Maurice Utrillo
(1883-1955)
"le génie sans talent"
 
Il existe deux versions des débuts du peintre Maurice Utrillo, fils de Suzanne Valadon.
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Selon la version la plus répandue en 1901(?), sans se douter que sa recommandation allait avoir des répercussions sur l'histoire de l'art, le docteur Ettlinger conseilla à Suzanne Valadon de faire peindre son fils. La peinture serait pour lui un "dérivatif à sa surexcitation nerveuse". Le jeune homme sortait en effet d'une cure de désintoxication. Dès le collège il avait pris l'habitude, après les cours, d'abuser de boissons alcoolisées en compagnie des plâtriers qui avaient accepté de le raccompagner après le travail. N'étant pas pressés, semble-t-il, tout au long du chemin ceux-ci faisaient de fréquent arrêts dans les tavernes où, pour s'amuser, ils encourageaient l'enfant à boire. L'écrivain Francis Carco écrit : "durant ces années-là, sans qu'Utrillo en eût notion, tout le drame de sa vie se préparait".
De père inconnu...
Photo : S. Valadon et Utrillo

L'anecdote des plâtriers est fausse...
Suzanne Valadon, Utrillo devant son chevalet, 1919
Sa mère, l'ex modèle de Renoir et de Lautrec, et maintenant peintre reconnu, l'initie au dessin et est enchantée par ses premiers tableaux qui datent de 1902.
Par contre selon la version de Heuzé1, Utrillo a commencé à peindre beaucoup plus tôt et sans grand aide de sa mère fabulatrice :

… Il est parfaitement inexact que ce soit Valadon qui lui ait mis les pinceaux entre les mains. Au contraire elle ne voulait pas qu'il peigne et elle le battait pour l'en empêcher. On ne peut accorder aucun crédit à ses déclarations, c'était une mythomane, tout ce qu'elle racontait était faux.

Photo.:.Quizet En réalité, c'est Quizet qui lui a appris à peindre...
En réalité, c'est Quizet qui lui a appris à peindre... Utrillo,.le Moulin de la Galette.
Quoi qu'il en soit il est fort probable que les premières réactions positives et les achats des toiles d'Utrillo ("découvert" d'abord par l'encadreur Anzoli, puis par d'autres petits marchands de la butte Montmartre) aient donné un sens à sa vie jusqu'à lors dépourvue de toute approbation et reconnaissance sociale. Pour lui, "le peintre le plus battu au monde" la peinture était également le moyen non négligeable de se procurer à boire. Ce dont il ne se priva pratiquement jamais, et fit maintes rechutes et d'accès de delirium tremens. Si dans d'autres cas la toxicomanie a joué un rôle négatif sur la créativité artistique, pour Utrillo, le moins qu'on puisse dire c'est qu'il en va autrement. Utrillo est certainement le seul peintre dans l'histoire de l'art dont l'oeuvre soit incontestablement liée à l'alcool. Grâce à lui il supportait plus facilement ses traumatismes. Le motif préféré...
Place du Tertre, 1910
Jamais il ne parlait de sa peinture; il peignait naturellement comme on pèle une orange. Jamais je ne l'ai entendu dire : "Je suis content de cette toile."
Pour moi, Utrillo, c'est le type de génie sans talent. Son expérience ne lui servait pas, il n'avait pas de métier, et pour chaque toile il repartait de zéro (Heuzé).
Jamais il ne parlait de sa peinture...
Rue Ravignan, 1910
Effectivement, le mystère des tableaux de Maurice repose en partie sur l'impression que le peintre n'a jamais appris le métier et que cela ne nous gène pas. Malgré l'absence de thèmes fantastiques ou exotiques ainsi que de toute imagination on est poussé à le qualifier de "naïf". Son approche des sujets urbains dépourvue de toute ambition de suivre les courants intellectuels qui fleurissent au début du siècle prouve son anachronisme. Qu'il s'approche dans sa folie des couleurs d'un autre peintre infortuné, van Gogh (Rue Ravignan, 1910) ou qu'il peigne avec une probité émouvante tout ce qu'il voit, parce que les choses sont là telles quelles, comme il le fait le plus souvent pendant sa période blanche, ses tableaux gardent toujours un charme quasiment incompréhensible. Derain en dit une fois...
Sacré Coeur de Montmartre et le Château des Brouillards
, 1934

Le motif quasi incontournable des tableaux d'Utrillo est le Sacré-Coeur avec son esthétique discutable, ce qui n'a aucune importance pour le peintre.
Quand en 1919 on vendit la collection d'Octave Mirbeau (écrivain, jadis défenseur de Gauguin et un des premiers à s'intéresser à Utrillo, mort en 1917), les tableaux d'Utrillo se vendirent à des milliers de francs, et depuis les prix ne cessèrent de monter. Cela permit à Utrillo, dégoûté de la rue, de peindre "d'après" cartes postales sans que sa peinture y perde excessivement en valeur pourvu qu'il ait un verre à portée de la main. "La bonne Lucie"...
Photo: L. Valore, M. Utrillo et S. Valadon
Utrillo est le plus grand peintre montmartrois et le nombre de "faux Utrillo" est incroyable, d'autant que sa production est parfois autofaussaire :

Paul Carrière raconte :

" Le dimanche était le jour de la visite traditionnelle de Pétridès (Le marchand exclusif de Maurice Utrillo à partir de 1935), venant chercher la toile hebdomadaire qui lui était assurée par contrat.
…Vers quatre ou cinq heures, Utrillo semblait se réveiller et commençait à aller et venir dans la maison, essayant d'obtenir un verre de vin à l'office. Lucie le rejoignait et l'invitait à se mettre au travail. Alors, on entendait à travers les cloisons la voix éraillée du malheureux :
- Il m'emmerde ! Il me fait ch... !
- Ça c'est pour moi, faisait Pétridès radieux, carré dans son fauteuil.
Finalement, vers sept ou huit heures, le marchand s'impatientait et montait à l'atelier, où Utrillo palette en main, recopiait avec ennui la photo d'une de ses anciennes toiles, fixée sur son chevalet par deux punaises.
- Maître, maître, faisait le Chypriote, dépêchons-nous...
En bougonnant, Utrillo achevait des maisons blanches disparues depuis vingt ans.
- Les murs, ordonnait Pétridès.
Le peintre étalait quelques couches de céruse.
- Les volets...
Il rajoutait des traits horizontaux.
- La signature, maintenant...
Ça c'était le plus long... Avec effort, l'artiste calligraphiait :
Maurice Utrillo V. Pétridès, alors, saisissait du bout des doigts la toile toute fraîche, allait la porter dans le coffre de sa voiture et remettait les quatre-vingt mille francs à Lucie. La comédie était terminée, pour une semaine.

"....le miracle"
Moulins de Montmartre, 1949


Ses admirables mains d'ivoire...
Photo: Utrillo peingant les "Moulins de Montmartre", 1949
Ses admirables mains d'ivoire...
Photo: Mains de Maurice Utrillo
Utrillo meurt en 1955, à 72 ans, bien plus tard qu'il l'y semblait être prédestiné.
1Edmond Heuzé fut compagnon de classe de d'André Utter, élève de Suzanne Valadon, et professeur à son tour de son fils Maurice Utrillo. Homme de mille métiers, entre autre a dansé au Moulin-Rouge avec La Goulue et a fait des exhibitions des claquettes au Monico pour terminer sa carrière comme professeur aux Beaux-Arts et membre de l'Institut! Edmond Heuzé fut également l'élève de Suzanne Valadon.  
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