourquoi ne pas les laisser décider elles-mêmes de la modalité des relations économiques, culturelles ou politiques qu’elles veulent entretenir avec cette structure abstraite qu’on appelle l’Etat et qui, nous l’avons vu, n’est guère plus que l’expression institutionnalisée d’une hiérarchie de dominance ? Pourquoi apprendre aux petits Noirs du Sénégal, comme c’était le cas il n’y a pas encore si longtemps, que leurs ancêtres étaient les Gaulois, au moment où l’on interdisait l’emploi du gaélique aux Bretons ? Pourquoi, lorsque la dominance est passée des aristocrates aux bourgeois, a-t-il fallu cinq cent mille morts dans la chouannerie vendéenne pour mieux lui infliger la liberté, l’égalité et la... fraternité ? (C.A.83)

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              Misère - Richesse              

La misère peut ne pas être dégradante, la richesse l’est presque toujours. L’esclave peut conserver une certaine noblesse, alors que la réussite sociale dans une société mercantile n’exprime le plus souvent que l’aptitude à exploiter ses semblables en se conformant aux règles que cette société a établies pour sa propre sécurité. (N.G.74)

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              Niveaux d'organisation              

...nous avons indiqué que les organismes vivants étaient constitués par « niveaux d’organisation ». En effet, les atomes qui constituent les êtres vivants sont les mêmes que ceux qui constituent la matière inanimée mais ce sont les relations qui existent entre ces atomes qui en constituent leur première caractéristique. On sait d’ailleurs depuis longtemps qu’il existe une chimie minérale et une chimie organique, mais les molécules qui résultent de cette organisation particulière des atomes dans la matière vivante vont constituer des ensembles d’un niveau supérieur d’organisation. Les réactions enzymatiques comprennent trois molécules, un substrat, une enzyme et le produit de la réaction enzymatique. Ces réactions enzymatiques sont la façon dont la matière vivante a résolu les problèmes d’échange énergétique qui nécessiterait une énergie d’activation considérable si la molécule enzymatique intermédiaire n’était pas là.

Un bain-marie est un appareil qui, dans un laboratoire, s’inscrit dans une chaîne expérimentale, au sein de laquelle on a souvent besoin d’obtenir et de maintenir, pendant un certain temps, la température de l’eau, à des valeurs variées. Il faudra donc intervenir sur ce régulateur pour qu’il fonctionne à un autre niveau thermique et c’est l’opérateur qui, de l’extérieur du système, réglera ce régulateur, le transformant en ce que nous appellerons un servomécanisme. Il en est de même pour la réaction enzymatique dont nous avons parlé et la commande du servomécanisme viendra de l’extérieur, du fait qu’elle s’inscrit dans une chaîne métabolique. Elle est précédée, dans cette chaîne, par une autre réaction enzymatique dont le produit de la réaction sera son propre substrat. A l’origine de cette chaîne de réactions enzymatiques se trouvera l’aliment, porteur de l’énergie photonique solaire qui sera dégradé progressivement et abandonnera cette énergie en la fixant dans une molécule de composés phosphorés dits riches en énergie, telle l’ATP, qui la mettra en réserve. De cette façon, l’ensemble cellulaire dans lequel va s’inscrire la chaîne métabolique pourra utiliser cette énergie de réserve, pour maintenir sa structure, c’est-à-dire l’ensemble des relations existant entre les atomes, les molécules, les voies métaboliques et, dans certains cas, pour libérer également de l’énergie mécanique, de telle façon que le milieu où se trouve cette cellule soit contrôlé par elle et que le maintien de la structure cellulaire en soit facilité. Nous avons vu ainsi se profiler devant nous déjà un certain nombre de niveaux d’organisation : le niveau atomique, le niveau moléculaire, le niveau de la réaction enzymatique, celui des chaînes métaboliques, celui de la cellule. Ajoutons que ces chaînes métaboliques se trouvent généralement comprises dans ce qu’il est convenu d’appeler les organites intracellulaires, tels que les mitochondries, le noyau, les membranes, le réticulum endoplasmique, etc., qui constituent en quelque sorte les machines permettant à cette usine chimique qu’est la cellule de fonctionner. Mais on voit surtout que chaque niveau d’organisation ne pourrait rien faire par lui-même s’il ne recevait pas son énergie et ses informations, s’il n’était pas régulé par une commande qui lui vient du niveau d’organisation qui l’englobe. Il s’ensuit aussi que le fonctionnement et l’activité des cellules dépendront de l’activité fonctionnelle des organes et celle-ci de celle des systèmes auxquels ils appartiennent. Ces systèmes se trouveront réunis dans un organisme. Et cet organisme est lui-même situé dans un environnement, un espace. C’est l’activité de cet organisme dans cet espace qui va commander l’activité des systèmes et, en conséquence, celle de tous les autres niveaux d’organisation jusqu’au niveau moléculaire. Mais l’activité de cet organisme, de cet individu, qui se trouve inclus lui-même dans un groupe social, va être réglée par la finalité de ce groupe social. Ce groupe social fait lui-même partie de groupes sociaux plus grands qui l’englobent. Et l’on voit que de niveau d’organisation en niveau d’organisation, nous atteignons forcément le niveau d’organisation de l’espèce. Quand on parle d’agressivité, on ne peut donc pas envisager celle-ci sans comprendre comment chaque niveau d’organisation va rentrer fonctionnellement en rapport avec celui qui l’englobe.

Ces notions sont indispensables pour comprendre qu’il n’y a pas à rechercher d’analogie structurelle entre les niveaux d’organisation mais à mettre en évidence les relations existant entre chaque niveau. En ce sens, il ne peut y avoir de solution de continuité entre la molécule d’acide désoxyribonucléique et l’espèce humaine. Une notion rarement émise et qui me paraît pourtant importante, c’est que notre espèce constituant le dernier épanouissement de l’évolution des espèces dans la biosphère, de la complexification croissante de la matière organique, n’a pas compris qu’elle était cependant englobée dans cette biosphère, dépendant elle-même d’une commande extérieure au système, et qu’elle restait donc soumise, comme les autres espèces, à une pression de nécessité. Elle a inventé des règles, extérieures à elle-même, religions révélées, morales, idéologies, structures étatiques avec leurs lois, alors que ce faisant, elle restait enfermée dans son niveau d’organisation et demeurait dans l’ignorance totale de ce qui commandait au comportement des individus et des groupes, et à la sécrétion de ces différents règlements de manœuvre. Le malheur de l’homme, semble-t-il, vient de ce qu’il n’a pas trouvé le moyen de transformer la régulation individuelle en servomécanisme inclus dans l’espèce, il s’arrête toujours en chemin à des groupes, des sous-ensembles qui ne conceptualisent pas eux-mêmes leur appartenance à cette espèce ni ne découvrent les moyens d’être englobés par elle. Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que nous nous apercevions tardivement que l’espèce humaine n’a pas géré les biens à sa disposition, biens matériels et énergétiques, monde vivant de la flore et de la faune et monde humain lui-même, aboutissant à l’organisation des structures économiques et sociales. En effet, tous les niveaux d’organisation qui vont de la molécule au système nerveux humain et à son fonctionnement en situation sociale ont jusqu’ici été ignorés et remplacés par un discours, dont la raison d’être est que l’analyse logique à partir de faits dits objectifs aboutit forcément à la réalité; mais la logique du discours n’a rien à voir avec la logique de la chimie et de la neurophysiologie du système nerveux humain en situation sociale. (C.A.83)

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              Patrie - Patriotisme              

Cet amour réel et puissant de la patrie, tardivement conceptualisé dans l’histoire de l’Homme, mais qui a, jusqu’à une époque récente, animé le sacrifice de millions d’hommes, a également permis l’exploitation de leur sacrifice par les structures sociales de dominance qui en constituaient, non le corps mystique, mais le corps biologique. Les dominants ont toujours utilisé l’imaginaire des dominés à leur profit. Cela est d’autant plus facile que la faculté de création imaginaire que possède l’espèce humaine est la seule à lui permettre la fuite gratifiante d’une objectivité douloureuse. (E.F.76)

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              Propriété - Propriété privée - Territoire              

Ce que l'on appelle le territoire est bien le morceau d'espace dans lequel un individu peut agir pour se gratifier. Mais que dans cet espace se trouvent aussi les autres qui limiteront la diversité de ses actes gratifiants. Un des problèmes posés à l'homme moderne réside dans le fait que cet espace n'est plus pour lui un espace réel, mais le plus souvent une représentation, une image considérablement agrandie, alors que les autres sont toujours là, bien réels et de plus en plus empiétants sur la bulle étroite dans laquelle il peut agir. Il a gagné sans qu'on lui demande son avis, un bulletin de paie et une carte de sécurité sociale, mais il a perdu le chant des oiseaux. L'étendue de son territoire est fonction de sa situation hiérarchique. Celle du leader est beaucoup plus vaste que celle de l'ouvrier spécialisé. L'espace où ce dernier peut se gratifier est éminemment restreint.

A la notion de territoire ainsi comprise est liée celle de propriété. Dans le territoire d'un individu, dans le morceau d'espace au sein duquel il peut agir pour se gratifier, se trouvent des êtres et des choses. La gratification, nous le savons, aboutit à la répétition de l'acte gratifiant. Il faut donc que demeurent dans l'espace de gratification les objets et les êtres sur lesquels s'effectue l'acte gratifiant. D'où l'apparition dès l'enfance d'un lien étroit entre l'objet et le système nerveux, l'apparition de ce qu'il est convenu d'appeler l' « instinct de propriété ». Il ne s'agit évidemment pas d'un instinct dans le sens où nous avons défini ce mot, mais d'un comportement résultant d'un apprentissage, d'un apprentissage gratifiant. Il nous semble important de préciser cette notion car lorsqu'on l'a comprise, les rapports entre la notion de propriété des êtres et des choses et les systèmes hiérarchiques de dominance s'expliquent simplement, sans invoquer l' "innéité essentielle" des comportements qui en découlent. On ne désire se rendre propriétaire que des objets et des êtres susceptibles de nous permettre des actes gratifiants et surtout le « réenforcement », c'est-à-dire leur répétition. La propriété est comme les drogues, un toxique provoquant l'accoutumance et la dépendance grâce à un mécanisme biochimique cérébral fort proche de la toxicomanie, puisque dans l'un et l'autre cas le processus s'accompagne de la synthèse de protéines cérébrales qui commande à la stabilisation de tout apprentissage.

Ma femme, mon appartement, mes enfants, ma voiture, sont des objets gratifiants en général. Et c'est sans doute la compréhension empirique de ce phénomène linguistique qui, pour provoquer un comportement d'acceptation hiérarchique, a conduit à obliger le militaire à dire mon adjudant, mon capitaine, mon unité, tous objets qui ne sont pas gratifiants a priori, mais dont on attend qu'ils le deviennent dès lors qu'ils sont une propriété participant ainsi à la réalisation du plaisir. Bien, mon adjudant!

La notion de propriété résulte bien d'un apprentissage socioculturel, puisque l'on peut se gratifier avec des biens collectifs (la nature, le Parthénon, les Nympheas, la sonate de Lekeu, etc.) sans songer à se les « approprier ». Cependant, la propriété est bien liée à la gratification car, même dans ces cas, on tentera d'acquérir une résidence secondaire à la campagne qu'on entourera de murs, des reproductions en couleur des œuvres architecturales ou picturales que l'on préfère, ou le disque de l'ouvre musicale que l'on aime, afin de réaliser un « réenforcement » gratifiant. (N.G.74)

C'est grâce à une information de plus en plus abstraite, qu'avec la révolution industrielle l'homme a pu se rendre maître de l'énergie et traiter la matière de façon à fabriquer des quantités considérables d'objets, grâce à l'invention des machines. Ce ne fut d'abord que pour accroître le capital par la vente de ces objets, le capital restant jusqu'à nos jours le moyen le plus efficace de domination des hommes et des groupes humains entre eux.

Aussi longtemps que ces objets ont été réalisés essentiellement par le travail manuel de l'ouvrier, c'est par l'intermédiaire de la plus-value, comme Marx l'a montré, celle de la retenue par le possesseur du capital d'une partie du produit du travail humain non restitué à celui qui l'a fourni, que fut constituée l'accumulation du capital. A mesure que les machines prirent de l'importance dans la production des marchandises, inversement le travail manuel de l'ouvrier prit relativement moins d'importance au sein du processus de production. Le capitaliste utilisa la plus-value pour s'approprier aussi des moyens de production de masse, les machines, en investissant. Il augmentait ainsi son pouvoir puisque, sans machines, l'ouvrier devenait inefficace et que ces machines ne lui appartenant pas il devenait possible de l'obliger à accepter tous les désirs du patron. C'est en cela que la disparition de la propriété Privée des moyens de production est un élément indispensable bien qu'insuffisant à la disparition de la dominance.

Supprimer la propriété privée des moyens de production et d'échanges, qui enchaîne celui qui ne possède pas à la dominance de celui qui possède, est évidemment un facteur indispensable à la transformation des rapports socio-économiques. Mais le progrès sera inapparent si, chaque individu manquant d'informations non plus techniques, professionnelles, mais générales, concernant les lois biologiques d'organisation des sociétés, la plus-value est utilisée suivant les décisions de quelques-uns, bureaucrates et technocrates, qui expriment ainsi leur dominance et satisfont leur narcissisme. Le malaise social résulte moins sans doute de disparités économiques que de l'aliénation hiérarchique. Si en pays capitalistes les disparités économiques sont fonction le plus souvent des disparités hiérarchiques, en pays socialistes où les disparités économiques sont moins flagrantes, bien que persistant encore, les disparités hiérarchiques subsistent et il ne suffit pas de s'interpeller en s'appelant « camarade » pour que disparaissent dominants et dominés, classes dirigeantes et classes dirigées, toute-puissance du parti par rapport à la base. (E.F.76)

L’action se réalise dans un espace ou des espaces qui contiennent des objets et des êtres. Si l’espace était vide, il n’y aurait pas de raison d’agir. Nous savons maintenant que lorsque l’action se réalise, si le contact avec les objets et les êtres contenus dans l’espace où elle s’opère est gratifiant, aboutit à la satisfaction ou au contraire à la punition, la mémoire se souviendra des stratégies ayant abouti à l’une ou l’autre de ces conséquences. Elle tentera de reproduire l’acte gratifiant et d’éviter l’action nociceptive. Pour réaliser ce que nous avons appelé le réenforcement, c’est-à-dire la répétition de l’action gratifiante, il faut que l’objet ou l’être sur lequel cet acte s’est opéré reste à la disposition de l’individu, de l’acteur. C’est là que réside, pour nous, l’origine de ce que nous appelons l’instinct de propriété, qui résulte lui-même de l’apprentissage par un système nerveux de l’existence d’objets avec lesquels on peut se faire plaisir.

Pour le nouveau-né, le premier objet gratifiant est évidemment la mère. En général, le principe du plaisir découvert réside dans le fait que les besoins fondamentaux Sont assouvis par quelqu’un d’étranger puisque le petit de l’homme ne peut pas les assouvir à la naissance par son action personnelle sur l’environnement. Le plaisir, donc, va être mémorisé en même temps que des stimuli variés, qui généralement viendront de la mère: le contact de la mère, la voix de la mère, la vue de la mère, l’odeur de la mère. Ces différents stimuli sont généralement associés à l’assouvissement des besoins, c’est-à-dire au plaisir, mais, rappelons-le, à une époque où le nouveau-né est encore dans ce que nous avons appelé son moi-tout, à une époque où il n’a pas encore réalisé son schéma corporel, et qu’il ne sait pas encore qu’il est dans un environnement différent de lui. Lorsqu’il a réalisé cette distinction, cette différenciation entre lui et l’autre, il va s’apercevoir que l’objet de son plaisir, la mère, ne répond pas obligatoirement à ses désirs, si elle répond encore le plus souvent à ses besoins fondamentaux. C’est alors qu’il va découvrir le principe de réalité. Il va s’apercevoir que la mère a des rapports particuliers avec un moustachu qu’il ne sait pas être son père mais qui lui ravit son objet gratifiant, ou avec d’autres êtres qu’il ne sait pas être ses frères ou sœurs et pour lesquels la mère a des attentions particulières comme elle en a aussi à son égard. Il va découvrir ainsi l’instinct de propriété ou plutôt le prétendu instinct de propriété, l’amour malheureux, la jalousie, l’œdipe.

Ainsi, la notion de propriété et non pas l’instinct de propriété s’établit progressivement par l’apprentissage de l’existence d’objets gratifiants. Et l’espace contenant l’ensemble des objets gratifiants est ce qu’on peut appeler «territoire». On sait combien cette notion de territoire, dans l’éthologie moderne, a été fréquemment utilisée et combien la notion de défense du territoire a été étudiée. Qu’on nous permette simplement de faire remarquer que si le territoire était vide, il ne serait pas défendu. Il n’est défendu que parce qu’il contient des objets et des êtres gratifiants car si ces objets et ces êtres étaient dangereux pour la survie, le territoire serait fui et non pas défendu. Il n’existe donc pas, selon nous, d’instinct inné de défense du territoire pas plus qu’il n’existe d’instinct de propriété: tout cela n’est qu’apprentissage. Il n’y a qu’un système nerveux ou des systèmes nerveux agissant dans un espace qui est gratifiant parce qu’il est occupé par des objets et des êtres permettant la gratification.

De même, si l’on fait appel à une loi naturelle, en parlant de défense du territoire, faut-il du moins considérer que, si ce territoire était vide, il n’y aurait pas besoin de le défendre. Aussi est-ce bien parce qu’il contient des objets et des êtres gratifiants qu’on le défend contre l’envahisseur. Mais d’une part, si l’homme est vraiment le roi des animaux et la terre son royaume, est-il nécessaire qu’il agisse comme ses frères «inférieurs» ? Pourquoi appelle-t-il leur exemple à la rescousse quand il peut ainsi soutenir par un discours logique ses pulsions les plus primitives et, quand l’acte ne lui convient pas, pourquoi parle-t-il de se «ravaler au rang des bêtes» ? En réalité, il n’y a rien de plus trivial que la notion, et non pas l’instinct de propriété individuelle et familiale, de groupes, de classes, d’Etats, etc. Allons un peu plus loin dans l’analyse, et nous constaterons qu’un territoire, un espace écologique où vit une collectivité humaine, contient avant tout une structure sociale à laquelle les hommes ont donné naissance. Cette structure sociale a toujours été, depuis le début du néolithique, une structure sociale de dominance. Si bien que mourir pour la patrie, c’est d’abord mourir pour que cette structure sociale se perpétue, se reproduise, que les rapports de dominance se conservent. Il est curieux de constater que toutes nos lois ne servent en définitive qu’à défendre plus ou moins directement la propriété, comme si celle-ci était un droit de l’homme. (C.A.83)

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              Qui suis-je ?              

Lorsqu'on a passé trente ans de son existence à observer les faits biologiques et quand la biologie générale vous a guidé pas à pas vers celle du système nerveux et des comportements, un certain scepticisme vous envahit à l'égard de toute description personnelle exprimée dans un langage conscient. Tous les autoportraits, tous les mémoires ne sont que des impostures conscientes ou, plus tristement encore, inconscientes.

La seule certitude que cette exploration fait acquérir, c'est que toute pensée, tout jugement, toute pseudo-analyse logique n'expriment que nos désirs inconscients, la recherche d'une valorisation de nous-mêmes à nos yeux et à ceux de nos contemporains. Parmi les relations qui s'établissent à chaque instant présent entre notre système nerveux et le monde qui nous entoure, le monde des autres hommes surtout, nous en isolons préférentiellement certaines sur lesquelles se fixe notre attention ; elles deviennent pour nous signifiantes parce qu'elles répondent ou s'opposent à nos élans pulsionnels, canalisés par les apprentissages socioculturels auxquels nous sommes soumis depuis notre naissance. Il n'y a pas d'objectivité en dehors des faits reproductibles expérimentalement et que tout autre que nous peut reproduire en suivant le protocole que nous avons suivi. Il n'y a pas d'objectivité en dehors des lois générales capables d'organiser les structures. Il n'y a pas d'objectivité dans l'appréciation des faits qui s'enregistrent au sein de notre système nerveux. La seule objectivité acceptable réside dans les mécanismes invariants qui régissent le fonctionnement de ces systèmes nerveux, communs à l'espèce humaine. Le reste n'est que l'idée que nous nous faisons de nous-mêmes, celle que nous tentons d'imposer à notre entourage et qui est le plus souvent (...) celle que notre entourage a construit en nous.

Nous ne vivons que pour maintenir notre structure biologique, nous sommes programmés depuis l'œuf fécondé pour cette seule fin, et toute structure vivante n'a pas d'autre raison d'être que d'être. Mais pour être, elle n'a pas d'autres moyens à utiliser que le programme génétique de son espèce. Or, ce programme génétique, chez l'Homme aboutit à un système nerveux, instrument de ses rapports avec l'environnement inanimé et animé, instrument de ses rapports sociaux, de ses rapports avec les autres individus de la même espèce peuplant la niche où il va naître et se développer. Dès lors, il se trouvera soumis entièrement à l'organisation de cette dernière. Mais cette niche ne pénétrera et ne se fixera dans son système nerveux que suivant les caractéristiques structurales de celui-ci. Or, ce système nerveux répond d'abord aux nécessités urgentes qui permettent le maintien de la structure d'ensemble de l'organisme. Ce faisant, il répond à ce que nous appelons les pulsions, le principe de plaisir, la recherche de l'équilibre biologique (…). Il permet ensuite, du fait de ses possibilités de mémorisation, donc d'apprentissage, de connaître ce qui est favorable ou non à l'expression de ces pulsions, compte tenu du code imposé par la structure sociale qui le gratifie, suivant ses actes, par une promotion hiérarchique.

… notre seule lucidité envers nous-mêmes peut-elle consister en autre chose que de savoir que nous déformons inconsciemment les faits à notre avantage et à celui de l'image que nous tentons de donner aux autres de ce que nous voudrions être ?

De toute façon, au milieu des remaniements bouleversants qui s'amorcent au sein de notre société moderne, je suis persuadé que l'histoire d'un homme et sa finalité n'ont aucun intérêt. Il n'était peut-être pas inutile, quand il s'agit de quelqu'un qui essaie de se présenter aux autres sous le couvert d'un prétendu rigorisme scientifique, que ceux qui l'écoutent ou le lisent et risquent d'être influencés par lui, sachent que derrière tout scientifique ou soi-disant tel, se trouve un homme engagé dans la vie quotidienne. Sa vie sociale a sans doute influencé profondément la vision du monde qui s'est organisée en lui.

Il me semble que ce qui peut être intéressant dans l'histoire d'une vie, c'est ce qu'elle contient d'universel. Ce ne sont pas les détails particuliers qui l'ont jalonnée, ni la pâte unique de celui qui fut modelé par ces détails, ni la forme changeante qui en est résultée. Ce qui peut être universel, c'est la façon dont le contexte social détermine un individu au point qu'il n'en est qu'une expression particulière.

Si mon autoportrait pouvait présenter quelque intérêt, ce dont je doute, c'est de montrer comment un homme, pris au hasard, a été façonné par son milieu familial, puis par son entourage social, sa classe hiérarchique, culturelle, économique, et n'a pu s'échapper (du moins le croit-il !) de ce monde implacable que par l'accession fortuite à la connaissance, grâce à son métier, des mécanismes fondamentaux qui dans nos systèmes nerveux règlent nos comportements sociaux. L'anecdote n'est là qu'en fioriture, en illustration. Quant à la libido, elle s'exprime sur une scène où les acteurs sont aussi nombreux que les noms qui peuplent un annuaire des téléphones. Chacun de ces acteurs est guidé lui-même par le désir de satisfaire sa propre libido et dans ce réseau serré de libidos entremêlées, je ne suis pas sûr qu'il soit urgent de privilégier la mienne, chacune ayant eu sans doute son expression personnelle dans l'étroit domaine de l'espace-temps au sein duquel elle s'est située. Personne n'est capable d'ailleurs de refaire l'histoire du système nerveux d'un de ses contemporains, à commencer par ce contemporain lui-même. Tout au plus peut-on utiliser ce qu'il vous a dit pour écrire un roman interprétatif.

Ce que l'on peut admettre, semble-t-il, c'est que nous naissons avec un instrument, notre système nerveux, qui nous permet d'entrer en relation avec notre environnement humain, et que cet instrument est à l'origine fort semblable à celui du voisin. Ce qu'il paraît alors utile de connaître, ce sont les règies d'établissement des structures sociales au sein desquelles l'ensemble des systèmes nerveux des hommes d'uné époque, héritiers temporaires des automatismes culturels de ceux qui les ont précédés, emprisonnent l'enfant à sa naissance, ne laissant à sa disposition qu'une pleine armoire de jugements de valeur. Mais ces jugements de valeur étant eux-mêmes la sécrétion du cerveau des générations précédentes, la structure et le fonctionnement de ce cerveau sont les choses les plus universelles à connaître. Mais cela est une autre histoire !

Cette connaissance, même imparfaite, étant acquise, chaque homme saura qu'il n'exprime qu'une motivation simple, celle de rester normal. Normal, non par rapport au plus grand nombre, qui soumis inconsciemment à des jugements de valeur à finalité sociologique, est constitué d'individus parfaitement anormaux par rapport à eux-mêmes. Rester normal, c'est d'abord rester normal par rapport à soi-même. Pour cela, il faut conserver la possibilité " d'agir " conformément aux pulsions, transformées par les acquis socioculturels, remis constamment en cause par l'imaginaire et la créativité. (E.F.76)

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              Responsabilité              

Il est vrai que la notion de relativité des jugements conduit à l’angoisse. Il est plus simple d’avoir à sa disposition un règlement de manœuvre, un mode d’emploi, pour agir. Nos sociétés qui prônent si souvent, en paroles du moins, la responsabilité, s’efforcent de n’en laisser aucune à l’individu, de peur qu’il n’agisse de façon non conforme à la structure hiérarchique de dominance. (E.F.76)

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              Révolte - Révolution - Insurrection              

Une révolution peut changer, par la violence, des rapports sociaux ; mais si les individus entre lesquels ces nouveaux rapports s'établissent ne sont pas avertis de la façon dont fonctionnent les systèmes nerveux qui permettent de les établir, je pense, et l' " expérimentation " au cours des siècles l'a montré, que rien ne change. Les moyens qui permettent d'établir les dominances peuvent changer, mais les dominances persistent. (N.G.74)

Il y a bien aussi les révolutionnaires ou soi-disant tels, mais ils sont si peu habitués à faire fonctionner cette partie du cerveau que l’on dit propre à l’Homme, qu’ils se contentent généralement, soit de défendre des options inverses de celles imposées par les dominants, soit de tenter d’appliquer aujourd’hui ce que les créateurs du siècle dernier ont imaginé pour leur époque. Tout ce qui n’entre pas dans leurs schémas préfabriqués n’est pour eux qu’utopie, démobilisation des masses, idéalisme petit-bourgeois. Il faut cependant reconnaître que les idéologies à facettes qu’ils défendent furent toujours proposées par de petits-bourgeois, ayant le temps de penser et de faire appel à l’imaginaire. Mais aucune de ces idéologies ne remet en cause les systèmes hiérarchiques, la production, la promotion sociale, les dominances. (E.F.76)

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              Société              

Sur le plan sociologique, il paraît évident que la finalité de l'ensemble doit être aussi celle de chacun des éléments qui le constituent. Cette finalité sera celle du maintien de la structure. Si cette structure, cette information-structure de l'organisme social est une structure hiérarchique il est évidemment difficile de convaincre chaque élément au sein de cette échelle hiérarchique qu'il doit œuvrer au maintien de son aliénation. On y parvient en lui faisant espérer qu'il peut s'élever dans le système hiérarchique en lui prônant la promotion sociale, en lui proposant par sa soumission au système la possibilité d'aliéner un jour les aliénés auxquels il appartient aujourd'hui. Nous retrouvons ici l'intérêt de l'étalement du système hiérarchique, la notion de malaise qui en résulte, mais aussi la rareté des crises explosives. Nous retrouvons aussi le processus d'établissement des systèmes hiérarchiques contemporains sur le degré d'abstraction dans l'information strictement professionnelle, nécessaire à la production de marchandises par l'intermédiaire desquelles s'établissent les dominances. On y parvient encore en faisant croire à chaque élément du système que tout est joué dès le départ par la structure innée de l'organisme individuel résultant elle-même du hasard de la combinatoire génétique. Il y a les êtres doués et ceux qui ne le sont pas, ceux qui s'élèvent dans la hiérarchie par leur seul mérite, à qui les honneurs, les pouvoirs (quels pouvoirs en dehors de consommer ?), la richesse sont dus, parce qu'ils sont plus " intelligents " que les autres. Voilà le grand mot lâché, l'intelligence, cette notion creuse qui gouverne notre monde contemporain. La réussite (bien entendu dans le système hiérarchique en cours, car c'est la seule qui compte) est fonction de l'intelligence. (N.G.74)

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              Solitude              

J’ai compris ce que bien d’autres avaient découvert avant moi, que l’on naît, que l’on vit, et que l’on meurt seul au monde, enfermé dans sa structure biologique qui n’a qu’une seule raison d’être, celle de se conserver. Mais j’ai découvert aussi que, chose étrange, la mémoire et l’apprentissage faisaient pénétrer les autres dans cette structure, et qu’au niveau de l’organisation du moi, elle n’était plus qu’eux. (E.F.76)

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              Système nerveux              

Ce que nous intériorisons dans notre système nerveux depuis notre naissance, ce sont essentiellement les autres. (N.G.74)

Le système nerveux est l’instrument qui permet à un individu d’entrer en contact avec le milieu qui l’entoure, de répondre aux stimuli qui en proviennent et, surtout, de maintenir la structure de l’organisme dans lequel ce système nerveux est inclus.

Les relations qui s’établissent entre les individus ne sont pas aléatoires mais résultent de l’activité de leur système nerveux. Or, toutes les actions d’un organisme par l’intermédiaire de son système nerveux n’ont qu’un but, celui de maintenir la structure de cet organisme, son équilibre biologique, c’est-à-dire de réaliser son plaisir. (C.A.83)

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              Travail - Traivailleur              

Le travail humain, de plus en plus automatisé, s’apparente à celui de l’âne de la noria. Ce qui peut lui fournir ses caractéristiques humaines, à savoir de répondre au désir, à la construction imaginaire, à l’anticipation orignale du résultat, n’existe plus. On aurait pu espérer que, libérés de la famine et de la pénurie, les peuples industrialisés retrouveraient l’angoisse existentielle, non pas celle du lendemain, mais celle résultant de l’interrogation concernant la condition humaine. On aurait pu espérer que le temps libre, autorisé par l’automation, au lieu d’être utilisé à faire un peu plus de marchandises, ce qui aboutit qu’à mieux cristalliser les dominances, serait abandonné à l’individu pour s’évader de sa spécialisation technique et professionnelle. En réalité, il est utilisé pour un recyclage au sein de cette technicité en faisant miroiter à ses yeux, par l’intermédiaire de cet accroissement de connaissance techniques et de leur mise à jour, une facilitation de son ascension hiérarchique, une promotion sociale. Ou bien on lui promet une civilisation de loisirs. Pour qu’il ne puisse s’intéresser à l’établissement des structures sociales, ce qui pourrait le conduire à en discuter le mécanisme et la validité, donc à remettre en cause l’existence de ces structures, tous ceux qui en bénéficient aujourd’hui s’efforcent de mettre à la disposition du plus grand nombre des divertissements anodins, exprimant eux-mêmes l’idéologie dominante, marchandise conforme et qui rapporte. (E.F.76)

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              Tromperie              

La philosophie et l’ensemble des sciences humaines se sont établies sur la tromperie du langage. Tromperie, car il ne prenait jamais en compte ce qui mène le discours, l’inconscient. (E.F.76)

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              Utopie              

L’Homme n’est capable de réaliser que des modèles utopiques. Ces modèles sont irréalisables tels qu’il les a imaginés et il s’en aperçoit aussitôt qu’il tente de les réaliser. L’erreur de jugement et l’erreur opérationnelle consistent alors à s’entêter dans la réalisation de l’irréalisable, et de refuser l’introduction dans l’équation des éléments nouveaux que la théorie n’avait pas prévus et que l’échec a fait apparaître ou que l’évolution des sciences, et plus simplement encore des connaissances humaines, permet d’utiliser, entre le moment où le modèle a été imaginé et celui où la réalisation démontre son inadéquation au modèle. Ce n’est pas l’Utopie qui est dangereuse, car elle est indispensable à l’évolution. C’est le dogmatisme, que certains utilisent pour maintenir leur pouvoir, leurs prérogatives et leur dominance. (E.F.76)

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