Le Trésor des Chartreux






Annexe 2 - Vie de Saint Bruno



Saint Bruno dans sa grotte - par Mignard - Musée Calvet-Avignon
Saint Bruno dans sa grotte - par Mignard - Musée Calvet-Avignon



"Le biographe avoue que cette vie est peu connue. Saint Bruno était né à Cologne en 1031. Il fut canonisé en 1415, soit trois siècles après sa mort qui survint le 6 octobre 1101.
Vers l'âge de quinze ans, il se rend à Reims pour étudier, dans l'école cathédrale fameuse depuis Gerbert, le triumvir (grammaire, rhétorique et dialectique) et le quadrivium (musique, arithmétique, géométrie, astronomie). Puis il s'en va compléter à Paris sa formation de dialecticien lettré.

Ses études achevées, il retourne à Reims comme directeur de l'enseignement et professeur. Mais sa notoriété va grandissant. Elle dépasse vite le cadre provincial. Paris, la grande ville universitaire de monde médiéval, l'appelle. Il va, pendant de longues années, y enseigner à son tour le trivium et le quadrivium. Puis, brutalement, vers 1082, alors qu'il connaît la gloire des maîtres vénérés, il décide de fuir le monde.

Les raisons de cette décision n'ont jamais été complètement éclairées. La légende attribue ce brusque renoncement au spectacle impressionnant auquel il assista et dont on retrouve la scène, peinte vers le milieu du XVème siècle, par un peintre de l'école d'Avignon, contre un mur du réfectoire de la Chartreuse de Villeneuve lez Avignon. L'histoire est la suivante :

Un certain Docteur ou Chanoine dont le nom est Duocrèce ou Mabillan, venait de mourir à Paris. Autour de son corps étendu dans le cercueil, on psalmodiait les Nocturnes de l'Office. A l'instant où le lecteur récitait la leçon de Job qui commence par l'injonction : "responde mihi", le mort redressa brusquement sa tête au milieu des cierges, une convulsion déforma ses lèvres roidies par la mort et il proféra d'une voix rauque et angoissé cette réponse :"Je suis accusé justement au tribunal de Dieu."

Puis sa tête retomba au fond du cercueil. Terrifiés, les assistants remirent au lendemain ses funérailles. Et le lendemain, comme on s'apprêtait à porter la dépouille à l'église, le cadavre redressa une nouvelle fois sa tête livide. Avec un râle de douleur atroce, il réitéra : "Je suis jugé justement au tribunal de Dieu."

Le troisième jour, toute la ville en émoi s'assembla devant la demeure du défunt, dans l'attente d'un nouveau prodige. La révélation fut terrible. Poussant un cri d'horreur inexprimable, le défunt prononça contre lui-même la sentence du désespoir : "Je suis condamné justement au tribunal de Dieu."

Alors, la foule épouvantée arracha au cercueil sa dépouille et l'on jeta le cadavre à la décharge publique, sur un tas d'ordures ou il devint pourriture.

Or le défunt avait été honnête homme et bon chrétien. L'insignifiance de ses péchés avait donc suffi à le faire rejeter sans appel hors du cercle des élus.

Saint Bruno fut vivement impressionné par cette constatation. Il décida aussitôt de renoncer au monde corrupteur. Car "celui qui n'aura pas eu peur du feu sera condamné à le sentir."

Il prend l'habit des bénédictins à Molesme, dans le diocèse de Langres. Mais la règle bénédictine lui paraît vite insuffisante pour qui désire communier ardemment avec Dieu et sauver son âme de la damnation. Il se veut pur contemplatif. Il aspire à l'ascétisme. Assoiffé de solitude, il veut consacrer exclusivement à la méditation chaque seconde de sa vie.

Il quitte alors les Bénédictins et suivi de quelques fidèles, gagne Grenoble, en quête d'un lieu retiré où il pourra s'établir. Ce lieu reculé, élevé et sauvage sera la Grande Chartreuse (ou Chartrouse). Il y établit son Ermitage, situé primitivement beaucoup plus haut que l'actuelle Chartreuse. C'est en 1132 que le couvent sera reconstruit plus bas, après qu'une terrible avalanche eût fait périr sept moines et renversé les cellules.

En 1090, par un bref, le Pape mande Bruno à Rome où il est affecté "au service du siège apostolique, pour la préparation des conciles". Auprès d'Urbain II il travaillera dans l'ombre, conseiller discret, d'un zèle tellement sobre, que sur son rôle, nul détail ne nous est parvenu.

Nous pouvons penser qu'il aida, de sa dialectique flexible et judicieuse, qu'il approuva les dispositions conciliantes du pontife envers certains princes de l'église pratiquant l'opposition au Saint Père. Nous pouvons surtout croire qu'il encouragea le projet de la Croisade. Il avait compris que, pour affermir dans la chrétienté la trêve de Dieu, pour éteindre les querelles et les schismes dans la maison de Dieu, une grandiose diversion s'imposait. En ce sens, nulle entreprise n'eût pu égaler celle qu'Urbain II prêcha au concile de Clermont : libérer les lieux saints, dresser contre l'Islam et son insidieuse hérésie une digue formidable qui sauverait Byzance, le sud de l'Italie, tout l'occident chrétien. Ce qui se solda par un formidable échec.


Statue d'Urbain II appelant à la Croisade
Statue d'Urbain II appelant à la Croisade



Mais Rome n'était pas le lieu où Bruno pouvait accomplir son vœu de solitude humble et contrite. Il quitta la cité pontificale et gagna la Calabre qui lui réservait un asile, une paix, une solitude semblables à ceux de l'autre lointain désert, si cher à son cœur, mais chaque jour davantage inaccessible.

A Della Torre, à 800 mètres d'altitude, Bruno construisit un couvent simpliste : "quelques huttes de branchages autour d'une grotte, église faite par Dieu." Le paysage l'enchantait. Dans une lettre à son ami Le Verd, pour mieux l'engager à venir l'y rejoindre, il insista sur le charme des horizons, le climat salubre et l'aspect riant de ce vaste plateau. Puis il créa la Chartreuse de Santo Stefano del Bosco qui n'était pas achevée à sa mort. Il fut inhumé dans ce qui est aujourd'hui le sanctuaire de Santa Maria del Bosco, un site que chaque année d'innombrables touristes et pélerins viennent visiter.


Sanctuaire de Santa Maria del Bosco-Calabre
Sanctuaire de Santa Maria del Bosco-Calabre



Lettre de Saint Bruno à Raoul Le Verd, Prévot du châpitre de Reims

"Comment pourrais-je parler dignement de cette solitude, de son site agréable, de son air sain et tempéré ? Elle forme une plaine vaste et gracieuse, qui s’allonge entre les montagnes, avec des prés verdoyants et des pâturages émaillés de fleurs. Comment décrire l’aspect des collines qui s’élèvent légèrement de toutes parts, et le secret des vallons ombragés, où coulent à profusion les rivières, les ruisseaux et les sources ? Il n’y manque ni jardins irrigués, ni arbres aux fruits variés et abondants.

-Mais pourquoi m’arrêter si longtemps sur ces agréments ? Il y a pour l’homme sage d’autres plaisirs, plus doux et bien plus utiles, parce que divins. Pourtant, de tels spectacles sont souvent un repos et un délassement pour l’esprit trop fragile, quand il est fatigué par une règle austère et l’application aux choses spirituelles. Si l’arc est tendu sans relâche, il perd de sa force et devient moins propre à son office.

-Ce que la solitude et le silence du désert apportent d’utilité et de divine jouissance à ceux qui les aiment, ceux-là seuls le savent, qui en ont fait l’expérience. Ici en effet, les hommes forts peuvent se recueillir autant qu’ils le désirent, demeurer en eux-mêmes, cultiver assidûment les germes des vertus, et se nourrir avec bonheur des fruits du paradis. Ici on s’efforce d’acquérir cet œil dont le clair regard blesse l’Epoux d’un amour pur et limpide qui voit Dieu. Ici on s’adonne à un loisir bien rempli et l’on s’immobilise dans une action tranquille. Ici Dieu donne à ses athlètes, pour le labeur du combat, la récompense désirée : une paix que le monde ignore et la joie dans l’Esprit-Saint."



Embarquement des croisés
Embarquement des croisés



Peut-être exagérait-il l'agrément du site calabrais pour un peu moins regretter l'incomparable séduction qu'avait exercé sur lui le prenant Désert de Grenoble.

Retourner à la Grande Chartreuse eût été, certes, la joie plénière, le retour aux sources limpides de la foi native. Mais Saint Bruno devait finir dans l'exil.

Malgré des macérations que le monde jugeait extravagante (il se flagellait trois fois par jour, parfois si rudement qu'il s'évanouissait), il usa jusqu'à soixante et dix ans la vieille casaque de ses membres.

Au moment de mourir, il émit une profession de foi solennelle, où il insistait sur deux dogmes : l'Eucharistie et la sainte Trinité, devant qui les Chartreux devaient approfondir l'hommage de leur adoration. Enfin, le 6 octobre 1101, Saint Bruno trépassa doucement."



Massacres de Juifs durant la première croisade
Massacres de Juifs durant la première croisade



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