Action gratifiante - Recherche du plaisir...
Le seul comportement « inné », contrairement à ce que lon a pu dire, nous semble être laction gratifiante
. Pour se réaliser en situation sociale, laction gratifiante sappuiera dès lors sur létablissement des hiérarchies de dominance, le dominant imposant son « projet » au dominé.
Les objets et les êtres qui permettent un apprentissage gratifiant devront rester à la disposition de lorganisme pour assurer le réenforcement. Cet organisme aura tendance à se les approprier et à sopposer dans lespace où ils se trouvent, dans son « territoire », à lappropriation des mêmes objets et êtres gratifiants par dautres.
Tout ce qui soppose à une action gratifiante, celle qui assouvit le besoin inné ou acquis, mettra en jeu une réaction endocrine-sympathique, préjudiciable, si elle dure, au fonctionnement des organes périphériques. Elle donne naissance au sentiment dangoisse et se trouve à lorigine des affections dites « psychosomatiques ».
En situation sociale la dominance sest établie sur le degré dabstraction atteint par un individu dans son information professionnelle. Cest elle qui aujourdhui est à la base des hiérarchies, non seulement professionnelles, mais de pouvoir économique et politique.
Le paternalisme, le narcissisme, la recherche de la dominance, savent prendre tous les visages. Dans le contact avec lautre on est toujours deux. Si lautre vous cherche, ce nest pas souvent pour vous trouver, mais pour se trouver lui-même, et ce que vous cherchez chez lautre, cest encore vous. Vous ne pouvez pas sortir du sillon que votre niche environnementale a gravé dans la cire vierge de votre mémoire depuis sa naissance au monde de linconscient. (E.F.76)
La recherche du plaisir ne devient le plus souvent quun sous-produit de la culture (désir mimétique - JPP), une observance récompensée du réglement de manoeuvre social, toute déviation devenant punissable et source de déplaisir. Ajoutons que les conflits entre les pulsions les plus banales, qui se heurtent aux interdits sociaux, ne pouvant effleurer la conscience sans y provoquer une inhibition comportementale difficilement supportable, ce quil est convenu dappeler le refoulement séquestre dans le domaine de linconscient ou du rêve limagerie gratifiante ou douloureuse. Mais la caresse sociale, flatteuse pour le toutou bien sage qui sest élevé dans les cadres, nest généralement pas suffisante, même avec lappui des tranquilisants, pour faire disparaître le conflit. Celui-ci continue sa sape en profondeur et se venge en enfonçant dans la chair soumise le fer brûlant des maladies psychosomatiques.
...si nous voulons éviter le refoulement, avec son cortège «psychosomatique», cest-à-dire dinhibition dactes gratifiants, nous sommes limités à quelques actions que nous pouvons rapidement énumérer. La première cest le suicide. Cest un acte dagressivité mais qui est toléré par la socioculture parce que dabord ses armes arrivent généralement trop tard pour linterdire lorsquil est réussi et que, dautre part, il nest dirigé que vers une seule personne. La cohésion du groupe social sen trouve rarement compromise. Le suicide est un langage en même temps quune action (le langage étant de toute façon une action) mais, quand on ne peut se faire entendre, il constitue une action assez définitive pour que parfois ce langage soit entendu. Il facilite ou renforce parfois même la cohésion du groupe dont il crie la détresse. Il y a aussi lagressivité défensive, qui est rarement efficace, mais qui en restituant à laction sa participation au bien-être permet, dans son inefficacité même, de trouver une solution à des problèmes insolubles. Il y a également un langage qui est celui du névrosé. Pierre Jeannet a dit que cétait le «langage du corps». Lindividu qui est pris dans un système manichéen, qui se trouve placé devant un problème dont les éléments lui sont la plupart du temps inconscients et quil ne peut résoudre dans laction, va, par un certain comportement, exprimer ce quil ne peut pas dire.
Si dans lespace contenant des objets et des êtres gratifiants, dans le territoire, se trouvent également dautres individus cherchant à se gratifier avec les mêmes objets et les mêmes êtres, il en résultera létablissement, par la lutte, des s ; en haut de la hiérarchie, le dominant qui peut se gratifier sera moins agressif, sera tolérant et lexpérimentation montre quil est en équilibre biologique, que sa cortisolémie est normale, et que lensemble de son système endocrinien fonctionne harmonieusement, du moins aussi longtemps que sa dominance ne sera pas contestée et lorsque sera passée la période détablissement de la dominance. Le dominé, au contraire, mettant en jeu le système inhibiteur de laction pour éviter les punitions infligées par les dominants, fait lexpérience de langoisse. (C.A.83)
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Agression - Agressivité
Il y a déjà bien des années nous avons proposé de définir lagression comme la quantité dénergie cinétique capable daccélérer la tendance à lentropie dun système, daccélérer son nivellement thermodynamique, autrement dit, den détruire plus ou moins complètement la structure.
Lhomme ne peut appréhender que des ensembles et chaque ensemble est constitué déléments. Ces éléments ne sont pas placés au hasard à lintérieur dun ensemble. Ils présentent entre eux des relations qui aboutissent à une «forme» et ces relations, cette «mise en forme» constituent un nouvel ensemble: lensemble des relations. Cest cet ensemble de relations unissant les éléments dun ensemble que nous appelons «structure». Lagression va donc perturber les relations existantes entre les éléments dun ensemble, augmenter à lintérieur de cet ensemble le désordre.
On peut dire que lagressivité est alors la caractéristique dun agent quel quil soit, capable dagir, de faire quelque chose, et ce quelque chose sera dappliquer une quantité dénergie cinétique sur un ensemble organisé de telle façon quil en augmentera lentropie et, en conséquence, le désordre, en diminuant son information, sa mise en forme. Dans ce cas, la violence nexprimera pas la quantité dénergie libérée par cet agent, mais pourra être conçue comme exprimant, quelle que soit cette quantité dénergie, la caractéristique dun agent assurant son application à un ensemble organisé en y provoquant un certain désordre.
Agressivité compétitive :
Celle-ci est pratiquement la seule qui persiste chez lhomme. Elle résulte de lapprentissage de la «gratification» à la suite du contact avec un être ou un objet «gratifiant», cest-à-dire permettant le maintien ou la restauration de la «constance des conditions de vie dans notre milieu intérieur» (Claude Bernard), de notre «homéostasie» (Cannon), autrement dit de notre «plaisir» (Freud). Pour renouveler la gratification (réenforcement des auteurs anglo-saxons), il faut que lobjet reconnu, et mémorisé comme gratifiant, reste à notre disposition. Si la même expérience des mêmes objets ou êtres a été faite par un autre qui veut aussi les conserver à sa disposition, il en résulte la notion de propriété (qui nest pas un instinct puisquil faut un apprentissage) et lapparition dune compétition pour conserver lusage et la jouissance de lobjet gratifiant. Le processus est à lorigine de lagressivité compétitive et de la recherche de la dominance.
Le perdant dans la bagarre, le soumis, mettra en jeu un certain nombre de voies et daires cérébrales aboutissant à linhibition de laction. Celle-ci est un processus adaptatif puisquil évite la destruction par le vainqueur. Le petit rongeur en simmobilisant nattirera plus lattention du rapace et rejoindra labri de son terrier quand celui-ci se sera éloigné. Mais si linhibition persiste, le remue-ménage biologique quelle entraîne, résultant en particulier de la libération de corticoïdes surrénaliens (cortisol) et de médiateurs chimiques sympathiques contractant les vaisseaux (noradrénaline), va dominer toute la pathologie: blocage du système immunitaire qui ouvrira la porte aux infections et aux évolutions tumorales, destructions protéiques à lorigine des insomnies, amaigrissement, rétention deau et de sels, doù hypertension artérielle et accidents cardio-vasculaires, comportements anormaux, névroses, dépressions, etc.
Enfin, lhistoire existentielle de chaque individu est unique. Cest avec lexpérience inconsciente qui saccumule dans son système nerveux depuis la naissance quil va négocier son environnement, se «comporter» par rapport à lui. Suivant que cette expérience a été gratifiante ou non, quelle aura permis ou interdit laction, le retentissement affectif de tout sujet aux événements qui peuplent son existence sera variable, différent à linfini, du plus grossier au plus élaboré.
En résumé, lagressivité telle que nous la comprenons aujourdhui, dans lespèce humaine, ne nous parait pas faire partie de notre «essence». Comme laffectivité dont elle ne représente quune expression particulière, elle résulte dun apprentissage. Le nouveau-né ne nous semble pas pouvoir être agressif pas plus que sentimental. En dehors dune réponse stéréotypée à des stimuli douloureux qui pourront secondairement, par mémorisation, constituer les éléments sur lesquels prendra naissance une affectivité capable elle-même de sexprimer agressivement, il ne sait pas quil «est» dans un milieu différent de lui. Comment pourrait-il éprouver un ressentiment agressif à légard de ce dernier ?
Agressivité prédatrice :
Cest par lintermédiaire de lagressivité prédatrice que la grande coulée dénergie photonique solaire passe à travers la biosphère et coule au sein des individus et des espèces. Cest elle qui établit lharmonie des systèmes écologiques dans toutes les régions de la planète et cest parce que lhomme ne sy est pas intégralement soumis quil est en train de détruire cette biosphère.
Au lieu de limiter sa prédation à sa faim, il la utilisée pour faire des marchandises, pour établir sa dominance sur ses semblables, à travers la production de ces marchandises et leur vente. Mais dans nos sociétés contemporaines évoluées, lagressivité prédatrice motivée par la faim est exceptionnelle. Même parmi les millions dindividus qui, chaque année encore, meurent de faim, ce type dagressivité nest pas rentable car il nest plus efficace en face des armes de ceux qui nont pas faim. On ne peut le confondre avec un comportement de vol ou de délinquance dont nous avons dit quil avait pour base le plus souvent un apprentissage dobjets gratifiants, cest-à-dire un besoin acquis dorigine socioculturelle. Enfin, faut-il le souligner, lagressivité prédatrice sexerce toujours sur un individu dune autre espèce que lespèce observée et jamais sur un animal de la même espèce. Si la faim peut encore exceptionnellement motiver les comportements humains dagressivité, son but nest pas de manger lautre mais de lui prendre son bien, avec des deux côtés, toujours, un discours logique permettant dinterpréter et de fournir un alibi au comportement agressif offensant comme au comportement agressif défensif. Et lon devine que lon entre dans une catégorie de comportements agressifs, (...) cest celle de lagressivité compétitive. (C.A.83)
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Amour - Haine
Avec ce mot on explique tout, on pardonne tout
Cest le mot de passe qui permet douvrir les curs, les sexes, les sacristies et les communautés humaines. Il couvre dun voile prétendument désintéressé, voire transcendant, la recherche de la dominance et le prétendu instinct de propriété. Cest un mot qui ment à longueur de journée et ce mensonge est accepté, la larme à lil, sans discussion, par tous les hommes.
Il fournit une tunique honorable à lassassin, à la mère de famille, au prêtre, aux militaires, aux bourreaux, aux inquisiteurs, aux hommes politiques. Celui qui oserait le mettre à nu, le dépouiller jusquà son slip des préjugés qui le recouvrent, nest pas considéré comme lucide, mais comme cynique.
Il donne bonne conscience, sans gros efforts, ni gros risques, à tout linconscient biologique. Il déculpabilise, car pour que les groupes sociaux survivent, cest-à-dire maintiennent leurs structures hiérarchiques, les règles de dominances, il faut que les motivations profondes de tous les actes humains soient ignorés. Leur connaissance, leur mise à nu, conduirait à la révolte des dominés, à la contestation des structures hiérarchiques.
Le mot damour se trouve là pour motiver la soumission, pour transfigurer le principe de plaisir, lassouvissement de la dominance.
Le mot damour demeure ce terme mensonger qui absout toutes les exploitations de lhomme par lhomme, puisquil se veut dune autre essence que celle des motivations les plus primitives, contre lesquelles dailleurs il ne peut rien, pas plus que le mot « bouclier » ne peut protéger des balles.
Aimer lautre, cela devrait vouloir dire que lon admet quil puisse penser, sentir, agir de façon non conforme à nos désirs, à notre propre gratification, accepter quil vive conformément à son système de gratification personnel et non conformément au nôtre. Mais lapprentissage culturel au cours des millénaires a tellement lié le sentiment amoureux à celui de possession, dappropriation, de dépendance par rapport à limage que nous nous faisons de lautre, que celui qui se comporterait ainsi par rapport à lautre serait en effet qualifié dindifférent.
Jai compris que ce lon appelle « amour » naissait du réenforcement de laction gratifiante autorisée par un autre être situé dans notre espace opérationnel et que le mal damour résultait du fait que cet être pouvait refuser dêtre notre objet gratifiant ou devenir celui dun autre, se soustrayant ainsi plus ou moins complètement à notre action. Que ce refus ou ce partage blessait limage idéale que lon se faisait de soi, blessait notre narcissisme et initiait soit la dépression, soit lagressivité, soit le dénigrement de lêtre aimé.
Décrire lamour comme la dépendance du système nerveux à légard de laction gratifiante réalisée grâce à la présence dun autre être dans notre espace, est sans doute objectivement vrai. Inversement, la haine ne prend t-elle pas naissance quand lautre cesse de nous gratifier, ou que lon sempare de lobjet de nos désirs, ou que lon sinsinue dans notre espace gratifiant et que dautres se gratifient avec lêtre ou lobjet de notre gratification antérieure ?
Le seul amour qui soit vraiment humain, cest un amour imaginaire, cest celui après lequel on court sa vie durant, qui trouve généralement son origine dans lêtre aimé, mais qui nen aura bientôt plus ni la taille, ni la forme palpable, ni la voix, pour devenir une véritable création, une image sans réalité.
Il est plus facile de dire que lon aime lespèce humaine, lhomme avec un grand H, que daimer, et non pas simplement lair daimer, son voisin de palier. Mais il est plus facile aussi daimer sa femme et ses enfants quand ils font partie des objets gratifiants de votre territoire spatial et culturel, que daimer le concept abstrait de lHumanité dans son ensemble. (E.F.76)
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Art - Culture
On a depuis longtemps divisé les activités humaines en activités artistiques et techniques. Aujourd'hui, on parle du travail professionnel et de la culture. La culture, c'est en principe ce qui ne se vend pas, un besoin inné qu'éprouverait l'Homme et qui le ferait accéder à sa véritable " essence ", celle de l'art et de l'esprit C'est cette idée de l'Homme, aspect dichotomique, moitié producteur, moitié culturel, que l'on répand et que l'on tente d'imposer dans toutes les formes d'idéologies politiques. Pourquoi cette idée d'un homme double présente-t-elle tant d'attraits pour ces idéologies, de droite ou de gauche ?
La première raison est que, quel que soit le type d'idéologie, toutes admettent que l'homme représente d'abord un moyen de production puisque toutes établissent leurs échelles hiérarchiques sur le degré d'abstraction atteint dans l'information professionnelle.
La culture exige des créateurs et des consommateurs. Tentons de voir les mécanismes qui contrôlent ces deux volants du diptyque.
Le créateur doit être motivé à créer. Pour cela, il doit généralement ne pas trouver de gratification suffisante dans la société à laquelle il appartient. Il doit avoir des difficultés à s'inscrire dans une échelle hiérarchique fondée sur la production de marchandises. Celle-ci exigeant, pour assurer sa promotion sociale, une certaine faculté d'adaptation à l'abstraction physique et mathématique, beaucoup, rebutés d'autre part par la forme "insignifiante" prise par le travail manuel à notre époque, s'orientent vers les sciences dites humaines ou vers les activités artistiques, "culturelles". Mais celles-ci sont moins "payantes" pour une société dite de production, et les débouchés moins nombreux. Par contre, l'appréciation de la valeur de l'uvre étant pratiquement impossible, tant l'échelle en est mobile, affective, non logique, l'artiste conserve un territoire vaste pour agir et surtout une possibilité de consolation narcissique. S'il n'est pas apprécié, aucun critère objectif solide ne permettant d'affirmer que les autres ont raison, il peut toujours se considérer comme incompris. Envisagée sous cet aspect, la création est bien une fuite de la vie quotidienne, une fuite des réalités sociales, des échelles hiérarchiques, une fuite dans l'imaginaire. Mais, avant d'atteindre le ciel nimbé d'étoiles de l'imaginaire, la motivation pulsionnelle, la recherche du plaisir qui n'a pu s'inscrire dans une dominance hiérarchique, doit encore traverser la couche nuageuse de la socioculture en place. L'artiste, dès l'uf fécondé, est forcément lié à elle dans le temps et l'espace social. Il la fuit mais il en reste plus ou moins imprégné. Aussi génial soit-il, l'artiste appartient à une époque, réalisant la synthèse de ceux qui l'ont précédé et la réaction aux habitudes culturelles que ceux-ci ont imposées. C'est dans cette réaction d'ailleurs qu'il peut trouver son originalité. Mais c'est aussi en elle que réside l'ambiguïté de l'art pour ses contemporains. Le besoin d'être admiré, aimé, apprécié, qui envahit chacun de nous, pousse l'artiste au non-conformisme. Il refuse le déjà vu, le déjà entendu. La création est à ce prix et l'admiration qu'elle suscite également. Mais l'uvre originale s'éloigne alors des critères de références généralement utilisés pour la juger et l'art se devant de ne pas être objectif, de prendre ses distances d'avec la sensation, d'avec le monde du réel, il devient fort difficile d'émettre à son égard un jugement immédiat. L'art est un plat qui se mange froid, comme la vengeance. Seule l'évolution imprévisible du goût pourra par la suite affirmer le génie.
Évidemment, l'artiste ou soi-disant tel peut encore bénéficier de l'approbation des snobs pour qui tout ce qui n'est pas conforme entre dans le domaine de l'art. Le comportement du snob est assez limpide d'ailleurs. Stérile, il ne peut affirmer sa singularité qu'en paraissant participer à ce qui est singulier. Il se revêt de la singularité des autres et fait semblant de la comprendre et de l'apprécier. Il fait ainsi partie d'une élite avertie, au milieu de la cohue vulgaire et homogénéisante. Si enfin, de l'accouplement du non-conformiste et du snob, un système marchand peut naître, la réussite sociale, heureusement temporaire, l'inscription de l'artiste ou prétendu tel dans l'échelle consommatrice et hiérarchique peuvent se rencontrer. Tout cela est d'autant plus facile d'ailleurs que l'expérience historique montre que le novateur est presque toujours incompris par la majorité de ses contemporains. De là à penser que tout artiste incompris est un génie créateur il n'y a qu'un pas.
Il est facilement franchi, dans la société dite libérale où tout ce qui peut se vendre en faisant appel aux moyens variés d'intoxication publicitaire trouve sa raison d'être. Mais l'artiste peut être suffisamment paranoïaque pour ne pas rechercher, ni même apprécier, cette réussite sociale, ce pansement narcissique. Cela ne veut pas dire qu'il soit pour autant un génie créateur. Aucun système de référence n'est là pour nous le dire. Cependant, c'est dans ce groupe des psychotiques-ou à ses frontières qu'on a le plus de chance de le trouver. En effet, sa motivation n'est plus de s'inscrire dans un système pour en profiter, soit matériellement, soit de façon narcissique. Il trouve sa gratification dans l'imaginaire et ]'uvre qui en résulte. On peut admettre que celle-ci est moins suspecte.
Cette analyse motivationnelle et comportementale de l'artiste que nous venons de faire est d'ailleurs approximative et l'on ne peut nier qu'à travers l'histoire certains génies créateurs ont trouvé une place dans la société de leur temps, et que le consensus historique, par la suite, confirma l'opinion favorable de leurs contemporains. C'est en effet qu'il existe deux niveaux d'abstraction dans le comportement de l'artiste. Le premier pourrait être interprété comme une fuite du réel non gratifiant vers un imaginaire qui apaise. Le second, qui prend naissance à partir de l'oeuvre créée, est un retour par son intermédiaire dans la réalité sociale, retour qui, pour les raisons que nous avons indiquées, peut être diversement apprécié, car il dépend du consommateur. Or, le consommateur n'est jamais seul. Si nous éliminons le snob, dont nous avons déjà parlé, il représente l'expression d'un certain type de société, à une certaine époque. Et nous retrouvons là la culture et son rôle social.
Pour bien des raisons, les sociétés de l'ennui ont besoin de l'art et de la culture, qu'elles séparent de façon péremptoire du travail et de la production. D'abord, l'homme que l'on dit cultivé est celui qui a le temps de le devenir, celui que sa vie professionnelle laisse suffisamment disponible, ou dont la vie professionnelle est elle-même inscrite dans la culture. Dans une société marchande, être cultivé, c'est déjà appartenir à la partie favorisée de la société qui peut se permettre de le devenir. Accorder à ceux qui n'ont pas cette chance une participation à la culture, c'est en quelque sorte leur permettre une ascension sociale. C'est un moyen de les gratifier narcissiquement, d'améliorer leur standing, d'enrichir l'image qu'ils peuvent donner d'eux-mêmes aux autres. Il est probable que ce processus découle directement du regret du bourgeois de ne pas appartenir à une aristocratie inutile, non productrice et cultivée. Qu'on se souvienne du Bourgeois Gentilhomme et de ses efforts pour acquérir les plumages culturels liés aux attributs de la classe à laquelle il tente d'accéder. Le Bourgeois Gentilhomme appartient à une race prolifique et qui s'est largement multipliée. Mais, dans la contestation de classe qui ne cesse de s'étendre, l'intérêt de la bourgeoisie étant de conserver avant tout ses prérogatives hiérarchiques de dominance et celles-ci n'étant plus exclusivement établies sur la naissance et le comportement, mais sur la propriété des marchandises, elle accepte bien volontiers de diffuser une culture, surtout si elle se vend. Elle compte par-là apaiser la rancur due aux différences, tout en conservant les différences qui lui paraissent essentielles, le pouvoir, la dominance hiérarchiques. D'où l'effort qu'elle fait et auquel se laissent prendre les masses laborieuses, pour valoriser la culture, sa culture, tout en la séparant obstinément de l'activité professionnelle productrice, où son système hiérarchique demeure intransigeant. Il est bon de noter que si la société industrielle a institué depuis longtemps examens et concours pour établir ses échelles hiérarchiques sur les connaissances professionnelles, elle n'a jamais fait de même pour la culture, car celle-ci n'est pour elle qu'un amuse-gueule, incapable d'assurer un pouvoir social. Elle n'a donc pas besoin de hiérarchie, ni du contrôle des connaissances "culturelles". Elle espère ainsi calmer le malaise, panser les plaies narcissiques de ceux qui n'ont pas le pouvoir, d'autant qu'en maintenant une différence de nature, une différence fondamentale entre activité productrice et activité culturelle, on peut même au sein de cette dernière exprimer une contestation du système hiérarchique de dominance établie dans la première. (E.F.76)
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Besoins fondamentaux
Comme dans toutes les espèces, la partie la plus primitive du système nerveux va permettre à lindividu de répondre aux exigences de la collectivité cellulaire qui constitue son organisme. Il lui répondra de façon programmée par la structure même de ses régions primitives, en dautres termes, de façon instinctive. Trois exigences fonctionnelles devront être assouvies, boire, manger, copuler. Ce sont les seuls instincts, tout le reste nétant quapprentissage, à commencer par la façon dont il sera autorisé à les exprimer, apprentissage qui en conséquence dépend de la culture dans laquelle il se situe, ou, si lon veut, qui est fonction de ce que nous avons nommé préjugés, lieux communs, jugements de valeur, dun lieu et dune époque. Boire, manger et copuler, toutes activités exigées par la survie de lindividu dans les deux premiers cas, de lespèce dans le troisième, paraissent donc être non des droits, et pas seulement pour lhomme mais pour tout être vivant, mais une nécessité, si les individus, et avec eux lespèce quils représentent, doivent se perpétuer. Lâne de la noria, il faudra bien lui fournir lavoine nécessaire au maintien de sa structure dâne et à la compensation de leffort thermodynamique dépensé pour monter leau du puits, si lon veut continuer à bénéficier de sa force de travail. Mais cet âne na aucun droit, il rend service à son propriétaire. Lhomme décide, notons-le au passage, de la possibilité de réaliser ces fonctions pour les autres espèces animales que la sienne et les meilleurs amis des bêtes, qui ne sont point agressifs, nhésitent pas à faire châtrer leur «cher compagnon» pour quil ne souffre pas des affres dune libido insatisfaite; ce faisant, ils se jugent charitables. Quand jécris que lhomme décide, je me comprends, car sa liberté ne fait quobéir aux principes exigeants de son propre bien-être, il ne fait dailleurs pas autre chose à légard des enfants du Biafra, du Bangladesh, de lAngola ou dailleurs, enfants décharnés, mourant de faim et couverts de mouches, qui nont quà se débrouiller comme ces « chers compagnons » pour trouver un bon patron qui les nourrisse, les tienne en laisse et organise chez eux la contraception, car ils ne lui sont pour linstant daucune utilité.
«Nécessité» donc dassouvir ses besoins fondamentaux et non pas «droits». Or, cette nécessité nest satisfaite que si, en échange, lindividu fournit au groupe social, et pour le maintien de ses échelles hiérarchiques de dominance, un certain travail participant à la production de marchandises. Doù lapparition de la notion de droit au travail. Linutile dans le cadre des lois du marché peut crever de faim et disparaître. On aurait pu aussi bien décréter quil existait un droit à la paresse, mais la propriété privée ou d'État, qui charpente les hiérarchies de dominance, ny aurait plus trouvé son compte. On ne peut donc parler dans ce cas de droits de lhomme, mais du droit des dominant à conserver leur dominance. [...] Après avoir appris, depuis le début du néolithique, aux individus peuplant les zones tempérées du globe que leur devoir était de travailler à la sueur de leur front, cet automatisme culturel est si bien ancré dans leur système nerveux que ces individus exigent aujourdhui le droit au travail, le droit de faire suer leur front pour la croissance du monde productiviste et le maintien des hiérarchies. Au chômage, ils souffrent de ne pouvoir réaliser limage idéale que ce monde, qui en avait besoin, leur a donnée deux-mêmes. (C.A.83)
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Bien-être
La recherche du bien-être peut-elle représenter une cause ? Mais d'abord, qu'est-ce que le « bien-être » ? Notons qu'il s'agit d'un état relatif. Sa base est vraisemblablement physiologique et biologique. Cabanac a montré qu'un stimulus n'est pas plaisant ou déplaisant en lui-même, mais ressenti en fonction de son utilité en relation avec des signaux internes. Par exemple, quand on demande à un sujet placé dans un bain, de caractériser sur une échelle à cinq niveaux (très plaisant, plaisant, neutre, déplaisant, très déplaisant), la sensation qu'il éprouve s'il plonge la main dans un seau d'eau extérieur au bain, on constate qu'il trouve l'eau froide du seau très déplaisante s'il est placé dans un bain froid et très plaisante s'il est placé dans un bain très chaud. Tout se passe, au cours de nombreuses expériences de ce type, comme si la satiété modifiait la sensation de bien-être ou de plaisir jusqu'à l'inverser. C'est ce que Cabanac propose d'appeler l' « alliesthésie ». C'est un problème identique qui est posé par l'insatisfaction qui résulte de tout assouvissement d'un besoin acquis, socioculturel, par l'appétit jamais comblé de consommation.
Nous devons ajouter que le plaisir ou la souffrance dépendent aussi de l'entraînement, c'est-à-dire des possibilités accrues acquises par un organisme d'osciller autour de valeurs moyennes. L'entraînement permet de mieux supporter les écarts thermiques, les efforts musculaires rapides ou soutenus par exemple, et recule l'apparition du déplaisir ou de la souffrance.
Il y a donc probablement une régulation en « tendance » provoquée par l'action de l'homme sur son milieu, aboutissant à en homéostasier de mieux en mieux les caractéristiques physico-chimiques mais aboutissant à la perte progressive de l'entraînement aux variations de ces caractéristiques, rétrécissant d'autant la marge des écarts supportables entre lesquels le « bien-être » est conservé. Il en est ainsi pour l'air conditionné, l'ascenseur, les différents moyens de locomotion remplaçant la marche, etc.
Il faut ajouter à cela le plaisir qui résulte des communications et des échanges d'informations plus rapides, des moyens d'hygiène améliorés. Nous retrouvons là une notion émise au début de ce travail, à savoir que l'invention de la machine, s'interposant entre la main et l'objet désiré pour en faciliter la production, diminue d'autant l'énergie humaine nécessaire à cette production et en conséquence recule la limite où cette dépense énergétique devient désagréable. Mais si elle augmente l'efficacité des actions humaines sur la matière, elle rend aussi l'homme plus dépendant de la machine dans la proportion où son inadaptation au milieu non transformé accroît son désentraînement.
Mais au fond, la question n'est pas là. Si le « bien-être » résulte de la satisfaction des besoins fondamentaux, nous avons déjà signalé que l'industrie moderne n'est pas indispensable à la réalisation de cet assouvissement. Les besoins hypothalamiques n'exigent pas l'industrie moderne ni la croissance pour être satisfaits. Nos grands-parents, même dans la meilleure société bourgeoise, auraient été dans ce cas bien malheureux. Cette constatation implique que le bien-être est surtout fonction de l'apprentissage que l'on peut en faire. Le bien-être devient alors une notion socioculturelle. Si l'on avait demandé à un homme du paléolithique ce dont il avait le plus « besoin » il aurait sans doute répondu : « Un ours à chaque repas et un peu de feu pour le faire cuire. » Il n'aurait pas demandé une. R 16. En réalité, la notion de bien-être est intimement liée à la notion de besoins. Mais celle-ci, lorsque les besoins fondamentaux sont assurés, est forcément liée à la connaissance de ce que l'on peut désirer. Toute la publicité est fondée sur cette nécessité de faire connaître pour susciter le besoin. On ne peut désirer ce que l'on ignore. Par contre, on peut désirer ce qu'un autre possède et que l'on ne possède pas. Surtout si la possession de l'objet permet de se situer dans un ordre hiérarchique et participe à l'établissement de la dominance. De sa possession résultent alors deux effets, l'assouvissement d'un besoin non fondamental, d'un désir appris, la réalisation d'un bien-être créé par la société et la facilitation de l'obtention de ce bien-être par la facilitation de la dominance...
(N.G.74)
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Conscient - Inconscient
Sous la couverture consciente des discours logiques nous ne communiquons que laccumulation historique des processus inconscients qui ont procédé aux choix de nos modèles abstraits.
Toute pensée, tout jugement, toute pseudo-analyse logique nexpriment que nos désirs inconscients, la recherche dune valorisation de nous-mêmes à nos yeux et à ceux de nos contemporains.
Malheureusement, le langage fournit seulement une interprétation logique des faits de conscience. Les pulsions, lapprentissage culturel, demeurent dans le domaine de linconscient. Ce sont eux qui guident les discours, et celui-ci couvre dalibis logiques linfinie complexité des fonctions primitives et des acquis automatisés.
(L'inconscient) nest refoulé que parce que trop douloureux à supporter sil devait être maintenu sur le plan de la conscience. Mais en réalité, linconscient est tout ce qui forme une personnalité humaine. Ce sont tous les automatismes qui peuplent nos voies neuronales depuis notre naissance et peut-être avant, et qui nous viennent de nos apprentissages culturels. Lenfant qui vient de naître ne sait ni marcher ni parler et nous avons vu quil faudra quil apprenne à marcher, à parler; avec le langage, nous avons vu aussi quil va parcourir en quelques mois, ou quelques années, lapprentissage des générations qui lont précédé, depuis que quelque chose qui ressemble à lhomme est apparu sur la planète. Mais ce quil apprendra, ce qui sera transmis à travers les générations sera très spécifique dune époque et dune région. On comprend également que ce quil apprendra peut, dans certains cas, lui être utile en tant quindividu mais sera dabord utile au maintien de la cohésion du groupe humain auquel il appartient. Dautre part, la finalité de lindividu qui réside dans le maintien de sa structure, la recherche de son plaisir en dautres termes, nest pas celle du groupe social dans lequel il est plongé, qui a sa propre finalité, celle de maintenir aussi sa structure et on conçoit que des antagonismes, des conflits vont apparaître au sein du système nerveux individuel, venant de ses pulsions ne pouvant se résoudre par une action, du fait de lexistence dinterdits sociaux. Or, tous ces automatismes se passent dans linconscient et dans lignorance pour lindividu des mécanismes qui les gouvernent. Ces automatismes sont pourtant indispensables à rendre efficace laction, et nous ne pourrions pas vivre sans lacquisition progressive de ces automatismes. Mais faut-il encore savoir que ce sont des automatismes.
Si nous nétions quautomatismes, nous serions donc obligatoirement inconscients. Cest le sort de lindividu dans la majorité des espèces animales, encore que le terme de conscience soit bien difficile à définir et quil existe sans doute des états de conscience pour toutes les formes vivantes, mais que là encore ces états de conscience sont liés au niveau dorganisation atteint par chaque espèce. Dautre part, si nous nétions (ce qui est difficilement pensable, puisque la mémoire, telle que nous lavons décrite, apparaît déjà chez lêtre unicellulaire) nous-mêmes quà linstant présent et un autre la seconde daprès, nous ne pourrions pas non plus être conscients. En effet, la conscience est dabord le souvenir dun schéma corporel qui est le nôtre et qui évolue dans le temps. La conscience ou les états de conscience ont donc besoin de la mémoire de nous-mêmes et de notre expérience du milieu qui nous entoure, alors que cette mémoire a comme principal résultat de créer en nous des automatismes, cest-à-dire un monde inconscient. Je ne pense pas quon puisse dire quun enfant nouveau-né soit conscient. Il na sans doute pas encore accumulé suffisamment dexpériences dans son système nerveux pour utiliser un nombre suffisant dautomatismes acquis. Dailleurs nous ne nous souvenons pas de nos premières années parce que nous nétions pas conscients dêtre. Ce schéma grossier aboutit à la notion que ce que lon appelle chez lhomme la conscience consiste dans limpossibilité pour lui dêtre à la fois entièrement automatisé, donc inconscient, et entièrement aléatoire, donc également inconscient, ce qui serait le cas si ses systèmes associatifs ne faisaient quassocier à linstant présent les différentes informations sensorielles qui lui parviennent de lui-même et du monde qui lentoure, sans référence au passé. Si lon admet ces distinctions, lhomme sera dautant plus conscient quil aura à sa disposition un plus grand nombre dautomatismes inconscients à fournir à ses zones associatives de façon à créer des structures nouvelles projetant dans lavenir une action à réaliser. Cest cette possibilité de se délivrer, par limaginaire, des problèmes manichéens qui lui sont posés par son environnement qui lui a fait croire à sa liberté. Mais les automatismes moteurs, conceptuels, langagiers, qui coordonnent le bric-à-brac de nos préjugés, de nos jugements de valeur, qui nont de valeur que relative à lintérêt et à la survie dun homme ou dun ensemble dhommes dans un certain milieu à une certaine époque, ne peuvent prétendre servir à autre chose quà maintenir les échelles hiérarchiques de dominance qui ont jusquici permis la cohésion des groupes sociaux. Ce sont donc des valeurs relatives et non point absolues. (E.F.76)
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Discours - Langage
Le langage rationnel en dehors des lois précises de la matière n'a jamais exprimé autre chose que notre inconscient, c'est-à-dire nos désirs et nos automatismes socioculturels...
... l'homme utilise un langage qui transmet les informations de génération en génération. Le langage écrit, mieux que le langage gestuel qui disparaît avec l'acteur, lui permet d'institutionnaliser les règles de la dominance. C'est ainsi que s'institutionnalisent les règles morales, éthiques, les préjugés, les jugements de valeur et les lois qui régissent le comportement des individus d'une société à une certaine époque. Il est certain que ce ne sont pas les dominés qui vont imposer leurs lois aux dominants. La « culture » d'une époque représente donc bien les règles auxquelles un individu doit se soumettre à cette époque pour s'élever dans les hiérarchies et atteindre la dominance.
(N.G.74)
A partir du moment où le signe sinscrit dans un ensemble complexe permettant de transmettre lexpérience quun individu possède de son environnement à dautres individus, chacun de ceux-ci étant situé dans un espace et un temps différents, chacun étant un être unique, doué dune expérience du monde également unique, le langage, signifiant support de toute sémantique qui lui est propre, nexprime plus lobjet seulement mais laffectivité liant celui qui sexprime à cet objet. Lhomme est passé ainsi de la description significative au concept lui permettant de séloigner de plus en plus de lobjet et de manipuler des idées à travers les mots, sans être vraiment conscient de ce qui animait sa pensée, à savoir ses pulsions, ses affects, ses automatismes acquis et ses cultures antérieures. Ainsi, en croyant quil exprimait toujours des faits quil appelle objectifs, il ne sest pas rendu compte quil ne faisait quexprimer toute la soupe inconsciente dont ses voies neuronales sétaient remplies depuis sa naissance, grâce à lenrichissement culturel, cest-à-dire à ce que les autres, les morts et les vivants, avaient pu coder dans ces voies neuronales. La Science a bien essayé de plus en plus précisément, au cours des millénaires, de revenir à une description précise du monde en décidant que tel objet ou tel ensemble nétait représenté que par tel signe et par lui seul; ce qui lui permet décrire des protocoles que tout le monde peut reproduire en retrouvant généralement le même résultat. Mais ceci na été possible, jusquà une date récente, quen ce qui concerne le monde inanimé, celui vers lequel le regard de lhomme sest dabord tourné, celui qui semblait le plus inquiétant et le moins compréhensible, alors que la clarté limpide de son discours logique lui faisait croire que le monde qui vivait en lui ne pouvait avoir de secret. Plus récemment, on fit une distinction entre le rationnel et lirrationnel. Le premier ne fait généralement que valoriser lexpression dune causalité linéaire enfantine, alors que le second est respecté comme ce qui, chez lhomme, ne peut être réduit aux lois de la matière. Malheureusement, cet irrationnel est parfaitement rationnel au niveau dorganisation de la biochimie et de la neurophysiologie du cerveau humain, sil ne lest pas à celui du discours logique. Cest ainsi que le rêve est parfaitement rationnel mais que nous nen connaissons pas encore suffisamment bien les mécanismes. Ce sont pourtant la biochimie et la neurophysiologie qui nous ont récemment fait faire quelque progrès dans sa compréhension plus que tous les discours antérieurs élaborés à son sujet.
...le langage est, pour une très grande part, inconscient. Nous ne sommes pas conscients de la façon dont nous associons, suivant les règles bien précises, syntaxiques et grammaticales, des phonèmes, des monènes, dans une sentence, qui doit elle-même être le support dune sémantique, dune information. Et nous sommes encore moins conscients que, ce faisant, nous ne faisons quexprimer nos automatismes conceptuels, langagiers, nos jugements de valeur, nos préjugés, tout ce qui a été mis, depuis notre naissance, dans notre cerveau, par punitions ou récompenses, et que nous mobilisons chaque fois que nous voulons exprimer quelque chose. Ainsi sans le savoir, en apprenant à parler, un enfant apprend à exprimer «objectivement» les préjugés, les jugements de valeur, ses désirs inassouvis, tout ce qui fait la caractéristique dun homme plongé dans la culture dun lieu et dune époque. En dautres termes, on peut dire que le contenu du discours est moins important à connaître, à comprendre, que ce qui lanime, ce qui le fait prononcer. Et ce qui anime un discours est unique, est propre à chaque homme qui le prononce, il est particulier à son expérience personnelle du monde, depuis sa naissance, et peut-être avant. Un père et un fils, utilisant le même langage, ne peuvent plus se comprendre souvent, parce que lexpérience quils ont des mots sest établie dans des époques différentes et parfois même dans des milieux différents. Cest là sans doute un des facteurs principaux des conflits de générations.
...ce nest que depuis trente ans que la partie la plus difficile à comprendre, celle de lorganisation fonctionnelle du cerveau humain, a commencé à intervenir dans linterprétation du comportement humain. Entre-temps, un discours logique a toujours fourni des alibis langagiers aux pulsions dominatrices inconscientes. Le progrès technique a été considéré comme un bien en soi, comme le seul progrès, alors que les lois biologiques commandant au comportement nont pas dépassé, jusquà une date récente, les connaissances acquises au paléolithique. Si, depuis deux mille ans, on nous a dit de nous aimer les uns les autres, en commençant par soi-même, le besoin des hommes dcomportement les a enfermés dans un dualisme, matière et pensée, qui ne pouvait aboutir quà une utilisation extrêmement habile du monde inanimé, au service dun psychisme qui nétait jusquici quun psychisme de blabla, une phraséologie prétendant toujours détenir une vérité, vérité qui nétait valable que pour les sous-groupes dominateurs et prédateurs, et jamais pour lespèce entière. (C.A.83)
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Domination - Dominant - Dominé - Dominance
Il paraît évident que la pulsion hypothalamique (le ça freudien), la recherche du plaisir de l'individu, va se heurter, en situation sociale, à celle des autres. Ce facteur, dans toutes les espèces animales, est à l'origine des hiérarchies et de l'établissement des dominances. Chez les primates comme chez l'homme, l'observation montre que les individus issus de sujets dominants deviennent le plus souvent eux-mêmes dominants, du fait de l'éducation qu'ils reçoivent. Mais chez l'homme, grâce aux langages les règles à suivre pour établir la dominance s'institutionnalisent et se transmettent à travers plusieurs générations, constituant l'essentiel d'une culture. Si les lois représentent ainsi les interdits socioculturels valables en principe pour tous les citoyens, en réalité ces interdits paraissent d'autant plus nombreux et oppressants que le niveau dans l'échelle hiérarchique et économique est plus bas.
Dans tous les cas (sociétés humaines ou sociétés animales) l'établissement des hiérarchies résulte de la recherche par l'individu de son équilibre biologique, de sa satisfaction. Pour les trouver il doit dominer les autres individus du groupe. Mais à son tour le groupe, pour survivre, doit dominer les autres groupes et pour ce faire s'approprier l'environnement et l'exploiter au mieux pour en tirer la masse et l'énergie qu'il utilisera de façon à accroître sa puissance.
C'est en cela que très tôt les sociétés humaines se sont distinguées des sociétés animales. En effet, comme nous l'avons vu, 'cette exploitation de l'environnement s'est faite en fonction de la quantité d'informations que les individus étaient capables d'ajouter à la masse et à l'énergie. Un homme capable de tirer à l'arc était sans doute moins vulnérable que celui qui n'était encore capable que de tailler des silex pour en faire un coup-de-poing. Le premier était capable de dominer le second à distance, sans en venir au corps à corps.
C'est grâce à une information de plus en plus abstraite, qu'avec la révolution industrielle l'homme a pu se rendre maître de l'énergie et traiter la matière de façon à fabriquer des quantités considérables d'objets, grâce à l'invention des machines. Ce ne fut d'abord que pour accroître le capital par la vente de ces objets, le capital restant jusqu'à nos jours le moyen le plus efficace de domination des hommes et des groupes humains entre eux. (N.G.74)
Lexpérimentation montre que la mise en alerte de lhypophyse et de la corticosurrénale, qui aboutit si elle dure à la pathologie viscérale des maladies dites « psychosomatiques », est le fait des dominés, ou de ceux qui cherchent sans succès à établir leur dominance, ou encore des dominants dont la dominance est contestée et qui tente de la maintenir.
Les dominants ont toujours utilisé limaginaire des dominés à leur profit. Cela est dautant plus facile que la faculté de création imaginaire que possède lespèce humaine est la seule à lui permettre la fuite gratifiante dune objectivité douloureuse.
Tout homme qui, ne serait-ce que parfois le soir en sendormant, a tenté de pénétrer lobscurité de son inconscient, sait quil a vécu pour lui-même. Ceux qui ne peuvent trouver leur plaisir dans le monde de la dominance et qui, drogués, poètes ou psychotiques, appareillent pour celui de limaginaire, font encore la même chose.
Les langages, intermédiaires obligés des relations humaines, ont couvert de leur logique et de leur justification létablissement des hiérarchies de dominances fondées sur la recherche inconsciente et individuelle du plaisir, de léquilibre biologique. Les dominants ont ainsi toujours trouvé de « bonnes » raisons pour justifier leur dominance, et les dominés de « bonnes » raisons pour les accepter religieusement ou pour les rejeter avec violence.
Il ne faut pas croire que les dominants possèdent un réel pouvoir politique en dehors de celui exigé pour le maintien de leur dominance. Bien sûr, ils possèdent « le » pouvoir politique, en ce sens que ce qu'il est convenu d'appeler l'information et les moyens de la diffuser, les mass media, sont à leur disposition entière. Ils peuvent ainsi orienter l'opinion, les besoins, et donner avec le suffrage universel l'impression de réaliser la démocratie. Bien sûr, ils possèdent la direction des grandes entreprises, des banques, les appuis des hommes politiques qui entérinent leurs décisions. Mais là encore ce ne sont pas les «capitalistes» qui importent, mais la «structure» dans laquelle ils agissent. Si ces capitalistes qui n'agissent que pour conserver leur dominance hiérarchique, disparaissent, la structure hiérarchique persistant, ils seront remplacés par les technocrates ou les bureaucrates, dont les motivations restent identiques, même si les moyens utilisés ne sont pas toujours identiques. Le profit n'est qu'un moyen d'assurer la dominance ; la police, l'internement en hôpitaux psychiatriques ou en camps de concentration en sont d'autres, de même que l'espionnage, les tables d'écoute et les micros clandestins. Mais l'automatisation de la pensée, la création de réflexes conditionnés et de jugements de valeur restent sans doute les plus efficaces et les plus généralement utilisés. L'enseignement et les mass media aux mains des pouvoirs, c'est-à-dire du système hiérarchique, n'ont pas d'autres fonctions.
On voit par là que l'institutionnalisation des règles d'obtention de la dominance constitue bien la structure hiérarchique professionnelle qui permet l'acquisition du pouvoir politique, mais que ce pouvoir politique est un faux pouvoir politique puisque sa seule raison d'être est le maintien de la dominance des dominants et de la soumission des dominés dans un processus de production des marchandises.
Rappelons que la finalité fondamentale d'un organisme vivant est la recherche du plaisir qui s'obtient par la dominance. Aussi longtemps que celle-ci aboutit à deux types d'individus, le maître et l'esclave, l'oppresseur et l'opprimé, le dominant et le dominé, la distinction hiérarchique est simple, l'antagonisme facile. Dès qu'un système hiérarchique complexe apparaît il n'en est plus de même. Ce qui fait la solidité d'un système hiérarchique complexe , c'est qu'on y trouve à chaque niveau de l'échelle des dominants et des dominés.
Dans un tel système, tout individu est dominé par d'autres mais domine un plus " petit " que lui-même ; le manuvre le plus défavorisé, dans notre système social, en rentrant chez lui frappera du poing sur la table, s'écriera : " Femme, apporte-moi la soupe " et, si un enfant est un peu turbulent, il lui donnera une claque. Il aura l'impression d'être le maître chez lui, celui auquel on obéit, celui qu'on respecte et qu'on admire, tout enfant prenant son père comme idéal du moi dans sa tendre enfance. Cette domination familiale lui suffira souvent à combler son désir de se satisfaire. Par contre, dès qu'il sort de chez lui il trouvera des dominants, ceux situés à l'échelon immédiatement supérieur dans la hiérarchies du degré d'abstraction de l'information professionnelle. Et, comme le chimpanzé soumis à l'égard du chimpanzé dominant, tout son système nerveux sera en remue-ménage, en activité sécrétoire désordonnée, car dans nos sociétés modernes il lui est impossible de fuir. Il doit se soumettre. Il ne peut plus combattre sous peine de voir sa subsistance lui échapper. Il en résulte une souffrance biologique journalière, un malaise, un mal-être. Cependant, cette soumission n'a pas que des inconvénients. Le travail en " miettes " qui institue une dépendance étroite de chaque individu à l'égard des autres, n'est plus ressenti seulement comme une aliénation. Alors que l'homme du paléolithique était un véritable polytechnicien à l'égard de la technique du moment, l'homme moderne est incapable, quel que soit son niveau technique, de subvenir seul à ses besoins fondamentaux. Ce que l'homme moderne ressent comme une aliénation, c'est de ne pouvoir décider de son propre destin, de ne pouvoir agir sur l'environnement, dans tous les cas par un acte gratifiant pour lui-même. Mais d'un autre côté, cette absence de pouvoir de décisions
Il sait qu'il a peu de chances de mourir de faim et que certaines responsabilités lui sont épargnées. Son déficit informationnel, source d'angoisse, est considérable et cependant il fait confiance à ceux qui sont prétendus savoir et agir à sa place. Cette confiance le sécurise. (E.F.76)
Chez lhomme, les langages ont permis dinstitutionnaliser les règles de la dominance. Celles-ci se sont établies successivement au départ sur la force, la force physique, puis, à travers la production de marchandises, sur la propriété des moyens de production et déchange, celle du capital que ces productions permettaient daccumuler, et puis, dans une dernière étape dévolution historique et dans toutes les civilisations industrielles contemporaines, sur le degré dabstraction atteint dans linformation professionnelle. Suivant ce degré dabstraction, surtout celle quutilisent la physique et les mathématiques, lindividu ou le groupe seront dautant plus capables de réaliser des machines de plus en plus sophistiquées, de plus en plus efficaces, pour la production dobjets; cette production va permettre létablissement de dominance des groupes, des Etats et des ensembles dEtats.
Des groupes humains possédant une information technique ou professionnelle élaborée ont ainsi imposé leur dominance à ceux qui ne la possédaient pas, dautant que cette évolution technique a permis de réaliser des armes plus efficaces pour imposer par la force, et non plus simplement directement par une technologie avancée, la forme de vie, les concepts et les jugements de valeur. Cette information technique a été en effet utilisée pour la construction darmes redoutables qui leur ont permis daller emprunter, hors de leur niche écologique, les matières premières et lénergie situées dans celles des groupes humains ne sachant pas les utiliser. En effet, la matière et lénergie (nous les distinguerons, bien quune relation existe entre elles, nous le savons depuis Einstein) ont toujours été à la disposition de toutes les espèces et de lespèce humaine en particulier. Mais seule linformation technique permet de les utiliser efficacement, donc de dominer son semblable.
Lindividu et lespèce ont la même finalité: survivre. Entre eux, sinterposent les groupes sociaux qui veulent survivre également, mais ont cru que la survie nétait possible quen établissant leur dominance sur dautres groupes sociaux. On passe ainsi donc au niveau dorganisation des groupes, qui sont eux-mêmes englobés par une société globale occidentale ou non occidentale, le tout appartenant à lespèce. Ce quil est convenu dappeler le monde occidental a produit plus dinformation technique quil avait de matière et dénergie à transformer. Il na pas à sen flatter, cela vient du fait quà la fin de la dernière glaciation, celle du Würm, il y a dix ou douze mille ans, sest établi, dans lhémisphère nord, un climat tempéré où, lété, il faisait bon vivre mais où, lhiver, il fallait recommencer à craindre la famine, si la chasse nétait pas suffisante à alimenter le groupe. Cest une pression de nécessité qui a obligé les ethnies se trouvant dans ces régions autour du 45° parallèle à inventer la culture et lélevage, qui furent à lorigine de toute lévolution technique qui a suivi. Le monde occidental sest approprié la matière et lénergie situées dans des niches géoclimatiques habitées par des ethnies dont lévolution technologique était moindre. Mais à lintérieur même de ce monde technicisé, la dominance sest établie sur la productivité en marchandises ;
Dans le monde présent, les dominances sont établies sur la puissance des armes et la perfection de la technique, considérée comme le seul progrès, la seule raison dêtre de lespèce. Ceux qui pour des raisons géoclimatiques millénaires nont pu en profiter, individus ou ethnies, se voient dépouillés du droit à la propriété. Leur seul droit est de se taire ou de tenter de suivre le même chemin que ceux qui les dominent: courses aux diplômes, à la technologie, course à lindustrialisation. Quand ce chemin leur paraît trop long à parcourir, pris comme tout névrosé dans un système manichéen qui interdit à la pulsion de se réaliser sans enfreindre les lois culturelles, cest parfois lexplosion agressive, le retour à laction, même inefficace, puisque leur langage nest pas entendu: ce sont alors les attaques à main armée, les prises dotages, etc. La bonne conscience de la société productiviste crie au scandale, appelle à la répression, aux règles éthiques et morales des droits de lhomme. Mais le poète français Fernand Gregh avait écrit, il y a quelques années: «Il nest pas de méchants, il nest que des souffrants». (C.A.83)
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Égalité - Inégalité
L'égalité ? Concept vide qui a motivé les hommes depuis des siècles pourtant. L'égalité conçue comme identité est contraire au bon sens, même le plus commun. Mais dès lors que l'on admet, ne pouvant faire autrement, la " différence ", comment retenir encore le concept d'égalité ? On voit cependant les pulsions qui ont motivé sa naissance : la recherche du plaisir, de l'équilibre biologique de chaque individu en situation sociale, c'est-à-dire en situation qui toujours, jusqu'ici, fut hiérarchique. Comment les idéologies peuvent-elles encore mobiliser les masses par le concept d'égalité, tout en s'accrochant désespérément aux hiérarchies de pouvoir, de salaire, de connaissances, etc. L'égalité des chances ? Mais des chances à quoi ? A l'instruction ? Cette instruction qui permet l'ascension hiérarchique, cette instruction technique et professionnelle plus ou moins abstraite, qui permet la dominance dans un univers rempli de marchandises ? Cette instruction qui permet aussi l'accès à la consommation et à la respectabilité ? Dans un tel système pourquoi pas ? Mais alors, c'est aussi le système familial qu'il faut remettre en jeu, l'Oedipe bourgeois, la niche environnementale. Et à supposer même que l'on puisse uniformiser cette niche environnementale, que restera-t-il ? Le mérite, le mérite d'un homme à s'élever dans les hiérarchies, techniques, consommatrices et de - notabilité. Mais ce mérite, d'où vient-il s'il ne vient pas de la niche environnementale, de l'acquis ? Ne viendrait-il pas alors de l'inné, de la rencontre fortuite d'un ovule et d'un spermatozoïde, de ce qu'on peut appeler le hasard, car la combinatoire génétique est soumise à un tel nombre de facteurs qu'on s'y perd vite. On ne peut sortir de ce dilemme : si l'on uniformise les chances sociologiques de l'accession à l'information technique et professionnelle, ou l'on retombe sur une injustice fondamentale, celle du don inné, ou l'on obtient des individus tous semblables dans leur comportement, leurs motivations, leurs automatismes socioculturels, leur imaginaire même. Ainsi, l'égalité des chances, que l'on peut souhaiter, c'est simplement celle de pouvoir être heureux dans sa peau. Or, être heureux dans sa peau n'est possible qu'en dehors de tout système hiérarchique, puisque c'est ce système qui institue les inégalités économiques, de dominance et de gratification.
Mais si l'égalité ne peut exister dans le monde vivant, cela ne veut pas dire que le pouvoir doit être réparti hiérarchiquement. L'égalité n'existe que dans l'indispensabilité des classes fonctionnelles, car l'indispensabilité est un critère absolu, seule base efficace d'égalité agissante. Mais il s'agit alors d'égalité de pouvoir politique et rien d'autre, et de celle d'une classe fonctionnelle et non d'un individu par rapport aux autres individus.
Dans un organisme vivant, aucune cellule, aucun organe ne sont libres ou égaux. L'un travaille plus ou moins que l'autre, et a besoin de consommer plus ou moins que l'autre. Leur liberté et leur égalité aboutissent à une anarchie cellulaire (cancer) ou à un dysfonctionnement des systèmes incompatibles avec la survie de l'ensemble. Ils n'ont d'ailleurs que faire de cette liberté individuelle puisqu'ils réalisent leurs " désirs ", le maintien de leur structure, par l'intermédiaire de la cohérence de toutes leurs finalités partielles avec celles de l'ensemble. La finalité de celui-ci ne peut donc être que la leur. Aucun individu, aucune cellule n'est indispensable à la bonne marche de l'ensemble. Par contre, la réunion de plusieurs individus assurant la même fonction, en organes, la réunion de certains organes en systèmes, est indispensable au fonctionnement de l'ensemble organique. Ainsi, quand on passe d'un niveau d'organisation à un autre, quand on opère l'inclusion d'un ensemble dans un plus grand ensemble, la liberté et l'égalité des éléments de cet ensemble n'ont plus de sens, mais l'indispensabilité des sous-ensembles en acquiert. C'est parce que l'information-structure fermée de l'individu, est inconsciente des relations qui l'unissent à sa niche environnementale, et que l'information-structure fermée des groupes et des sociétés humaines l'est aussi, que nous traînons encore avec nous ces concepts vides. La liberté ne commencera qu'à partir du jour où chaque individu sera totalement aliéné à la finalité de l'espèce, celle-ci ne trouvant plus alors d'organisations antagonistes dans la biosphère capables de lui faire désirer une non-aliénation.
...on parle beaucoup de cette égalité des chances que l'on a bien du mal à réaliser. Vous comprenez d'ailleurs que cette égalité des chances est celle qui permet de devenir inégal, de s'élever dans la société de façon à dominer les autres. Et pour cela il faut faire ce que la société attend de vous, être conforme à son but qui est de produire le plus de marchandises possible, les plus perfectionnées, de façon à les vendre, ici et à l'étranger.
La publicité, partout et tous les jours, vous montre les objets que vous devez posséder pour être heureux et bien considéré. Elle permet de vendre plus et de faire marcher le commerce, même si pendant ce temps, dans d'autres pays du monde, des millions d'enfants meurent de faim, couverts de mouches, leur pauvre regard vide d'espoir. (N.G.74)
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Famille
La dominance décisionnelle et économique du mari sur la femme, des parents sur les enfants et la soumission des seconds aux premiers, la transmission de lhéritage et des automatismes culturels pourraient bien être, au niveau dorganisation englobant, du groupe, des classes, des Etats, à lorigine des mêmes structures de dominance, centrées sur la notion de propriété des choses et des êtres. Il est vrai que lon peut aussi bien en faire remonter lorigine à lindividu lui-même, inventeur de la famille dans un cadre géoclimatique particulier. De toute façon, on comprend quune telle structure ne peut être que conflictuelle, même si elle nest pas que cela. Il faudrait que la société dans laquelle elle sinscrit soit non évolutive ou régressive, pour que la génération parentale puisse longtemps dominer celle des descendants.
Mais dans un monde en évolution technique et sociologique accélérée comme le nôtre, quelle expérience du monde ladulte ou le vieillard ont-ils, alors que le monde dhier est déjà différent de celui daujourdhui et encore plus de celui de demain (en paraphrasant Rosemonde Gérard)? Lexpérience que lon respectait, que lon admirait et utilisait chez eux au cours des siècles passés, ne pouvait saccumuler que parce que le milieu évoluait alors au ralenti. Le recyclage aujourdhui aurait besoin dêtre non seulement technique mais généralisé. Au sein des groupes et de lEtat le pouvoir grandissant avec lâge et les services rendus simpose encore, car il se cramponne à des situations de fait le plus souvent, en sappuyant sur les niveaux hiérarchiques sous-jacents. Ceux-ci attendent de lui rarement la sagesse ou «la» connaissance, mais lutilisation de « ses » connaissances, de ses « relations » pour assurer leur propre élévation hiérarchique.
Mais dans la famille, groupe restreint, la contestation, la recherche de la dominance, laffirmation de soi, pour les jeunes, créeront entre les générations des conflits, parfois violents. Est-ce la perte de « certaines valeurs » quil faut accuser, ou simplement le passage rapide dune société artisanale à une société industrielle, en attendant celle quon nous promet, la post-industrielle ? Est-ce lévolution accélérée des structures de la société globale qui a détruit la famille classique ou au contraire lévolution de la famille classique, la démission des parents (sic), qui a engendré la société globale. Poser cette question montre que les cybernéticiens nont pas encore suffisamment diffusé leur forme de pensée. Cela montre que lon nmment les notions deffecteur, de facteur, deffet, de boucle rétroactive, et surtout de servomécanisme et de niveau dorganisation, quand on aborde un problème, fût-il celui-ci.
La famille, la nucléaire avant tout, est sans doute la structure sociale la plus simple pour laquelle tout ce qui a été dit précédemment au sujet des bases biologiques des comportements est directement applicable. Il ne nous semble même pas utile de développer le rôle des processus de lempreinte, de létablissement progressif du schéma corporel, de la notion dobjet, celui de lêtre ou de lobjet gratifiants, de la naissance des lois de la compétition, de lidéal du moi, du narcissisme enfantin ou parental, du mimétisme ou de lexpérience gratifiante ou nociceptive, pour comprendre les facteurs intervenant dans la violence familiale, comme dans toute violence dailleurs. Mais ces facteurs, tous fondamentaux et liés au fonctionnement dun cerveau humain en situation sociale et conflictuelle, ne peuvent être isolés des ensembles sociaux plus vastes englobant la famille et dont les relations, les structures se sont établies historiquement au cours de lévolution des sociétés humaines dans lespace géoclimatique où elles se sont situées. Tous les aspects, psychologiques, sociologiques, économiques et politiques (dans un sens large), ne peuvent alors être quartificiellement isolés, dans leur étroite interdépendance. Ils résultent eux-mêmes des structures biocomportementales des hommes qui sont en définitive les éléments de ces ensembles complexes. Ceux-ci, en retour, réagiront sur les structures biocomportementales.
Tout ce que nous venons dexposer, concernant les rapports interindividuels et la naissance de lagressivité dans une dyade ou une triade, est directement utilisable dans le contexte familial. Cependant, en général, quand on parle de la violence dans la famille, cest pour envisager la violence des parents sur leurs enfants, donnant naissance à ce que lon appelle les enfants martyrs. Mais il faut noter que si cet aspect est souvent le plus révoltant puisquil représente la violence dun adulte sur un être sans défense, il est cependant loin dêtre le seul et, sil est spectaculaire, il nest pas le plus fréquent.
Que dire de lui qui nait déjà été dit ? Et comment, une fois de plus, rester enfermé dans le groupe familial et ne pas voir que ce qui sy passe résulte de la réaction des individus constituant ce groupe à la société globale ? Enfants non désirés, considérés comme une charge supplémentaire venant sajouter à celle que le couple est incapable dassumer du fait de son salaire insuffisant. Enfant à charge dun des membres isolés du couple, lautre layant abandonné, représentant en conséquence limage même du couple désuni bien souvent par la misère. Le plus étonnant, cest que ces enfants retirés aux parents « indignes » et placés dans une famille adoptive préfèrent parfois retrouver leur famille première avec lagressivité qui y règne et les coups quils y reçoivent, ce qui montre que la période de lempreinte est une marque indélébile et quun bien-être apparent est quelquefois plus douloureux ensuite à supporter que la douleur réelle qui a accompagné son établissement.
Plutôt que de punir les parents indignes, ne serait-il pas préférable déviter que soient réalisées les circonstances socio-économiques qui font quils le deviennent ? Mais la violence nest pas absente non plus dans les familles, bien sous tous rapports, où un code rigide et sans amour est appliqué à lenfant pour assurer son bonheur à lâge adulte. Il ne sagit pas de réaliser, aussitôt quil les exprime, tous les désirs ou toutes les envies de lenfant. Celui-ci a besoin dapprendre que la réalité nest pas toujours conforme à ses désirs, et de lapprendre progressivement mais suffisamment tôt afin déviter plus tard des déboires, des déceptions. Dautre part, pour éprouver un sentiment de sécurité, essentiel pour lui, il a besoin de se sentir à la fois protégé et contrôlé. Mais en dehors de ces notions bien banales, la formation dun enfant, je ne dirais pas léducation, est quelque chose de bien trop complexe pour que lon puisse donner des règles à appliquer. Je pense que si lon rencontre quelquun disant quil sait comment on doit élever un enfant, il vaut mieux ne pas lui envoyer les siens pour quil sen occupe.
(C.A.83)
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Force - Violence
Chez lhomme comme chez lanimal, la violence à lintérieur du groupe sexprime par la recherche de la dominance. Cest le seul processus que nous serions tentés dappeler «loi», qui persiste à travers les millénaires, et nous avons vu pourquoi. Cest la conséquence même de la structure du système nerveux animal et humain, recherchant lappropriation de lobjet gratifiant, lorsque apparaît une compétition pour son obtention.
Lorsque ces dominances sont établies, il y a une tendance constante à pérenniser, par lapprentissage, les échelles hiérarchiques et le moyen de les réaliser. On passe alors à linstitutionnalisation de ces règles détablissement de la dominance qui vont être légalisées et ces lois ne seront que celles réglant les différents types dappropriation et leurs différents objets. Ces objets peuvent être des choses, des êtres, ou des concepts liés aux êtres, des coutumes, des rites et des savoirs. Il semble évident que ces lois sont érigées par les dominants et non par les dominés, et quelles seront favorables à la dominance et non à la soumission. «La loi du plus fort est toujours la meilleure»; «suivant que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous feront blanc ou noir». La constatation du fait nest pas récente.
Bien sûr, létablissement des hiérarchies va avoir pour résultat la possibilité pour les plus forts, pour les dominants, de maintenir au fil des années la structure hiérarchique de dominance et, en conséquence, déviter la violence actualisée en sappuyant sur une violence antérieure, secondairement institutionnalisée. Mais il mest difficile de comprendre comment il est possible de ne pas se rendre à lévidence que la violence première à lintérieur du groupe résulte justement de létablissement de ces inégalités. Les explosions de violence qui ont jalonné toute lhistoire humaine me semblent être nées de lexistence des inégalités, des révoltes paysannes, dues à la famine, à lépoque préindustrielle, aux révoltes ouvrières de lépoque industrielle.
Au début, nous avons tenté de définir la violence comme la caractéristique dun acteur assurant lapplication dune certaine quantité dénergie sur un ensemble organisé, y provoquant un certain désordre, augmentant son entropie, perturbant sa structure (ensemble des relations existant entre les éléments de cet ensemble organisé). Cette définition sapplique à la violence interindividuelle (crimes, suicides, coups et blessures «volontaires»). Elle sapplique encore à un ensemble social, mais dans ce dernier cas, la structure est moins apparente puisquelle consiste en relations interindividuelles: relations économiques, culturelles, idéologiques ou politiques qui furent toujours jusquici des relations hiérarchiques de dominance, généralement institutionnalisées, après un épisode de terreur, et sexprimant par des lois. Cependant, cette structure étant parfaitement abstraite, impalpable, la violence ne pourra sexercer contre elle quen sexerçant sur les individus, qui sont censés en profiter et en être les défenseurs.
Dans ce cas, la violence sera le fait des dominés, lorsquils ne pourront plus supporter linhibition de leurs actions gratifiantes (impossibilité dassurer leurs besoins fondamentaux ou acquis, blessures narcissiques et absence ou suppression secondaire de pouvoir). Mais les individus profitant de la violence institutionnalisée ne seront pas toujours atteints. Le terrorisme est un moyen de focaliser sur quelques-uns, qui ne sont malheureusement pas toujours les «responsables», la violence contre la structure de dominance institutionnalisée. La révolution sanglante en est un autre. Mais bien souvent, entre les dominants et les dominés sinterposent la police et larmée, ce quil est convenu dappeler les «forces de maintien de lordre», du maintien justement de cet ordre où existent dominants et dominé, de lordre hiérarchique de dominance. Et la police et larmée seront presque toujours aux côtés du pouvoir, pour le maintien dun ordre dans lequel leur ordre personnel sinscrit. Si bien que, à moins que la subversion soit alimentée en armes efficaces par un Etat étranger pouvant avoir intérêt à la «déstabilisation» (sic) de la structure en cause, la révolution sera toujours perdante et se limitera à lémeute.
Il est même curieux de constater quun comportement social, comme la grève, qui paraît essentiellement non violent, puisque caractérisé par linaction, est souvent susceptible de déstructurer lorganisation sociale fondée sur la productivité en marchandises qui lautorise. Si bien que le pouvoir utilise parfois la police ou larmée pour linterdire et que cest lui qui, dans ce cas, introduit une violence active à laquelle risque de répondre une violence défensive qui ne sétait pas encore exprimée. Mais il est aussi curieux de constater quà lintérieur même du prolétariat en grève, les centrales syndicales qui savent ce qui est «bon» pour les syndiqués essaieront détablir leur dominance, les unes par rapport aux autres, jusquà laction violente corporelle envers lindividu, le groupe ou le syndicat localement dominé si celui-ci ne veut pas suivre lordre de grève, et tout cela au cri de «Liberté» avec un discours logique à la clef comme alibi indiscutable à laction violente. «Ton analyse, mon vieux, ne tient pas debout!» et suit un discours fondé sur un système de causalités linéaire et simpliste, faisant en général appel aux grands ancêtres qui ont pensé pour ceux qui navaient pas le temps de le faire, et qui nexprime que lintérêt particulier, conscient et surtout inconscient, de celui qui le prononce.
(C.A.83)
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Hiérarchie - Structure hiérarchique
Le système étant fondé sur une hiérarchie de pouvoir professionnel à spectre extrêmement large, chaque individu trouve toujours un « inférieur » à paternaliser pour se gratifier, pour l'aliéner, mais aussi une institution qui le sécurise sur l'avenir réservé à l'assouvissement de ses besoins fondamentaux. Ni heureux ni malheureux, l'individu est automatisé par les mass media de telle façon que ses motivations sont entièrement orientées vers la consommation des marchandises et la promotion sociale qui perpétuent les hiérarchies de valeur et de salaires puisque celles-ci sont entièrement organisées par la production de marchandises.
A notre avis il n'existe pas un nombre restreint de classes, bourgeoisie, prolétariat, secteur tertiaire, fondées sur la propriété ou non des moyens de production, mais une infinité de classes sociales que nous avons appelées « fonctionnelles ». La distinction précédente de classes en nombre restreint résultait, semble-t-il encore, de l'établissement de concepts économiques, sociologiques et politiques, sans distinction entre informations et thermodynamique.
Dans un tel schéma simpliste, il est déjà fort difficile de faire cohabiter les « travailleurs manuels et intellectuels ». Il en résulte que l'on voit naître des hiérarchies donc des inégalités de pouvoir, fondées sur une notion ignorée, qui n'est pas prise en compte, à savoir la quantité d'information spécialisée manipulée par un individu. Et parallèlement à cette ignorance des hiérarchies informationnelles et technique, on veut égaliser sur le plan thermodynamique de la consommation, mais égaliser seulement en intention, puisque l'on conserve en les ignorant les hiérarchies informationnelles, qui demeurent ce qu'elles sont déjà, des hiérarchies de salaires et de pouvoir professionnel.
Répétons-le, il est parfaitement évident que ce que l'on rétribue par un gain de salaire et de puissance dans tous les régimes connus, ce n'est que l'information introduite dans le système nerveux d'un individu et qu'il restitue à la société sous des formes thermodynamiques variées.
Tout cela permet de comprendre que de la définition du « peuple » découlera la notion de « démocratie ». Les sociétés modernes étant de plus en plus avides et consommatrices d'informations spécialisées et de moins en moins de force de travail mécanique humain, la loi de l'offre et de la demande aboutit à l'établissement de hiérarchies économiques et de pouvoirs professionnel fondées sur l'information spécialisée beaucoup plus que sur le travail mécanique humain, peu chargé en information. .... Si le peuple représente la masse la moins informée professionnellement d'une nation, dans un tel système il est certain qu'il ne pourra conquérir un pouvoir politique.
Comme l'information en général «n'est qu'information et n'est ni masse, ni énergie» (Wiener), l'information professionnelle n'est que l'information professionnelle. Il n'y a aucune raison qu'elle assure à elle seule le pouvoir politique, si la politique a un jour l'espoir de servir à autre chose qu'au contrôle de la production. Elle se targue bien souvent de vouloir assurer le bonheur des hommes. Or l'homme est ainsi fait que, tel un bourgeon terminal actuel d'une longue évolution complexifiante dont il assume à lui tout seul toutes les intégrations séculaire, il ne peut trouver un bonheur général au sein des hiérarchies, puisque toutes les hiérarchies ne sont toujours que l'expression des dominances. Si la finalité de l'espèce humaine demeure le travail productif des objets de consommation, on peut affirmer qu'après la domination des hiérarchies fondées sur la possession du capital, à laquelle a succédé ici ou là, la domination des hiérarchies bureaucratiques, organisant la production et gardienne des structures sociales, apparaîtra une domination technocratique, fondée sur le degré d'abstraction des connaissances professionnelles. Hiérarchies pour hiérarchies, tout ne sera toujours que hiérarchies, le seul changement provenant de la part progressivement croissante de l'information spécialisée prise dans leur établissement.
En poussant jusqu'à la caricature on pourrait même imaginer des sociétés futures dans lesquelles on paierait à ne rien faire, le travail étant presque totalement automatisé, des masses humaines non informées professionnellement et devenues en conséquence inutiles. On leur assurerait donc un pouvoir économique moyen pour les dédommager de l'abandon total qu'elles feraient de leur pouvoir politique aux individus mieux informés professionnellement, donc plus utilisables, dans la création, la programmation et le contrôle des machines et la production des marchandises.
Mais on peut imager, à l'opposé, des sociétés futures dans lesquelles « le peuple » serait très généralement informé professionnellement, dans lesquelles l'effort principal serait orienté vers l'apprentissage, vers un apprentissage de plus en plus précoce, de plus en plus conceptuel, de plus en plus abstrait. Si les hiérarchies sont encore et toujours établies selon la quantité et le degré d'abstraction des informations professionnelles, ce qui est probable, si la finalité des ensembles sociaux demeure la production de marchandises, il est certain que la démocratie restera toujours un espoir mythique, un mot, et non une réalité pratique.
Il apparaît semble-t-il nécessaire de séparer le pouvoir politique du pouvoir professionnel. Mais si le pouvoir professionnel s'entend à l'intérieur d'une institution restreinte, comme pouvoir de domination (conquis par l'information spécialisée, sur la thermodynamique), par contre au niveau supérieur d'organisation, au niveau d'intégration des entreprises en industries et de celles-ci au niveau national pris comme unité organique de départ, on constate qu'apparaissent des « classes de pouvoir politique » qui sont nées de l'établissement aux niveaux d'organisation sous-jacents des classes de pouvoir professionnel. Les hiérarchies professionnelles, liées à l'information spécialisée, s'étendent ainsi à des hiérarchies de pouvoir politique, et l'on est bien alors obligé de constater que le pouvoir professionnel lié à l'information spécialisée s'étend et se confond avec le pouvoir politique, le pouvoir des « notables », quand celui-ci ne s'appuie pas plus simplement sur la simple possession du capital.
Un premier problème se pose donc de savoir si, compte tenu du fait des différences en informations professionnelles plus ou moins abstraites que contiennent les systèmes nerveux individuels, et des hiérarchies «fonctionnelles» qui en résultent au sein d'une entreprise quelconque, la maintenance d'un «pouvoir» de domination hiérarchique professionnel est indispensable. Il est vrai que l'individu, du fait qu'il ignore la somme d'informations acquises par l'autre, somme d'informations qui ne s'exprime peut-être pas journellement dans son action professionnelle, à tendance à les minimiser.
Nous retrouvons ainsi cette notion : aussi longtemps que l'on considérera l'homme uniquement comme un faiseur d'outils, donc comme un producteur de marchandises, et que l'on se contentera de mettre en balance cet aspect professionnel de ses activités avec ces mots creux de la «qualité de la vie» de «sa dignité» etc., le pouvoir continuera à s'établir sur une hiérarchie professionnelle, fonction elle-même du degré d'abstraction de l'information professionnelle.
Or il est bon de rappeler une fois encore que le pouvoir est fonction d'abord de l'indispensabilité de la fonction, pour l'ensemble humain considéré. Tout individu ou tout groupe d'individus non indispensables à la structure d'un ensemble n'ont pas de raison de détenir un «pouvoir» puisque cet ensemble peut assurer sa fonction sans eux.
Pour nous l'écueil fondamental rencontré dans la réalisation d'une société socialiste est avant tout constitué par les hiérarchies, par la distribution du pouvoir économique et politique suivant une échelle de valeur, elle-même établie en fonction de la productivité en marchandises. Quand une structure sociale n'est pas impliquée directement dans le système de production, elle l'est dans la protection de ce système et la protection de ses hiérarchies, comme c'est le cas de l'armée, la justice, la police, la bureaucratie, l'art et ce qu'il est convenu d'appeler la culture.
La structure même de la société, structure hiérarchique, n'a jamais été remise fondamentalement en cause, ce qui n'a pour conséquence que le remplacement de certains éléments (les capitalistes) par d'autres (les technocrates ou les bureaucrates), mais qu'on ne s'est jamais posé la question de savoir quelles étaient les bases des hiérarchies, leur signification. On aurait en effet abouti à la finalité globale de l'espèce humaine et c'est elle qu'il aurait fallu remettre en question. L'homme, en définitive, est-il un animal programmé par l'évolution pour faire essentiellement des marchandises ?
Nous avons mis en évidence à plusieurs reprises que c'est sur le degré d'abstraction de l'information professionnelle traitée que s'établissaient les échelles hiérarchiques. Or il existe tous les niveaux de passage de l'information encore très liée au concret, celle du manuvre, à celle déjà plus élaborée de l'artisan, à celle enfin de plus en plus abstraite, de l'ingénieur, du technocrate ou du bureaucrate en général. Il en résulte l'existence d'un nombre infini de niveaux hiérarchiques qui, insensiblement, permettent de passer du manuvre à l'intellectuel.
Dans cette échelle hiérarchique, où finit le prolétaire et où commence le bourgeois ? Marx a défini la bourgeoisie par la propriété privée des moyens de production. Les bourgeois modernes vous diront que le capital et les moyens de production sont de moins en moins la propriété de quelques-uns mais celle d'un grand nombre. Dans les pays socialistes contemporains, ils sont même devenus la propriété de l'Etat, c'est-à-dire en principe de la collectivité. Les systèmes hiérarchiques et l'aliénation qui en résulte ont-ils disparu pour autant ?
Or, aussi longtemps que subsisteront des systèmes hiérarchiques de valeur, le plein " épanouissement de l'individu ", comme il est dit dans les discours électoraux, ne sera qu'un mythe. Dans un système hiérarchique de valeur, nous l'avons vu, tout individu est dominateur de quelques-uns, et le dominé de quelques autres. Son " épanouissement " est donc impossible. La transformation qui sera sans doute la dernière à être réalisée est, à tous les niveaux de cette organisation hiérarchique, l'abandon par chaque individu, du paternalisme de type psycho-familial à l'égard de ceux appartenant à une " classe " qu'il considère comme inférieure, et de l'infantilisme à l'égard de ceux, chefs ou institution, qu'il considère comme supérieurs à lui et qui le sécurisent tout en empêchant qu'il se gratifie pleinement.
Il me semble que ce qui constitue la solidité particulière de certains systèmes hiérarchiques fortement structurés comme l'armée, la magistrature ou certaines organisations comme les hiérarchies hospitalières par exemple, ne tient pas tellement à leur structure hiérarchique elle-même, terriblement contraignante, comme on a tendance à le faire croire. Elle tient au fait que l'on inculque à tout élément du système et quel que soit son niveau dans la hiérarchie, la notion qu'il fait partie d'une élite, différente et supérieure par ses " idéaux " à toutes les autres ; au fait qu'on élève des jugements de valeur d'une pauvreté désespérante au rang d'éthique et que par cela même l'individu est gratifié. L'uniforme, l'esprit de corps, l'esprit de " boutons " ou de casquette ou de béret, fait participer l'individu à une prétendue race des seigneurs et lui fait accepter par ailleurs son aliénation totale à la hiérarchie sans même se poser la question de savoir ce qu'est cet ensemble hiérarchisé auquel il appartient. C'est ce déterminisme faisant appel aux fonctions dominatrices les plus primitives du cerveau reptilien, au narcissisme congénital, aux débauches colorées des plumages des oiseaux mâles au cours des danses nuptiales, aux automatismes sous-culturels les moins élaborés, c'est ce déterminisme inconscient que l'on dénomme " discipline librement consentie ". Bien mieux, ces systèmes paraissent généreusement désintéressés. Dans un monde dominé par le profit et la marchandise, les individus qui leur appartiennent marchent au pas, la tête haute, sans baisser les yeux vers la bourse tendue, relativement pauvres mais dignes. Cependant, demandez au lieutenant si son idéal est de terminer sa carrière comme capitaine et si son ascension hiérarchique n'est pas le facteur motivationnel dominant de son comportement. Vous les entendrez dire d'ailleurs, sans rire ou sans pleurer de tristesse, qu'ils ont vocation au " commandement ". La vocation à la découverte, ou au moins à l'imagination, semble ne jamais leur être venue à l'idée, et comme l'improvisation est généralement peu appréciée des hiérarchies, leur idéal se limite à faire appliquer le règlement de manuvres. Leur avancement dans la hiérarchie est d'ailleurs fonction de leur soumission à celui-ci.
Or, le règlement de manuvre n'a qu'un but : protéger le système socio-économique, mais en réalité hiérarchique, qui les paie. On discute souvent de l'armée de métier, ou de l'armée de la nation. Peu importe car il semble bien s'agir d'un faux problème. Dans les deux cas son action ne peut aboutir qu'à la protection ou à la défense d'une structure sociale. Or, toute structure sociale jusqu'à maintenant est une structure hiérarchique de valeur.
Ce n'est que lorsque les échelles hiérarchiques n'offrent plus suffisamment d'échelons intermédiaires, que les classes fonctionnelles dans le corps social sont peu nombreuses et soumises à une véritable ségrégation, que les risques d'explosion de la violence ont de fortes chances de survenir. Dans ce cas, la gratification par la promotion sociale au sein des processus de production étant difficile sinon impossible, même en se soumettant aux règles d'établissement de la dominance institutionnalisée (examens, concours, etc.), les réactions d'agressivité sont probables. Elles sont rapidement contrôlées, le plus souvent par l'emploi de la force armée qui se place généralement du côté des dominants, lesquels défendent évidemment les structures sociales en place. De telles structures hiérarchiques interdisent toute circulation de l'information, donc toute cohésion du groupe humain, et pérennisent les dominances. Il en résultera tôt ou tard une " crise ", un éclatement, qu'il est intéressant d'opposer au malaise résultant de l'établissement des échelles hiérarchiques, mêlant adroitement l'assouvi et l'inassouvi. La crise apparaît ainsi comme l'antagonisme violent entre structures fermées. Il en est de même de la guerre.
Nous voyons ainsi comment l'on passe de l'angoisse au malaise ou de l'angoisse à la crise. Nous ne devons jamais oublier que la satisfaction s'obtient fondamentalement par l'action gratifiante sur le milieu. Si celle-ci est impossible, une crise est possible ; on l'appelle chez l'individu agressivité, chez la population, révolution quand le conflit survient à l'intérieur de l'organisme social entre deux sous-ensembles nationaux, guerre quand il survient entre deux structures nationales. Mais l'acte peut n'être ni pleinement gratifiant, ni pleinement irréalisable, ce qui survient nous venons de le voir dans les sociétés hiérarchiques à multiples niveaux, et dont la finalité (l'expansion) ne coïncide pas totalement avec celle de l'individu.
(N.G.74)
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Hiérarchie de valeur - Hiérarchie de fonction
Dans un organisme vivant, chaque cellule, chaque organe, chaque système ne commande à rien. Il se contente d'informer et d'être informé. Il n'existe pas de hiérarchies de pouvoir, mais d'organisation.
Le terme de hiérarchie devrait même, dans ce cas, être abandonné, car difficile à débarrasser de tout jugement de valeur, et être remplacé par celui que nous utilisons depuis de nombreuses années de niveaux d'organisation, c'est-à-dire niveaux de complexité : niveau moléculaire (à rapprocher du niveau individuel), niveau cellulaire (à rapprocher du niveau du groupe social), niveau des organes (à rapprocher du niveau des ensembles humains assumant une certaine fonction sociale), niveau des systèmes (nations), niveau de l'organisme entier (espèces). Chaque niveau n'a pas à détenir un « pouvoir » sur l'autre, mais à s'associer à lui pour que fonctionne harmonieusement l'ensemble par rapport à l'environnement. Mais pour que chaque niveau d'organisation puisse s'intégrer fonctionnellement à l'ensemble, il faut qu'il soit
informé de la finalité de l'ensemble et qui plus est, qu'il puisse participer au choix de cette finalité. Quand nous parlons de choix, il ne s'agit pas de l'expression d'un libre arbitre. Il s'agit, pour un organisme, de l'action spécifique en réponse à un stimulus donné, capable de maintenir l'équilibre homéostasique par rapport à l'environnement, c'est-à-dire sa structure organique dont le maintien s'exprime par le plaisir, la récompense. Pour un organisme social, il s'agit donc de diffuser l'information à tous les membres qui le constituent, quelles que soient leurs fonctions.
Mais quand nous parlons de société informationnelles il ne s'agit pas de l'information spécialisée permettant à l'individu de transformer efficacement la matière inanimée, il ne s'agit pas de l'information fournie par l'apprentissage manuel ou conceptuel, mais bien d'une information beaucoup plus vaste, concernant la signification d'un individu en tant qu'individu au sein de la collectivité humaine. La première ne peut lui fournir qu'un pouvoir spécialisé au sein d'une hiérarchie, mais lui interdit de participer au pouvoir « politique ». La seconde au contraire lui permet de s'inscrire dans une classe fonctionnelle et de prendre part aux décisions de l'ensemble organique car « pouvoir c'est savoir ». Sur le plan politique, c'est-à-dire sur celui de la signification du travail de chacun intégré dans un ensemble et sur la finalité de cet ensemble dans les ensembles de complexité supérieure qui l'englobent, un ingénieur hautement spécialisé n'a souvent pas plus de connaissances qu'un O.S., bien qu'elles soient différentes car dictées par des jugements de valeurs et des préjugés nécessaires au maintien de sa dominance hiérarchique. Ainsi, malheureusement l'information spécialisée paraît être à la base du pouvoir politique, car elle est d'abord à la base des hiérarchies, alors qu'elle est incapable du fait de sa spécialisation d'éclairer le pouvoir politique (mais cela même n'est qu'une apparence).
Dans mon organisme, il est certain que mon gros orteil ne peut pas remplir les « fonctions » assurées par mon foie, que ma rate ne peut assurer le travail de mon coeur. Cela signifie-t-il que mon foie est « mieux » que mon coeur ou que ma rate et leur commande ? Il assure simplement une fonction différente du fait de sa spécialisation professionnelle. Bien mieux, dans chaque cellule de chaque organe, le noyau contient l'ensemble du capital génomique, ce qui veut dire qu'il pourrait donner naissance à une cellule remplissant n'importe quelle fonction. S'il ne le fait pas, c'est que ses potentialités fonctionnelles sont « réprimées » par certaines molécules qui lui interdisent de remplir une autre fonction que celle dévolue à l'organe dans lequel la cellule qui le contient se trouve située. [...] Cet exemple ne m'a servi que pour montrer que dans un organisme vivant, la spécialisation fonctionnelle, qui équivaut dans un organisme social à la spécialisation professionnelle, ne s'accompagne d'aucune valeur particulière et qu'elle ne procure d'autre part aucune possibilité d'agir séparée de l'ensemble organique. Celui-ci doit sans cesse l'informer des nécessités requises par cet ensemble organique pour sa survie en tant qu'ensemble, de même qu'en sens inverse elle doit informer l'ensemble de l'organisme de ce qui lui est nécessaire pour assurer sa fonction. Cette double circulation de l'information de la cellule à l'organisme et de l'organisme à la cellule est une notion fondamentale à comprendre.
Ainsi dans ce type de société autogérée que représente tout organisme pluricellulaire, on peut observer une nette distinction entre l'information spécialisée d'une part, qui n'est en réalité, pour une cellule, un organe ou un système, qu'une fraction minuscule de l'ensemble de l'information génétique globale que contient son noyau et qui résulte de la place qui lui a été réservée par l'évolution ontogénique, et d'autre part l'information généralisée. Celle-ci lui vient de l'ensemble des autres cellules de l'organisme et la tient au courant à chaque instant de l'état de bien-être ou de souffrance de l'ensemble de ces cellules, de façon qu'elle puisse adapter sa propre fonction spécialisée à la recherche de l'équilibre global perdu ou à son maintien dans un environnement donné. Il ne s'agit pas d'étendre ses connaissances fonctionnelles (j'allais dire professionnelles), mais bien celles qui résultent du fonctionnement de l'ensemble organique. Aucun supérieur hiérarchique ne lui donne d'ordres mais elle est sans cesse informée de ce qu'elle doit faire, suivant sa place et son rôle, pour concourir au bon fonctionnement de l'ensemble. De même, inversement, elle informe sans cesse cet ensemble de ses besoins fondamentaux, ceux qui lui sont nécessaires pour assurer correctement sa fonction.
Que l'on ne croie pas qu'il s'agisse là d'une simple analogie entre un organisme vivant et un organisme social. En réalité, l'organisme social est lui-même un organisme vivant d'un niveau d'organisation supérieur, et dans ce cas l'organisme vivant constitue bel et bien un « modèle ». Bien plus, il s'agit d'un modèle de même nature puisqu'il appartient au même règne. On ne peut nier qu'un organisme constitue une « société » cellulaire dont l'élément est la cellule au même titre que pour une « société » humaine l'élément est représenté par l'individu. Puisque la société cellulaire nous montre le fonctionnement harmonieux d'un modèle social non mécanique, il peut être intéressant de comprendre quels sont les principes dynamiques de cette harmonie, pour essayer de voir s'ils sont utilisables dans les sociétés humaines. Il ne s'agit pas, comme au cours de toute expérimentation biologique, de transposer simplement ce qui est découvert à un niveau d'organisation au niveau d'organisation sus-jacent, mais d'abord de comprendre en quoi et pourquoi le niveau sus-jacent, le niveau social, ne se comporte pas aujourd'hui de la même manière que le niveau biologique.
Aussi longtemps que subsisteront des systèmes hiérarchiques de valeur, le plein « épanouissement de l'individu », comme il est dit dans les discours électoraux, ne sera qu'un mythe. Dans un système hiérarchique de valeur, nous l'avons vu, tout individu est dominateur de quelques-uns, et le dominé de quelques autres. Son « épanouissement » est donc impossible. La transformation oui sera sans doute la dernière à être réalisée est, à tous les niveaux de cette organisation hiérarchique, l'abandon par chaque individu, du paternalisme de type psycho-familial à l'égard de ceux appartenant à une « classe » qu'il considère comme inférieure, et de l'infantilisme à l'égard de ceux, chefs ou institution, qu'il considère comme supérieurs à lui et qui le sécurisent tout en empêchant qu'il se gratifie pleinement. Il me semble que ce qui constitue la solidité particulière de certains systèmes hiérarchiques fortement structurés comme l'armée, la magistrature ou certaines organisations comme les hiérarchies hospitalières par exemple, ne tient pas tellement à leur structure hiérarchique elle-même, terriblement contraignante, comme on a tendance à le faire croire. Elle tient au fait que l'on inculque à tout élément du système et quel que soit son niveau dans la hiérarchie, la notion qu'il fait partie d'une élite, différente et supérieure par ses « idéaux » à toutes les autres ; au fait qu'on élève des jugements de valeur d'une pauvreté désespérante au rang d'éthique et que par cela même l'individu est gratifié. L'uniforme, l'esprit de corps, l'esprit de « boutons » ou de casquette ou de béret, fait participer l'individu à une prétendue race des seigneurs et lui fait accepter par ailleurs son aliénation totale à la hiérarchie sans même se poser la question de savoir ce qu'est cet ensemble hiérarchisé auquel il appartient. C'est ce déterminisme faisant appel aux fonctions dominatrices les plus primitives du cerveau reptilien, au narcissisme congénital, aux débauches colorées des plumages des oiseaux mâles au cours des danses nuptiales, aux automatismes sous-culturels les moins élaborés, c'est ce déterminisme inconscient que l'on dénomme « discipline librement consentie ».
Bien mieux,ces systèmes paraissent généreusement désintéressés. Dans un monde dominé par le profit et la marchandise, les individus qui leur appartiennent marchent au pas, la tête haute, sans baisser les yeux vers la bourse tendue, relativement pauvres mais dignes. Cependant, demandez au lieutenant si son idéal est de terminer sa carrière comme capitaine et si son ascension hiérarchique n'est pas le facteur motivationnel dominant de son comportement. Vous les entendrez dire d'ailleurs, sans rire ou sans pleurer de tristesse, qu'ils ont vocation au « commandement ». La vocation à la découverte, ou au moins à l'imagination, semble ne jamais leur être venue à l'idée, et comme l'improvisation est généralement peu appréciée des hiérarchies, leur idéal se limite à faire appliquer le règlement de manoeuvre. Leur avancement dans la hiérarchie est d'ailleurs fonction de leur soumission à celui-ci.
Or, le règlement de manoeuvre n'a qu'un but : protéger le système socio-économique, mais en réalité hiérarchique, qui les paie. On discute souvent de l'armée de métier, ou de l'armée de la nation. Peu importe car il semble bien s'agir d'un faux problème. Dans les deux cas son action ne peut aboutir qu'à la protection ou à la défense d'une structure sociale. Or, toute structure sociale jusqu'à maintenant est une structure hiérarchique de valeur.
Ce n'est que lorsque les échelles hiérarchiques n'offrent plus suffisamment d'échelons intermédiaires, que les classes fonctionnelles dans le corps social sont peu nombreuses et soumises à une véritable ségrégation, que les risques d'explosion de la violence ont de fortes chances de survenir. Dans ce cas, la gratification par la promotion sociale au sein des processus de production étant difficile sinon impossible, même en se soumettant aux règles d'établissement de la dominance institutionnalisée (examens,concours etc.) les réactions d'agressivité sont probables.
Dans une organisation quelle qu'elle soit, les individus sont groupés en réalité par une analogie de fonction. Or, on les associe généralement sur une analogie hiérarchique, le patronat, les cadres, les ouvriers, hiérarchie dont le pouvoir est régressif en ce qui concerne les décisions à prendre pour la bonne marche de l'entreprise. En réalité, à côté de cette hiérarchie de valeur qui satisfait l'instinct de puissance, existe fondamentalement, nous l'avons dit, une hiérarchie de fonction que nous avons préféré dénommer « niveaux d'organisation » fonctionnels, pour la débarrasser de tout jugement de valeur.
A tel point que si nous avons parlé jusqu'ici de hiérarchies de valeur et de fonction, c'était pour faciliter la compréhension, car en réalité toute hiérarchie est de valeur. L'organisation d'un corps individuel ou social nous montre au contraire des niveaux dans cette organisation. Chaque niveau supérieur englobant le niveau de complexité qui le précède, ne le commande pas : il l'informe grâce à cette « information circulante » dont nous avons parlé et que nous avons distinguée de 1' « information-structure ».
Dans un tel organisme individuel, où sont les « classes » d'éléments ? Nous savons qu'il existe des fonctions différentes, toutes informées de la finalité de l'ensemble dont dépend leur activité métabolique commandant leur travail « professionnel ». Il existe donc des classes fonctionnelles multiples, chacune concourant à l'activité d'un grand système (nerveux, endocrinien, cardio-vasculaire, respiratoire, locomoteur, digestif, etc.), chacun de ces systèmes concourant à l'activité de l'ensemble organique au sein de l'environnement. Ces classes fonctionnelles n'ont donc rien à voir avec les classes hiérarchiques de la « lutte des classes ».
En conséquence, quand nous parlerons de classes sociales ce sera de classes fonctionnelles, c'est-à-dire de l'ensemble des individus qui dans un organisme social remplissent la même fonction ou une fonction analogue. Seule la conscience de classe et donc de l'indispensabilité de cette classe, mais aussi de l'indispensabilité des autres classes fonctionnelles, permet d'atteindre à cette « dignité de la personne humaine » dont on remplit abondamment les discours électoraux, parce que chacun met dans ce mot ce que bon lui semble.
Le pouvoir aujourd'hui est fonction de l'information spécialisée et c'est elle surtout qui permet l'établissement des dominances. Aussi longtemps que les hiérarchies de valeurs fondées sur l'information spécialisée ne seront pas supprimées, il existera des dominants et des dominés. Par contre, si une hiérarchie de fonction s'installe, les classes sociales deviendront aussi nombreuses que les fonctions assurées et un même individu pourra fort bien appartenir à plusieurs classes sociales à la fois, dans plusieurs institutions différentes, suivant ses différentes activités. C'est ainsi qu'une classe nouvelle paraît prendre naissance avec les associations de consommateurs.
Aussi longtemps que les hiérarchies de valeur subsisteront et qu'elles s'établiront sur la propriété par l'intermédiaire de la possession de l'information spécialisée acquise par l'apprentissage manuel ou conceptuel, les dominés chercheront à conquérir un faux pouvoir qui est celui de consommer. Or, la consommation n'a pas de fin, et jamais une égalité réelle des chances et du pouvoir ne pourra s'établir sur la consommation. Le pouvoir réel qu'exige le dominé, c'est moins celui de consommer que celui de participer à la décision. Or, pour cela c'est une information généralisée et non pas seulement spécialisée qu'il doit acquérir.
(N.G.74)
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Homme - Femme - Individu
Lindividu reste persuadé de son dévouement, de son altruisme, cependant quil na jamais agi que pour sa propre satisfaction, mais satisfaction déformée par lapprentissage de la socio-culture.
(E.F.76)
A cette question quest-ce quun homme ? on peut répondre, sans craindre de se tromper, que cest un être vivant et les « amis des bêtes » vous diront que tout être vivant a des droits. Qui en a décidé ainsi? Lhomme bien sûr. La boucle se ferme sur lui-même. Arrivé au bout de la chaîne évolutive, il na pas trouvé de système englobant. Lindividu se conçoit bien comme appartenant à un groupe, mais au-delà de lespèce, il ne pouvait plus recevoir dordre dun système organisé lui indiquant ce quil devait faire. Se croyant le roi de la nature, il sest cru libre dune part, sans voir quil était entièrement dépendant, lui aussi, dune biosphère. Lespèce humaine est la seule à se croire libre parce quelle parle et que labstraction permise par le langage lui a fait croire à la réalité de ses conceptions abstraites.
Lhomme, ignorant les règles à appliquer, les a inventées. Il a construit un monde qui le dépassait, un système englobant. Ce furent dabord les mythes, les religions, les morales, puis les structures étatiques, sexprimant par des lois. Notons que, en agissant ainsi, il se libérait en grande partie de langoisse qui, nous le savons, résulte de linhibition de laction, dont lun des facteurs est le déficit informationnel. A partir du moment où on lui expliquait quil fallait agir dune certaine façon, il pouvait en grande partie occulter son angoisse. Il navait plus à hésiter, à réfléchir avant dagir: il appliquait les règles, ces règles étaient évidemment aussi nombreuses et variées que les mythes, les religions et les Etats ayant chacun sécrété leurs idéologies et leurs lois.
L homme est un être vivant dont lhistoire phylogénique et ontogénique est particulière. Comme pour tout être vivant possédant un système nerveux, ce dernier lui permet de contrôler ses conditions de vie en lui permettant dagir sur lenvironnement au mieux de son bien-être, car la seule raison dêtre dun être, cest dêtre. Ce nest pas un droit cela, cest une obligation sans laquelle il ny aurait pas dêtres vivants. Mais dès que cet organisme et le système nerveux qui lanime se trouvent réunis avec dautres organismes de la même espèce, les éléments les plus importants de son environnement, avant les «espaces verts et les terrains de planches à roulettes», ce sont les autres hommes. Il en résulte quil semble indispensable de connaître lessentiel du fonctionnement de ce système nerveux qui va lui permettre dentrer en contact avec les autres et de construire grâce à eux ce quon appelle «sa personnalité».
(C.A.83)
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Inhibition de l'action
Létage le plus primitif du cerveau, cerveau appelé reptilien par Mac Lean, va être le contrôleur de notre équilibre biologique. Il va nous pousser à agir immédiatement, en présence dune perturbation interne, combinée à une stimulation provenant de lenvironnement. Cest le cerveau du présent. Il contrôle immédiatement notre bien-être, cest-à-dire le maintien de la structure de lensemble cellulaire que constitue un organisme. Le cerveau des mammifères qui vient se superposer au précédent, nous avons vu quil était le cerveau de la mémoire, de lapprentissage. Et déjà, on comprend que puisque cette mémoire va nous faire nous souvenir des expériences agréables ou désagréables, des récompenses ou des punitions, il risque de sopposer fréquemment à lactivité du premier. Cest ainsi que, lorsque les pulsions à agir pour nous faire plaisir vont, dans nos systèmes neuronaux, trouver lopposition, lantagonisme de voies codées par lapprentissage, cest-à-dire par la socioculture, nous interdisant dagir, linhibition de laction qui va en résulter sera à lorigine des perturbations biologiques dont nous avons déjà parlé. Lorsque ce conflit neuronal va déboucher sur le troisième étage, étage cortical, et devenir conscient non pas de ces mécanismes nerveux, mais des problèmes qui sont non résolus et qui sont à son origine, il peut en résulter une souffrance telle que le problème sera, suivant lexpression psychanalytique, «refoulé».
La pulsion, dune part, linterdit, dautre part, nen sont pas moins là et continueront à parcourir les voies neuronales en dehors du champ de conscience et les conséquences qui en résulteront vont être aussi bien somatiques que comportementales, autrement dit psychiques. Cest là un premier mécanisme de linhibition de laction, qui est très souvent rencontré. Un autre fait appel à ce que nous appelons le déficit informationnel et survient lorsque, à loccasion dun événement qui na pas encore été classé dans notre répertoire comme étant agréable ou au contraire douloureux, nous ne pouvons pas agir en conséquence de façon efficace et sommes dans une attente en tension.
A lopposé, labondance des informations, si lon voit quil est impossible de les classer suivant un système de jugements de valeur, met également lindividu dans une situation dinhibition. Il faut reconnaître que notre civilisation contemporaine au sein de laquelle les informations se multiplient grâce aux moyens modernes de communication, les mass media en particulier, et par la vitesse de ces communications à travers le monde, place lindividu dans une situation où le plus souvent il ne peut agir sur son environnement pour le contrôler. Les paysans vendéens de mon enfance qui nallaient à la ville, pour certains, que trois fois au cours dune vie, ville pourtant qui nétait située quà trente-cinq kilomètres, avaient des sources dinformation qui ne leur venaient pratiquement que de leur environnement immédiat. Pas de journaux, pas de télévision, pas de radio. Bien sûr, il existait des événements que lon pouvait craindre, les mauvaises récoltes, les épidémies. Il nen demeure pas moins que chaque individu avait limpression de pouvoir contrôler par son action sa niche environnementale. Ce nest plus le cas aujourdhui et quand on diffuse à la télévision les atrocités qui apparaissent à travers le monde, quand on voit un enfant du Biafra en train de mourir de faim, squelettique et couvert de mouches, malgré lintérêt très limité que peut représenter cet enfant pour un homme bien nourri du monde occidental, cet homme ne peut sempêcher de se représenter inconsciemment que ce qui est possible pour certains hommes défavorisés pourrait peut-être le devenir aussi un jour pour lui, et il ne peut rien faire. Cest en cela que les préjugés, les lieux communs, les jugements de valeur, le militantisme, les idéologies et les religions ont une valeur thérapeutique certaine car ils fournissent à lhomme désemparé un règlement de manuvre qui lui évite de réfléchir, classe les informations qui latteignent dans un cadre préconçu et mieux encore, lorsque linformation nentre pas dans ce cadre, elles ne sont pas signifiantes pour lui, en quelque sorte, il ne les entend pas. Il est prêt, en dautres termes, à sacrifier sa vie pour supprimer son angoisse ou si lon veut il préfère éprouver la peur, débouchant sur laction, que langoisse. Il est même à noter que la peur ne lenvahit que les courts instants qui précèdent laction. Dès quil agit, il na plus peur, et il le sait bien.
Mais il existe aussi des mécanismes proprement humains que nous devons à lexistence, dans notre espèce, des lobes orbito-frontaux, cest-à-dire de limaginaire. Nous sommes en effet capables dimaginer la survenue dun événement douloureux, qui ne se produira peut-être jamais, mais nous craignons quil ne survienne. Quand il nest pas là, nous ne pouvons pas agir, nous sommes dans lattente en tension, en inhibition de laction, nous sommes donc angoissés. Langoisse du nucléaire appartient à ce type, par exemple. Enfin, dans ce cadre, il existe une cause dangoisse proprement humaine: langoisse de la mort. Lhomme est sans doute la seule espèce dans laquelle lindividu sait quil doit mourir. Cest sans doute aussi la seule espèce qui sache quelle existe en tant quespèce et où chaque individu sait appartenir à cette espèce. Les abeilles du Texas ne savent pas quil existe des abeilles en Chine ou dans le Périgord. Lhomme sait quil existe des hommes en toutes les régions du globe et il sait quils sont pareils à lui. Il sait que tous ces hommes doivent mourir et quil est un homme.
Si javais une pneumonie, je serais content quon utilise de la pénicilline pour me traiter. De même, si jétais atteint dun ulcère perforé, jaimerais quun chirurgien adroit et un anesthésiste compétent permettent lablation de lulcère et même de lestomac où lulcère est apparu. Il méviterait ainsi la péritonite mortelle. Mais dans les deux cas, pris comme exemples, pourquoi ai-je fait une pneumonie et pourquoi ai-je fait un ulcère qui sest perforé ? Cest parce que jétais en inhibition de laction. Or, les raisons qui font que jétais en inhibition de laction sont enfermées dans mon système nerveux, dans son histoire, dans ses automatismes inconscients. En dautres termes, nous soignons au niveau dorganisation de lindividu les effets qui ont pris naissance aux niveaux dorganisation englobants, cest-à-dire au niveau des groupes social, familial, professionnel ou dune société globale, car nous négocions notre instant présent avec tout notre acquis mémorisé inconscient.
(c.A.83)
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Liberté - Libre
Ce que nous appelons liberté consiste en général dans la possibilité de répondre à nos pulsions primitives, lesquelles sont déjà fortement aliénées par les automatismes socioculturels, les préjugés et les jugements de valeur du groupe social et de l'époque dans lesquels nous sommes insérés. Les sociétés libérales ont réussi ainsi à convaincre l'individu que la liberté se trouvait dans l'obéissance et la soumission aux règles des hiérarchies du moment et à l'institutionnalisation des règles nécessaires à observer pour s'élever dans ces hiérarchies. D'ailleurs, on parle rarement du manque de liberté de l'ouvrier, des populations du crabe au Brésil ou dans les pays sous-développés, de celle enfin de tous les hommes enchaînés aux lois de la production. Pauvre liberté qui se satisfait de l'inconscience où nous sommes des déterminismes qui commandent à nos comportements sociaux. La liberté commence où finit la connaissance. Avant, elle n'existe pas, car la connaissance des lois nous oblige à leur obéir. Après elle n'existe que par l'ignorance des lois à venir et la croyance que nous avons de ne pas être commandés par elles puisque nous les ignorons. En réalité, ce que l'on peut appeler " liberté ", si vraiment nous tenons à conserver ce terme, c'est l'indépendance très relative que l'homme peut acquérir en découvrant, partiellement et progressivement, les lois du déterminisme universel. Il est alors capable, mais seulement alors, d'imaginer un moyen d'utiliser ces lois au mieux de sa survie, ce qui le fait pénétrer dans un autre déterminisme, d'un autre niveau d'organisation qu'il ignorait encore. Le rôle de la science est de pénétrer sans cesse dans un nouveau niveau d'organisation des lois universelles. Tant que l'on a ignoré les lois de la gravitation, l'homme a cru qu'il pouvait être libre de voler. Mais comme Icare il s'est écrasé au sol. Ou bien encore, ignorant qu'il avait la possibilité de voler, il ne savait être privé d'une liberté qui n'existait pas pour lui. Lorsque les lois de la gravitation ont été connues, l'homme a pu aller sur la lune. Ce faisant, il ne s'est pas libéré des lois de la gravitation mais il a pu les utiliser à son avantage. Comment être libre quand une grille explicative implacable nous interdit de concevoir le monde d'une façon différente de celle imposée par les automatismes socioculturels qu'elle commande ? Quand le prétendu choix de l'un ou de l'autre résulte de nos pulsions instinctives, de notre recherche du plaisir par la dominance et de nos automatismes socioculturels déterminés par notre niche environnementale ? Comment être libre aussi quand on sait que ce que nous possédons dans notre système nerveux, ce ne sont que nos relations intériorisées avec les autres ?
Quand on sait qu'un élément n'est jamais séparé d'un ensemble. Qu'un individu séparé de tout environnement social devient un enfant sauvage qui ne sera jamais un homme ? Que l'individu n'existe pas en dehors de sa niche environnementale à nulle autre pareille qui le conditionne entièrement à être ce qu'il est ? Comment être libre quand on sait que cet individu, élément d'un ensemble, est également dépendant des ensembles plus complexes qui englobent l'ensemble auquel il appartient ? Quand on sait que l'organisation des sociétés humaines jusqu'au plus grand ensemble que constitue l'espèce, se fait par niveaux d'organisation qui chacun représente la commande du servomécanisme contrôlant la régulation du niveau sous-jacent ? La liberté ou du moins l'imagination créatrice ne se trouve qu'au niveau de la finalité du plus grand ensemble et encore obéit-elle sans doute, même à ce niveau, à un déterminisme cosmique qui nous est caché, car nous n'en connaissons pas les lois.
Ainsi, le terme de liberté ne s'oppose pas comme on pourrait le croire à celui de déterminisme. Ce dernier, est-il besoin maintenant de le rappeler, ne peut plus être conçu comme il le fut à la fin du XIXe siècle comme un déterminisme de causalité linéaire, une cause produisant un effet. C'est encore ce type de déterminisme enfantin qu'utilisent souvent les " analyses " sociopolitiques langagières. Or des effecteurs dont nous ne connaissons pas souvent la structure fournissent des effets multiples à la suite de l'action de non moins multiples facteurs, loin d'être tous identifiés et mesurés, eux-mêmes contrôlés par les feedbacks émanant des effets. Ils constituent des systèmes fort complexes, mais cette complexité, du fait que nous ne la connaissons pas, ne nous permet pas de parler de liberté ou d'aléatoire, mais de notre ignorance.
(N.G.74)
Ce que nous appelons liberté, c'est la possibilité de réaliser les actes gratifiants, de réaliser notre projet, sans nous heurter au projet de l'autre. Mais l'acte gratifiant n'est pas libre. Il est même entièrement déterminé. L'absence de liberté résulte donc de l'antagonisme de deux déterminismes comportementaux et de la domination de l'un sur l'autre. Dans cette optique, la liberté consisterait à créer des automatismes culturels tels que le déterminisme comportemental de chaque individu aurait la même finalité, mais située en dehors de lui-même. Or, on conçoit que ceci est impossible en dehors des périodes de crise, quel que soit le régime socio-économique, dans un système hiérarchique de dominance.
(E.F.76)
...lignorance des déterminismes, des lois, des structures complexes en rétroaction dynamique, établies par niveaux dorganisation, au sein des organismes vivants, nous fait croire à la liberté. Elle ne commence quoù commence notre ignorance, cest-à-dire très précocement.
Mais ce que nous savons déjà de ces mécanismes complexes, qui, de la molécule au comportement humain en situation sociale, animent notre système nerveux, dirigent notre attention, établissent nos processus de mémorisation et dapprentissage, eux-mêmes fondements biochimiques et neurophysiologiques de notre affectivité, de nos envies simplistes, de notre imaginaire créateur, de ce que recouvrent des mots comme pulsion, motivation, désir, et qui restent des mots si on ne tente pas de leur fournir des bases expérimentales, à chaque niveau dorganisation phylogénique et ontogénique, permet de se demander ce qui reste de notre liberté. Ce nest guère plus sans doute que la possibilité pour un cerveau humain, motivé inconsciemment par la conservation de la structure organique, de son bien-être, de son plaisir, motivation contrôlée par lapprentissage également inconscient des lois culturelles lui infligeant lapplication dun règlement de manuvre avec récompense et punition, de pouvoir parfois, si ces automatismes ne sont pas trop contraignants et si lon sait quils existent, ce qui permet de sen méfier, dimaginer, grâce à lexpérience déterminée par le vécu antérieur inconscient, une solution nouvelle aux problèmes anciens. Cest peu sans doute mais cest peut-être déjà beaucoup.
La logique du discours nest pas celle de la biologie ni de la physiologie du système nerveux qui le prononce, celle de notre inconscient. Et pour cet homme divisé en deux, moitié productrice, moitié culturelle, le droit à la culture nest le plus souvent que le droit de participer aux signes de reconnaissance de la fraction dominante, à une culture devenue elle-même marchandise, permettant la reproduction de la structure sociale, calmant les frustrations, permettant à la moitié productrice de lindividu de mieux poursuivre son aliénation, grâce à la récompense de lautre moitié. La notion de liberté est finalement dangereuse, parce quelle aboutit à lintolérance et lagressivité. Détenant forcément la vérité et layant choisie «librement», si lautre nest pas de notre avis, sil a choisi aussi «librement» lerreur et soppose à la réalisation de notre vérité, il faut le tuer, et la liberté trouvera toujours un alibi logique aux meurtres, aux tortures, aux guerres, aux génocides. Linstinct de mort freudien, à notre avis, est là, dans le langage humain justifiant, déculpabilisant, et qui absout tous les crimes des hommes contre lhomme, souvent au titre de ses droits.
Le droit pour lindividu ou pour les groupes sociaux à exprimer «librement» leurs pensées, en dautres termes à communiquer le résultat de leur déterminisme et de leur expérience inconsciente du monde, est, sans doute, un droit naturel quil est utile de conserver si lon désire permettre lévolution culturelle de lespèce par la combinatoire conceptuelle. On sait que cest grâce à la combinatoire génétique, grâce à la sexualité, que lévolution biologique a été possible. Au stade où en est parvenue lespèce humaine, son évolution ne peut résider que dans une combinatoire des concepts en sachant quaucun deux nest globalisant, ne débouche sur une vérité et que chacun deux nexprime quun sous-ensemble dun ensemble, la «réalité», que nous ne connaîtrons jamais, sous-ensemble qui résulte encore de la spécialisation et de lanalyse. Mais il faudrait surtout que cela ne débouche pas sur laction, action fanatique, agressive, dominatrice, sûre de son bon droit. Or, comment y parvenir dans lignorance de ce qui anime le discours, des mécanismes qui le font naître? Si le meurtre intraspécifique nexiste pas chez lanimal, cest sans doute parce que lanimal ne parle pas.
(C.A.83)
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Lutte de classes
Où situer la classe des «travailleurs» et leurs intérêts de classe ? Il est probable qu'un cadre supérieur ou un OS pourront avoir conscience d'appartenir, ou de ne pas appartenir, au prolétariat, à la classe des « travailleurs »; suivant les satisfactions de domination hiérarchique, ou les insatisfactions qu'ils éprouvent. Il existe dans la classe ouvrière de parfaits bourgeois et heureux de l'être, bien qu'exploités et dépouillés de leur plus-value, de même qu'il existe dans la bourgeoisie d'authentiques prolétaires, et fiers de l'être, bien que profitant pleinement par ailleurs de leur pouvoir économique et politique dont ils admettent l'équité puisqu'ils ne discutent l'existence du pouvoir hiérarchique, mais plutôt son mode de distribution. La notion de classe a été jusqu'ici fondée uniquement sur la possession ou non d'un pouvoir économique et politique. Ce pouvoir économique et politique est lui-même fondé sur un système hiérarchique, lequel est fonction de l'information professionnelle. Aussi longtemps que les partis dits de «gauche» ne remettront pas en cause ces bases mêmes du système hiérarchique, la lutte des classes n'aura qu'un sens tronqué et renaîtra toujours de ses cendres, puisque le système qui lui donne naissance n'aura pas été aboli.
Dans ce cadre il existe évidemment des dominants et des dominés, qui nous pouvons bien appeler si bon nous semble bourgeois et prolétaires. Nous pouvons désigner chaque ensemble par le terme de «classe sociale». Nous admettrons sans aucun doute que l'effort des dominants pour maintenir leur dominance et celui des dominés pour atteindre la dominance constitue la «lutte des classes». Cependant, il semble aussi certain que nous nous limiterons à une phraséologie révolutionnaire, si nous n'inscrivons pas dans ce cadre l'ensemble des notions avons abordées concernant l'information et la thermodynamique (voir hiérarchie/structure hiérarchique), les hiérarchies professionnelles et le pouvoir politique. Or, ces notions rendent beaucoup plus difficile la délimitation des classes sociales que nous pouvons appeler «classiques». Nous savons maintenant que ces classes sont caractérisées par le rapport : abstraction de l'information/travail mécanique dans l'activité des individus, la classe étant d'autant plus élevée que le rapport l'est aussi.
C'est ce rapport qui donne le «pouvoir» d'agir, puisque l'action est d'autant plus efficace que mieux informée. Nous savons que ce pouvoir s'inscrit dans les hiérarchies professionnelles et devient un pouvoir politique du fait que la «politique» n'a jamais fait autre chose jusqu'ici que d'assurer le maintien du pouvoir des dominants (conservatisme) ou de chercher à leur prendre (progressisme, révolutionnarisme, gauchisme) en restant dans le cadre actuel de l'expansion économique.
(N.G.74)
Quest-ce quune classe ? Ce mot définit un ensemble dindividus qui ont en commun une fonction, un genre de vie, une idéologie, des intérêts, etc. La multiplicité des facteurs qui entrent en jeu pour la définir rend difficile lappréciation de ses limites. Le marxisme en a fourni une définition simple. La classe prolétarienne ne possède que sa force de travail, la classe bourgeoise détenant la propriété privée des moyens de production et déchanges. Il est clair quaujourdhui un nombre considérable dindividus, ne possédant pas la propriété privée des moyens de production et déchanges, a des intérêts, une idéologie, un genre de vie, une échelle de salaires qui en font de parfaits bourgeois. De même, définir le prolétariat par sa force de travail consiste à dire que, lorsque lon nappartient pas à cette classe, on ne travaille pas, on vit dans loisiveté. Cependant, un bon nombre de bourgeois, ou soi-disant tels, remplissent plus dheures de travail par semaine que nimporte quel ouvrier spécialisé.
Est-ce alors le genre de travail effectué qui constitue le facteur essentiel de division par classes de la société? Le travail manuel serait-il prolétarien, et lintellectuel, petit ou grand bourgeois! Lartisan serait alors un prolétarien, au même titre que le manuvre, et le philosophe marxiste ou linstituteur, un bourgeois. Ce qui nest pas toujours faux. Certaines fonctions sont sans doute plus motivantes que dautres, et un travail dans lequel on joue avec des informations variées, un travail créateur de nouveaux ensembles abstraits, est plus motivant que le geste stéréotypé du travailleur à la chaîne. Celui qui réalise le premier sera souvent moins contestataire de la structure sociale qui lui permet de se gratifier que le second. Mais la frontière entre travail intellectuel et manuel est encore bien mal délimitée et ce nest pas parce quun travail fait moins appel à lénergie thermodynamique du muscle et de la main et plus à celle, métabolique et informationnelle, du cerveau humain, quil nest pas aussi automatisé, aussi dénué dintérêt, aussi peu motivant. Mais ayant demandé à celui qui leffectue davoir atteint un certain degré dans labstraction, il sera mieux récompensé par une structure sociale productiviste.
Mieux récompensé ? En quoi consiste la récompense, source le plus souvent de linégalité? Elle est salariale, bien sûr. Mais certaines professions, dont le salaire dépend de lEtat, bien que professions dites «intellectuelles», ne sont guère mieux rétribuées que celle remplie par un chef datelier dans lindustrie. Pourquoi existe-t-il encore des médecins militaires, par exemple, passant des concours, alors que leurs équivalents civils ont des situations économiques beaucoup plus rentables? Le salaire est un facteur motivant mais insuffisant à séparer les classes sociales. Un chercheur scientifique dira avec ostentation si on lui demande quelle est sa fonction: «Je suis chercheur», alors quil est payé parfois juste au-dessus du SMIC.
(C.A.83)
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Mémoire, apprentissage et affectivité
Chez les premiers mammifères apparaissent des formations nouvelles en « dérivation » sur le système précédent (cerveau reptilien), c'est ce qu'il est convenu d'appeler le système limbique. Considéré classiquement comme le système dominant l'affectivité, il nous paraît plus exact de dire qu'il joue un rôle essentiel dans l'établissement de la mémoire à long terme sans laquelle l'affectivité ne nous paraît guère possible. En effet, la mémoire à long terme que l'on s'accorde de plus en plus à considérer comme liée à la synthèse de protéines au niveau des synapses mises en jeu par l'expérience est nécessaire pour savoir qu'une situation a été déjà éprouvée antérieurement comme agréable ou désagréable et pour que ce qu'il est convenu d'appeler un « affect » puisse être déclenché par son apparition ou par celle de toute situation qu'il n'est pas possible de classer a priori dans l'un des deux types précédents par suite d'un « déficit informationnel » à son égard. L'expérience agréable est primitivement celle permettant le retour ou le maintien de l'équilibre biologique ; la désagréable, celle dangereuse pour cet équilibre, donc pour la survie, pour le maintien de la structure organique dans un environnement donné. La mémoire à long terme va donc permettre la répétition de l'expérience agréable et la fuite ou l'évitement de l'expérience désagréable. Elle va surtout permettre l'association temporelle et spatiale au sein des voies synaptiques, de traces mémorisées liées à un signal signifiant à l'égard de l'expérience, donc provoquer l'apparition de réflexes conditionnés aussi bien pavloviens (affectifs ou végétatifs) que skinnériens opérants (à expression neuromotrice).
La synthèse de molécules protéiques à la suite d'une stimulation résultant de variations survenues dans l'environnement « coderait » les synapses au niveau desquelles l'influx nerveux est passé. La voie nerveuse empruntée par l'influx serait ainsi transformée plus ou moins définitivement, de telle sorte qu'une stimulation analogue aurait alors tendance à ne mettre en jeu à nouveau que les mêmes voies nerveuses, les mêmes synapses mises en jeu par la première. (N.G.74)
Pour lindividu, il sagit dapprentissage entrepris dès la naissance de la façon dont il peut assouvir ses besoins fondamentaux dans lensemble social où le hasard de cette naissance la placé. Il apprend très vite lagréable et le désagréable, le bien-être, léquilibre biologique, le principe du plaisir, mais il découvre aussi très tôt que le monde qui lentoure nest pas lui; dès quil a construit son schéma corporel, il a compris quil est seul dans sa peau, il découvre le principe de réalité, qui nest pas toujours conforme à celui de son plaisir. Tous les mammifères comme lhomme possèdent un cerveau capable de mémoriser, dapprendre et qui leur permet, en accumulant les expériences passées, déviter celles qui ont été désagréables si le cadre événementiel dans lequel elles se sont produites se représente. Cela permet aussi de reproduire la stratégie daction qui a apporté la satisfaction, le plaisir. Dans le premier cas, la fuite ou, si elle est impossible, la lutte permettent déviter la punition, dans le second, lacte gratifiant sera renouvelé. Mais pour cela, il faut que lobjet ou lêtre gratifiant restent à la disposition de lindividu. Si un autre individu a fait lexpérience de la gratification obtenue par lusage du même objet ou du même être, il y aura compétition et apparition dune hiérarchie : un dominant qui gagne et sapproprie et un dominé qui perd et se soumet. Il nexiste donc pas dinstinct de propriété inné, mais apprentissage par un système nerveux du plaisir éprouvé par le contact et lusage des objets et des êtres quil tente dès lors de conserver pour lui. Comment, dans ce cas, inscrire la propriété comme un droit naturel de lhomme, alors quil ne sagit que dun apprentissage culturel? Certaines cultures ne lont jamais connu. De même, si lon fait appel à une loi naturelle, en parlant de défense du territoire, faut-il du moins considérer que, si ce territoire était vide, il ny aurait pas besoin de le défendre. Aussi est-ce bien parce quil contient des objets et des êtres gratifiants quon le défend contre lenvahisseur.
Donc, apprentissage des règles sociales, des récompenses (salaires, promotion sociale, décorations, pouvoirs) et des punitions si ces règles sont transgressées; les droits de lhomme ne sont plus alors que les droits de lensemble social à maintenir ses structures, quelles quen soient les règles détablissement à lest, à louest ou au centre, à droite ou à gauche. L'État, cest-à-dire la structure hiérarchique (théocratique, aristocratique, bourgeoise, bureaucratique, technocratique), est omniprésent. LEtat sinfiltre partout dans son abstraction langagière. On parle ainsi du droit des peuples à disposer deux-mêmes, mais quest-ce quun peuple, une nation? Sont-ils représentés par autre chose que par un groupe humain, établi depuis des millénaires dans un espace géoclimatique particulier et dont le comportement a été façonné par ce cadre, qui la conduit à létablissement dune culture, cest-à-dire dun comportement et dun langage ? Alors il existe une nation bretonne, basque, corse, occitane. Et comme il nest plus pensable pour ces ethnies de vivre en autarcie, il faut bien quelles sintègrent dans un système englobant. Mais alors pourquoi ne pas les laisser décider elles-mêmes de la modalité des relations économiques, culturelles ou politiques quelles veulent entretenir avec cette structure abstraite quon appelle lEtat et qui, nous lavons vu, nest guère plus que lexpression institutionnalisée dune hiérarchie de dominance ? Pourquoi apprendre aux petits Noirs du Sénégal, comme cétait le cas il ny a pas encore si longtemps, que leurs ancêtres étaient les Gaulois, au moment où lon interdisait lemploi du gaélique aux Bretons ? Pourquoi, lorsque la dominance est passée des aristocrates aux bourgeois, a-t-il fallu cinq cent mille morts dans la chouannerie vendéenne pour mieux lui infliger la liberté, légalité et la... fraternité ? (C.A.83)
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Niveaux d'organisation
...nous avons indiqué que les organismes vivants étaient constitués par « niveaux dorganisation ». En effet, les atomes qui constituent les êtres vivants sont les mêmes que ceux qui constituent la matière inanimée mais ce sont les relations qui existent entre ces atomes qui en constituent leur première caractéristique. On sait dailleurs depuis longtemps quil existe une chimie minérale et une chimie organique, mais les molécules qui résultent de cette organisation particulière des atomes dans la matière vivante vont constituer des ensembles dun niveau supérieur dorganisation. Les réactions enzymatiques comprennent trois molécules, un substrat, une enzyme et le produit de la réaction enzymatique. Ces réactions enzymatiques sont la façon dont la matière vivante a résolu les problèmes déchange énergétique qui nécessiterait une énergie dactivation considérable si la molécule enzymatique intermédiaire nétait pas là.
Un bain-marie est un appareil qui, dans un laboratoire, sinscrit dans une chaîne expérimentale, au sein de laquelle on a souvent besoin dobtenir et de maintenir, pendant un certain temps, la température de leau, à des valeurs variées. Il faudra donc intervenir sur ce régulateur pour quil fonctionne à un autre niveau thermique et cest lopérateur qui, de lextérieur du système, réglera ce régulateur, le transformant en ce que nous appellerons un servomécanisme. Il en est de même pour la réaction enzymatique dont nous avons parlé et la commande du servomécanisme viendra de lextérieur, du fait quelle sinscrit dans une chaîne métabolique. Elle est précédée, dans cette chaîne, par une autre réaction enzymatique dont le produit de la réaction sera son propre substrat. A lorigine de cette chaîne de réactions enzymatiques se trouvera laliment, porteur de lénergie photonique solaire qui sera dégradé progressivement et abandonnera cette énergie en la fixant dans une molécule de composés phosphorés dits riches en énergie, telle lATP, qui la mettra en réserve. De cette façon, lensemble cellulaire dans lequel va sinscrire la chaîne métabolique pourra utiliser cette énergie de réserve, pour maintenir sa structure, cest-à-dire lensemble des relations existant entre les atomes, les molécules, les voies métaboliques et, dans certains cas, pour libérer également de lénergie mécanique, de telle façon que le milieu où se trouve cette cellule soit contrôlé par elle et que le maintien de la structure cellulaire en soit facilité. Nous avons vu ainsi se profiler devant nous déjà un certain nombre de niveaux
dorganisation : le niveau atomique, le niveau moléculaire, le niveau de la réaction enzymatique, celui des chaînes métaboliques, celui de la cellule. Ajoutons que ces chaînes métaboliques se trouvent généralement comprises dans ce quil est convenu dappeler les organites intracellulaires, tels que les mitochondries, le noyau, les membranes, le réticulum endoplasmique, etc., qui constituent en quelque sorte les machines permettant à cette usine chimique quest la cellule de fonctionner. Mais on voit surtout que chaque niveau dorganisation ne pourrait rien faire par lui-même sil ne recevait pas son énergie et ses informations, sil nétait pas régulé par une commande qui lui vient du niveau dorganisation qui lenglobe. Il sensuit aussi que le fonctionnement et lactivité des cellules dépendront de lactivité fonctionnelle des organes et celle-ci de celle des systèmes auxquels ils appartiennent. Ces systèmes se trouveront réunis dans un organisme. Et cet organisme est lui-même situé dans un environnement, un espace. Cest lactivité de cet organisme dans cet espace qui va commander lactivité des systèmes et, en conséquence, celle de tous les autres niveaux dorganisation jusquau niveau moléculaire. Mais lactivité de cet organisme, de cet individu, qui se trouve inclus lui-même dans un groupe social, va être réglée par la finalité de ce groupe social. Ce groupe social fait lui-même partie de groupes sociaux plus grands qui lenglobent. Et lon voit que de niveau dorganisation en niveau dorganisation, nous atteignons forcément le niveau dorganisation de lespèce. Quand on parle dagressivité, on ne peut donc pas envisager celle-ci sans comprendre comment chaque niveau dorganisation va rentrer fonctionnellement en rapport avec celui qui lenglobe.
Ces notions sont indispensables pour comprendre quil ny a pas à rechercher danalogie structurelle entre les niveaux dorganisation mais à mettre en évidence les relations existant entre chaque niveau. En ce sens, il ne peut y avoir de solution de continuité entre la molécule dacide désoxyribonucléique et lespèce humaine. Une notion rarement émise et qui me paraît pourtant importante, cest que notre espèce constituant le dernier épanouissement de lévolution des espèces dans la biosphère, de la complexification croissante de la matière organique, na pas compris quelle était cependant englobée dans cette biosphère, dépendant elle-même dune commande extérieure au système, et quelle restait donc soumise, comme les autres espèces, à une pression de nécessité. Elle a inventé des règles, extérieures à elle-même, religions révélées, morales, idéologies, structures étatiques avec leurs lois, alors que ce faisant, elle restait enfermée dans son niveau dorganisation et demeurait dans lignorance totale de ce qui commandait au comportement des individus et des groupes, et à la sécrétion de ces différents règlements de manuvre. Le malheur de lhomme, semble-t-il, vient de ce quil na pas trouvé le moyen de transformer la régulation individuelle en servomécanisme inclus dans lespèce, il sarrête toujours en chemin à des groupes, des sous-ensembles qui ne conceptualisent pas eux-mêmes leur appartenance à cette espèce ni ne découvrent les moyens dêtre englobés par elle. Il nest pas étonnant, dans ces conditions, que nous nous apercevions tardivement que lespèce humaine na pas géré les biens à sa disposition, biens matériels et énergétiques, monde vivant de la flore et de la faune et monde humain lui-même, aboutissant à lorganisation des structures économiques et sociales. En effet, tous les niveaux dorganisation qui vont de la molécule au système nerveux humain et à son fonctionnement en situation sociale ont jusquici été ignorés et remplacés par un discours, dont la raison dêtre est que lanalyse logique à partir de faits dits objectifs aboutit forcément à la réalité; mais la logique du discours na rien à voir avec la logique de la chimie et de la neurophysiologie du système nerveux humain en situation sociale. (C.A.83)
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Propriété - Propriété privée - Territoire
Ce que l'on appelle le territoire est bien le morceau d'espace dans lequel un individu peut agir pour se gratifier. Mais que dans cet espace se trouvent aussi les autres qui limiteront la diversité de ses actes gratifiants. Un des problèmes posés à l'homme moderne réside dans le fait que cet espace n'est plus pour lui un espace réel, mais le plus souvent une représentation, une image considérablement agrandie, alors que les autres sont toujours là, bien réels et de plus en plus empiétants sur la bulle étroite dans laquelle il peut agir. Il a gagné sans qu'on lui demande son avis, un bulletin de paie et une carte de sécurité sociale, mais il a perdu le chant des oiseaux. L'étendue de son territoire est fonction de sa situation hiérarchique. Celle du leader est beaucoup plus vaste que celle de l'ouvrier spécialisé. L'espace où ce dernier peut se gratifier est éminemment restreint.
A la notion de territoire ainsi comprise est liée celle de propriété. Dans le territoire d'un individu, dans le morceau d'espace au sein duquel il peut agir pour se gratifier, se trouvent des êtres et des choses. La gratification, nous le savons, aboutit à la répétition de l'acte gratifiant. Il faut donc que demeurent dans l'espace de gratification les objets et les êtres sur lesquels s'effectue l'acte gratifiant. D'où l'apparition dès l'enfance d'un lien étroit entre l'objet et le système nerveux, l'apparition de ce qu'il est convenu d'appeler l' « instinct de propriété ». Il ne s'agit évidemment pas d'un instinct dans le sens où nous avons défini ce mot, mais d'un comportement résultant d'un apprentissage, d'un apprentissage gratifiant. Il nous semble important de préciser cette notion car lorsqu'on l'a comprise, les rapports entre la notion de propriété des êtres et des choses et les systèmes hiérarchiques de dominance s'expliquent simplement, sans invoquer l' "innéité essentielle"
des comportements qui en découlent. On ne désire se rendre propriétaire que des objets et des êtres susceptibles de nous permettre des actes gratifiants et surtout le « réenforcement », c'est-à-dire leur répétition. La propriété est comme les drogues, un toxique provoquant l'accoutumance et la dépendance grâce à un mécanisme biochimique cérébral fort proche de la toxicomanie, puisque dans l'un et l'autre cas le processus s'accompagne de la synthèse de protéines cérébrales qui commande à la stabilisation de tout apprentissage.
Ma femme, mon appartement, mes enfants, ma voiture, sont des objets gratifiants en général. Et c'est sans doute la compréhension empirique de ce phénomène linguistique qui, pour provoquer un comportement d'acceptation hiérarchique, a conduit à obliger le militaire à dire mon adjudant, mon capitaine, mon unité, tous objets qui ne sont pas gratifiants a priori, mais dont on attend qu'ils le deviennent dès lors qu'ils sont une propriété participant ainsi à la réalisation du plaisir. Bien, mon adjudant!
La notion de propriété résulte bien d'un apprentissage socioculturel, puisque l'on peut se gratifier avec des biens collectifs (la nature, le Parthénon, les Nympheas, la sonate de Lekeu, etc.) sans songer à se les « approprier ». Cependant, la propriété est bien liée à la gratification car, même dans ces cas, on tentera d'acquérir une résidence secondaire à la campagne qu'on entourera de murs, des reproductions en couleur des uvres architecturales ou picturales que l'on préfère, ou le disque de l'ouvre musicale que l'on aime, afin de réaliser un « réenforcement » gratifiant.
(N.G.74)
C'est grâce à une information de plus en plus abstraite, qu'avec la révolution industrielle l'homme a pu se rendre maître de l'énergie et traiter la matière de façon à fabriquer des quantités considérables d'objets, grâce à l'invention des machines. Ce ne fut d'abord que pour accroître le capital par la vente de ces objets, le capital restant jusqu'à nos jours le moyen le plus efficace de domination des hommes et des groupes humains entre eux.
Aussi longtemps que ces objets ont été réalisés essentiellement par le travail manuel de l'ouvrier, c'est par l'intermédiaire de la plus-value, comme Marx l'a montré, celle de la retenue par le possesseur du capital d'une partie du produit du travail humain non restitué à celui qui l'a fourni, que fut constituée l'accumulation du capital. A mesure que les machines prirent de l'importance dans la production des marchandises, inversement le travail manuel de l'ouvrier prit relativement moins d'importance au sein du processus de production. Le capitaliste utilisa la plus-value pour s'approprier aussi des moyens de production de masse, les machines, en investissant. Il augmentait ainsi son pouvoir puisque, sans machines, l'ouvrier devenait inefficace et que ces machines ne lui appartenant pas il devenait possible de l'obliger à accepter tous les désirs du patron. C'est en cela que la disparition de la propriété Privée des moyens de production est un élément indispensable bien qu'insuffisant à la disparition de la dominance.
Supprimer la propriété privée des moyens de production et d'échanges, qui enchaîne celui qui ne possède pas à la dominance de celui qui possède, est évidemment un facteur indispensable à la transformation des rapports socio-économiques. Mais le progrès sera inapparent si, chaque individu manquant d'informations non plus techniques, professionnelles, mais générales, concernant les lois biologiques d'organisation des sociétés, la plus-value est utilisée suivant les décisions de quelques-uns, bureaucrates et technocrates, qui expriment ainsi leur dominance et satisfont leur narcissisme. Le malaise social résulte moins sans doute de disparités économiques que de l'aliénation hiérarchique. Si en pays capitalistes les disparités économiques sont fonction le plus souvent des disparités hiérarchiques, en pays socialistes où les disparités économiques sont moins flagrantes, bien que persistant encore, les disparités hiérarchiques subsistent et il ne suffit pas de s'interpeller en s'appelant « camarade » pour que disparaissent dominants et dominés, classes dirigeantes et classes dirigées, toute-puissance du parti par rapport à la base.
(E.F.76)
Laction se réalise dans un espace ou des espaces qui contiennent des objets et des êtres. Si lespace était vide, il ny aurait pas de raison dagir. Nous savons maintenant que lorsque laction se réalise, si le contact avec les objets et les êtres contenus dans lespace où elle sopère est gratifiant, aboutit à la satisfaction ou au contraire à la punition, la mémoire se souviendra des stratégies ayant abouti à lune ou lautre de ces conséquences. Elle tentera de reproduire lacte gratifiant et déviter laction nociceptive. Pour réaliser ce que nous avons appelé le réenforcement, cest-à-dire la répétition de laction gratifiante, il faut que lobjet ou lêtre sur lequel cet acte sest opéré reste à la disposition de lindividu, de lacteur. Cest là que réside, pour nous, lorigine de ce que nous appelons linstinct de propriété, qui résulte lui-même de lapprentissage par un système nerveux de lexistence dobjets avec lesquels on peut se faire plaisir.
Pour le nouveau-né, le premier objet gratifiant est évidemment la mère. En général, le principe du plaisir découvert réside dans le fait que les besoins fondamentaux Sont assouvis par quelquun détranger puisque le petit de lhomme ne peut pas les assouvir à la naissance par son action personnelle sur lenvironnement. Le plaisir, donc, va être mémorisé en même temps que des stimuli variés, qui généralement viendront de la mère: le contact de la mère, la voix de la mère, la vue de la mère, lodeur de la mère. Ces différents stimuli sont généralement associés à lassouvissement des besoins, cest-à-dire au plaisir, mais, rappelons-le, à une époque où le nouveau-né est encore dans ce que nous avons appelé son moi-tout, à une époque où il na pas encore réalisé son schéma corporel, et quil ne sait pas encore quil est dans un environnement différent de lui. Lorsquil a réalisé cette distinction, cette différenciation entre lui et lautre, il va sapercevoir que lobjet de son plaisir, la mère, ne répond pas obligatoirement à ses désirs, si elle répond encore le plus souvent à ses besoins fondamentaux. Cest alors quil va découvrir le principe de réalité. Il va sapercevoir que la mère a des rapports particuliers avec un moustachu quil ne sait pas être son père mais qui lui ravit son objet gratifiant, ou avec dautres êtres quil ne sait pas être ses frères ou surs et pour lesquels la mère a des attentions particulières comme elle en a aussi à son égard. Il va découvrir ainsi linstinct de propriété ou plutôt le prétendu instinct de propriété, lamour malheureux, la jalousie, ldipe.
Ainsi, la notion de propriété et non pas linstinct de propriété sétablit progressivement par lapprentissage de lexistence dobjets gratifiants. Et lespace contenant lensemble des objets gratifiants est ce quon peut appeler «territoire». On sait combien cette notion de territoire, dans léthologie moderne, a été fréquemment utilisée et combien la notion de défense du territoire a été étudiée. Quon nous permette simplement de faire remarquer que si le territoire était vide, il ne serait pas défendu. Il nest défendu que parce quil contient des objets et des êtres gratifiants car si ces objets et ces êtres étaient dangereux pour la survie, le territoire serait fui et non pas défendu. Il nexiste donc pas, selon nous, dinstinct inné de défense du territoire pas plus quil nexiste dinstinct de propriété: tout cela nest quapprentissage. Il ny a quun système nerveux ou des systèmes nerveux agissant dans un espace qui est gratifiant parce quil est occupé par des objets et des êtres permettant la gratification.
De même, si lon fait appel à une loi naturelle, en parlant de défense du territoire, faut-il du moins considérer que, si ce territoire était vide, il ny aurait pas besoin de le défendre. Aussi est-ce bien parce quil contient des objets et des êtres gratifiants quon le défend contre lenvahisseur. Mais dune part, si lhomme est vraiment le roi des animaux et la terre son royaume, est-il nécessaire quil agisse comme ses frères «inférieurs» ? Pourquoi appelle-t-il leur exemple à la rescousse quand il peut ainsi soutenir par un discours logique ses pulsions les plus primitives et, quand lacte ne lui convient pas, pourquoi parle-t-il de se «ravaler au rang des bêtes» ? En réalité, il ny a rien de plus trivial que la notion, et non pas linstinct de propriété individuelle et familiale, de groupes, de classes, dEtats, etc. Allons un peu plus loin dans lanalyse, et nous constaterons quun territoire, un espace écologique où vit une collectivité humaine, contient avant tout une structure sociale à laquelle les hommes ont donné naissance. Cette structure sociale a toujours été, depuis le début du néolithique, une structure sociale de dominance. Si bien que mourir pour la patrie, cest dabord mourir pour que cette structure sociale se perpétue, se reproduise, que les rapports de dominance se conservent. Il est curieux de constater que toutes nos lois ne servent en définitive quà défendre plus ou moins directement la propriété, comme si celle-ci était un droit de lhomme.
(C.A.83)
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Qui suis-je ?
Lorsqu'on a passé trente ans de son existence à observer les faits biologiques et quand la biologie générale vous a guidé pas à pas vers celle du système nerveux et des comportements, un certain scepticisme vous envahit à l'égard de toute description personnelle exprimée dans un langage conscient. Tous les autoportraits, tous les mémoires ne sont que des impostures conscientes ou, plus tristement encore, inconscientes.
La seule certitude que cette exploration fait acquérir, c'est que toute pensée, tout jugement, toute pseudo-analyse logique n'expriment que nos désirs inconscients, la recherche d'une valorisation de nous-mêmes à nos yeux et à ceux de nos contemporains. Parmi les relations qui s'établissent à chaque instant présent entre notre système nerveux et le monde qui nous entoure, le monde des autres hommes surtout, nous en isolons préférentiellement certaines sur lesquelles se fixe notre attention ; elles deviennent pour nous signifiantes parce qu'elles répondent ou s'opposent à nos élans pulsionnels, canalisés par les apprentissages socioculturels auxquels nous sommes soumis depuis notre naissance. Il n'y a pas d'objectivité en dehors des faits reproductibles expérimentalement et que tout autre que nous peut reproduire en suivant le protocole que nous avons suivi. Il n'y a pas d'objectivité en dehors des lois générales capables d'organiser les structures. Il n'y a pas d'objectivité dans l'appréciation des faits qui s'enregistrent au sein de notre système nerveux. La seule objectivité acceptable réside dans les mécanismes invariants qui régissent le fonctionnement de ces systèmes nerveux, communs à l'espèce humaine. Le reste n'est que l'idée que nous nous faisons de nous-mêmes, celle que nous tentons d'imposer à notre entourage et qui est le plus souvent (...) celle que notre entourage a construit en nous.
Nous ne vivons que pour maintenir notre structure biologique, nous sommes programmés depuis l'uf fécondé pour cette seule fin, et toute structure vivante n'a pas d'autre raison d'être que d'être. Mais pour être, elle n'a pas d'autres moyens à utiliser que le programme génétique de son espèce. Or, ce programme génétique, chez l'Homme aboutit à un système nerveux, instrument de ses rapports avec l'environnement inanimé et animé, instrument de ses rapports sociaux, de ses rapports avec les autres individus de la même espèce peuplant la niche où il va naître et se développer. Dès lors, il se trouvera soumis entièrement à l'organisation de cette dernière. Mais cette niche ne pénétrera et ne se fixera dans son système nerveux que suivant les caractéristiques structurales de celui-ci. Or, ce système nerveux répond d'abord aux nécessités urgentes qui permettent le maintien de la structure d'ensemble de l'organisme. Ce faisant, il répond à ce que nous appelons les pulsions, le principe de plaisir, la recherche de l'équilibre biologique (
). Il permet ensuite, du fait de ses possibilités de mémorisation, donc d'apprentissage, de connaître ce qui est favorable ou non à l'expression de ces pulsions, compte tenu du code imposé par la structure sociale qui le gratifie, suivant ses actes, par une promotion hiérarchique.
notre seule lucidité envers nous-mêmes peut-elle consister en autre chose que de savoir que nous déformons inconsciemment les faits à notre avantage et à celui de l'image que nous tentons de donner aux autres de ce que nous voudrions être ?
De toute façon, au milieu des remaniements bouleversants qui s'amorcent au sein de notre société moderne, je suis persuadé que l'histoire d'un homme et sa finalité n'ont aucun intérêt. Il n'était peut-être pas inutile, quand il s'agit de quelqu'un qui essaie de se présenter aux autres sous le couvert d'un prétendu rigorisme scientifique, que ceux qui l'écoutent ou le lisent et risquent d'être influencés par lui, sachent que derrière tout scientifique ou soi-disant tel, se trouve un homme engagé dans la vie quotidienne. Sa vie sociale a sans doute influencé profondément la vision du monde qui s'est organisée en lui.
Il me semble que ce qui peut être intéressant dans l'histoire d'une vie, c'est ce qu'elle contient d'universel. Ce ne sont pas les détails particuliers qui l'ont jalonnée, ni la pâte unique de celui qui fut modelé par ces détails, ni la forme changeante qui en est résultée. Ce qui peut être universel, c'est la façon dont le contexte social détermine un individu au point qu'il n'en est qu'une expression particulière.
Si mon autoportrait pouvait présenter quelque intérêt, ce dont je doute, c'est de montrer comment un homme, pris au hasard, a été façonné par son milieu familial, puis par son entourage social, sa classe hiérarchique, culturelle, économique, et n'a pu s'échapper (du moins le croit-il !) de ce monde implacable que par l'accession fortuite à la connaissance, grâce à son métier, des mécanismes fondamentaux qui dans nos systèmes nerveux règlent nos comportements sociaux. L'anecdote n'est là qu'en fioriture, en illustration. Quant à la libido, elle s'exprime sur une scène où les acteurs sont aussi nombreux que les noms qui peuplent un annuaire des téléphones. Chacun de ces acteurs est guidé lui-même par le désir de satisfaire sa propre libido et dans ce réseau serré de libidos entremêlées, je ne suis pas sûr qu'il soit urgent de privilégier la mienne, chacune ayant eu sans doute son expression personnelle dans l'étroit domaine de l'espace-temps au sein duquel elle s'est située. Personne n'est capable d'ailleurs de refaire l'histoire du système nerveux d'un de ses contemporains, à commencer par ce contemporain lui-même. Tout au plus peut-on utiliser ce qu'il vous a dit pour écrire un roman interprétatif.
Ce que l'on peut admettre, semble-t-il, c'est que nous naissons avec un instrument, notre système nerveux, qui nous permet d'entrer en relation avec notre environnement humain, et que cet instrument est à l'origine fort semblable à celui du voisin. Ce qu'il paraît alors utile de connaître, ce sont les règies d'établissement des structures sociales au sein desquelles l'ensemble des systèmes nerveux des hommes d'uné époque, héritiers temporaires des automatismes culturels de ceux qui les ont précédés, emprisonnent l'enfant à sa naissance, ne laissant à sa disposition qu'une pleine armoire de jugements de valeur. Mais ces jugements de valeur étant eux-mêmes la sécrétion du cerveau des générations précédentes, la structure et le fonctionnement de ce cerveau sont les choses les plus universelles à connaître. Mais cela est une autre histoire !
Cette connaissance, même imparfaite, étant acquise, chaque homme saura qu'il n'exprime qu'une motivation simple, celle de rester normal. Normal, non par rapport au plus grand nombre, qui soumis inconsciemment à des jugements de valeur à finalité sociologique, est constitué d'individus parfaitement anormaux par rapport à eux-mêmes. Rester normal, c'est d'abord rester normal par rapport à soi-même. Pour cela, il faut conserver la possibilité " d'agir " conformément aux pulsions, transformées par les acquis socioculturels, remis constamment en cause par l'imaginaire et la créativité.
(E.F.76)
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