Imaginons un promeneur qui vient d'admirer l'impressionnante tour Philippe le Bel, vestige d'une grande forteresse dressée là par ce roi de France pour surveiller les remuants papes avignonnais. Le voici maintenant parvenu au coeur de la cité, ce coeur qui fut celui de tous les villages, de tous les bourgs, de toutes les villes du monde chrétien pendant deux millénaires : son église.
La Collégiale Notre Dame de Villeneuve, dont les proportions et l'architecture forment un bel ensemble qui jouxte un cloître bien conservé, fut fondée en 1333 par le Cardinal Arnaud de Via, neveu du Pape avignonnais Jean XXII. Elle contint jadis de nombreuses richesses envolées depuis vers d'autres lieux comme le Louvre ou le musée de la ville. Son plus admirable joyau, chef d'oeuvre de l'art médiéval accompli par un artiste génial, était une statuette du XIV ème siècle, une Vierge à l'enfant en ivoire polychrome, toute entière sculptée dans une défense d'éléphant dont elle épouse la forme courbe dans un mouvement parfait de naturel et de grâce. On peut la voir au musée municipal, ancienne livrée du cardinal Pierre de Luxembourg.
Cardinal Pierre de Luxembourg
Offerte à la Collégiale par son fondateur, la délicate statue a toujours suscité d'innombrables convoitises, tant officielles que privées, dont une au moins aurait pu lui être fatale.
Il y a de cela plus de quatre vingt ans, un très riche collectionneur nord-américain s'éprit à ce point de la petite Vierge qu'il voulut à toute force la posséder et qu'il en proposa des sommes folles. Les autorités religieuses et civiles de l'époque eurent bien du mal à lui faire comprendre qu'une Vierge de cette qualité ne pouvait se vendre à aucun prix. L'homme décida alors de ravir sa belle. Et il y réussit car elle était alors très mal protégée des voleurs. Naturellement, ce rapt fit grand bruit. Les pouvoirs publics étaient encore tout échaudés par le rapt de la Joconde en 1911 au musée du Louvre par Vincenzo Perugia, un patriote italien. C'en était trop.
La Vierge d'ivoire
Toutes les polices du pays furent lancées aux trousses du ravisseur qui se terrait à Marseille dans un hôtel minable où il attendait, en contemplant béatement son trésor, qu'un bateau voulût bien le rapatrier. Il allait y réussir quand la police parvint, de justesse, à le démasquer. Sa faute que ne tempérait aucune justification patriotique fut sévèrement punie.
La délicate petite Vierge a quitté son sanctuaire initial et, très protégée, assurée pour une petite fortune, elle se montre maintenant aux touristes qui visitent le musée municipal Pierre de Luxembourg, où se trouve encore le magnifique tableau d'Enguerrand Quarton représentant le couronnement de la Vierge qui ornait autrefois la Collégiale.
Le promeneur pourra encore s'attarder dans la Collégiale, devant une reproduction fidèle de la Piéta de Villeneuve dont l'original se trouve au musée du Louvre, grand accaparateur à bas prix des chefs d'oeuvres nationaux. Copie fidèle certes, et appliquée, mais copie tout de même, qui n'a pas la force expressive de l'original. Ce tableau ornait autrefois un autel dans la Chartreuse du Val de Bénédiction.
Le promeneur gravira ensuite une antique ruelle qui le conduira au faîte du Mont Andaon, accablé de Mistral depuis la nuit des temps, mais portant, hautes et fières, les deux tours jumelles de son fort Saint André, ceinturé de remparts imposants. Rasé par les Consuls d'Avignon qui supportaient mal un si puissant voisinage, le fort fut reconstruit sur ordre de Jean le Bon.
C'est ici, dans l'enceinte du fort, qu'est le berceau de Villeneuve, le bourg initial, dont il ne subsiste que quelques maison ruinées qui se pressaient jadis auprès de la magnifique Abbaye Saint-André, édifiée à la fin du 6ème siècle. Ce monument historique en très faible partie conservé car à la Révolution, il devint une carrière, est actuellement la propriété privée d'une dame qui a quelque chose à voir avec le musée du Louvre.
Mais il serait trop long et là n'est pas mon intention, de dresser une liste exhaustive des nombreux monuments et édifices de tous ordres que Villeneuve offre à l'intérêt des visiteurs. On y compte une quinzaine de livrées cardinalices elles aussi plus ou moins bien conservées, comme autant d'hôtels particuliers dont la magnificence passée se laisse encore deviner. Ils seront évoqués plus loin dans la brève histoire de Villeneuve.
Enfin, le promeneur s'engagera sous la porte monumentale qui mène au joyau de la ville : la Chartreuse du Val de Bénédiction. Mise à bas par les Villeneuvois qui en extrayaient les pierres pour construire leurs habitations, tandis que les plus pauvres établissaient leur logement dans les cellules monacales, elle a fini par se relever de ses ruines et maintenant en partie restaurée, elle abrite des "créateurs" à qui sont affectés un certain nombre des 35 cellules ou "maisons de chartreux", avec leur jardin privatif clôturé de hauts murs d'où l’on ne voit que les oiseaux traversant le ciel. Ils sont censés trouver en ces lieux, en même temps que le confort moderne, la solitude et le silence monacaux dont ils ont besoin pour stimuler leur inspiration créative. Mais la Chartreuse de Villeneuve n'est tout de même pas la Villa Médicis. Elle attend encore son génie et ses oeuvres. Enfin, cela aura au moins permis au monastère d'échapper à la ruine totale ou à sa transformation en un hôtel de grand luxe, comme il en fut un moment question.
Au cours de sa visite, le promeneur ne devinera pas qu'il côtoie ici l'énigme insoluble d'un trésor laissé par les moines, une fortune qui aurait permis de reconstruire trois fois la plus grande et la plus belle Chartreuse de France. De même, il ne pourra pas rencontrer un homme maintenant disparu, à qui il aurait pu dire :"Tiens, bonjour Monsieur C." Et c'est dommage, car à Villeneuve, quand on parlait de trésor, chacun s'accordait à dire qu'il en était la clé de voûte, voire le créateur par excès d'imagination. En tout cas, une chose est sûre : exagération, vérité ou mythomanie, dans cette quête de l'or disparu, tout convergeait vers lui et tout en émanait. Ce fut lui qui guida mes pas dans cette recherche, quand mon intérêt éveillé par le mince entrefilet d'un quotidien local, je m'engageai dans la quête longue et incertaine des données de l'énigme.