"J'ai connu un ingénieur des Mines dont toute la carrière se déroula entre Bagnols-sur Cèze et Nîmes et qui rechercha pendant des années le trésor de Templiers dans les environs de Villeneuve. C'était un homme réputé pour son esprit positif, qui agissait sur la foi de documents renfermés dans la bibliothèque d'une des plus anciennes et des plus secrètes familles de la région et pour tout dire, d'Uzès. Souvenons-nous que le propriétaire du mas de Carles, l'abbé Persa, disait rechercher lui aussi ce fameux trésor.
Tours du château ducal d'Uzès
-On s'accorde à penser que l'énorme monceau d'or qui constituait, hormis leurs biens immobiliers, la plus importante richesse mobilière des Templiers, a échappé à la convoitise de ceux qui démantelèrent le puissant Ordre religieux. Depuis, bien des lieux revendiquent la cachette où cet or fut dissimulé. Mais nul n'avait pensé que cette cachette pût se trouver en terre méridionale. Et pourtant…,ajouta Monsieur C.
-Il y a, passés sept cents ans, à l'aube du 13 octobre 1307, l'Ordre du Temple, géant puissant et mystérieux, s'écroula tout entier, pour ne plus se relever. Ce fut peut-être dommage. Héritier, continuateur et propagateur des sciences et de la mystique orientales, assimilées durant son long séjour en Terre Sainte, certains pensent qu'il aurait pu, avec sept siècles d'avance, porter l'humanité jusqu'au seuil du monde moderne.
-Par un acte daté du 14 septembre 1307 et tenu secret, Philippe le Bel, le roi de Fer, mande à ses Gens d'Armes d'exécuter l'arrestation de tous les Templiers du royaume de France. C'était une entreprise énorme. Ce fut une réussite totale et la première "opération de police" d'une telle envergure menée en France. Toutes les Commanderies du royaume furent investies et ses occupants arrêtés, à la même heure, au petit matin de ce 13 octobre 1307.
Templier - Sceau des Templiers
-On s'est demandé si le roi avait agi par cupidité, (il était le plus important débiteur du Temple), ou s'il avait cru de bonne foi aux accusations d'impiété, d'hérésie, de blasphème, de sodomie et d'idolâtrie portées par son conseiller Nogaret contre les moines soldats. Si l'on ne peut pas sonder la conscience d'un monarque disparu depuis presque sept cents ans, on peut le faire pour sa trésorerie.
-Elle était le plus souvent dans un état déplorable, car il fallait financer les nombreuses guerres que ce roi mena contre les grands féodaux, la Flandre et l'Angleterre. Si bien que Philippe devait recourir périodiquement à des expédients pour renflouer son trésor.
-Il fit plusieurs fois battre de la fausse monnaie. Mais ce procédé malhonnête présentait l'inconvénient de discréditer la monnaie royale à l'intérieur des frontières de France, comme au-dehors. On chercha autre chose et on fit main basse sur la fortune de banquiers lombards, puis sur celle des Juifs du royaume qui en furent chassés, mais auxquels on accorda la possibilité d'y revenir moyennant le paiement d'une taxe élevée…
-Après quoi, le trésor du roi fut de nouveau à sec. Nogaret pensa à l'Eglise et à ses énormes richesses. Il s'en ouvrit à Philippe le Bel et tous deux, conscients de s'attaquer à une puissance à la fois dangereuse et sacrée, s'employèrent à découvrir la meilleure façon de le faire sans trop de risques.
Guillaume de Nogaret
-Les relations entre la papauté et le trop puissant Ordre du Temple n'avaient jamais été idéales. Elles s'étaient même beaucoup détériorées depuis l'établissement à Avignon du trône de Pierre. La fortune et l'influence des moines soldats étaient une insulte à la pauvreté chronique, à l'autorité incertaine du pape actuel, un Français, Bertrand de Got dont Philippe le Bel avait favorisé l'accession au siège pontifical sous le titre de Clément V. Si bien que le pape ne pouvait pas refuser grand'chose au roi de France.
-Du reste étroitement surveillés par la garnison royale établie dans le fort Saint-André et dans la forteresse de la Tour, les papes d'Avignon ne cessèrent pas de trembler devant les souverains du puissant royaume de France. Clément V, premier pape d'Avignon, y fit moins que tout autre exception, face à Philippe le Bel, prince violent et redoutable qui avait déjà manifesté ouvertement son mépris pour la tiare.
-Mais le roi savait que son entreprise risquait d'éveiller l'hostilité des autres souverains d'Europe. Les Templiers étaient solidement établis et respectés dans tous les royaumes voisins. Avant de passer à l'action, il lui fallait obtenir l'accord tacite du pontife, en lui promettant, en contrepartie, une solide rétribution à valoir sur les richesses du Temple, c'est à dire toutes leurs possessions immobilières.
-Clément V fut un moment hésitant. Il admettait difficilement que les soldats du Christ puissent être salis par des accusations mensongères et infamantes. Mais ses caisses étaient vides et l'idée qu'il pourrait ainsi renflouer son trésor l'emporta sur ses scrupules. Rivaux des Templiers dont ils jalousaient les richesses, certains Hospitaliers de l'entourage pontifical poussèrent le pape à manifester une neutralité favorable au projet de Philippe le Bel. Dès lors, le sort des Templiers était scellé. Clément V fut également sensible à la menace non déguisée que Nogaret proféra contre lui pour hâter sa décision. "
Que prenne garde le pape, il est simoniaque, il donne par affection de sang les bénéfices de la Sainte Eglise de Dieu à ses proches parents. Il est pire que Boniface qui n'a commis autant de passe-droits. Cela doit suffire. Qu'il ne vende pas la justice. On pourrait croire que c'est à prix d'or qu'il protège les Templiers, coupables et confessés, contre le zèle catholique du roi de France." Face à de telles menaces, le faible et velléitaire Clément V céda.
-Traqués, arrêtés partout, emprisonnés, torturés, avouant, se rétractant, déclarés relaps et exécutés, tel fut pendant sept ans le sort des moines-soldats, jusqu'à ce que les ultimes bûchers du 18 mars 1314 achèvent de consumer les restes du dernier grand maître de l'Ordre, Jacques de Molay et de son compagnon Geoffroy de Charnay, auxquels on avait joint deux autres grands dignitaires pour faire bonne mesure.
Jacques de Molay au bûcher
-On dit que du haut de son calvaire, au moment de mourir, Molay assigna le roi et le pape, ses bourreaux, à comparaître avec lui devant Dieu dans l'année, maudissant de plus le monarque et sa descendance jusqu'à la treizième génération. On sait ce qu'il en advint. En route pour la Catalogne, sa terre natale, Clément V, frappé d'un "mal affreux", sans doute un cancer des intestins, se fit porter au château de Roquemaure, tout près d'Avignon, où il mourut dans la nuit du 19 au 20 avril 1314, après avoir avalé un plat d'émeraudes pilées (!) censées guérir son mal. Philippe le Bel s'éteignit presque subitement, après avoir été pris d'un brusque saisissement, alors qu'il chassait en forêt, non loin de Pont-Sainte-Maxence, le 29 novembre 1314, à moins que ce ne fût par suite d'une chute de cheval. Quant à Nogaret, cet étrange personnage, juriste subtil et brutal homme de guerre, mort empoisonné le 27 avril 1314, il avait suivi le pape et précédé son maître dans la tombe, quoique certains pensent qu'il mourut en 1313.
-On ne peut affirmer que ce fut à cause de la malédiction du roi, mais les trois fils de Philippe le Bel qui régnèrent après lui, moururent sans descendance mâle, ce qui, en application de la loi salique (instituée pour évincer du trône de France un monarque anglais), marqua la fin des Capétiens directs et l'avènement des Capétiens Valois. Très approximativement, treize générations plus tard, la tête de Louis XVI tombait sous le couperet de la guillotine.
mort de Philippe le Bel
-Mais revenons à cette fatidique matinée du 13 octobre 1307. La chronique rapporte que Philippe le Bel investit en personne le Temple de Paris, à cheval, à la tête de ses hommes d'armes. En d'autres circonstances, il aurait laissé cette besogne à ses capitaines. Mais il y avait là beaucoup trop d'or et il préféra prévenir la cupidité de ses gens. La précaution fut inutile.
-Car, cette forteresse internationale de la finance, cette banque européenne avant la lettre qu'était le Temple de Paris, lui réservait une amère déception. On y trouva bien, en grande quantité, des armoires et des coffres, mais tout avait été vidé. Les archives et l'or des Templiers s'étaient volatilisés sans doute bien des jours avant l'arrivée du monarque qui, de dépit, fit aussitôt torturer à mort quelques moines soldats encore présents sur les lieux, mais qui ne sachant vraisemblablement rien, ne purent rien lui apprendre. Conçue et menée de main de maître, la tentative de spoliation des Templiers s'achevait par un échec dont Philippe le Bel n'eut de cesse de se venger, en ordonnant la chasse à tous les Templiers, du plus humble jusqu'à ceux du plus haut rang. La traque dura sept ans.
le Temple de Paris