Edvard Munch
(1863 1944)
La genèse d'un cri |
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On est début 1909. Après six ou
huit mois d'hospitalisation, suite à une dépression
nerveuse, Edvard Munch sort de la clinique neurologique
du professeur Jacobson à Copenhague. De son
hospitalisation il nous laisse quelques traces. Sur une
caricature, il s'est représenté assis près d'une table
sur laquelle il y a deux appareils électriques. Une
infirmière (sans doute l'assistante du professeur,
Mademoiselle Schacke, dont il trace un joli profil: L'Infirmière)
passe au professeur Jacobson un des fils partant de ces
appareils. Jacobson, à son tour, en applique
l'extrémité sur la tête du peintre. Trois lignes
manuscrites du peintre accompagnent le dessin: "Le
Professeur Jacobson électrifie le fameux peintre Munch,
et apporte une force positive masculine et une force
négative féminine à son fragile cerveau." |

Photo: Munch
sur la plage |
Munch est
guéri. Depuis cette date il mènera plus ou moins une
vie paisible, mais il ne peindra plus jamais comme avant.
Mais s'il écrit que "Sans la peur et sans la
maladie ma vie serait comme un bateau sans rames"
c'est que les sources de son angoisse et donc, de son
art, sont fortement ancrées déjà dans son enfance. |

Le
jour d'après, 1894-95 |
Né en 1863
à Loeten en Norvège, il est le deuxième des cinq
enfants d'un médecin militaire et de son épouse. Il a
cinq ans quand sa mère meurt de la tuberculose. Depuis
cette date, une atmosphère pénible pèse sur la maison.
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La
Mère morte et l'enfant, 1897-99
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Le père
s'enlise progressivement dans l'obsession religieuse,
alors que sa sur chérie, Sophie, aînée d'un ans,
est aussi atteinte de cette maladie maudite. Edvard est
témoin de son agonie. Elle est emportée à son tour par
la maladie en 1877. |
La
jeune fille
malade,
1885-86 |
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Christian
Krohg,
La Fillette malade, 1880-81 |
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En
1880, à l'âge de 17 ans, il interrompt ses études
d'ingénieur et décide de devenir peintre. En 1889, il perd son père, a sa
première exposition à Oslo et obtient une bourse d'Etat
pour se rendre de nouveau en France où il vivra jusqu'à
1892. Mais c'est en Allemagne, à Berlin, que la légende
du peintre "à part" naîtra un peu grâce au
hasard à vrai dire.
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Autoportrait,
1881 |
C'est
ignorant encore tout de lui, sur la recommandation
presque fortuite du Norvégien Adelsteen Normann, que la
l'Association conservatrice des Artistes Berlinois,
invite le jeune peintre Munch à organiser lui-même son
exposition individuelle dans la "Maison des
Architectes". L'hostilité du public et de la
critique est telle qu'on ferme les portes de l'exposition
sept jours après son inauguration. |

Soirée sur l'avenue Karl-Johann, 1892 |
Parmi les
rares exceptions figure l'écrivain polonais Stanislaw
Przybyszewski (1868-1927) qui dans ses oeuvres explore le
satanisme et le fantastique. L'uvre de Munch subit
aussi bien l'influence de l'étrange écrivain que de sa
belle et diabolique femme. La jeune femme est entourée
d'un groupe d'hommes amoureux, dont Strindberg et Munch.
Ce dernier connaît ainsi une nouvelle forme d'anxiété
et de solitude : la jalousie. Elle contribua certainement à la dualité
de sa vision de la femme: attirance et peur, érotisme et
mort.
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Le Vampire,
1893 |
Madone,
1894 |
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Sphinx, vers 1894 |
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Cependant,
comme souvent dans l'art, le scandale de Berlin suscita
un intérêt qui alla à l'avantage de l'artiste et de
son uvre, car depuis cette date Munch parvint à
vivre pratiquement que de la vente de ses tableaux. En 1893 il peint Le Cri.
Ce tableau, exprimant la solitude de l'homme dans la
nature, est probablement l'uvre la plus reproduite
dans l'histoire de l'art. Il en fit une cinquante de
versions.
En 1895 son frère Andreas meurt. Munch est persuadé que
toute sa famille est prédestinée à disparaître.
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Le Cri, 1893 |
Munch était
un bel homme. Sa beauté un peu sévère exerçait une
grande séduction sur les femmes. Sa nature en même
temps sauvage et timide le tenait éloigné d'elles.
Après la mort tragique de Dagny Juell Ducha, qui avait
laissé une trace ineffacée dans l'esprit de Munch, une
autre femme alimenta dramatiquement son paranoïa. Nous
ne savons pas grand chose de Tulla Larsen, une
norvégienne, sauf qu'elle était rousse (comme Ducha) et
que suite à leur rencontre durant l'été 1898 à
Aasgaardstrand elle était fortement amoureuse de Munch
au point d'avoir résolu de l'épouser. Mais il s'y
refusa obstinément pour la raison, disait-il, qu'elle
était beaucoup plus fortunée que lui et que cela
l'humiliait, ses ressources de peintre étant très
incertaines. Un
jour, ses amis vinrent le prévenir que Tulla était
morte et le conduisirent dans la maison où ils avaient
préparé une macabre mise en scène. Le corps de la
jeune fille, inanimé, reposait sur le lit. Au moment où
Munch contemplait avec émotion celle qu'il avait aimée,
celle-ci se dressa soudain. Elle était persuadée que de
la voir "ressuscitée", le convaincrait de
l'épouser. Munch prit la chose si mal que tout se
termina par une violente dispute au cours de laquelle un
coup de revolver fut tiré. Munch fut atteint à la main
gauche et perdit une phalange. Sa vision de la femme,
incarnation du mal, n'était désormais que davantage
justifiée. Il ne se maria jamais malgré toutes les
autres femmes qu'il connut après.
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La
Danse de la Vie, 1899-1900 |
Non sans
raison, Munch considéra son hospitalisation "comme
la conclusion d'une période" de sa vie. Mais, avec une grande lucidité, il
avait écrit aussi: "Ces faiblesses que je
conserverai, elles sont une part de moi-même. Je ne
voudrais pas rejeter ma maladie, car mon art lui est pour
beaucoup redevable. "
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Le Meurtrier dans l'allée, 1919 |
A la
différence de la plupart des membres de sa famille, sa
vie fut longue - la mort ne l'importa qu'à 81 ans. |