Giotto
(1266 environ – 1337)
Le berger
 
"Un enfant merveilleusement doué était né à Vespignano, non loin de Florence. Il était capable de dessiner une brebis d'après nature. Un jour, le peintre Cimabue , en route pour Bologne, passa par ce hameau. Il vit l'enfant assis par terre en train de dessiner une brebis sur une ardoise. Il fut rempli d'admiration en voyant un enfant d'un âge aussi tendre dessiner aussi bien. Cimabue reconnut que l'habileté de cet enfant était un don naturel et il lui demanda son nom. " Je m'appelle Giotto, mon père se nomme Bondone, il habite dans la première maison ". Cimabue, homme de grand renom alla avec l'enfant voir le père de celui-ci, un homme très pauvre. Il lui demanda de lui confier l'enfant, ce que le père accepta. Cimabue emmena Giotto avec lui, c'est ainsi qu'il devint élève de Cimabue." (La légende est notée par Lorenzo Ghiberti1.)

Giotto quitta son hameau en 1276. Il avait dix ans, son maître trente-six.

On est à la fin du Moyen Age...
Cimabue, Vierge aux anges, vers 1290
Le premier à formuler un jugement sur le changement dans la peinture du à Giotto fut Dante Alighieri, le grand poète florentin contemporain de Giotto. Dans sa Divine comédie, on lit au onzième chant du Purgatoire :

" O vaine gloire de la puissance humaine (...) Cimabue croyait tenir le champ de la peinture, maintenant c'est à Giotto qu'appartient la clameur, et la gloire de l'autre en est obscurcie ".
Le portrait de Giotto par Uccello...
Paolo Uccello, détail de Cinq grands hommes
Effectivement, il est très peu de domaines dans lesquels Giotto ne fut innovateur. Ainsi dans  Esaü devant Isaac, nous sommes étonnés par la " boîte " encadrant les figures et nous invitant à y entrer. L’architecture n’est plus un simple décor mais devient un cadre psychologique de la situation dont les figures humaines sont dominées par les émotions qui les opposent. Observateur de la psychologie humaine...
Esaü devant Isaac, 1290-95
Et puis, regardez La Trahison de Judas. On croirait assister à une pièce de théâtre. Quoiqu’elle soit rarement représentée, cette scène mérite une attention particulière à cause de la véracité presque comique qui se dégage de la scène. Une mise en scène des personnages typiquement giottesque. Qu’est-ce qui est plus illustratif, le sac de pièces ou le regard de Judas ? Une pièce de théâtre...
La Trahison de Judas, 1302-1305
Boccace, un autre illustre homme de lettres de cette époque remarque : "Il eut un si grand génie que la nature, mère de toutes choses et toujours active, dans le mouvement continuel des cieux, ne peut rien produire qu’avec son stylet, sa plume ou son pinceau, il ne peigne semblable à elle et même identique, si bien que souvent les hommes se trompent à voir les choses qu’il fait, prenant pour vrai ce qui est peint. " Cela n’est pas sans rappeler les anecdotes antiques sur les peintres grecs.

Ce qu’on peut remarquer c’est que Boccace, comme beaucoup d'autres parlant de Giotto, utilise le mot " nature ". C’est d’autant plus significatif que la peinture du moyen âge, limitée au canon figé byzantin, est opposée à toute représentation de la nature si ce n’est symbolique quand le sujet le demandait. En quelques sorte tout Giotto est expliqué par ce mot : la nature. Pour un peintre, durant des siècles, il n’y eut de plus grand défit que celui de se comparer à la nature.

Même dans les détails comme la comète que les mages ont suivie sur leur chemin jusqu'à l'étable de Bethléhem, Giotto ne procède pas comme ses prédécesseurs, qui se contentèrent d’une présentation stylisée, mais peint l’astre d’après " la nature ".

La comète de Halley en 1301...
L’Adoration des Mages, 1302-1305
D’autre part les peintres contemporains de Giotto, trouvent un souffle nouveau dans la vie et la légende de saint François d’Assise, qui humble et proche de la nature, humanise Dieu. Saint François et les oieaux...
La Prédication aux oiseaux, avant 1300
Les paysages chez Giotto ne sont plus de simples indications, comme dans les peintures anciennes. On y découvre la profondeur, mais aussi un rythme en fonction du sujet principal de la scène comme c’est le cas dans La Fuite en Egypte. Une composition savante...
La Fuite en Egypte, 1302-05
Vasari2 note : " On rapporte que Giotto, dans sa jeunesse, peignit un jour d'une manière si frappante une mouche sur le nez d'une figure commencée par Cimabue que ce maître, en se remettant à son travail, essaya plusieurs fois de la chasser avec la main avant de s'apercevoir de sa méprise. " 

Quand on lit ces anecdotes que Vasari a notées sur le caractère plaisant de Giotto on n’est pas surpris par ce réalisme frôlant souvent l’humour, comme le montre l’Allégorie de la Pauvreté.

...une véritable innovation en peinture.
L’Allégorie de la Pauvreté, 1316-1319
Cette transition du formalisme de l’art byzantin vers une peinture de plus en plus inspirée par la nature va nous conduire en même temps de l’artiste, artisan et anonyme, vers l’artiste libéré et de plus en plus vénéré aussi bien par les petits et les grands au point que le pape Benoît XI, séjournant à Trévise (1303-1304), envoya un émissaire à Padoue, parce qu’il avait appris que Giotto s’y trouvait et qu’il désirait s’informer de cet homme qu’on disait si expert.

Giotto est considéré comme la référence de beaucoup d’artistes de la Renaissance, presque tous les milieux ou les écoles de peinture italiennes et européennes entre la fin du XIIIe siècle et le XIVe siècle regardèrent et interprétèrent sa peinture, entre autre Michel-Ange. Il suffit de comparer son Saint-Jean dans l'île de Patmos, vers 1313-14 avec La Création d'Adam de Michel-Ange, détail de la fresque de la chapelle Sixtine, 1508-1512.

Le point de référence...
Saint-Jean dans l'île de Patmos, vers 1313-14
Michel-Ange...
Michel-Ange, La Création d'Adam
Qu'il s'agisse de la représentation physique ou psychologique de l'homme et de sa spiritualité, Giotto fut le premier artiste du Moyen-Âge à surmonter la stéréotypie de l'art médiéval. Sa référence permanente à la nature témoigne de ce que le petit berger n'abandonna jamais le grand peintre.  
1 Lorenzo Ghiberti, le sculpteur italien (1378 ou 1381-1455), l'un des adeptes les plus enthousiastes de Giotto. Il a retracé dans ses Commentaires la vie des peintres toscans depuis Giotto. Ses propos sur le grand peintre ont sans cesse été repris par la suite.
2
Vasari, (1511-1574) célèbre peintre et architecte à qui nous sommes surtout reconnaissants de nous avoir légué sa Vie des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes, qui fait de lui le premier historien de l’art. Une des valeurs essentielles des " Vite " consiste en de nombreuses anecdotes que Vasari a minutieusement notées sur la vie de ses prédécesseurs ou de ses contemporains et qu’on citera avec joie.
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