Le Trésor des Chartreux






Origines de la Chartreuse



Le portail monumental avant restauration
Le portail monumental avant restauration



Fondée sous le titre de Saint-Jean-Baptiste, la Chartreuse de Villeneuve prend le nom de Chartreuse du Vale de Benediction le 4 août 1362. On lui prête, selon le cas, une origine semi légendaire ou historique, sans d'ailleurs parvenir vraiment à démêler l'une de l'autre.

Si l'on en croit la légende, vivait retiré sur la colline proche du Bourg-Saint-André, un pauvre ermite en odeur de sainteté qui passait pour avoir des visions au cours desquelles il devisait avec Dieu même.

En ce temps-là, le pape Innocent VI, qui appréciait beaucoup les frais ombrages des vastes pinèdes villeneuvoises, franchissait souvent, à dos de mule par le pont Saint-Bénézet, le Rhône turbulent ; et suivi de toute sa cour, il aimait aller se promener sous les grands pins parasol qui abondaient en ces parages. Or un jour, conduit pas sa mule, il s'engagea sur un sentier inconnu qui le mena jusqu'à la retraite où le pieux ermite s'absorbait quotidiennement en de longues heures de méditation et de prières.

Ce que voyant, le pape s'enquit auprès de ses gens pour savoir quel était cet étrange personnage. Il apprit ainsi que l'ermite passait pour avoir des visions.

Précisément, ce jour-là, le saint anachorète était plongé depuis des heures dans une profonde méditation visiblement hantée de visions effrayantes, car le pontife et son entourage pouvaient lire sur son visage tous les signes de l'épouvante. Ses mains se tendaient en avant, comme pour repousser un spectacle terrible et tout son corps était agité de violents soubresauts.

Soudain, du sein de ses plus fortes transes, s'éleva une interrogation angoissée : "Mais alors, Seigneur, qui sera sauvé ? "

Très impressionné à la vue de ce spectacle extraordinaire, Innocent VI manifesta le désir d'en savoir plus sur le songe effrayant qui semblait habiter l'ermite. Il fallut, pour cela, attendre qu'il voulût bien sortir de sa prostration, ce qui ne tarda guère.

-"Peux-tu me dire, saint homme, les révélations qui t'ont été faites et qui semblent t'avoir tant effrayé, demanda le pontife ?

-Oui, très saint Père. Dieu, dans sa grande bonté, m'a accordé de voir et de compter les âmes entrées en Paradis dans le jour écoulé, répondit l'ermite.

-Et tu en as compté beaucoup, s'enquit le pape intéressé ?

-J'en ai compté trois, saint Père.

-Comment ? Trois seulement, s'étonna Innocent VI ! Voilà qui est bien peu en considération de tous les humains qui meurent en un seul jour. Tu ne te serais pas trompé ?

-Non, hélas ! Trois et pas plus. Je n'en ai vu que trois.

-Eh bien soit ! Mais alors, saint homme, peux-tu me dire à quels humains privilégiés appartenaient ces belles âmes ?

-Dieu m'a également accordé cette grâce. J'ai vu entrer en Paradis l'âme d'un moine Chartreux mort à Rome, l'âme d'une dame anglaise décédée à Londres et l'âme d'un prince français tué à Paris."

Puis, à la demande du pape, l'ermite cita les noms des défunts et donna sur eux des précisions. Subjugué par ces révélations divines, le saint Père voulut toutefois vérifier s'il n'y avait pas là-dessous quelque supercherie. Se tournant vers ses gens il ordonna que fussent mandés sur l'heure, aux lieux indiqués par l'ermite, trois cavaliers qui devraient s'assurer que ce visionnaire avait dit vrai.

A leur retour, quelques semaines plus tard, force fut d'admettre que les révélations de l'ermite étaient exactes. Innocent VI s'abîma en prières. Puis, en reconnaissance de ce miracle, il ordonna la fondation d'une Chartreuse sur les lieux mêmes où l'ermite avait son refuge, au pied du Mont Andaon, tout contre la livrée qu'il avait fait bâtir à proximité. Qu'en un jour tout entier, un seul serviteur de Dieu entrât en Paradis et que ce fût un Chartreux, voilà qui méritait ce bienfait en faveur d'un Ordre dont un membre avait si opportunément sauvé l'honneur de l'Eglise.

Sans être absolument fondée, la seconde version "historique" des origines de la Chartreuse, paraîtra plus vraisemblable aux esprits de notre temps.

Lors du conclave de 1352, Jean Birel, Père général des Chartreux avait, par humilité (une humilité hors du commun !), refusé la succession de Clément VII et s'était désisté en faveur du cardinal Etienne Aubert qui monta sur le trône pontifical et prit le nom d'Innocent VI.


Innocent VI
Innocent VI



Touché par ce geste de désintéressement du Chartreux et voulant rendre hommage à l'Ordre de Saint Bruno, le nouveau pontife fonda la Chartreuse de Villeneuve par une bulle du 6 juin 1356 dans la Vallée des Bénédictions, auprès de la livrée qu'il avait précédemment fait construire au pied du Puy Andaon.

La consécration de l'église, le 19 août 1358, par le cardinal Guy de Bologne, en présence du pape et de tous les cardinaux, fut marquée par de grandes réjouissances populaires.

Les débuts du nouvel établissement furent modestes. Il comptait alors seulement un Prieur, douze religieux, deux infirmiers, deux clercs, quatorze convers (moines chargés des tâches matérielles) et neuf domestiques. Mais on eut vite le sentiment que la bienveillance divine s'était penchée sur le berceau du monastère nouveau-né.

En effet, la Chartreuse devint vite la coqueluche des prélats de haut rang (et de haute lignée) qui gravitaient dans l'entourage du pontife Innocent VI, lequel considérait le monastère villeneuvois comme sa fille chérie. Pour être bien en cour, chacun se devait de prodiguer d'ostentatoires largesses au nouvel établissement, s'attirant ainsi, outre la bienveillance papale, de substantiels prébendes, revenus, offices et bénéfices ecclésiastiques.

De son vivant, Innocent VI fit élever dans la Chartreuse le monument funéraire destiné à recueillir sa dépouille mortelle. Ce qui advint en grande pompe, le 22 novembre 1362, en présence du roi de France Jean le Bon et du roi de Chypre, Guy de Lusignan. Depuis, les restes de ce pape, tout comme son tombeau (véritable dentelle de pierre), ont subi de sérieux avatars.Très détérioré et utilisé comme cage à lapins, le beau monument a pu être restauré et replacé dans l'église de la Chartreuse, mais il est vide, car la dépouille du pape a disparu depuis la Révolution de 1789.

De son vivant encore, Innocent VI avait doté sa Chartreuse de biens considérables, meubles, immeubles, revenus et bénéfices. Il lui avait fait don, par anticipation, de tous ses ornements pontificaux, chasubles, vêtements de messe et de cérémonies, cousus d'or fin et sertis de pierres précieuses, ciboires, calices, croix pectorale, anneau du pécheur orné d'un gros rubis, avec son sceau gravé en intaille, et par-dessus tout, sa somptueuse tiare ciselée d'or fin, aux trois cercles étagés, sertie de trois mille pierres et diamants, qui était à elle seule un vrai trésor.

Après lui, les cardinaux neveux du pape, (le népotisme n'était pas un vain mot), continuèrent à doter la Chartreuse de biens sans cesse accrus. Le cardinal de Carcassonne, Etienne Aubert, du même prénom que son oncle, et surtout Pierre Selva de Montirac, cardinal de Pampelune, contribuèrent à son agrandissement et firent la fortune définitive du monastère.

On relève de la part du cardinal de Pampelune des largesses réitérées : une fois 3 300 florins d'or, une autrefois, 6 000 florins. Les Chartreux thésaurisaient et ils durent ainsi amasser une fortune colossale. Pour se faire une idée de ces sommes, rappelons que le pape Clément VI acheta la ville d'Avignon à la reine Jeanne de Naples pour 80 000 florins d'or et…l'absolution.

Aussi, les Chartreux s'empressèrent de proclamer le cardinal de Pampelune second fondateur de leur monastère. Comme ce fut de son vivant, il redoubla ses largesses.

Après la mort du même cardinal de Montirac, la Chartreuse de Villeneuve hérita du tiers de sa considérable fortune et, à l'instar de son oncle, il lui légua tous ses ornements. Le ton était donné. Nombre de prélats attachés à la cour pontificale d'Avignon firent de même.

Les terribles fléaux qui ravagent le Moyen Age n'affectent pas la prospérité de la Chartreuse. Ses revenus vont être considérablement augmentés par l'assèchement des étangs de Pujaut et de Tavel. Des travaux considérables sont menés à bien pour drainer vers le Rhône par des roubines artificielles (conduits souterrains), les eaux de ces étangs. Ce qui permet la création de trois domaines prospères : Saint Bruno, Saint Hugues et Saint Anthelme.

A cette époque, les Chartreux possèdent plus de mille salmées de terres cultivables (une salmée équivalait environ à 6 300 m2) soit 630 hectares dont plus de la moitié conquise sur les étangs. Ils élèvent 500 moutons et 200 brebis. Toutes ces richesses leur permettent de pratiquer la charité.

Il y a chaque jour distribution d'argent, de pain, de vêtements et d'aumônes. Les solliciteurs accourent en foule. Tout pauvre qui se présente reçoit un sou, un pain à midi et de la soupe le soir. Ce sont quotidiennement plus de cent personnes qui bénéficient de ces largesses, et cela aura duré des siècles.

Pendant l'hiver 1709, où régna une disette considérable, les Chartreux nourrissent plus de deux cents nécessiteux chaque jour. Ils avancent même 12 000 livres à la commune, sur simple billet, pour qu'elle achète du blé. Dans les dix années qui précèdent la Révolution, on enregistre de leur part des mouvements de fonds en prêts, avances, dons et aumônes, évalués à 200 000 livres par an, soit au total, 2 millions de livres ou 170 000 louis d'or qui sortent de leur caisse.

Trois siècles après sa fondation, la Chartreuse de Villeneuve est si riche qu'elle peut envisager la fondation à Marseille, en 1633, d'une nouvelle Maison. Cette fondation est ordonnée par le Prieur Dom Pacifique Démont (sic).

Institués banquiers de fait, les Chartreux prêtent de l'or, moyennant garantie, à tout solliciteur honorable nanti de gages sérieux. On relève ainsi de multiples prêts dont les plus importants vont de 10 000 à 20 000 livres : 15 000 livres à Zacharie Borthon, seigneur de Pujaut, le 16 mars 1678 ; 9 000 livres à Mr. De Boissière en 1775, et bien d'autres.


Couronnement de la Vierge-Musée Villeneuve
Couronnement de la Vierge-Musée Villeneuve



Comme dans ces époques, les coffres-forts tels qu'on les connaît n'existaient pas encore, la Chartreuse, à l'instar des autres monastères, disposait d'une cache forte où s'entassaient ses richesses monétaires. Et cette cache n'était rien d'autre qu'une cave placée sous la Maison du Prieur qui seul y avait accés.

Mais hormis ce dépôt en pièces d'or, les moines possédaient bien d'autres richesses. Leur monastère était orné de tableaux de maîtres dispersés à la Révolution et qui, pour certains, passèrent dans des collections privées. La sacristie renfermait une foule d'objets précieux tant par leurs origines que par leur travail. Dans trois armoires étaient disposés : la croix papale, les croix cardinales, de nombreuses reliques, dont "une épine de la sainte Couronne" portée par Innocent VI dans sa croix pectorale, une petite chapelle de huit chandeliers d'or, une grande croix d'argent massif, sept calices en or pour les fêtes et vingt autres en vermeil pour l'usage ordinaire.

Mais encore, quatre statues d'argent d'un poids considérable dont deux d'un travail précieux (lys et draperies), d'une hauteur de deux pieds et demi, cinq bustes en vermeil, un marbre bleu et blanc en échiquier, deux lampes d'argent, l'une de cinq pieds et demi et l'autre de trois pieds et demi de circonférence, de deux pieds de haut et d'un poids de cent vingt marcs ; quelques dizaines de pierres, diamants, rubis, émeraudes, saphirs, topazes et autres, serties ou non, de divers poids taille, et valeur pour l'ornement des chasses…etc…La Chartreuse de Villeneuve n'était pas riche mais richissime.

La bibliothèque des Chartreux, riche, selon leur propre inventaire, de plus de dix mille volumes, imprimés, incunables, manuscrits, renfermait des ouvrages inestimables, dont une Bible contemporaine de Saint Bruno et un talmud très ancien, deux pièces uniques somptueusement enluminées. Ces ouvrages offraient sur parchemin deux prestigieux chefs d'œuvre d'écriture gothique, enluminés par les Bénédictins de Saint André selon la plus belle tradition byzantine, avec des entrelacs, des ors et des bleus d'une fabuleuse beauté. On ne sait pas ce qu'ils sont devenus. Elle contenait aussi de très anciens manuscrits qui traitaient de fumeuses recettes de magie ou de secrets d'alchimistes. Mais la plupart se rapportaient à la liturgie et les croyant sans valeur, les moines les délaissèrent.

Laissée un temps à l'abandon, le gros de cette bibliothèque fut adjugé en 1812, pour la somme de 10 000 francs, à Mr Seguin, libraire à Montpellier. Elle fut ensuite rachetée par un libraire anglais qui, quelques temps après, en vendit un seul ouvrage à un amateur d'Avignon, pour la somme identique de 10 000 francs…! La plupart de ces ouvrages se sont arrachés à prix d'or et ont été dispersés dans des collections privées dont ils font la fierté.

Certains de ces livres renfermaient des études relatives à des élixirs de longue vie commandées aux Chartreux par Clément VI qui redoutait la mort. Ils se sont perdus tout comme de beaux traités manuscrits renfermant des méthodes secrètes pour la fabrication de vitraux par les moines qui les ont peut-être soustraits à la convoitise des amateurs.

L'orgueil du trésor chartreux, la célèbre tiare du pape Innocent VI fut montrée pour la dernière fois aux badauds, dans la procession qui marqua le quatre centième anniversaire de la Chartreuse, quelques vingt années avant la Révolution fatale au monastère. Elle fut adorée par les fidèles à l'égal d'une relique. Puis elle disparut à jamais.


Tombeau vide et gisant d'Innocent VI
Tombeau vide et gisant d'Innocent VI



Telles étaient les richesses de la Chartreuse de Villeneuve quand elle fut investie par les émissaires de la République. Ils arrivèrent dans le pays en janvier 1792, ayant, en chemin, essuyé des échecs cuisants, à Conques d'abords, où ils ne trouvèrent pas les reliques espérées. Et à Saint-Germain, où les cloches leur échappèrent.

La tradition veut qu'à Villeneuve ils ne furent pas déçus et qu'ils y réussirent un coup inespéré. On pourrait en sourire devant les maigres restes qui figurent à leur inventaire que voici, dressé le 7 janvier 1792.

-"En deux armoires de vingt sept tiroirs chacune, nous avons trouvé :

-4 reliquaires,
-5 piédestaux,
-5 bustes de vermeil,
-4 chandeliers d'argent,
-1 croix en carton moulé,
-des cloches,
-des tableaux de maîtres, à savoir le Guide, Mignard, Guerchin etc…total 34,
-9200 volumes dans la bibliothèque,
-un médaillier contenant : 129 pièces d'or, 935 pièces d'argent, 2188 pièces de cuivre,

Et voilà tout. Ce qui est bien misérable s'agissant d'un monastère des plus riches et des plus prospères de France, voire d'Europe, abondamment doté par des générations de bienfaiteurs, jouissant de revenus considérables, banquier de collectivités et de particuliers, nourrissant plus de cent pauvres par jour, élevant un énorme troupeau et recueillant les récoltes d'un immense domaine.

Naïfs ou dissimulateurs (encore que le spectre de la guillotine les en eût dissuadés), les émissaires de la République ? Non. Tout simplement grugés. Leur inventaire est exact. Les moines de la Chartreuse ont réussi à soustraire la majorité de leurs richesses à leur cupidité. Et il s'agit bien d'un trésor qu'ils ont dissimulé quelque part, dans une cache depuis longtemps apprêtée à cette fin. Dans cette cache inexpugnable, gisent entre trois et cinq tonnes d'or et tout ce qu'il y avait à leurs yeux de plus précieux : une tiare, des ornements pontificaux, cardinalices, des manuscrits choisis, des pierres précieuses, la dépouille d'Innocent VI qui connut un étrange destin.

Après avoir longtemps reposé en paix dans son superbe tombeau, achevé grâce à l'or que son neveu le cardinal de Pampelune avait tiré d'Espagne, il en fut retiré à l'époque trouble des guerres de religion et caché par les moines dans l'épaisseur des murs de l'église où, par prudence, on le laissa.

A la Révolution, le mausolée du pape fut laissé à l'abandon et devint un jouet pour les enfants du quartier, qui en brisèrent les délicates statues. Puis, on l'a dit, il fut sauvé de la destruction par un habitant de la Chartreuse qui le transforma en cage à lapins.

Quant à la dépouille d'Innocent VI, en toute logique, elle aurait du se trouver encore dans un mur de l'église attenante à la Chartreuse. Mais ni les destructeurs qui transformèrent le monastère en carrière, ni ses restaurateurs n'en ont retrouvé la trace.

Telle fut la Chartreuse de Villeneuve dans sa gloire passée. Longtemps, d'immenses fondations furent les seuls restes de ce chef d'œuvre cartusien du XIVème siècle où, jusqu'à Benoît XIII, se tinrent tant de consistoires et de conclaves, où jusqu'à Louis XIV et Anne d'Autriche, "tant de majestés du temps qui passent vinrent incliner leur gloire sous le portique de l'éternité qui demeure."


Piéta de Villeneuve-Musée du Louvre
Piéta de Villeneuve-Musée du Louvre



Longtemps, les habitants de Villeneuve crurent encore voir errer parmi ces ruines dont il semblait avoir pris la garde, le dernier moine à la recherche d'un caveau où ce revenant de jadis finit par disparaître à son tour.

Et jamais plus les doigts d'un moine ne tourneront dans le silence studieux de sa cellule, les pages rares et précieuses de ce recueil formulaire de recettes pharmaceutiques, actuellement dans la bibliothèque d'un apothicaire d'Avignon. Souhaitons à sa clientèle qu'il s'abstiendra d'y puiser des remèdes aux maux dont l'humanité n'a pas cessé de souffrir.

De cet ouvrage provenant de la bibliothèque des Chartreux et dédié à Dieu pour sa plus grande gloire, tirons deux recettes propres à guérir l'épilepsie ou "mal caduc".

-Première recette-

Il faut avoir un coucou ou plusieurs et les mettre tout entiers, plumes et autres, dans un pot de terre neuf, vernissé.
Pour chaque coucou, il faut mettre de la racine de carbine (chardon) la pesanteur d'un écu, autant de gui de poirier et autant d'autruche (?). Il faut bien lutter (boucher) le pot qui se compose de la terre grasse, de la fiente de cheval, de la bonnée(?) et de l'ortie.
Cela fait, il faut le mettre dans un four pour faire calciner ce qui est dedans, de quoi faire une poudre qu'on donne dans un demi verre de vin ou de bouillon, la pesanteur d'un écu, au malade, au déclin de la lune, pendant deux à trois lunes.
Il est infaillible avant l'âge de vingt cinq ans.

-Deuxième recette-

Prenez l'arrière faix (placenta) d'un enfant mâle si c'est pour un homme et femelle si c'est pour une femme et que vous faîtes sécher au four, dans un pot de terre bien bouché.
Prenez ensuite deux onces de cet arrière faix mis en poudre, avec cinq gros de crâne humain qui ne soit resté inhumé et mort d'une chute ou d'un coup violent, les deux derniers jours de la lune, dans une cuillère de bouillon.

On reste confondu par cet empirisme qui, cependant, ne manque pas de pittoresque. Et l'on se demande combien de patients d'alors se sont trouvés plus mal, ou même sont morts d'avoir voulu guérir.

Voyons, pour finir, ce qu'était la Chartreuse de Villeneuve à son apogée. Vers 1725, elle comportait le logement pour cent trente personne environ. Elle abritait en permanence, outre les domestiques, quarante à quarante cinq religieux de chœur et trente frères convers.

Il y avait, distribués autour du cloître, une quarantaine de cellules composées chacune de plusieurs pièces et d'un petit jardin, une église à double nef, des salles conventuelles (appartements des divers officiers : Prieur, Procurateur, Syndic, Coadjuteur etc., pièces à usage de bibliothèques et salles capitulaires, dortoirs et réfectoires), des écuries, des forges, des remises, des caves (dont une très curieuse cave à vins et poissons, appelée cave du Pape), une boulangerie, une cuisine, des pressoirs, des moulins, des basses-cours, une buanderie, des magasins à bois, des ateliers, un hôpital, une hostellerie ouverte aux voyageurs et même une prison. Auprès des bâtiments, se trouvaient des jardins et une orangerie.

Constructions et dépendances étaient comprises dans une enceinte fortifiée qui, se développant sur un périmètre d'un kilomètre et demi, enfermait la plus spacieuse Chartreuse de France. Et la plus démunie (!), si l'on en croit l'inventaire des Sans-Culotte.


 Haute armoire de la Chartreuse avec détails
Haute armoire de la Chartreuse avec détails



Tous ceux qui ont abordé ce mystère, même les esprits les plus positifs, ont fini par admettre que n'ayant pu emporter avec eux leur trésor en Espagne, les Chartreux de Villeneuve l'avaient dissimulé quelque part. Et, comme tous les indices portent à le croire, cette cache est creusée sous la Colline des "Quatre Chemins".

Mais alors se pose la question : pourquoi les moines ne sont-ils pas venus récupérer ces richesses ? Tout d'abord, ce n'était pas simple. Les Villeneuvois étaient persuadés de l'existence d'un tel trésor et leur attention aurait été mise en éveil par une tentative de ce genre qui nécessitait des déplacements et des moyens importants.

Plus certainement, il est vraisemblable que les Chartreux de Villeneuve, réfugiés à Tarragone, ont perdu le secret de leur propre trésor, ou plus exactement, les clefs du message auquel ce secret a été confié par Dom José de Camaret.

L'histoire plus ou moins confidentielle de l'ordre de Saint Bruno nous enseigne que les relations entre les différentes Maisons de France et d'Europe n'ont pas toujours été exemptes de nuages. Que l'on s'est querellé et même fâché pour des raisons de prestige ou de préséance.

On apprend, à demi mots, qu'une grave discorde éclata, vers 1815, parmi les moines de la Chartreuse espagnole de Tarragone, fondée par les transfuges de Villeneuve.

Ce fut une discorde à ce point grave, qu'elle aboutit à la formation de deux factions rivales, puis à une rupture irrémédiable. Leur Maison y étant ruinée, et tout espoir de retour à Villeneuve étant devenu impossible, les opposants au Prieur de Tarragone décidèrent de regagner la France et la Chartreuse de Marseille, fille de la Maison mère de Villeneuve.

Les raisons de cette querelle se devinent à peu près. La Chartreuse de Villeneuve n'étant plus qu'une ruine, le Prieur de Tarragone considère que sa Maison en est la légitime héritière et il décide d'en faire transférer le trésor en Espagne.

Ce qui suscite aussitôt une opposition farouche de la part des moines français. Fidèles au vœu de Dom José, ils entendent récupérer cet or pour faire rebâtir la Chartreuse de Villeneuve et lui rendre sa prospérité. Si cela ne peut pas se faire, ces richesses doivent être remises à leur légitime propriétaire, la Chartreuse de Marseille, fondée par la Maison mère de Villeneuve. L'or villeneuvois ne quittera en aucun cas le sol de France.

Les deux factions ayant pris des positions irrévocables, il ne reste plus qu'à se séparer. Tout ce que la Chartreuse de Tarragone compte de religieux français ou francophiles reprend le chemin de ses origines. Parmi eux, le Dom Procurateur qui a réussi à subtiliser une partie des documents relatifs à la cache du trésor.

Mais l'autre partie de ces documents reste aux mains des Espagnols. Incomplets, les documents des uns et des autres sont inexploitables. Si bien qu'aucune des deux factions rivales ne sera plus en mesure de localiser la cache et d'y accéder. C'est pourquoi, on assistera, épisodiquement, à de vaines tentatives faites dans la Chartreuse de Villeneuve pour retrouver l'intégralité du message crypté que Dom José, par prudence, y a laissé. Il est probable que ces tentatives ont été faites à la fois par les moines de Marseille et par ceux de Tarragone.

On peut donc estimer qu'un chercheur renseigné, patient et tenace, a autant de chances que les moines chartreux, de reconstituer dans son intégralité le message hermétique de Dom José de Camaret. S'il y parvient, il lui restera encore à le déchiffrer. Ce qui n'est pas simple. Mais s'il y réussit, il n'aura plus qu'à aller se servir, très discrètement et avec beaucoup de précautions, car d'obscurs personnages veillent attentivement sur ce secret.


Papes d'Avignon

Benoit XIIBenoît XIIIClément VClément VIClément VII

Grégoire XIInnocent VIJean XXIIUrbain V
Benoît XII - Benoît XIII - Clément V - Clément VI - Clément VII - Gégoire XI - Innocent VI - Jean XXII - Urbain V