Edouard Manet
(1832 - 1883)
L'œuvre plus forte que l'homme
 
"J'ai toujours pensé que les premières places ne se donnent pas, qu'elles se prennent" Manet

En 1842, Edouard Manet a dix ans et entre au collège Rollin. Il y rencontre Antonin Proust, et les deux garçons fréquentent le cours spécial de dessin. L'entêtement des deux camarades à dessiner la tête de leurs voisins, de préférence aux copies de modèles, leur vaudra une exclusion du cours pendant deux mois.

En 1848, ayant terminé ses études à Rollin, ce n'est ni la peinture ni les études de Droit, comme le souhaitait son père, que Manet choisit, mais la marine. Après son échec au concours de l'Ecole navale, son père le fait embarquer à bord de "Havre et Guadeloupe", comme pilotin pour assagir ses ambitions. Ce voyage eut pour Manet une conséquence qui allait se révéler tragique et le faire mourir à 51 ans.

Après son deuxième échec d'entrer à l'Ecole navale, son père consent enfin à ce qu'il se consacre à la peinture et lui impose l'enseignement de Thomas Couture dont la devise était "Idéal et impersonnalité".
"Quand j'arrive dans l'atelier, il me semble que j'entre dans une tombe"
Thomas Couture, Romains de la décadence, 1847
Malgré les conflits avec Couture, Manet fréquentera son atelier six ans. Il rompt définitivement avec le maître en 1858 après lui avoir montré la première toile qu'il allait présenter au jury du Salon et que celui-ci a tourné en dérision, le Buveur d'Absinthe. Un sujet social... Buveur d'Absinthe, 1858
Cependant, en 1861 le Joueur de guitare espagnol de Manet est admis et lui vaut la mention honorable. Le début est prometteur et le jeune peintre se croit sur le bon chemin pour réaliser son rêve qui est d'obtenir des médailles de première classe, la Légion d'honneur et pourquoi pas, n'entrerait-il pas un jour à l'Institut. Bref, Manet était un jeune homme respectueux des usages et ambitionnait une carrière tout officielle qui passerait d'abord par le Salon, la seule voie pour une telle aspiration.

Selon J. E. Blanche, le salon pour Manet "C'était sa hantise, il y avait chez lui un côté peintre de musée".

Malheureusement Manet dut attendre pratiquement la fin de sa vie pour voir ses rêves se réaliser enfin car le langage de l'artiste était plus fort que la forme bourgeoise de son ambition.
Un tableau au goût du jury...
Joueur de guitare espagnol, 1861l
Antonin Proust était en compagnie de Manet un dimanche à Argenteuil, lorsque, observant des baigneuses sortant de la Seine, le peintre lança:

- Il paraît qu'il faut que je fasse un nu. Eh bien, je vais leur en faire un. Quand nous étions à l'atelier, j'ai copié les femmes de Giorgione, les femmes avec les musiciens. Il est noir ce tableau. Les fonds ont repoussé. Je veux refaire cela et le refaire dans la transparence de l'atmosphère, avec des personnages comme celles que nous voyons là-bas.

En 1863, Manet, poursuivant la voie de l'élève du collège Rollin qui s'obstinait à dessiner ses camarades au lieu des copies en plâtre, présenta son Bain au jury du Salon, mais à sa grande surprise, comme presque 4 000 œuvres d'autres peintres, il fut refusé.
Paris n'a jamais connu de flâneur semblable à lui... Photo: Manet
Giorgione, le Concert champêtre, vers 1510
le Concert champêtre
La sévérité excessive du jury provoqua un formidable tollé. Même des artistes généralement admis connurent la disgrâce. Napoléon III, qui aimait se piquer de libéralisme quand une occasion sans danger se présentait, décida de juger de la situation lui-même et alla voir les toiles refusées entassées au palais de l'Industrie. Après en avoir retourné quelques-unes, il estima qu'elles n'étaient pas pires que les autres. Il donna ordre qu'on ouvre à côté des galeries réservées aux reçus, des salles pour les œuvres refusées. Que le public juge!

Le public se presse. Il est impatient de voir deux tableau dont tout le monde parle. Au Salon officiel triomphe la Naissance de Vénus, de Cabanel .
" nudités aphrodisiaques "
Cabanel, la Naissance de Vénus, 1863
Mais le public se précipite surtout dans les salles des peintres refusés. Malheureusement ce n'est pas tant pour admirer qu'avec une attention de se gausser des œuvres, déjà suffisamment disgraciées de ne pas figurer parmi celles du Salon officiel. La vedette des moqueries est incontestablement le Bain de Manet que nous connaissons sous le nom de Déjeuner sur l'herbe, 1963. Un regard déluré vers le spectateur...
Le déjeuner sur l'herbe (Le Bain), 1863
Ce n'est que deux ans après, en 1865, que Manet se décide à présenter au salon un autre tableau qu'il a peint presque en même temps que le Déjeuner sur l'herbe, l'Olympia. Les valeurs de l'Olympia sont encore moins celles recherchés par le public. Mais, pour en finir une fois pour toute avec le jeune peintre, le jury accepte le tableau. Manet, conduit dans sa création par son instinct artistique et une audace dont il n'est pas complètement conscient, est stupéfait par le fossé qui se creuse entre lui et le public. Au point de croire qu'il s'agit d'un malentendu lorsqu'il est affronté à la réaction des visiteurs du Salon. Une réaction qui ne se fait pas attendre.

Bien que le tableau soit accroché dans un coin sombre, le public alerté par la presse afflue et s'esclaffe. La foule est telle qu'il faut mettre deux agents pour protéger le toile. Manet ne comprend pas et désespère.
...en quelques séances.
L'Olympia, 1865
"La foule se presse comme à la Morgue devant l'Olympia faisandée de M. Manet. L'art descendu si bas ne mérite pas qu'on le blâme." Paul de Saint-Victor, in "La Presse", 1865.
Cependant le nom de Manet ne devait plus jamais tomber dans l'oubli. Degas qu'il connut entre-temps, lui dira non sans ironie :

- Vous voilà aussi célèbre que Garibaldi.

A part Degas, quelques autres jeunes peintres, pour qui l'académisme ne représentait pas un idéal, commencèrent à se réunir autour de lui au café Guerbois: Pissarro, Monet, Renoir, Sisley, Cézanne. Plus jeunes que lui, comme lui épris de modernisme, ils le prirent pour leur chef en quelque sorte. Cependant il ne voulut jamais exposer avec eux.
Une distance...
Portrait de Claude Monet dans son bateau-atelier, 1974
Le 30 décembre 1881 Manet vit enfin se réaliser son rêve si longtemps attendu. Il devint un "hors-concours" du salon et décrocha une médaille avec le Portrait de Pertuiset. Sur proposition de son ami A. Proust, devenu entre-temps ministre des Beaux-Arts, il est nommé chevalier de la Légion d'honneur. Consécrations un peu tardives. On sait que le peintre est gravement malade. Il n'a que la cinquantaine, mais il n'a plus qu'un an à vivre. Le statut d'artiste officiellement reconnu et la récompense sociale qu'il avait tant convoités ne seront notés par ses biographes que sous une forme anecdotique assez insignifiantes comparée aux événements artistiques que Manet a involontairement provoqués et surtout au rôle révolutionnaire qu'on lui a attribué par la suite. Le moins bon tableau
Portrait de Pertuiset,
1880-81
Le 30 avril 1883 Manet meurt, dix jours après qu'on lui ai amputé la jambe gauche envahie par la gangrène – la suite de sa brûlante aventure exotique à Rio comme pilotin. "Havre et Guadeloupe" étant arrivé à Rio au moment du carnaval, l'équipage n'avait pas échappé à la frénésie sensuelle qui secouait la ville. Au cours d'une bordée avec ses camarades le jeune Manet s'était fait "lever" par une jolie mulâtresse et avait attrapé la vérole. Ensuite, insouciant, il ne s'était pas fait soigner. Un homme à double vie.
Lilas, 1883
Page d'accueil - Apelle Botticelli Dali Drljaca Giotto Manet Munch Picasso Utrillo Valadon

Created & maintained by
 
©Copyright 1999 MAGAZIN PETAR - multi expression