Georges Brossard



Faire et connaître

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Dernière mise à jour le 01/01/2016

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Note : ce texte date d'une dizaine d'années et est en cours de réécriture

L'une des raisons qui m'ont poussé à la rédaction et à la publication de ce texte, c'est la prolifération actuelle de discours sur la vérité comme "valeur dépassée". A sa place, c'est le succès ou le bonheur qui seraient le véritable but des recherches philosophiques, non seulement en morale, mais aussi en épistémologie. Mon ambition est de produire quelques éclaircissements - à la mesure de mes faibles lumières - sur ce qui permet de considérer la vérité comme une valeur, et non comme une illusion, et de montrer comment on pourrait retracer ce qu'il y a de vrai dans les différents discours à partir d'une analyse matérialiste de la connaissance, c'est-à-dire fondée sur sa relation au travail et aux opérations manuelles et intellectuelles.

Il se peut qu'ici ou là, ces éclaircissements prennent la tournure d'arguments polémiques. C'est qu'en effet, souvent, la pensée se constitue contre une autre pensée. Ce sont les défauts et les erreurs d'une thèse qui conduisent à en élaborer une autre. Il peut s'y ajouter, parfois, un sourire, lorsque la polémique tourne plus au pugilat qu'à la guerre, ou que celle-ci ressemble à celle des boutons. Mais il s'agira alors d'écarts et de glissements, mon intention générale étant bien d'élucider des questions et non de participer à une partie de tennis où l'enjeu serait de "marquer des points". Aussi bien, puisqu'il n'y a pas d'arbitre dans une telle partie, aucun point ne saurait être marqué s'il n'apporte avec lui son marqueur.

Un premier ébranlement serait venu de la physique dite moderne, c'est-à-dire post-einsteinienne. De celle-ci, les épistémologues modernes, para-modernes et post-modernes, ont retenu deux maîtres mots : relativité et indétermination. La physique elle-même a acquis un grand prestige social par ses succès technologiques, preuves pragmatistes de sa validité. Celle-ci, a son tour, a valorisé les conséquences probabilistes du pragmatisme. Ainsi, la physique a fourni les modèles de la validité scientifique en transposant certaines images de vulgarisation dans les schémas de pensée des épistémologues. La science valide ne peut viser que le probable. Ce courant de pensée en a rejoint d'autres, parfois très éloignés. Le premier est l'analyse logique, qui met en valeur le fait que les énoncés sont ou contradictoires, donc faux, ou cohérents, donc probables, mais qu'un énoncé ne saurait en prouver un autre, si ce n'est par tautologie de construction. Un autre, issu de Kant, via Schopenhauer et Nietzsche, est la métaphysique de la volonté. L'être résulte d'un vouloir être. C'est à peu près ce qui est dit dans la Bible, mais, entretemps, Dieu est mort et la volonté d'être est là, sur le marché, prête pour qui veut la prendre, surhommes, Etats, peuples, Moi(s) divers. D'autres courants, enfin, issus des premières recherches des sciences humaines, linguistique, psychanalyse, anthropologie, sociologie, etc. les ont rejoints, formant un grand fleuve d'arguments qui conduisent logiquement au scepticisme, c'est-à-dire au doute méthodique sur chacune de nos croyances (et non pas seulement sur toutes, comme le faisait Descartes). Ce doute renouait sainement avec les recherches philosophiques des anciens Grecs. Mais le scepticisme n'a pas acquis pour autant un regain de modernité. Il est toujours rejeté comme l'écueil à éviter, servant toujours à "démontrer" comme ab absurdo la fausseté d'un argument lorsque celui-ci conduit à une conclusion supposée sceptique.

Non, le fleuve a sapé les fondations du Savoir, mais pas le Savoir lui-même ! Il a arrosé de brevets de scientificité toutes sortes de thèses, recherches, théorèmes qui, puisqu'ils sont probables, sont valides. Qu'ils soient vrais ou faux n'est pas la question, et ces termes sont définitivement réputés "désuets". Il est curieux de voir comment le terme de "probable", substitué à celui de "vrai" pour montrer le degré d'incertitude qui entachait telle ou telle proposition, et donc conduire à un doute à son égard, signifie maintenant "scientifiquement valide", donc, en effet , pas certain ni vrai, mais en tout cas crédible. Ainsi, ce n'est pas le doute qui a succédé au savoir, mais la croyance. Dans le meilleur des cas, le savoir est réduit à une catégorie spéciale de croyance. Cette croyance peut alors prendre différents critères d'assertabilité, comme la convention d'hypothèses, la cohérence discursive, le succès empirique, technique, politique ou commercial, la vérification statistique (dont on détermine a priori les seuils de signification), le consensus (des experts, des connaisseurs, etc.). Ces critères ne sont, en fin de compte, que l'objet de décisions, c'est-à-dire le résultat de volontés. Ils ont été substitués à la notion de vérité et ne comportent plus de référence à celle de réalité. L'examen douteux du sens d'une proposition par rapport à un référent réel, et de son adéquation à ce référent sont complètement démodés. Souvent les mêmes penseurs qui ont élaboré une théorie dite "relativiste", en tout cas non fondée sur l'adéquation entre proposition et réalité, prétendent ensuite que ce n'est pas la vérité qui les intéresse ! Ils ressemblent à ces adolescents qui, découvrant que leurs parents ne sont pas les dieux qu'ils croyaient, mais des humains faibles et pleins de défauts, cessent d'aimer ceux qu'ils idolâtraient. Si la vérité n'est pas absolue, elle ne nous intéresse plus ! Mais il semble que ces adolescents, non contents d'avoir détrôné les dieux, sombrent dans une autre perversion, celle du narcissisme, car leur thèse, à eux, ne saurait être que "valide", "raisonnablement crédible", "hautement probable", "assortie d'un bon degré de crédibilité", toutes formules vagues qui semblent introduire une prudente réserve mais ne sont que des figures rhétoriques pour attribuer à la thèse en question une autorité scientifique.

Il ne s'agit évidemment pas de rejeter en bloc toutes ces thèses. La plupart du temps, leurs auteurs, en adoptant ces formules, ne font que suivre les usages et se conformer à des protocoles plus ou moins contraignants socialement, et cela ne touche en rien la valeur de vérité de la thèse en question. Mais de plus en plus nombreux discours, dans les domaines de la morale, de la politique, de la vie sociale, se drapent de ces formules de prétendue prudence scientifique pour se soustraire, en fait, à toute tentative d'analyse critique de leur signification et de vérification. Philosophes savants et savants philosophants produisent des théories renouvelées du subjectivisme qui fournissent des cautions épistémologiques à ce qu'il faut bien considérer comme un nouvel obscurantisme. C'est ce qui semble en jeu dans un rejet assez généralisé de la notion de vérité comme adéquation ou correspondance avec le réel. Ce rejet est en partie le résultat d'un cheminement intellectuel qu'on peut résumer ainsi : des théories "vraies" prétendaient décrire "la" réalité. Or l'expérience, et de nouvelles théories, "vraies" elles aussi, montrent que "la" réalité ainsi présentée n'était en fait qu'un tableau, une représentation, un modèle. Evidemment toute connaissance est un tableau, un fantasme. C'est ce qu'avaient remarqué les Sceptiques. "Ce que vous appeliez "réalité" n'était en fait que l'hypostase d'un tableau ;Il n'y a donc pas de réalité à laquelle vous puissiez confronter vos tableaux et tous les tableaux se valent". Récemment, le Ministre de l'environnement a affirmé que l'été 2003 en France paraîtra frais et que la canicule n'était qu'une apparence. Les raisonnements non faux sont vrais. On rencontre de plus en plus fréquemment des thèses présentées comme "probables" (c'est-à-dire à considérer pratiquement comme vraies) parce qu'il n'est pas prouvé que le contraire soit vrai. La référence à une réalité externe est devenue une exigence vulgaire et méprisable.

L'évolution des connaissances au vingtième siècle (et le vingt-et-unième ne semble pas s'en séparer sur ce point) a fortement enrichi les raisons de douter et de faire du doute une valeur, tant du point de vue de la liberté de penser, que du point de vue du progrès des connaissances. Mais, si le vrai est incertain, il ne s'ensuit pas que l'incertain est vrai ! Peut-être ne savons-nous que très peu de choses; ce n'est pas une raison pour baptiser savoir nos ignorances. Ces évolutions me semblent porteuses d'une sorte de libéralisation de l'argument d'autorité, jusque là réservé à quelques sommités scientifiques ou religieuses. Désormais, chaque clerc, scientifique, politique ou religieux, a le droit de proclamer sa vérité sans qu'aucune justification ni explication ne soit légitimement exigible. Il lui suffit de montrer que sa thèse est "probable".

Sans méconnaître les arguments subjectivistes, j'ai tenté de dessiner ce qui pourrait être une philosophie critique matérialiste, c'est-à-dire une recherche méthodique de l'élucidation des significations et des vérités matérielles des discours et des activités. Cette philosophie ne se propose pas de dire ce qu'est la vérité, et encore moins de décrire la réalité, tâche qu'elle reconnaît comme celle des sciences positives. Elle se propose plutôt de soumettre ces dires et ces descriptions à une évaluation critique de leur signification et de leur vérité. Elle est donc cousine de l'attitude sceptique.

Le Sceptique ne proclame pas fausses les affirmations des Dogmatiques, il cherche à les comprendre et, si parfois il les réfute, il n'en déduit pas que le dogma opposé est vrai pour autant, il suspend son jugement. Cette suspension elle-même est d'ailleurs provisoire par définition, même si elle peut durer longtemps, très longtemps… Il ne nie pas non plus l'existence ou la valeur de la vérité, car les arguments sur lesquels il fonde ses doutes, il les juge vrais. Comme lui, il faut avoir le courage de rester dans le doute et d'assumer l'ignorance comme telle, sans la revêtir des atours du "probable". Il faut aussi chercher ce qui est vrai dans chaque modèle, l'accepter et ne pas le rejeter lorsque le modèle ne fonctionne plus. L'auteur de ces lignes ne se prétend pas Sceptique, mais il doit beaucoup à des gens comme Sextus Empiricus, David Hume et Ludwig Wittgenstein. Mais il doit aussi beaucoup à Epicure, Giambattista Vico, Bertrand Russell, Elisée Reclus et Albert Camus.

Les deux premiers chapitres contiennent des généralités et des principes qui peuvent sembler banals. Mais qu'ils soient banals ne les rend pas évidents et ne fait pas non plus qu'ils soient régulièrement appliqués. Il a donc paru bon de les rappeler et de les expliciter en préalable.

Les chapitres 3 et 4 concernent la notion de vérité. Il s'agit de définir ce qu'on attend de quelque chose quand on le suppose vrai et de quel genre de chose il peut s'agir. La méthode que l'on a cherché à suivre ici suppose en effet que l'on sache à propos de quoi on parle avant d'en dire en quoi il consiste. Ce qu'est le vrai est examiné dans le chapitre 10.

Auparavant, les chapitres 5, 6 et 7 auront permis de revenir sur les représentations et sur la difficulté qu'il y a à ce qu'une représentation soit vraie et puisse être considérée comme telle.

Le chapitre 8 constitue une sorte de digression, mais qui a son utilité : au regard des difficultés qui viennent d'être rappelées, on peut être conduit à s'interroger sur la réalité de la réalité et d'adopter un subjectivisme radical dans lequel celle-ci n'existe pas ou, en tout cas, n'est pas l'objet de notre connaissance. Il y est montré qu'on rencontre plus de réalité dans les opérations matérielles que dans les opérations mentales.

Le chapitre 9 applique les conclusions des chapitres précédents à plusieurs cas célèbres de l'histoire des sciences.

Le chapitre 10 propose et explicite une thèse, inspirée de Vico, et induite de ce qui précède.

Le chapitre 11 propose une grille d'analyse des théories et des concepts fondée sur les points de vue qu'un sujet donné peut avoir par rapport à une opération, d'où l'emploi du terme "topique".

Le chapitre 12 tire certaines conséquences de ce qui précède et qui se rattachent en partie à une critique sociologique de la connaissance et des idéologies.

Le chapitre 13, le dernier, est plus programmatique et montre en quoi le terme de "matérialisme" peut être utilisé pour la démarche critique qui est considérée ici comme la tâche principale de la philosophie, quelque distance que l'on prenne par rapport aux thèses du matérialisme dogmatique, étant entendu que par celui de "dogmatique" on ne désigne pas spécialement une forme doctrinaire ou sectaire, mais plus simplement et plus généralement une pensée qui méconnaît la valeur des avertissements sceptiques.

Volontairement, j'ai éliminé la plupart des formules rhétoriques de prudence habituelles, préférant l'assertion simple "p" à "je pense que p" et "q, donc p" plutôt que "j'ai tenté de montrer que p". Par ailleurs, certaines questions soulevées restent sans réponse, celle-ci me semblant hors de ma portée. Le lecteur, dans sa mansuétude, voudra bien considérer le texte dans son entier comme précédé de cette étiquette générale : "travail en cours, et destiné à le rester longtemps".

L'auteur sera intéressé par toutes les remarques, critiques ou complémentaires, qui pourront lui être adressées, et en aura une grande reconnaissance à ceux qui auront bien voulu les lui faire parvenir.

 

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