Témoignage de Denise (France)
Je souhaite apporter mon
témoignage ainsi que celui de mes enfants concernant la Dystrophie de
Reis-Buckler dont ils sont atteints.
Je suis une Maman de 46
ans et ce que nous avons vécu mes enfants et moi ressemble à une belle
aventure qui a commencé très douloureusement mais dont la suite semble
sortie tout droit d’un conte de fée.
Le Père de mes enfants,
son Père et une grande partie de sa famille souffraient d’ulcérations
fréquentes de la cornée. Pas un spécialiste n’en trouvait les raisons. Avec
la candeur de mes 15 ans, je pensais que mes enfants ne pouvaient pas être
porteur de cette fragilité puisque je ne l’étais pas. Pendant quelques
années j’y ai cru mais lorsque ma première fille « Gabrielle » a eu 9 ans
j’ai déchanté. Une première Kératite a vu le jour, une seconde puis des
crises de plus en plus fréquentes et de plus en plus douloureuses se sont
faites sentir. A ce moment là j’ai oscillé entre la culpabilité, la colère
de ne pas trouver quelqu’un capable de soulager les douleurs de cette petite
fille qui restait dans le noir complet, l’inquiétude de ne pas savoir si mes
autres enfants étaient aussi « fragiles », l’envie de comprendre quels
étaient les symptômes et les causes de ces ulcères, le sentiment d’abandon
car qui dit maladie orpheline dit également solitude et impossibilité de
parler avec quelqu’un qui comprenne. J’ai tout essayé y compris tous les
spécialistes de ma région.
Treize années étaient
passées et mes autres enfants étaient tous atteints de cette pathologie. Un
médecin de ma région a prononcé le nom de « Dystrophie de Reis-Buckler », ce
fut le plus beau jour de ma vie, ‘enfin cette maladie avait un nom’ et il me
proposait une « opération au laser » sur ma grande fille. A ce moment, j’ai
choisi de différer cette intervention afin de mettre l’argent de côté et
poursuivre les soins de mes autres enfants car dans le même temps mon fils
était en crise depuis 6 mois et rien ni personne n’arrivait à l’enrayer, pas
même ce Médecin. Alors j’ai tenté une dernière fois de voir « le » plus
grand spécialiste de la région. Cet homme qui se reconnaîtra sans doute a
prononcé les paroles les plus réconfortantes du monde, « Madame,
l’intelligence et l’honnêteté veulent que lorsqu’on ne sait pas on le dit.
Je ne sais pas ce dont souffrent vos enfants et à ma connaissance il n’y a
qu’un homme qui puisse vous aider…. » et il m’a tendu un morceau de papier
avec le nom d’un Professeur de l’Hôpital des quinze/vingt à Paris et un n°
de téléphone.
Comment aller à Paris à
4 personnes quand on a un seul salaire, 3 enfants malades à charge, que
notre divorce nous a épuisé financièrement et que leur père fait la sourde
oreille concernant cette maladie ? Pas moyen de demander de l’aide à la
Sécurité Sociale puisque cette maladie est orpheline donc non reconnue
[Note de Keratos : Si dans la pratique ce commentaire
est en partie vrai, juridiquement il n'y a aucune raison pour que la
Sécurité Sociale ne prenne pas en charge les maladies orphelines].
Mon Père s’est dévoué pour faire le voyage avec mon fils malade et ma
Grand-mère l’a financé.
Arrivé à l’Hôpital des
Quinze/Vingt un Docteur a pris mon fils en charge, l’a traité et enfin sa
cornée a cicatrisé en peu de jours. Quelques mois après mon Père a refait le
voyage avec mes deux filles dont la plus jeune était en crise.
Quelques temps après
j’ai reçu un appel téléphonique d’un Professeur de l’Hôpital Necker dont je
n’ai malheureusement pas retenu le nom qui m’expliquait qu’il avait besoin
d’un flacon de sang de chacun d’entre nous pour procéder à des analyses
génétiques afin de déterminer la cause de cette « hérédité ». Il en avait
vraiment besoin car grâce aux analyses de toute notre famille, il pouvait
isoler le ou les gènes pathogènes. Souvent il manque un maillon, un père ou
un personnage clef pour comprendre. Nous étions tous là. Mon père et moi en
tant que non porteurs, mes enfants et leur père en temps que porteurs.
Plus tard à l’occasion
d’une des visites à l’Hôpital, nous avons appris qu’il ne s’agissait pas
d’un gène mais de deux gènes en « L ». Bien sur nous ne sommes pas des
scientifiques alors leurs explications ont été moins bien comprises mais
déjà le fait de savoir que les responsables étaient identifiés nous a tous
soulagé un peu.
Tous ces Professeurs
nous ont expliqué pourquoi et comment se déclenchent ces crises, pourquoi
leur cornée est couverte de « bulles », pourquoi et comment leur épithélium
de mauvaise qualité a du mal à cicatriser….. Depuis mes enfants sont soignés
en partenariat entre l’Hôpital des quinze/Vingt et un spécialiste de ma
région.
Ma grande fille
Gabrielle a maintenant 27 ans. Sa vue est plus précaire que celle de son
frère et de sa sœur car elle était plus âgée au moment ou un traitement
efficace a été trouvé, de plus elle avait subi davantage de traitement pas
toujours très judicieux avant d’enrayer ces crises dont la plus longue avait
duré 11 mois. Elle a donc beaucoup plus de cicatrices que ceux-ci et a eu
recours à une abrasion au laser. Elle travaille en tant que secrétaire dans
une entreprise de travaux publics et s’est adaptée à son léger handicap. Si
un jour le besoin s’en faisait sentir, il lui reste le recours à une greffe
« lamellaire » afin de parfaire sa vision.
Ma seconde fille
« Jessica » (22 ans) n’a pas eu besoin d’intervention au laser, elle a passé
un BEP de comptabilité/Gestion mais ne l’exerce pas car je n’ai trouvé
aucune entreprise à ce jour lui ayant donné sa chance dans le secteur,
cependant elle travaille depuis deux ans dans une entreprise de restauration
rapide en attendant mieux…. Elle s’est mariée au mois de décembre dernier et
elle vit normalement.
Mon fils « Stève » qui
est le plus jeune (21 ans) a été le précurseur de la famille en matière de
laser et cela lui a réussi. Il passe actuellement un BTS de Comptabilité/
Gestion et travaille en alternance dans un hôtel de notre ville. Il vit tout
à fait normalement aussi.
Mes enfants gardent une
fragilité cornéenne dont ils sont conscients et qu’ils ont réussi à gérer
grâce à tous ces Professeurs. Je suis très fière de leur combativité. Leur
scolarité a été difficile car leurs absences n’étaient pas toujours
comprises par l’Education Nationale qui a tendance à faire passer les
enfants absents pour des cancres ou des fainéants. De plus lorsque je
demandais à certains professeurs de les installer plus près du tableau, il
n’était pas rare que la réponse soit « Pourquoi ne lui mettez-vous pas des
lunettes » et lorsque j’avais fini de leur expliquer que les lunettes n’y
pouvaient rien, je semblais suspecte à leur yeux car je « refusais » de les
soigner…… Ces enfants là ont manqué de reconnaissance car ils effectuaient
en trois ou quatre mois la même scolarité que les autres enfants en dix
mois. Ils ont donc beaucoup de mérite de ne pas avoir décroché.
Je voudrais dire à tous
ceux qui souffrent de cette pathologie….. Non, il ne sert à rien de
culpabiliser. Non, vous n’êtes pas seuls. Oui, il existe des solutions. Oui,
on peut vivre normalement, il faut avoir confiance en toutes ces personnes
qui ont choisi de mettre leur savoir à la disposition de ceux qui ont mal.
Tous ces professeurs auraient pu gagner beaucoup d’argent dans le privé,
pourtant ils travaillent dans des structures publiques ………. Aucun de mes
mots ne seront assez forts pour définir à quel point je leur suis
reconnaissante. Et si le moral vous lâche un peu, pensez que cette
pathologie là est en voie de compréhension et si d’autres s’en sont sortis,
vous vous en sortirez…..
Ma grande fille et
moi-même chantons dans une chorale (Elle lit maintenant une partition). Afin
de remercier à notre façon les chercheurs, notre chorale offre comme des
centaines de chorales en France et dans les pays limitrophes, un Concert par
an au profit de « l’Association Rétina » qui soutient la recherche.
Chacun d’entre nous est porteur d’une pathologie que nous transmettons à
nos enfants. Elle est plus ou moins invalidante, plus ou moins visible, une
personne aura un problème d’ossature, une autre un problème sanguin, une
autre un problème nerveux mais même si vous ne le savez pas chaque personne
que vous rencontrez dans la rue est porteur des gènes de sa famille, alors
la « Dystrophie de Reis-Buckler peut aussi devenir votre combat comme il
l’est pour nous depuis que mes enfants en sont atteints et depuis qu’ils ont
choisi de ne pas en être victimes mais au contraire « Acteurs » afin
d’aider les gens qui souffrent quotidiennement et qui doutent. J’espère vous
avoir redonné le moral. A bientôt…
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