Georges Brossard



Faire et connaître

Chapitre 5 : Connaître et reconnaître

Dernière mise à jour le 01/01/2016

Accueil

Philosophie

Économie

Blog

Dessins

Poèmes

Souvenirs

Sites

Contact


Note : ce texte date d'une dizaine d'années et est en cours de réécriture

 

Chapitre modifié en Septembre 2004

Dans les précédents chapitres, l'examen a porté sur la notion de vérité, indépendamment du fait que cette vérité soit connue ou non. Il a même été insisté, parce que cette idée n'est pas communément acceptée, sur le fait que la vérité n'est pas une espèce de la connaissance, ou de la représentation. Dans ce chapitre, le problème sera abordé par l'autre bout : il s'agira de la connaissance ou de la représentation, qu'elle soit vraie ou non. L'idée centrale de ce chapitre, c'est que la représentation est analogique, c'est-à-dire qu'elle emprunte à une expérience passée le modèle par lequel est représenté l'objet de l'expérience actuelle. Elle devient connaissance lorsque cette analogie contient quelque chose de vrai.

 

La reconnaissance dans la perception sensible

Qu'est-ce que l'expérience ? On a coutume de dire que c'est d'abord l'expérience sensible, car, en définitive, toute expérience se résume à des perceptions sensibles. Une expérience intellectuelle, par exemple la lecture d'un livre ou l'audition d'une conférence, se résumerait quand même à la perception des signes sensibles que sont les caractères du livre ou le son de la voix du conférencier.

Les empiristes britanniques ont développé une conception de la perception comme perception d'une ressemblance. Cette conception est même étendue à la connaissance scientifique (par exemple, Moritz Schlick (p. 20) : "L'objet de la science, c'est avant tout les régularités (constances) auxquelles sont soumises les relations entre impressions sensibles, expériences vécues (Erlebnisse) ; régularités qui permettent de faire des conjectures."). Cette conception pose le problème de l'adéquation de la perception et de l'existence même de la perception. Car, si, en effet, on ne perçoit que les similitudes entre les objets, cela implique qu'on ne perçoit pas les objets eux-mêmes. Mais alors, comment faisons-nous pour discerner entre eux des ressemblances ? A quoi ces ressemblances sont-elles supposées ressembler lorsqu'elles sont supposées vraies ? Il est difficile d'éviter une conclusion de type sceptique. Ce que nous percevons, ce sont des représentations, des tableaux, des modèles. Le terme de "modèle" paraît assez approprié pour traduire le fait que, quel que soit le sort que l'on réservera ultérieurement à l'adéquation de la perception à une réalité externe, la référence (au sens étymologique) aux expériences antérieures est incontournable. Mais cette notion de modèle comporte une extension plus vaste.

Derrière les événements que nous percevons, nous imaginons sans cesse des modèles des réalités qu'ils sont censés nous signaler. Le bouillonnement de l'eau nous signale sa chaleur : "nous voyons l'eau bouillir", disons-nous. Cette tache rouge apparente est censée être la manifestation d'un pull-over rouge réel. Mais notre perception immédiate est celle d'une simple tache de lumière rouge, et le pull-over est un modèle que nous apportons d'expériences antérieures où nous avons constaté que la présence d'objets de ce type expliquait bien la perception de taches de lumière de cette couleur. La perception est ainsi interprétée comme un signe du réel, celui-ci étant imaginé sous la forme d'un modèle qui expliquerait ce que nous en percevons.

Les perceptions elles-mêmes, à leur tour, peuvent être considérées comme de simples modèles. La psychologie de la forme, même si l'on n'en admet pas les généralisations, a montré que les perceptions sensibles simples étaient empreintes d'interprétation. Une couleur est perçue différemment selon les couleurs qui l'entourent, selon les objets que l'on s'attend à voir. Une fausse note ou une note manquante dans une mélodie est entendue juste alors qu'aucun son ou qu'un autre son est physiquement émis par l'instrumentiste, etc. Les sons eux-mêmes n'existent pas en tant que tels, c'est l'air qui vibre, nos organes auriculaires qui sont mis en branle par ces vibrations et notre système nerveux qui est excité à son tour par tous ces événements. Dire qu'il y a là un son est une interprétation, la construction d'une représentation. Et lorsque, en présence de tous ces événements, nous prétendons dire que nous entendons le cor sonner au fond des bois ou le tonnerre sur la plaine, nous nous fions à un modèle pour nous représenter le réel. Il est d’usage de distinguer dans la perception la sensation pure, qui serait la simple conscience des influx nerveux causés par les objets externes, et le jugement perceptif proprement dit, dans lequel l’entendement interviendrait pour donner du sens à la sensation pure. Mais pure de quoi ? On sous-entend : pure de toute interprétation d’origine subjective, qui l’entacherait d’une certaine fausseté. Les philosophes sensualistes( Locke, Condillac), et, à leur suite, souvent, Auguste Comte et certains positivistes sont à la recherche perpétuelle d’une conscience immédiate du réel, pure de toute interprétation d’origine subjective. Cette recherche est vaine et procède d’un malentendu. Que peuvent être ces données supposées " pures " ? Ou bien ce sont des propositions, susceptibles autant de vérité que de fausseté ; ou bien elles ne sont pas soumises à cette alternative. Or, si, en effet, les données immédiates dont la conscience dispose sur le monde externe sont susceptibles d’être fausses, comme l’expérience de l’erreur, d’où est issue toute problématique de la vérité, nous le montre, elles le sont aussi d’être vraies. En d’autres termes, elles contiennent des propositions, qui sont les informations dont la conscience s’alimenterait et que recherchent les philosophes dont nous parlons. Sinon, ces données brutes seraient certes pures, mais aussi vides et ne seraient donc pas, en fait, des " données ", et aucune connaissance ne saurait s'ensuivre. Mais aucune de ces données immédiates n’est faite toute d’objectivité. " Connaître, c’est reconnaître ". La perception est imprégnée de modèles, empruntés à l'expérience antérieure ou innés - c'est ce que les recherches de la psychologie et de la biologie peuvent nous apprendre - , qui sont des éléments de sa constitution même. La représentation d'un objet est toujours empruntée et transposée d'un autre objet, d'un autre domaine.

Anatomie des théories

 Le terme d’anatomie est pris ici dans le sens où Vico l’utilise pour désigner la démarche initiale de la science, qui doit commencer par une « anatomie de la nature » (ne pouvant d’ailleurs faire autre chose, avant d’en tenter une reconstruction). L’anatomie n’est pas une simple description, mais une dissection méthodique, qui classifie les éléments constitutifs, et dessine ainsi une structure archétypique, une architecture fondamentale, ou des styles architecturaux fondamentaux. Cette démarche est appliquée ici aux théories elles-mêmes. Cette anatomie serait naturellement suivie d’une enquête sur les matériaux utilisés dans la construction, d’une troisième sur les procédés de mise en œuvre, et de deux autres, enfin, sur les finalités, notamment morales, politiques et polémiques, et les résultats, gnoséologiques et idéologiques, de ces entreprises, mais ce programme est trop vaste pour être même entrepris ici.

L’activité théoricienne n’est pas seulement la contemplation, la mise en forme, l’écriture ou la description d’un spectacle (ainsi désigné par analogie avec le grec thea), mais bien l’élaboration raisonnée d’un édifice de propositions destinées à être considérées comme vraies, et donc à servir de règles à qui voudra agir sur la réalité que la théorie est supposée « décrire ». Cette élaboration suppose, comme toute activité volontaire, une finalité, et même, en fait, des finalités, tant il est vrai que les activités humaines sont polysémiques, surdéterminées, et porteuses de sens importés. Elle utilise aussi des matériaux qui, loin d’être sortis, sauf exceptionnellement, de la cervelle de l’inventeur, lui sont légués par la culture, la connaissance contemporaine, et des emprunts parfois très étrangers. Et, bien sûr, tout cela est arrangé selon une disposition, un plan, dont il s’agit ici de tenter une typologie.

Par anatomie, il n’est pas question du plan de l’ouvrage, de la table des matières, en quelque sorte. Celle-ci est essentielle comme témoin dans notre enquête, mais ce n’est pas elle qui est visée. Ce qui est visé, ce n’est pas l’architecture littéraire, ou littérale, de l’exposé de la théorie, mais son architecture apodictique, c’est-à-dire par quoi elle prétend démontrer qu’elle expose la vérité. Bien sûr, cette anatomie épistémologique n’est pas sans répercussion sur l’anatomie scripturale du texte qui l’expose, et il est probable que n’importe quelle forme littérale ne saurait convenir à n’importe quelle structure apodictique. Mathématiciens et physiciens, les premiers, et la plupart des autres disciplines, ont inventé leur propre langage ; ce qui montre la nécessaire liaison entre le contenu épistémique et le contenant discursif. Albert Einstein a donné plusieurs exposés très différents dans leur forme de la théorie de la relativité. Le Mémoire de 1905 est mi-expérimental, mi-mathématique, d’autres exposés sont pleinement formels, d’autres recourent à des images et à des expériences de pensée. La force de conviction de ces différents exposés peut varier, mais la véracité de la théorie est constante. A des contenants discursifs différents correspond ici une seule structure apodictique commune propre à la théorie de la relativité.

On distinguera cinq types de strucures de théories.

1. Les structures mythologiques

Les théories appartenant à ce type utilisent des structures mythologiques, c’est-à-dire qu’elles présentent le réel comme une histoire, la vérité des théorèmes étant assurée par la cohérence du scénario. Un exemple de ce type est la Genèse. Un autre exemple est le mythe des régressions du monde dans le Politique de Platon. On peut hésiter à donner à ces scénarios le nom de « théorie ». Ne s’agit-il pas simplement de fables ? L’écart est faible, mais il est bon de garder le terme de fable pour désigner la forme littéraire de l’énoncé et de bien considérer qu’il y a théorie dès que cet énoncé révèle une conception du réel qui peut s’opposer à ‘autres conceptions et fournir des règles pour l’action efficace sur ce réel. La caractéristique essentielles de ce type, c’est d’être essentiellement constitué d’une histoire, d’un scénario dont l’enchaînement même constitue la vraisemblance, l’apodicticité.

Il est facile de montrer la faiblesse de ce type de théories, dont l’apodicticité repose sur la crédibilité du scénario. Mais il est moins facile de reconnaître que nous acquiesçons bien souvent à des théories principalement sur la base de la vraisemblance du scénario qui les sous-tend.

2. Les structures déductives

Ces théories empruntent leur modèle idéal aux Eléments d’Euclide. Le mécanisme en est de poser quelques principes et axiomes, en nombre aussi petit que possible et la vérité des théorèmes provient de leur déductibilité à partir de ces prémisses. Ce type de structure a eu une influence importante dans la pensée occidentale, car il a conduit à deux caractéristiques essentielles de celle-ci :

1.       La croyance que la vérité des conclusions dépend de la vérité des prémisses, avec, pour conséquence, la recherche de prémisses absolument vraies, de fondements axiomatiques. La recherche des fondements a occupé une grande partie des ressources intellectuelles de l’Occident, et est à l’origine de bien des découvertes intéressantes, malgré le fait qu’elle n’a jamais abouti à quoi que ce soit de vraiment satisfaisant. L’erreur est de croire que des fondements absolument certains sont nécessaires et que, sans de tels fondements, toute théorie sombre dans l’erreur ou le néant. Venise repose sur des pilotis pourris enfoncés dans un sol mouvant et constamment érodé par les eaux, et est quand même l’une des plus belles villes du monde. Les philosophes devraient aller plus souvent à Venise !...

2.       La croyance que la vérité doit être simple, voire unique, puisqu’elle découle des prémisses et que celles-ci doivent être en nombre aussi réduit que possible. Rien ne fait de cette exigence logique et esthétique une nécessité objective.

Notre confiance dans la logique est si forte que nous avons peine à reconnaître la faiblesse réelle de ces théories. Il existe un courant de la pensée occidentale pour qui la cohérence est le critère essentiel, sinon unique de la vérité. Ce courant méconnaît seulement le fait que la cohérence logique est une construction artificielle de l’humanité, et que rien n’oblige la nature à s’y conformer, à moins, bien sûr, d’imaginer que Dieu ait voulu par là montrer la place prééminente qu’il entendait attribuer à l’homme dans l’univers…

3. Les structures empiriques et expérimentales

Souvent les théories dont l’apodicticité est essentiellement empirique ou expérimentale sont à peine considérées comme des théories. Cela provient du fait que leur production théorétique est surtout constituée de réfutation par les faits de thèses opposées plutôt que de démonstration de théorèmes qui leur seraient propres. Un bon exemple est constituée par l’œuvre de Nicolas Machiavel, dont on voit très bien sur quelles « preuves » elle s’appuie, et à quelles thèses elle s’oppose, mais à propos de laquelle on discute sans fin pour savoir quelle était la véritable pensée de leur auteur, alors qu’on sait très bien ce qu’elle n’était pas, et sur quoi s’appuient ses convictions.

Ces « théories », on vient de le voir, sont souvent difficiles à cerner, et n’apparaissent parfois pas comme telles, mais comme une simple collection de faits. Elles constituent pourtant, souvent d’utiles « anti-théories », c’est-à-dire que, sans énoncer clairement de thèse positive, elles élèvent en quelque sorte un garde-fou nous éloignant de ce qui, en tout état de cause, doit être considéré comme faux, car contraire aux faits.

4. Les structures essentialistes

De Platon à Husserl, ce type de structures est illustré par les recherches tendant à cerner le propre de l’objet qu’elles étudient. Les discussions scolastiques sur la quiddité relèvent aussi de ce type de structures. Elles ne sont pas réservées aux théories métaphysiques idéalistes. Les recherches sur la chaleur en physique, par exemple, ou sur la richesse en économie, ou encore sur les espèces, en biologie, débouchent souvent sur des théories de type empirique, ou déductif, ou mythique, mais partent d’une problématique essentialiste ou quidditive. La méthode dialectique ou dichotomique utilisée par Platon dans le Politique ou le Sophiste ou encore par Aristote dans la Physique en sont des exemples. Mais, plus récemment, les analyses de Sartre et de Merleau-Ponty relèvent aussi de cette méthode, dans laquelle on examine une idée sous toutes ses facettes pour en dégager, comme un diamant de sa gangue, l’essence. La notion scolastique de quiddité part aussi de la même conception[1].

Ces structures semblent procéder d’une approche introspective de la vérité, et, par conséquent, assez impropres à nous apprendre quoi que ce soit sur le réel. Elles ont, néanmoins leur intérêt lorsqu’elles explorent la question que nous nous posons, sans chercher à y répondre à la place de la nature.

5. Les structures hybrides

5.1. Les théories mythico-déductives

Ces théories posent en prémisses une situation originelle définie par les caractéristiques essentielles de quelques acteurs initiaux. La théorie déduit ensuite de ces caractéristiques un scénario qui en est la conséquence à la fois factuelle et logique. Un exemple est la théorie du « big bang » qui, comme la Genèse, retrace l’histoire de l’Univers à partir du néant ( ou presque …), non plus comme un simple récit, mais comme la conséquence inéluctable de quelques données physiques initiales. La plupart des théories économiques classiques procèdent de la même façon : elles attribuent certaines caractéristiques comportementales à l’homo economicus, d’où il s’ensuit « nécessairement » une certaine organisation de la société et de son économie. La plupart des théories historiques sont aussi du même type : l’histoire, passée et à venir, y est conçue comme le développement d’un concept ou d’une situation originelle donnée.

Ces théories cumulent évidemment les faiblesses épistémologiques des structures mythologiques et des structures déductives. Elles y ajoutent une force de conviction qui semblent supérieure à la simple addition des types simples dont elles procèdent. Voici quelques facteurs qui peuvent expliquer cette force de conviction renforcée :

1.       La confusion fréquente entre conséquence causale et conséquence logique ;

2.       La sensation d’assister à l’histoire et de pouvoir constater la véracité de ce dont le raisonnement nous a déjà convaincus ;

3.       La possibilité – plus forte que dans la structure déductive simple – que les prémisses soient de véritables fondements, car ils peuvent être non de simples propositions, mais des faits, puisqu’éléments du scénario

4.       En outre, ces prémisses pourraient avoir été dites, révélées, par l’un des acteurs du scénario ; une authentification de première main en quelque sorte.

5.2. Les théories expérimentales déductives

Ces théories s’appuient sur la recherche, la constitution et la construction de faits, d’une part, et, d’autre part, l’élaboration d’un modèle déductif dont les faits ainsi avérés seraient les conséquences logiques. Les autres conséquences logiques du modèle ont des probabilités fortes d’être eux aussi des faits. S’ils ne le sont pas, le modèle est faux. S’ils le sont, le modèle est considéré comme vrai. La science dite « moderne » utilise cette structure. Elle produit ainsi des modèles qui sont aux faits comme des prémisses aux conséquences, c’est-à-dire soit des tautologies, soit des lois générales.

Mais, bien entendu, la science n’utilise pas que cette structure. Elle ne relie pas seulement des faits à des lois, mais aussi des faits entre eux, notamment dans ce qu’on appelle aussi « modèle » dans l’usage scientifique, c’est-à-dire un système d’images supposé évoluer selon les mêmes lois qu’un système réel donné, physique, biologique, social, etc.Il est alors demandé à la science d’expliquer ou de prévoir l’évolution du système réel. Elle produit un scénario causal de type mythico-déductif, par exemple la théorie du big bang, ou bien les modèles utlisés en météorologie ou en économie, ou encore certaines expériences de pensée. Il est courant de confondre alors les éléments de ce scénario avec les éléments du système réel représenté. C’est ce qui produit le « réalisme de la science », et conduit à se figurer des concepts abstraits sous la forme de choses concrètes.

Analogies à l’œuvre dans ces structures

Il est utile de noter que ce n’est pas l’analogie qui fait le caractère vrai ou faux d’une théorie. Les analogies qui travaillent dans la production de ces différents types de théories peuvent s’observer de différents points de vue. Considérons deux théories A et B et ce qui peut se transposer, par analogie de l’une à l’autre.

1. Analogies de contenu

On transpose le modèle ou certains de ses éléments d’un domaine d’origine dans le nouveau domaine d’application. Certains modèles, ou éléments de modèles, de A, dans le domaine contextuel C1 deviennent, dans le domaine contextuel C2, des modèles ou éléments de modèles de B. Par exemple, la sélection artificielle par les éleveurs, dans le contexte de l’agriculture, devient, transposé par analogie dans le contexte de la nature, le modèle de la sélection naturelle, mécanisme de l’évolution des espèces.

2. Analogies d’apodicticité

Dans ce cas, ce n’est pas le contenu de A qui est importé dans B, mais son apodicticité. La distinction n’est pas facile à saisir, car, de fait, l’analogie porte généralement à la fois sur le contenu, au moins en partie, et sur l’apodicticité. Elle a quand même son intérêt, car la validité de la transposition ne s’évalue évidemment pas de la même façon. Par exemple, l’élaboration de la logique permet la transposition de l’apodicticité de la géométrie à l’algèbre, à la physique, etc., et même à la philosophie, lorsque Spinoza écrit une éthique more geometrico demonstrata. La question, alors, n’est pas de savoir si Dieu ressemble ou non à un triangle, mais celle de savoir si le syllogisme s’applique aussi bien à la métaphysique qu’à la physique.

L'analogie et l'importation des modèles

La recherche de causalité est un des schémas les plus généraux de la pensée humaine. On peut imaginer la pensée dite primitive se comportant comme nos savants actuels, c'est-à-dire, selon la formule de Vico, imaginant ce qu'ils ignorent à partir de ce qu'ils connaissent. Fontenelle cite l'exemple des premiers hommes voyant un fleuve couler : " Il y a eu de la philosophie même dans ces siècles grossiers et elle a beaucoup servi à la naissance des fables. Les hommes qui ont un peu plus de génie que les autres sont naturellement portés à rechercher la cause de ce qu’ils voient. D’où peut venir cette rivière qui coule toujours ? a dû dire un contemplatif de ces siècles-là. Etrange sorte de philosophe, mais qui aurait peut-être été un Descartes dans ce siècle-ci. Après une longue méditation il a trouvé fort heureusement qu’il y avait quelqu’un qui avait soin de verser toujours cette eau de dedans une cruche. Mais qui lui fournissait toujours cette eau ? Le contemplatif n’allait pas si loin. " (L’histoire des oracles in Fontenelle, textes choisis et commentés par Emile Faguet, Paris, Plon, 1912 , p. 157). La démarche est claire et simple : la cause inconnue est représentée à partir de faits connus produisant des effets analogues.

L'inconnu se connaît à partir du connu. Vico est le philosophe qui a le premier remarqué ce fait et insisté légitimement dessus. §122 "C’est un autre caractère de leur esprit que manifestent les hommes lorsque, ne pouvant se faire aucune idée des choses lointaines et inconnues, ils les jugent selon les choses présentes et qui leur sont bien connues". Il en déduit une critique de l'anthropocentrisme et de l'ethnocentrisme (qu'on peut reconnaître sous sa boria dei nazione) (Vico Des éléments (Science nouvelle, Livre I , Section seconde)) §180 "Dans l’ignorance des causes naturelles des phénomènes les hommes qui ne peuvent même pas se les expliquer par analogie attribuent aux choses des qualités propres à leur nature ; ainsi pour le vulgaire, l’aimant aime le fer." §181 "Cet axiome relève du premier (§120) selon lequel lorsque l’esprit humain qui, de par sa nature est indéfini, se trouve plongé dans l’ignorance, il se prend lui-même comme règle de ce qu’il ignore ".

Les découvertes scientifiques se font par l'application de connaissances anciennes à un domaine nouveau. L'astronomie s'est développée en utilisant des outils optiques destinés à la navigation et à l'usage militaire et en appliquant la mécanique galiléenne et newtonienne "terrestre" au système céleste de Copernic. La connaissance de l'hérédité en appliquant des théories combinatoires et probabilistes aux caractères innés. Darwin s’est inspiré des méthodes de sélection des plantes et des animaux dans l’agriculture et l'élevage pour concevoir la sélection naturelle comme mécanisme profond de l’origine des espèces. Les physiciens depuis Galilée ne font que tenter d'appliquer des structures mathématiques aux phénomènes physiques.

Ces transpositions et applications nouvelles d'un domaine de connaissance à un autre domaine de la réalité impliquent la découverte ou la supposition, à titre d'hypothèse expérimentale, d'une analogie entre le domaine exploré et le domaine d'origine des connaissances tenues pour déjà acquises. Cette analogie n'est ni indéterminée ni indifférente et elle délimite de façon précise la validité de la nouvelle théorie. Les connaissances importées d'un domaine anciennement acquis servent en effet à nous représenter ce que nous ignorons des phénomènes explorés. Pour mesurer la surface d'un triangle, la géométrie nous apprend comment importer ce que nous savons déjà faire pour un carré. Les propriétés du triangle sont alors les conditions dans lesquelles l'analogie avec le carré est valable.

Ces applications nous permettent de "comprendre" de nouveaux phénomènes parce qu'elles les rendent déductibles de systèmes de connaissances qui nous sont familiers et que nous considérons comme acquis. Ainsi, ce que nous appelons "comprendre" consiste à tirer comme une conséquence, par des procédés validés par la logique, un phénomène inexpliqué d'un modèle déjà familier, provenant d'une zone mieux connue du réel.

 

La réminiscence platonicienne

La question qui se pose inévitablement est celle de l'origine des modèles et du fait qu'ils sont supposés mieux connus. La solution empiriste, qui renvoie à l'expérience antérieure, est accusée de cercle vicieux ou de régression à l'infini, d'où la force de la théorie platonicienne de la réminiscence. Nous aurions, dans un état antérieur à notre existence actuelle, eu connaissance d'"Idées", qui seraient les modèles informateurs de ce que nous percevons dans le monde présent. Cette théorie se retrouve sous des formes diversement aménagées dans la notion de connaissance a priori développée par les courants rationalistes. Ces conceptions ont évidemment pour conséquence de doter les modèles en question d'un statut d'antériorité radicale et de révélation supérieure qui leur fait mériter une confiance quasi absolue, et une certaine dévotion.

Ces hypothèses ne sont ni vérifiables ni contestables, car elles supposent des connaissances révélées. Les arguments qui sont supposés les rendre nécessaires en infirmant les thèses empiristes sont en grande partie eux-mêmes des paralogismes ou des conséquences d'une vision fixiste de l'espèce humaine. Paralogisme, car l'argument de cercle vicieux ou de régression à l'infini n'a de sens que si on suppose que la connaissance doit nécessairement avoir une forme hypothético-déductive et un fondement. Or, c'est précisément une pétition de principe que de supposer cette nécessité. Rien n’indique en effet que les idées doivent avoir une origine, encore moins une origine unique. Vision fixiste, car il est maintenant certain que la connaissance est un lent processus non seulement ontogénétique et historique, mais aussi phylogénétique.

Il résulte de ces considérations que la question à retenir n'est peut-être pas tant celle de l'origine des modèles que celle de leur constitution, aussi bien synchronique que diachronique.

L'invention

Une alternative à la conception platonicienne est l'idée que les modèles sont inventés par l'homme. Cette conception est souvent préférée par les penseurs qui se réclament de l'humanisme, mais aussi par ceux qui y voient un argument en faveur du spiritualisme. Simone Weil, par exemple, voit dans la nouveauté radicale des inventions humaines la preuve de l'intervention de quelque chose de supérieur qu'elle appelle esprit dans l'aventure humaine. L'intervention de l'esprit s'opposerait au déterminisme de la matière. Claude Tresmontant s'appuie essentiellement sur les failles du déterminisme pour découvrir Dieu dans le monde. L’invention est considérée dans sa totale nouveauté, et c’est plutôt de création que ces penseurs souhaitent parler. En fait, ces prises de position montrent surtout des enjeux religieux et moraux dans la controverse. Les mécanismes de l'invention sont l'objet d'études des sciences positives, psychologie, sciences cognitives, etc. Certains penseurs redoutent que, si l'analogie doit être prise comme le paradigme de la connaissance, on ne doive en conclure à une sorte de psittacisme de l'humanité, qui nuirait gravement à son prestige dans l'Univers, ainsi qu'à celui de son Créateur. En réalité, leurs craintes sont injustifiées, car l'analogie n'est pas le contraire de l'invention. L’invention est l’invention d’une analogie nouvelle. C'est précisément l'analogie qui fait l'objet de l'invention. Les exemples de ruptures dans l'histoire des sciences montrent que ces ruptures s'opèrent par le déplacement des modèles et la transposition de schémas d'un domaine sur un autre. La nouveauté provient de l'éloignement apparent de ces domaines, et le génie de la force nécessaire pour rapprocher ce qui était si étranger. Le combat des penseurs dits humanistes et spiritualistes qui faisaient appel à la nouveauté radicale de l’invention des nouveaux concepts pour « prouver » l’action de l’esprit est donc sans objet, car les concepts ne sont pas nouveaux, mais ils sont utilisés de façon et dans des domaines nouveaux. Mais alors que nous avons maintenant un processus de travail inventif utilisant l’analogie, il faut constater que l’invocation de l’esprit a pour résultat de rendre inutile et impossible l'analyse de la genèse de cette nouveauté. La réponse spiritualiste clôt un questionnement matérialiste.

Connaissance, poésie et mysticisme. Domaine de la connaissance rationnelle

Toute proposition est soit une analogie soit une tautologie. "A est B" ne peut signifier que l'une de ces trois situations :

1."A présente l'analogie C avec B, qui est connu par ailleurs"

2."B est identique à A" et c'est une tautologie qui ne dit rien;

3."B est différent mais inconnu", et c'est une tentative pour dire l'indicible.

Dans le cas numéro 1, le trait C, supposé commun à A et à B, peut l'être effectivement, et la proposition est vraie. Ou bien C peut ne pas appartenir à A, mais bien à B, le modèle est valide , mais n'est pas adéquat et la proposition est fausse. Ou encore C n'appartient pas à B, alors qu'il appartient bien à A. Le modèle est mal interprété, et la proposition est fausse. C peut aussi n'appartenir ni à A, ni à C. Il faut alors féliciter l'imagination de l'auteur de la proposition.

Le cas numéro 2 représente un simple jeu de mots.

Le cas numéro 3 correspond au mystère. Il faut remarquer que l'énonciation de mystères ne se revendique pas toujours comme telle, et tend parfois à se présenter comme une explication rationnelle. Un exemple en est donné avec les théories dites de la "génération spontanée" en biologie, où l'apparition de formes vivantes est prétendument expliquée par la génération spontanée, alors que celle-ci ne correspond à rien de connu.

L'indicible, poétique ou mystique, ne fait pas partie du champ de la critique philosophique, sauf dans la mesure où il se drape dans les habits d'une rationalité fictive.

La tautologie n'apprend rien.

La représentation, dans la mesure où elle est ouverte à la critique rationnelle, est analogique, et rapproche, selon un aspect qui doit être chaque fois précisé - mais ne l'est que rarement - une situation connue et une autre inconnue.

 

Peut-on "reconnaître" la vérité ?

Il est encore tôt pour aborder de nouveau le problème de la vérité, toutefois, un point peut être fait sur la possibilité que la vérité soit reconnue dans le cadre de la production d'une analogie. En général, l'analogie a mauvaise presse auprès des épistémologues, car elle n'est pas apodictique. Elle n'aurait, au mieux, qu'un caractère heuristique. Toutefois, si, comme il vient d'être dit, toute proposition, y compris empirique, affirme une analogie, il semble inévitable de confronter la notion d'analogie et de vérité.

La plupart des paradoxes sur la vérité sont fondés sur cette constatation que connaître, c'est reconnaître, c'est-à-dire asserter une correspondance, au moins partielle, entre de l'inconnu et du déjà connu. D'après ce principe, si la vérité doit être reconnue, ce ne peut être que si elle l'est déjà, or, précisément, ce que l'on cherche, c'est à connaître des vérités non encore connues, ou du moins non connues comme telles, par exemple incertaines. Autrement dit, toute assertion de la vérité d'une proposition, serait par définition une pétition de principe. C'est ce qu'avait reconnu Spinoza en spécifiant verum index sui, c'est-à-dire que le vrai est à lui-même son propre signe de reconnaissance. Néanmoins, ce qui est dit dans le chapitre 3 modifie un peu la façon de voir ce problème. En effet, la pétition de principe supposée n'existe que dans le cas où on désigne par le terme "vérité" ce qui est vrai et non le fait que c'est vrai. Si la vérité est une qualité, et non un doxème, on doit pouvoir la reconnaître par elle-même, comme le veut Spinoza, mais non par le doxème auquel elle est attribuée. Reconnaître un buvard comme rouge tient au fait que l'on sache reconnaître ce qui est rouge, mais non au fait que, en l'occurrence, ce soit un buvard qui est rouge. De même, reconnaître une proposition comme vraie doit tenir au fait que l’on sache reconnaître ce qui est vrai, mais non au fait que, en l’occurrence, ce soit telle proposition qui est vraie. On voudra bien noter que, jusqu'ici, il n'est pas présumé que l'on sache reconnaître ce qui est rouge ou vrai. Le lecteur devra attendre le chapitre 10.

 

En résumé

L’analogie est beaucoup plus qu’un mode de pensée parmi d’autres. Nous empruntons un modèle à un aspect des expériences antérieures, nous l’appliquons à un domaine d’expérience nouveau, en établissant des points de correspondance et des analogies. Ce modèle informe et explique ce domaine nouveau en ce que ses différents éléments en semblent des conséquences logiques. On veut savoir si le suspect portait un pull-over rouge. Voilà l’information qui manque aux enquêteurs. Ils posent donc la question au témoin. Lequel essaie de retrouver une ressemblance entre ce qu’il sait de la couleur rouge (carmin ? vermillon ? orange ?) et cette tache de couleur rapidement entrevue, la silhouette du suspect. Il tente une analogie entre un domaine connu, son expérience du rouge, et l’inconnue que constitue la couleur effective du pull-over (si toutefois il s’agit bien d’un pull-over) porté par le suspect. S’il est vrai que l’information est une réponse à une question posée, alors probablement toute information est pour nous analogique. En effet, une question posée sur un objet inconnu suppose probablement une tentative de transposition analogique d’éléments connus sur l’inconnu. La connaissance est reconnaissance.

La question posée est alors celle de la validité des modèles ainsi utilisés. La correspondance entre le modèle et la réalité qu’il est supposé représenter ou expliquer peut être très indirecte. L’application analogique d’un domaine de représentations ou d’opérations à un autre ne signifie nullement que les deux domaines sont identiques, mais qu’un de leurs aspects relève de traitements semblables. L’analogie, par exemple entre la représentation des âges d’une population par une " pyramide des âges " et la vie effective de cette population est très indirecte. Elle indique seulement que certains traitements numériques, effectués par ailleurs sur d’autres réalités numériques comme les couleurs d’une photo, ou le poids des animaux d’un élevage, ou les densités des huiles de moteur des camions, peuvent aussi être effectués sur les âges de la population considérée. Il en est ainsi de toutes les analogies et de toutes les représentations, qui sont toutes analogiques. Vouloir les penser comme des correspondances identitaires est une erreur. L'identité est une forme totale de l'analogie. Les penseurs anglophones ont souvent utilisé la notion de similitude (similarity), qu'il s'agisse des empiristes Locke et Berkeley, du sceptique Hume, ou des pragmatistes Peirce et Bridgman. Thématisée comme telle ou non, l'idée de ressemblance entre A et B, comme fondement de la vérité d'une éventuelle proposition "A' est B'", où A' et B' ont quelque chose à voir avec A et B, cette idée est souvent l'un des fondements de leur pensée. L'un des objets de ce travail est simplement de donner une tournure plus précise et plus systématisée à cette idée. Il y a quelque chose de commun entre A et B, mais quoi exactement ?

Sur le plan de la réponse logique, un modèle est vrai pour autant qu'il n'est pas faux. Aucun modèle n'est vrai par lui-même. Et encore aucun n'est exclusif d'un autre (dans le sens où sa vérité impliquerait la fausseté totale de l’autre), même s'il est le seul formulé pour l'heure. Et enfin, la fausseté, qui peut seule être prouvée, est relative à la preuve qui en est faite, et, en quelque sorte, délimitée par cette preuve. Bien souvent, on découvre ainsi et on précise quel est le sens exact dans lequel le modèle était vrai.

Toutefois, l’affirmation que nos représentations - et nos éventuelles connaissances du réel - seraient essentiellement des analogies est connotée d’une certaine teinture de scepticisme. Si nous n’avons affaire qu’à des modèles, rien ne garantirait qu’il y a, au-delà de ceux-ci, une réalité qui leur ressemble d’une certaine manière. Mais ce n’est pas ce qui est supposé ici. Nous avons affaire à d’autres choses que des modèles, mais simplement, les modèles par lesquels nous nous représentons ces choses ne sont, en effet et par définition, rien d’autre que des modèles. Une carte n’est qu’une carte ; cela ne l’empêche ni d’être exacte, ni d’être vérifiable, et bien entendu, cela n'empêche pas les régions qu'elle représente d'exister, (le cas échéant !). Certaines cartes sont plus exactes que d’autres, et cela varie selon les différents aspects que l’on envisage. On n'aboutit donc pas à une sorte d'éclectisme de compromis où "toutes les hypothèses se vaudraient, pourvu qu'elles aient une certaine cohérence logique et linguistique", puisque ce qui est faux est, si l'on peut dire, vraiment faux.

La suite de ce travail comporte un examen plus détaillé des conditions de la validité des modèles. Cet examen conduit dans deux domaines où, à la suite de Russell, on est conduit inévitablement dès qu'on aborde les questions de la connaissance, celui du sens et celui de la vérité.

Dans le domaine du sens, l'analogie indique d'où elle vient, ou invite à le rechercher, si son origine n'est pas patente. On transpose une idée connue d'un domaine déjà maîtrisé, disons les statistiques et la probabilités, et on les applique à un domaine où, jusqu'ici, on n'y songeait même pas, disons la culture des petits pois et la sélection des espèces à cultiver. L'origine de l'analogie est peut être connue et consciente, et la transposition volontaire et organisée de façon réfléchie et rationnelle. Mais pour un tel raisonnement aussi clairement organisé et maîtrisé dans sa démarche intellectuelle de transposition, combien d'autres dans lesquels la démarche comporte des origines non dites, implicites, inconscientes, non élucidées ? Cette obscurité n'implique rien quant à leur vérité ou à leur fausseté intrinsèques, mais indique que leur véritable sens n'est pas nécessairement limité au discours explicite. L'ambition de ce travail est d'explorer ce sens de façon méthodique.

Dans le domaine de la vérité, trois grands types de réponses semblent adaptées à propos de l'analogie :

1. L'analogie est réputée vraie parce qu'elle correspond à l'objet ; les choses sont comme l'analogie les décrit.

2. L'analogie est réputée vraie parce qu'elle fonctionne ; elle est productrice de croyances qui conduisent au succès.

3. L'analogie est réputée vraie parce qu'elle est cohérente, avec elle-même et avec les autres analogies que l'on admet déjà.

Ce dernier critère est en réalité entièrement subjectif, car la cohérence elle-même est appréciée au regard de règles de logiques définies dans un jeu d'axiomatique arbitraire si on ne le renvoie pas lui-même à l'un des deux autres critères.

Le critère pragmatiste est en fait contenu dans le critère réaliste : si une proposition est vraie selon le critère 1, alors elle le sera aussi selon le critère 2. L'inverse n'est pas nécessaire. Le critère pragmatiste montre qu'une proposition est peut-être vraie selon le critère réaliste. C'est pourquoi les tenants de ce seul critère ne prétendent généralement qu'à la probabilité et non à la vérité.

Le critère réaliste est le plus conforme au modèle que nous avons généralement présent à l'esprit, en Occident, de la situation réciproque du sujet et de l'objet dans la connaissance. La difficulté vient du fait que la notion de réalité qu'il suppose est de plus en plus mise en doute par les sciences positives, et en particulier par celle en qui on avait le plus confiance pour nous faire approcher de cette réalité ultime des chose, la physique. Russell résume cette difficulté par l'une de ces formules logiques implacables dont il a le secret : "le réalisme naïf, s'il est vrai, est faux ; donc il est faux". Mais puisqu'il est faux parce qu' il est vrai, il est nécessaire d'imaginer un réalisme moins naïf.



[1] Le paradoxe d'attribuer la qualification d'"essentialisme" à des philosophes existentialistes n'est qu'apparent. Leurs conclusions, leurs thèses sont existentialistes du point de vue de leur contenu, mais elles sont établies par des méthodes et des raisonnements essentialistes.

ccueil du site

Haut de la page