Mordus a
Satan (Extrait)
Comme chaque matin,
Jean-Marc de Fontlubruni alluma, son ordinateur. Il pesta une nouvelle fois
contre les spams, en majorité Américains, qui envahissaient sa boîte aux
lettres malgré les précautions prises pour limiter la diffusion de son adresse
personnelle à ses amis les plus intimes.
Par
acquit de conscience, il en survola le contenu avant de procéder à leur
destruction. Mais ce jour-là, un étrange message éveilla sa curiosité. Il
s’agissait d’un mail envoyé depuis un cybercafé d’Arlington, aux Etats-Unis. Il
présentait la particularité d’être écrit en ancien français, sous la forme d’un
quatrain :
« Grand
fol Neptune féal au Duc enchartrer
Barat
maroufle & le chétif frappier
Dedans
dorbeau aval converser
Quérir
féal mainemain grand danger »
La
forme utilisée laissait immanquablement penser à un quatrain de Nostradamus.
Piqué au vif, le plus grand exégète français des écrits du médecin de Salon de
Provence en commença la traduction.
Dans
l’univers nostradamien, Neptune désignait toujours le monde anglo-saxon. Le
grand Neptune faisait, selon toute vraisemblance, référence aux Américains. Le
Duc symbolisait, quant à lui, le chef des armées.
Le
premier vers signifiait donc « Les
fous d’Américains ont emprisonné (enchartrer) le fidèle (féal) chez le chef
des armées », estima Jean-Marc.
La
suite de la traduction ne lui prit guère plus de trois minutes :
« Par
une ruse (barat) grossière (maroufle) le captif (chétif) s’est enfui
(frappier). Dans un dorbeau en bas (aval) il séjourne (converser). Aller
chercher le fidèle sur-le-champ (mainemain) qui est en grand danger »
Ce
quatrain, s’il avait été rédigé par Nostradamus, était totalement inconnu de
l’exégète. Il ne figurait ni dans les Centuries, ni dans les Présages, ni dans
aucune autre publication du prophète.
De
Fontlubruni pensa alors à un pastiche assez réussi, bien dans le style
inquiétant du personnage, encore que la présence de mots écrits en ancien
français y fût un peu trop importante à son goût.
C’est
alors qu’il remarqua la signature de l’auteur du message, à laquelle il n’avait
pas encore prêté attention, polarisé par sa traduction :
« Mordus a
Satan »
Il
reconnut très vite une anagramme de Nostradamus et la curiosité qui l’avait
piquée jusqu’à présent se transforma soudain en profonde inquiétude.
Cette
signature représentait le pseudonyme qu’Hassan Drumot, l’un de ses plus
fervents admirateurs, s’était approprié au cours d’une soirée bien arrosée,
alors qu’ils s’amusaient à se constituer des noms d’emprunt à partir
d’anagrammes de Nostradamus.
Jean-Marc comprit alors qu’il était en présence, non pas d’un quatrain ou d’un pastiche de Nostradamus, mais d’un S.O.S. adressé par l’un de ses fidèles qui courait apparemment un grave danger.