Emmerdements et Providence
J'ai vu hier soir à la télévision
le film "L'emmerdeur", d'Edouard Molinaro. Un tueur à gage est
constamment empêché de tuer par un brave type amoureux qui tente de séduire de
nouveau sa femme partie avec un autre. L'amoureux transi tente de se suicider
dans la chambre d'à côté, ce qui manque de discrétion pour accomplir un
assassinat ; le tueur le sauve donc, et l'autre lui voue une reconnaissance
éternelle et indécollable, qui gène le tueur dans l'accomplissement de sa mission
avec laquelle on ne rigole pas. Il s'ensuit toute une cascade de situations
tragiques et comiques où chacun des deux personnages (et les personnages
secondaires aussi) poursuit
impertubablement son idée fixe et interfère involontairement dans les
activités de l'autre.
Ce film peut être lu comme une
métaphore de la vie même. Comme dans les asiles psychiatriques (c'est
d'ailleurs avec un psychiatre qu'est
partie la belle épouse du brave type), chacun poursuit son idée, sans trop tenir
compte de celle des autres et les rencontres entre ces univers séparés ne sont
que le fruit du hasard et ne produisent que des incongruités. Les emmerdements
proviennent des autres (l'enfer ...) et de l'extérieur de mon délire
individuel.
Cette vue angoissante, qui fait de
chacun l'obstacle à la réalisation des désirs de chacun, est aussi rassurante.
Ce n'est pas le hasard complet qui met des embûches sur ma route, mais les
désirs croisés d'autres volontés différentes et contraires de la mienne.
L'humanité est hantée par le désir
de croire que les événements sont régis par une volonté extérieure, celle des
autres, celles des dieux ou celle de Dieu. Ne rions pas trop vite de l'homme
"premier" qui croit que la tempête lui a été lâchée par un dieu en
colère, de l'élu qui croit que Dieu veut éprouver son amour en lui envoyant
l'ange exterminateur, de l'illuminé qui poursuit la mission qu'en songe Dieu
lui a attribuée, du parieur qui croit que le sept ne peut pas ne pas sortir
dans la prochaine course, du voisin emmerdé par le voisin du dessus qui fait
exprès de faire du bruit le soir, ni du parano qui croit que tout le monde le
regarde de travers. Il est rassurant de penser que l'univers a des attentions,
des intentions, à notre égard... Il est difficile de se passer des emmerdeurs
et de la Providence.
Janvier 2009