Georges Brossard



Faire et connaître

Chapitre 1 : Qu'est-ce qu'une valeur ?

Dernière mise à jour le 01/01/2016

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Note : ce texte date d'une dizaine d'années et est en cours de réécriture

 

La notion de vérité est condamnée comme n'ayant pas de sens ni, par conséquent de valeur. Il convient donc d'abord de se demander ce qu'est une valeur. Qu'est-ce que "avoir de la valeur"?

"Ca vaut la peine". La valeur se rapporte à la sueur et aux larmes des humains. Une valeur vaut que l'on verse de la sueur et des larmes pour la défendre et l'illustrer. La valeur d'une chose est doublement relative : 1/ par rapport à la valeur d'autres choses à quoi on pourrait la comparer (vaut-il mieux dire toujours la vérité ou mentir quelquefois, par exemple pour sauver la vie de quelqu'un ?); 2/ par relation au sujet qui évalue et qui aura à se comporter conformément à son jugement de valeur (une question comme celle qui vient d'être mentionnée n'a de sens que pour qui se trouve en situation de faire aussi bien l'une que l'autre chose). Il y aura alors pour ce sujet une échelle de valeurs, selon que la valeur vaut une heure de travail, une vie de souffrances ou nuit de larmes. Plus exactement il y aura des échelles de valeurs selon l'axe de l'évaluation. Traditionnellement, on distingue trois axes : le Bien, le Beau et le Vrai. Par exemple, selon l'axe du Bien, pour un hédoniste, le plaisir vaudra mieux que le devoir; selon l'axe du Beau, le courant réaliste préférera que l'on peigne la vie telle qu'elle est, et l'idéaliste, telle qu'elle devrait être, ou encore, pour un formaliste, que la forme est belle en elle-même, indépendamment de ce dont elle est la forme; selon l'axe du vrai, l'empiriste ne se fiera qu'aux données de l'expérience, là où l'idéaliste platonicien ne verra qu'illusion et préférera les Idées devinées depuis le fond de la caverne.

Une valeur peut en fonder une autre. C'est ce qui se produit dès qu'on se pose la question du pourquoi ? Pourquoi ne faut-il pas mentir ? Parce que la vérité vaut mieux que le mensonge ! Dans cette démarche, il peut arriver que nos trois axes semblent ne pas être indépendants : si la vie vaut plus que la vérité, peut-être serai-je conduit à mentir pour sauver la vie de quelque persécuté. Ce n'était pas l'avis de Kant. La hiérarchie des valeurs n'est pas dans le sujet de ce texte, mais il est dans ce sujet de constater qu'il n'y a pas de valeurs sans hiérarchie de celles-ci. C'est ce qu'implique la notion même de valeur. Quelque chose vaut parce qu'elle vaut plus ou moins qu'une autre.

Peut-on, dès lors, faire l'économie de cette notion de valeur qui semble souvent désuète dans une époque où les courants de pensée ne sont souvent même plus néo-quelque chose, mais plutôt post-beaucoup de choses ? L'amoralisme n'admet pas de valeur. Mais vouloir se dégager de toute morale implique quand même certaines valeurs, comme une forme de liberté égoïste absolue, par exemple. Tout choix est l'affirmation implicite de la prévalence des éléments de ce choix. L'hypothèse d'une absence totale de choix ne sera pas explorée ici. Il reste donc à savoir si le choix est fondé et, dans l'affirmative, sur quoi. Ce besoin de fondement des valeurs, s'il existe, provient probablement des modes de vie sociale. Il suppose, en effet, un certain individualisme, et une recherche dialectique de l'accord. Ce sont des individus dialoguant plus ou moins rationnellement qui peuvent se soucier du fondement des valeurs qu'ils mettent en œuvre dans leurs actes. Une telle recherche est improbable dans une société grégaire, car elle suppose que chaque individu peut formuler ses raisons, comprendre celles des autres et finalement retenir celles qui lui en paraissent le plus dignes. Dans cet ordre d'idées, les valeurs de vérité semblent sujettes à plus de contrôle dialectique que les valeurs morales ou esthétiques, et parmi celles-ci, les morales plus que les esthétiques. Ces dernières font plus facilement l'objet d'analyses et d'échanges, sans jugement conclusif, que les valeurs morales.

Qu'en est-il de la vérité ? Elle établit la valeur de vérité d'une variable propositionnelle, valeur qui pourra ensuite être utilisée dans le calcul des propositions, dans des raisonnements et la critique dialectique. S'il existe ou non des vérités morales, cette question sera discutée dans le chapitre 3.

Les valeurs sont liées à la civilisation. Elles en sont le produit. L'humanisme veut qu'aucun groupe humain ne soit fondé à en dominer un autre. On en déduit qu'une civilisation n'a aucune légitimité à se croire supérieure à une autre. Cette égalité des hommes, étendue aux groupes, puis aux civilisations, est étendue encore aux valeurs. « Les valeurs des différentes civilisations se valent toutes, puisque les civilisations qui les ont produites se valent toutes, puisque les hommes se valent tous ». Ainsi, le paradoxe veut qu'au nom de la valeur égalitaire, on nie l'existence même des valeurs car, si toutes les valeurs sont égales, aucune n'est une valeur, en ce sens qu'elle ne peut pas valoir plus de peine, de sueur et de larmes qu'une autre. Mais ce paradoxe repose sur un sophisme. De ce que les hommes se valent, en tant que porteurs d'humanité, il ne suit pas - comme le voudrait un certain "relativisme moral"- que toutes leurs pensées ou leurs actes se valent, ni que les valeurs auxquelles ils croient se valent non plus. Inversement, de ce que les valeurs, par définition, ne se valent pas entre elles, il ne saurait résulter, comme le voudraient certains "néoconservateurs", que les civilisations qui ont produit ces valeurs, ou les états qui prétendent les incarner, possèdent par là des valeurs différentes, des droit de larmes et de sueurs humaines supplémentaires. Ces raisonnements procèdent par assimilations successives et hâtives de notions historiques et anthropologiques : la civilisation, terme qui renferme déjà une première polysémie et par lequel on désigne aussi bien l'ensemble des réalisations culturelles d'une population donnée que les qualités qui font apprécier ces réalisations, est assimilée ensuite aux nations et à la nation où cette civilisation est supposés s'incarner (en oubliant que les civilisations réelles sont des combinaisons d'apports de différentes civilisations antérieures et contemporaines). Ces nations sont ensuite assimilées aux Etats et ceux-ci aux gouvernements des Etats, et enfin à la politique menée par ces gouvernements, c'est-à-dire à des décisions individuelles qui ne relève plus du tout de la dimension historique et collective qu'implique la notion de civilisation. Ces raisonnements dits "relativistes" et "néoconservateurs" reposent sur des confusions grossières qui ne sont pas dignes d'une pensée civilisée. Ainsi, s'il n'est pas dit que les jugements de valeur d'ordre moral ou esthétique puissent faire l'objet de conclusions quant à leur éventuelle vérité, néanmoins, les raisonnements qui les précèdent et tentent de les justifier contiennent certainement des propositions, soit factuelles, soit logiques, qui peuvent être soumises à un examen critique de leur valeur de vérité.

Il faut distinguer la valeur de ce qui a de la valeur. Une utopie politique peut être le projet d'une incarnation de certaines valeurs (par exemple, le socialisme incarnerait des valeurs de solidarité et de justice), mais elle ne se confond pas avec celle-ci. Sa réalisation éventuelle (le "socialisme réel", par exemple) est encore une troisième chose. Or on a souvent tendance à les désigner par le même terme, introduisant bon nombre de confusions. Les débats sur le respect de la vie humaine dû ou non aux embryons illustre bien cette question. Il s'agit de savoir si une entité donnée, l'embryon, possède ou non les qualités qui font que l'être humain a de la valeur. Quelle que soit la réponse que l'on donne à ces questions, celles-ci sont claires et sont de deux catégories bien distinctes :

1. Quelles sont les qualités propres à l'être humain qui en font la valeur, et qu'il faut préserver ? par exemple, la pensée, la liberté, la personnalité, l'amour de Dieu, etc.

2. L'objet "embryon" possède-t-il une ou plusieurs de ces qualités ?

La première question est d'ordre axiologique et tient à la définition des valeurs, la seconde est d'ordre ontologique et tient à la définition de l'étant. La question n'est pas de savoir si l'embryon est une valeur, mais s'il en a et laquelle. De la même façon, ni le socialisme, ni le libéralisme ne sont des valeurs, mais peuvent en avoir, ainsi que les sociétés ou les actions dans lesquelles certains croient apercevoir des éléments de ces idéaux politiques.

Une valeur est ainsi ce au nom de quoi un objet mérite que l'on verse de la sueur et des larmes, parce que cet objet contient certains aspects jugés cohérents avec la valeur en question. Ces aspects et ces jugements ne sont pas donnés. Les valeurs progressent. Une valeur est un espoir, un devoir-être par lequel le sujet se projette dans un devenir qui n'est pas le sien mais auquel il consent à verser sa peine pour réaliser et enrichir cet espoir, qu'il exprime par un devoir-être (" les choses devraient être comme ci ou comme ça").

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