Le mystérieux assassinat de Suzanne Furimond






Conclusion



Disons, pour finir, qu'en cette fatale journée du 11 mars 1948, la route de Suzanne Furimond a croisé celle d'un prédateur avide et sans pitié, que nous pouvons appeler "le commanditaire". Nous le voyons un court moment sortir de l'ombre pour être exposé à la lumière crue des interrogatoires, qui telle un faisceau lumineux, balaye tour à tour les protagonistes du drame. Poisson sans doute habile, il a réussi à se glisser entre le mailles du filet. Et pourtant...La police a bien fait son travail, en procédant à des centaines d'auditions. Elle a tiré les bonnes conclusions. Alors on s'étonne qu'il ait pu si facilement lui échapper.

Selon la police l'intérêt serait le mobile du crime ? On a bien retrouvé chez la victime une importante somme d'argent en billets de banque. Mais ces billets qui avaient servi à rétribuer les trafiquants du marché noir, étaient "gelés" et allaient être retirés de la circulation. Il fallait désormais se présenter à la banque pour les échanger. En posséder trop était révélateur et compromettant. Commandité par X., Jeannot Antonin est venu chez Suzanne Furimond pour une autre raison : la faire parler afin qu'elle révèle le secret dont elle était détentrice. Ce secret était certainement celui de la cachette où elle avait mis les très nombreuses pièces d'or qu'elle tentait de négocier et qui, en cette après-midi du 11 mars, avaient éveillé la convoitise du commanditaire en qui elle avait assez confiance pour lui faire des confidences ou des propositions. Mais elle n'était pas femme à se laisser brutaliser sans réagir vigoureusement. L'affaire a peut-être mal tourné et Jeannot Antonin a fini par étrangler sa victime, peut-être par accident, mais une victime de toute façon condamnée à mourir. Les pièces d'or n'ayant pas été retrouvées, on peut supposer que l'assassin a réussi à s'en emparer. Ou bien que, que Suzanne Furimond étant morte sans parler, le magot est resté dans une cachette introuvable. Ce qui explique les nombreuses allées et venues de certaines personnes autour de son domicile après sa disparition.

Ces hypothèses se heurtent à l'invraisemblance des horaires indiqués par Sabloye. Car s'ils sont exacts, Jeannot Antonin aurait dû rencontrer Carto chez Suzanne Furimond et Carto qui n'avait rien à cacher et collaborait de bon gré, en aurait parlé à la police. Mais quatre années s'étaient écoulées depuis les faits : Sabloye a pu se tromper d'une demi heure, et Carto n'est pas certain de son heure d'arrivée chez la victime.

A la limite, on peut imaginer que Carto serait arrivé chez Suzanne Furimond à 19 heures 30 et en serait reparti un peu avant 20 heures. Sabloye et Jeannot Antonin y seraient arrivés peu après 20 heures et seraient repartis vers 20 heures 30, pour un rendez-vous avec les autres vers 20 heures 45. Ces horaires sont limites mais on peut les retenir, en considérant qu'à 10 minutes près, Carto et Jeannot Antonin auraient pu se retrouver nez à nez chez la victime qui aurait alors réussi à échapper à son triste sort, tout au moins ce soir-là.

Le scénario du meurtre et sa suite peuvent alors se mettre en place. Jeannot tue, puis revient avec des complices pour faire disparaître les traces de son crime et aller jeter le corps de la victime dans le Rhône. Il a dû oublier qu'il avait bu et fumé chez elle. Mais ces indices ne furent pas exploitables. Enfin, la présence du vélo contre un mur du vestibule, indique que Suzanne Furimond avait bien l'intention de sortir ce soir-là, après la visite de Carto. Selon son neveu Daude, elle aurait été invitée à dîner chez Malachian. Mais alors, qu'en est-il du repas préparé et non consommé ?

L'hypothèse policière d'un appel téléphonique et d'un rendez-vous tardif peut être aussi envisagée. Suzanne Furimond s'apprêtait vraisemblablement à sortir après la visite de Carto. Auparavant, elle aurait sans doute mangé le repas qu'elle avait préparé. Mais elle ne le fit pas car l'arrivée de l'assassin, (peu après le départ de Carto), l'en empêcha. Elle connaissait bien ce visiteur. Elle le reçut. Il y eut discussion, querelle, violences et mort. Finalement, et pour cause, elle ne sortit pas et personne ne se soucia du vélo qui resta là où il était.

Au bout du compte, ce n'est pas une mélodie, mais une véritable symphonie des mensonges, parfaitement orchestrée, que la police aurait pu évoquer. Et paradoxalement, Carto, pourtant longuement soupçonné, semble avoir été le seul à dire la vérité.

On dit que la fièvre de l'or rend fou. On peut ajouter qu'elle est capable d'engendrer des assassins. Mais le lecteur a peut-être maintenant une idée sur ce "X., commanditaire" qui, à ce jour, doit être mort depuis longtemps. Oui, une idée ; la trace d'un mensonge ; un mobile ; un nom...Ce texte ne fait que rapporter l'essentiel d'une enquête longue et minutieuse, sans dissimuler ni mettre en évidence la fissure qui s'y trouve. Sa découverte appartient au lecteur. On peut supposer que beaucoup l'auront trouvée. Auquel cas, ils auraient pu être de bons détectives.



FIN