Le mystérieux assassinat de Suzanne Furimond






Une affaire oubliée



Jeannot Antonin restera à jamais silencieux. Et l'on pouvait, sans risque d'être contredit, faire de lui l'unique assassin de Suzanne Furimond. Parti deux ans après les faits en Indochine, soit pour se faire oublier, soit pour se reconvertir dans la lucrative activité du trafic de l'opium et des piastres, il sera abattu à Saïgon dans un règlement de comptes, sans avoir pu être entendu. Or, en tant qu'unique assassin désigné, ses déclarations auraient été d'une importance capitale. D'autant plus que, de source sûre, il fréquentait assidûment le milieu avignonnais des trafiquants d'or, dont les noms ont été cités et où il côtoyait certainement Suzanne Furimond ; dès lors, s'agissant d'un homme qu'elle connaissait bien, avec lequel elle était peut-être en affaires, elle a pu lui ouvrir sa porte. Tout ce beau monde se retrouvait chez un certain Pinto, lui aussi trafiquant d'or connu.

Il semble que les enquêteurs n'aient pas accordé grand crédit aux aveux, pourtant très explicites, de Sabloye. Il est connu pour être un menteur. Et ces aveux contredisent beaucoup trop les horaires donnés par le camionneur Carto qui, bien que soupçonné (de moins en moins du reste), est considéré comme une source fiable de renseignements. Tout est dit. Que pouvait faire de plus la police en l'absence définitive de l'assassin désigné ? Les suspects semblent ne pas avoir été autrement inquiétés. Ce n'étaient que des exécutants et des comparses, les comparses actifs d'un commanditaire qui a su rester dans l'ombre. Le juge d'instruction ne les inculpera pas fautes de preuves suffisantes et pour cause d'horaires invraisemblables. L'affaire cette fois est bien enterrée.

Ainsi, entrés de plain-pied dans l'épaisseur de cette énigme, c'est de la même épaisseur demeurée presque intacte qu'il nous faut ressortir, avec un grand besoin d'air pur et de lumière. Il y avait beaucoup de monde, de nombreux requins affamés qui tournaient avec rapacité autour de la non moins rapace Suzanne Furimond, en cette soirée du 11 mars 1948. Toute une meute avide d'or était prête à l'assaillir, à la voler, à la tuer au besoin, ce soir-là, l'appétit sans doute aiguisé par l'acharnement de la malheureuse à vouloir rassembler, en le montrant dangereusement, le plus d'argent et d'or possible pour son voyage à Nice. Etonnant manque de prudence de la part d'une femme habituellement précautionneuse et méfiante à l'excès. C'est du reste à cause du secret absolu dont elle entourait ses affaires que l'enquête n'a pas pu aboutir.

Il est possible que Suzanne Furimond se soit départie de sa prudence et de sa méfiance coutumières parce qu'elle-même se sentait traquée et menacée par des prédateurs autrement plus dangereux que les petits malfrats d'Avignon qui, peut-être arrivés les premiers, l'auront, dans leur hâte à la dépouiller, assassinée "par maladresse". Mais ce n'est qu'une hypothèse. Car si l'intérêt est le mobile du crime, les assassins ont curieusement délaissé beaucoup d'argent et certains bijoux de la victime. Une victime qui, de toute façon, connaissant ses agresseurs, devait être réduite à jamais au silence. Une victime qui était supposée détenir beaucoup d'or ; les enquêteurs n'en trouvèrent pas une seule piécette ; la famille d'abord, les voyous ensuite, étaient passés par là avant eux.

Devenue mère sur le tard, Suzanne Furimond donna la vie peu avant de perdre la sienne. Il était dit que sa petite fille adorée, Marie-Martine, qui mourut à l'âge de deux ans, la suivrait de peu dans la tombe. Au moins, la douleur cruelle de cette perte lui aura été épargnée.




Suzanne Furimond ; dessin de presse