Apelle (IVe siècle av. J.-C.) "Pas un jour sans une ligne |
|||||
"La légende des légendes Le plus grand idéal des peintres de la Renaissance et de bien dautres après est incontestablement Apelle, le peintre grec du IVe siècle av. J.-C.. Nous connaissons ses uvres uniquement grâce à des descriptions littéraires ou à ses fresques qui inspirèrent des générations dartistes jusquau XIXe siècle. Pline lAncien nous laisse de précieuses anecdotes sur la vie dApelle et dautres peintres de lantiquité. |
![]() Sandro Botticelli, La Calomnie d'Apelle |
||||
Histoire naturelle PLINE L'ANCIEN (23-79) - Zeuxis, Parrhasius, Apelle, Protogène |
|||||
"Les
portes de lart étaient ouvertes par Apollodore. Zeuxis
d'Héraclée les franchit l'an quatre de
la quatre-vingt-quinzième olympiade, et le pinceau, car
c'est encore du pinceau que nous parlons, le pinceau, qui
commençait déjà à s'enhardir arriva entre ses mains
à beaucoup de gloire. [
]Il a fait aussi un
athlète, dont il fut si content, qu'il écrivit au bas
ce vers devenu célèbre : - On en médira plus facilement qu'on ne l'imitera. Son Jupiter sur le trône, entouré des dieux, est magnifique, ainsi que l'Hercule enfant qui étouffe les serpents en présence d'Amphitryon et de sa mère Alcmène tout effrayée. Toutefois, on lui reproche d'avoir fait ses têtes et ses articulations trop fortes. Au reste, son désir de bien faire était extrême : devant exécuter pour les Agrigentins un tableau destiné à être consacré dans le temple de Junon Lacinienne, il examina leurs jeunes filles nues, et en choisit cinq, pour peindre d'après elles ce que chacune avait de plus beau. [ ] |
![]() Coupe attique à figures rouges, Vers 490-480 avant J.-C. |
||||
Il eut pour
contemporains et pour émules Timanthès, Androcyde,
Eupompe, Parrhasius. Ce dernier, dit-on,
offrit le combat à Zeuxis. Celui-ci apporta des raisins
peints avec tant de vérité, que des oiseaux vinrent les
becqueter; l'autre apporta un rideau si naturellement
représenté, que Zeuxis, tout fier de la sentence des
oiseaux, demanda qu'on tirât enfin le rideau, pour faire
voir le tableau. Alors, reconnaissant son illusion, il
s'avoua vaincu avec une franchise modeste, attendu que
lui n'avait trompé que des oiseaux, mais que Parrhasius
avait trompé un artiste, qui était Zeuxis. On dit encore que Zeuxis peignit plus tard un enfant qui portait des raisins : un oiseau étant venu les becqueter, il se fâcha avec la même ingénuité contre son ouvrage, et dit : - J'ai mieux peint les raisins que l'enfant; car si j'eusse aussi bien réussi pour celui-ci, l'oiseau aurait dû avoir peur. [...] |
![]() Génie ailé Boscoreale Vers 60-40 avant J.-C. |
||||
Mais tous les peintres précédents
et suivants ont été surpassés par Apelle de
Cos, dans la cent douzième olympiade (IVe
siècle av. J.-C.). A lui seul presque il a plus
contribué au progrès de la peinture que tous les autres
ensemble ; et il a publié des livres sur les principes
de cet art. II eut surtout la grâce en partage. Il y
avait de son temps de très grands peintres : il admirait
leurs ouvrages, il les comblait d'éloges, mais il disait
qu'il leur manquait cette grâce qui était à lui [ce
que les Grecs nomment charis] ; qu'ils possédaient tout
le reste, mais que pour cette partie seule il n'avait
point d'égal. Il s'attribua encore un autre mérite :
admirant un tableau de Protogène d'un travail immense et
d'un fini excessif, il dit que tout était égal entre
lui et Protogène, ou même supérieur chez celui-ci ;
mais qu'il avait un seul avantage, c'est que Protogène
ne savait pas ôter la main de dessus un tableau :
mémorable leçon, qui apprend que trop de soin est
souvent nuisible. Sa candeur ne fut pas moindre que son
talent : il convenait de la supériorité de Mélanthius
pour l'ordonnance, et d'Asclépiodore pour les mesures,
c'est-à-dire pour la distance qui doit être entre les
objets. On sait ce qui se passa entre Protogène et lui : Protogène résidait à Rhodes ; Apelle, ayant débarqué dans cette île, fut avide de connaître les ouvrages d'un homme qu'il ne connaissait que de réputation; incontinent il se rendit à l'atelier. Protogène était absent, mais un grand tableau était disposé sur le chevalet pour être peint, et une vieille femme le gardait. Cette vieille répondit que Protogène était sorti, et elle demanda quel était le nom du visiteur : - Le voici, répondit Apelle ; et, saisissant un pinceau, il traça avec de la couleur, sur le champ du tableau, une ligne d'une extrême ténuité. Protogène de retour, la vieille lui raconte ce qui s'était passé. L'artiste, dit-on, ayant contemplé la délicatesse du trait, dit aussitôt qu'Apelle était venu, nul autre n'étant capable de rien faire d'aussi parfait. Lui-même alors, dans cette même ligne, en traça une encore plus déliée avec une autre couleur, et sortit en recommandant à la vieille de la faire voir à l'étranger, s'il revenait, et de lui dire : - Voilà celui que vous cherchez. Ce qu'il avait prévu arriva : Apelle revint, et, honteux d'avoir été surpassé, il refendit les deux lignes avec une troisième couleur, ne laissant plus possible même le trait le plus subtil. Protogène, s'avouant vaincu, vola au port chercher son hôte. On a jugé à propos de conserver à la postérité cette planche admirée de tout le monde, mais surtout des artistes. J'entends dire qu'elle a péri dans le dernier incendie qui consuma le palais de César sur le mont Palatin. Je me suis arrêté jadis devant ce tableau, ne contenant rien dans son vaste contour que des lignes qui échappaient à la vue, paraissant comme vide au milieu de plusieurs excellents ouvrages, mais attirant les regards par cela même, et plus renommé que tout autre morceau. Apelle avait une habitude à laquelle il ne manquait jamais : c'était, quelque occupé qu'il fût, de ne pas laisser passer un seul jour sans s'exercer en traçant quelque trait; cette habitude a donné lieu à un proverbe. Quand il avait fini un tableau, il l'exposait sur un tréteau à la vue des passants, et, se tenant caché derrière, il écoutait les critiques qu'on en faisait, préférant le jugement du public, comme plus exact que le sien. On rapporte qu'il fut repris par un cordonnier, pour avoir mis à la chaussure une anse de moins en dedans. Le lendemain, le même cordonnier, tout fier de voir le succès de sa remarque de la veille et le défaut corrigé, se mit à critiquer la jambe ; Apelle, indigné, se montra, s'écriant qu'un cordonnier n'avait rien à voir au-dessus de la chaussure; ce qui a également passé en proverbe. Apelle avait de l'aménité dans les manières, ce qui le rendit particulièrement agréable à Alexandre le Grand : ce prince venait souvent dans l'atelier, et, comme nous avons dit, il avait défendu, par un décret, à tout autre artiste de le peindre. Un jour, dans l'atelier, Alexandre parlant beaucoup peinture sans s'y connaître, l'artiste l'engagea doucement au silence, disant qu'il prêtait à rire aux garçons qui broyaient les couleurs; tant ses talents l'autorisaient auprès d'un prince d'ailleurs irascible. [...] Il existe ou il a existé un cheval de lui qu'il exposa dans un concours public. Pour ce tableau Apelle en appela du jugement des hommes à celui des bêtes ; car, s'apercevant que ses rivaux l'emportaient par leurs brigues, il montra à des chevaux amenés le tableau de chacun : les chevaux ne hennirent qu'à la vue de celui d'Apelle; et depuis on ne cesse de citer cette épreuve triomphante de la peinture. [...] |
![]()
|
||||
Protogène, comme
nous l'avons dit, fleurit dans le même temps. II était
de Caunus , ville sujette des Rhodiens. Une grande
pauvreté au début, une application extrême à son art,
furent cause de son peu de fécondité. On ne sait pas
avec certitude de qui il fut l'élève; quelques-uns
disent même qu'il peignit des vaisseaux jusqu'à l'âge
de cinquante ans. La preuve, disent-ils, c'est que,
peignant dans la célèbre ville d'Athènes le propylée
du temple de Minerve, où il a fait deux beaux navires,
la Paralus et l'Ammoniade, nommée par quelques-uns
Nausicaa, il plaça de petits navires longs dans ce que
les peintres appellent hors-d'oeuvre; voulant montrer par
là d'où ses ouvrages étaient partis pour arriver à
cette citadelle, temple de la gloire. Parmi ses
compositions, on donne la palme à l'Ialysus, qui est à
Rome, consacré dans le temple de la Paix. Tant qu'il y
travailla, il vécut, dit-on, de lupin trempé, qui
satisfaisait à la fois sa faim et sa soif, afin que son
esprit ne s'émoussât pas par une nourriture trop
délicate. Pour défendre ce tableau des dégradations et
de la vétusté, il y mit quatre fois la couleur, afin
qu'une couche tombant, l'autre lui succédât. Il y a
dans ce tableau un chien fait d'une manière singulière,
car c'est le hasard qui l'a peint : Protogène trouvait
qu'il ne rendait pas bien la bave de ce chien haletant,
du reste satisfait, ce qui lui arrivait très rarement,
des autres parties. Ce qui lui déplaisait, c'était
l'art, qu'il ne pouvait pas diminuer et qui paraissait
trop, l'effet s'éloignant de la réalité : c'était de
la peinture, ce n'était pas de la bave. Il était
Inquiet, tourmenté : car, dans la peinture il voulait la
vérité, et non les à peu près. Il avait effacé
plusieurs fois, il avait changé de pinceau, et rien ne
le contentait ; enfin, dépité contre l'art, qui se
laissait trop voir, il lança son éponge sur l'endroit
déplaisant du tableau : l'éponge replaça les couleurs
dont elle était chargée, de la façon qu'il souhaitait,
et dans un tableau le hasard reproduisit la nature. A son
exemple, Néalcès, dit-on, réussit à rendre l'écume
d'un cheval : il lança pareillement son éponge,
lorsqu'il peignit un homme retenant un cheval qu'il
flatte. De la sorte, Protogène a enseigné même à se
servir du hasard. À cause de cet Ialysus, qu'il craignit
de brûler, le roi Démétrius ne fit pas mettre le feu
au seul endroit par où Rhodes pût être prise ; et en
épargnant une peinture il manqua l'occasion de la
victoire. Protogène habitait alors un petit jardin
situé dans un faubourg, c'est-à-dire dans le camp même
de Démétrius. Les combats ne firent pas diversion; et
il n'interrompit en aucune façon ses travaux commencés,
si ce n'est appelé par le roi, qui lui demanda comment
il restait avec tant d'assurance hors des murs : - Je sais, répondit l'artiste, que vous faites la guerre aux Rhodiens, et non aux arts. Le roi mit des gardes pour le protéger; et, non content de l'avoir épargné, il voulut veiller sur lui. Pour ne point le déranger en le faisant venir trop souvent, il alla, lui ennemi, le visiter; et, abandonnant le soin de sa victoire, au milieu des armes et de l'attaque des murs, il contemplait les travaux d'un artiste. |
|
||||
On dit encore aujourd'hui, du tableau que Protogène fit dans cette circonstance, qu'il le peignit sous le glaive : c'est le Satyre, nommé Anapauomenbs, auquel, pour marquer mieux la sécurité dont il jouissait alors, il mit une flûte à la main. [... ]" | |||||
Après avoir lu ces anégdotes, on ne peut que regretter davantage que le temps n'ait épargné une seule de leurs oeuvres. | |||||
Pline
l'Ancien (v. 23-79 apr. J.-C.),
écrivain latin et auteur d'une encyclopédie, l'Histoire
naturelle, vaste encyclopédie de
savoir de son temps, qui fit de lui la principale
autorité scientifique de l'Europe antique. retour au début du texte |
Page d'accueil - Apelle Botticelli Dali Drljaca Giotto Manet Munch Picasso Utrillo Valadon |
Created & maintained by |