Un jour du mois de mai 19.., je me trouvais près de la cathédrale Saint-Pierre, dans une galerie d'art du Vieux Genève où un ami m'avait conduit pour me présenter au propriétaire des lieux, Monsieur F. Quelques jours plus tôt, avec cet ami, nous avions parlé du Trésor de Villeneuve-lez-Avignon, qui venait de faire l'objet d'un article dans le journal "La Tribune de Genève." Natif de Villeneuve, je connaissais un peu cette histoire d'un trésor caché à la Révolution par les moines de la Chartreuse du Val de Bénédiction, et qui n'avait jamais été retrouvé. Mais à mes yeux, ce n'était qu'une légende.
Mon ami s'était alors souvenu d'une de ses connaissance, ce Monsieur F., féru de peinture, d'histoire et d'archéologie, qui faisait de fréquents séjours dans le midi de la France, et particulièrement dans les alentours d'Avignon, où il entretenait des relations d'affaire avec le milieu un peu, voire très spécial, des "marchands d'art", au sens large du terme. Peut-être, par ce biais, avait-il quelques connaissances sur cette histoire de trésor. En tout cas, mon ami le croyait.
"En effet, dit Monsieur F. qui avait été informé de notre visite et de ses raisons ; je pense en savoir plus que quiconque à ce sujet. D'ailleurs tout est là." Et il désigna de la main sur une table, un volumineux dossier à la couverture cartonnée, dont la présence à sa portée annonçait qu'il l'avait sorti pour la circonstance. Malheureusement, il n'en dit pas plus ce jour-là, ayant à cette heure un important rendez-vous d'affaires imprévu. Mais il me pria de revenir le voir dans les trois jours.
Cette seconde entrevue me parut aussitôt moins chaleureuse que la précédente, comme si le temps avait porté conseil. Si bien que, venu là dans l'espoir de tout apprendre sur le fameux trésor, il me fallut vite déchanter. Les propos de mon interlocuteur furent d'une banalité et d'une imprécision décevantes. Le dossier n'était plus sur la table. Mes questions furent éludées sans beaucoup d'égards et j'eus vite fait de comprendre qu'elles n'étaient plus les bienvenues. L'heure n'était plus à la confidence, mais semblait-il, à la défiance. Si bien que je me demandais ce qui avait bien pu se passer en trois jours pour motiver un tel revirement.
Tout à fait disposé, il y avait peu, à me dire ce qu'il savait au sujet du trésor de Villeneuve, Monsieur F. m'apparaissait aujourd'hui comme un interlocuteur plutôt distant. Je pressentis que des tiers lui avaient conseillé de se taire. Il me dit seulement que le trésor était dissimulé dans des trous, au flanc d'une colline, à plusieurs kilomètres d'Avignon, dans un lieu diamétralement opposé à Villeneuve et qu'il s'agissait de sépultures moyenâgeuses, à proximité d'une chapelle. La récolte était plutôt maigre et de toute évidence, il cherchait à me fourvoyer sur une fausse piste pour m'éloigner du véritable but de ma recherche.
Une tombe à flanc de colline
J'ai tout de même vérifié, par la suite, l'exactitude de ses révélations. La chapelle existe encore, bien que totalement pillée. Les sépultures aussi, dont beaucoup ont été fouillées. Mais tout cela n'avait rien à voir avec l'hypothétique trésor des Chartreux. Les sépultures sont sans doute celles de moines d'une abbaye proche, ensevelis là en grand nombre, et certainement victimes d'une épidémie, peut-être de la Grande Peste Noire de 1348. On m'avait livré une piste secondaire comme lot de consolation.
Chapelle près des tombes, en partie détruite
"Pour tout dire, je ne sais pas grand-chose de votre affaire. Les renseignements que vous possédez sont même plus complets que les miens, me semble-t-il", conclut finalement Monsieur F. "Si vous voulez en savoir davantage, je vous conseille de prendre contact avec Mademoiselle A. Elle est employée dans un grand musée national et possède des attaches à Villeneuve. Dites-lui que vous venez de ma part." J'appris plus tard, et pour cause, puisque nous fréquentâmes un temps la même L..., que Monsieur F. était affilié à une société secrète où l'on évoque fraternellement des mystères ésotériques et où l'on pratique un occultisme rituel.
Je n'ai jamais pris contact avec Mademoiselle A. Mais comme n'importe qui, j'ai eu l'occasion de la croiser dans les jardins de sa belle propriété de Villeneuve. Je lui ai même adressé la parole, sans lui dire qu'un citoyen helvétique m'avait un jour parlé d'elle dans une galerie d'art du Vieux Genève, en me laissant entendre qu'elle disposait peut-être d'informations intéressantes sur un éventuel trésor des Chartreux et qu'il me faudrait en passer par elle pour en savoir davantage. J'évoquerai plus loin une autre personne qui jadis se promenait elle aussi dans les mêmes beaux jardins de cette propriété ; et qui dissimulait peut-être un tout autre secret. Ou plutôt, mon interlocuteur Villeneuvois s'en chargera, car il était plus versé que moi en matière de secrets concernant les habitants de Villeneuve à cette époque.