Changer de thermomètre

 

Le Président de la République a chargé l'économiste prix Nobel Joseph Stiglitz de diriger les travaux de conception d'un nouvel indicateur pour mesurer la performance économique, qui tienne compte des impacts environnementaux et sociaux de la croissance. Ces travaux ont abouti à un rapport sur lequel réfléchit le Président, qui devrait ensuite proposer à l'Europe puis au monde une nouvelle conception de la croissance.

 

Résumons le problème. La performance des économies est actuellement principalement évaluée par la croissance du PIB (Produit Intérieur Brut). Celui-ci est constitué par l'agrégation des valeurs ajoutées produites par les entreprises, qui comprennent essentiellement les revenus du capital et du travail, et les impôts indirects. Ces valeurs se retrouvent dans la consommation et les dépenses de l'Etat, et, parmi cela, sont bien entendu compris les sacs plastiques, les gaz d'échappement des voitures et des centrales électriques, les bombes qui arrosent les populations civiles, les dépenses de santé engendrées par la pollution et les stresses divers de notre civilisation, etc. Le PIB est donc immoral et antiécologique, d'où l'idée de lui substituer comme signe de réussite d'une société des indicateurs tels que l'Indice de Développement Humain, qui intègrent des données comme le taux de mortalité des enfants, le respect des droits de l'homme, le niveau d'éducation, l'espérance de vie, etc. On peut discuter du contenu de ces indicateurs (cf. mon article Quel indicateur de performance de l'économie ?), mais la question est aussi et d'abord :"quel est le rôle d'un indicateur dans l'économie"?

 

Le même jour où une interview de Joseph Stiglitz dans Le Monde (13/02/10) posait à nouveau cette question en page trois, Philippe Varin, Président de PSA Peugeot Citroën, en page cinq, déclarait : "Nos résultats financiers 2009 montrent une nette amélioration de notre performance économique". Qu'est-ce que "les résultats financiers" d'une entreprise ? Ce sont les revenus du capital, composante essentielle du PIB. Ainsi, les acteurs de l'économie qui, agissant chacun pour son intérêt propre et mus par une main invisible, construisent la richesse des Nations, mesurent-ils naturellement leur contribution à cette performance dans les mêmes termes que ce maudit PIB !

 

Est-ce parce qu'ils sont méchants et qu'ils gèrent mal les ressources de notre mère Nature ? Je ne le crois pas, mais ils font simplement le travail pour lequel ils ont été embauchés et sont payés. Le PIB, en agrégeant les valeurs ajoutées, reflète bien la performance attendue des entreprises. Suffirait-il alors que les gouvernements, éclairés par Joseph Stiglitz et Nicolas Sarkozy, changent la règle du jeu pour que la réalité du travail des entreprises soit changée, et qu'elles ne se soucient plus tant de leurs "résultats financiers", mais plutôt de la santé de leurs concitoyens et de la couche d'ozone ? Je ne le crois pas, car cela supposerait que les entreprises agissent comme les élèves d'une classe motivés par l'attribution des bons points. Or les entreprises agissent selon la volonté de leurs propriétaires et de leurs dirigeants. C'est donc le pouvoir dans l'entreprise qui doit être modifié.

Février 2010