Georges Brossard



Faire et connaître

Chapitre 8 : Qu'est-ce que la réalité ?

Dernière mise à jour le 01/01/2016

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Note : ce texte date d'une dizaine d'années et est en cours de réécriture

 

 Si la vérité doit consister dans une adéquation à la réalité, s'il est crucial de ne pas confondre les modèles et les objets réels, il devient essentiel de répondre à la question : qu'est-ce que la réalité ? Une proposition est vraie ou non en fonction des "réponses" fournies par la réalité aux questions que nous posons. Mais "qui" répond à nos questions ? Les représentations primitives de la réalité semblent avoir souvent eu la forme de personnages multiples doués de pouvoirs très étendus sur les événements et peu soucieux de continuité dans leurs activités surnaturelles. La philosophie ancienne a longtemps consisté en un lent processus d'unification et de personnification de la réalité, celle-ci devenant peu à peu la pensée d'une divinité unique, voire cette divinité elle-même. Puis, la notion de "Nature" a semblé une sorte de réalité désacralisée, jusqu'à ce qu'on y perçoive une résurgence indue du divin, là où "il n'est nul besoin de cette hypothèse". Parallèlement, une autre tradition de la philosophie occidentale, qualifiée de matérialiste, faisait consister la réalité dans un ensemble de corps essentiellement étrangers les uns aux autres, qu'on appelait " les choses", et dont les relations consistaient seulement dans leur obéissance commune aux lois d'une Nature aussi peu divine et aussi mathématique que possible. Ces deux traditions se sont retrouvées ensemble critiquées par l'attention portée dans la philosophie moderne sur la subjectivité dans la connaissance. Nous ne connaissons rien que nous n'ayons au préalable demandé. La question construit et induit la réponse. Il n'y a déjà assurément "personne" qui nous réponde. La conception religieuse est disqualifiée d'entrée de jeu pour anthropomorphisme. Mais, en outre, il n'y a peut-être "rien". D'abord parce que l'idée de quelque chose qui comporte des réponses à nos questions est d'emblée suspecte de réintroduire la divinité que l'on cherchait précisément à écarter. En outre, parce que, une à une les représentations diverses que l'on se faisait de cette réalité se dissolvent dans la critique et que, si on ne peut se la représenter, cette réalité, c'est peut-être parce qu'elle n'existe tout simplement pas. L'homme non seulement ne serait plus devant la Nature, la contemplant et tentant d'en découvrir les énigmes, mais encore ne serait-il plus dedans non plus. Comme Narcisse, il ne fait que se renvoyer à lui-même sa propre image. "Le réel n'est plus, il n'y a que des conceptions, plus ou moins intéressantes", voilà la nouvelle "philosophie". Son moindre avantage n'est pas, bien sûr, de permettre à chacun de ses tenants de faire valoir que sa conception à lui est la plus intéressante, et qu'on ne l'embête pas à vouloir la confronter à la réalité, puisqu'il n'existe rien de tel !

Ce qui rend possible cette conclusion extrême, c'est la critique des réponses à la question "qui répond à nos questions posées à la Nature ?" Au préalable, il faut examiner ce qui est répondu et comment. Les fêtes foraines comportaient autrefois des labyrinthes composés de panneaux en vitre, appelés " Palais des glaces ". A chaque pas, on se demande si l’on a en face de soi une vitre ou un passage libre. On tend la main et on essaie d’avancer pour savoir si l’x que l’on a en face de soi possède la propriété d’être franchissable. La réponse est sans équivoque. En quoi consiste-t-elle ? La réponse empiriste est résumée dans la formule célèbre de Berkeley esse est percipi. C'est par la perception que la réalité se réalise. Plusieurs interprétations de cette conception seront donc examinées, selon ce qu'on entend par "perception". Ensuite, les notions d'objet et de sujet devront être critiquées et reconsidérées pour qu'elles soient appropriées au fait que la connaissance résulte de questionnements et de réponses. La notion de réalité comme ce qui rend possible ou impossible et nos questions et les réponses qu'elles reçoivent éventuellement paraîtra alors plus claire, à condition qu'on la distingue bien de celle de chose, qui n'en est qu'un aspect possible. On verra aussi que les aspects matériels sont plus réels que les aspects mentaux ou intellectuels. Enfin, quelques remarques sur des opinons courantes sur tous ces sujets seront exposée rapidement.

La question de la réalité

Le réel est, mais qu'est-il ? pour répondre à notre problème, il doit comporter certaines caractéristiques qui le rendent susceptibles d'être "à l'origine de" certaines réponses. Il ne peut donc pas être indifférencié, car nos questions portent des différences entre les objets. La réalité doit permettre de connaître et de reconnaître ceux-ci, d'infirmer ou de confirmer nos propositions à leur sujet.

Elle doit en outre, rappelons-le, "être". Nous dirons dans un premier temps que cela signifie qu'elle ne doit pas être seulement imaginaire. Et par là, il faudra entendre qu'elle ne consiste pas seulement en des représentations libres, donc qu'elle est quelque chose d'indépendant des représentations et soumis à des contraintes telles que certaines réalités sont possibles et d'autres pas. C'est à peu près de cela qu'on parle quand on parle du "sens de la réalité".

En résumé, la réalité doit être :

susceptible d'instruire des questions et des réponses

ne pas se réduire à des représentations

délimiter ce qui est possible et ce qui ne l'est pas.

 

La réalité se résout-elle dans la perception ?

Esse est percipi. Que peut signifier cette formule ? Moritz Schlick en donne une interprétation que l'on peut résumer de la façon suivante : "le seul sens que nous pouvons donner à la notion d'être ou de réalité extérieure se rattache directement ou non à une expérience". C'est une interprétation modeste et réaliste de la thèse de Berkeley. Une autre interprétation plus large consisterait à dire que l'essence de l'être, c'est d'être perçu. Il n'y aurait pas d'être en dehors de l'être perçu. Il resterait alors à préciser ce qu'on entend par "être perçu". Il a déjà été observé (au chapitre 6) que l'adéquation de la perception n'était ni simple à concevoir, ni acquise dans l'expérience. En fait, on peut "tirer" la notion de perception dans deux directions différentes.

Ou bien on l'envisage essentiellement comme un événement dans la nature, qui fait intervenir des actions et des relations causales entre des objets et des organes sensoriels, humains ou non, conscients ou non, et même vivants ou non. Un appareil photo perçoit-il le paysage qui s'imprime sur la pellicule ? On dira peut-être que non, parce que l'appareil est purement passif dans cet événement et rien ne manifeste sa perception. Celle-ci doit se traduire par un comportement adapté. Ce fut le cas, par exemple, des oies du Capitole, qui sentirent bien venir les Barbares attaquant Rome. C'est aussi le cas de la barrière automatique du passage à niveau qui se baisse lorsque le train arrive et se relève après son passage, et des aiguilles et cadrans des divers appareils de mesure utilisés dans les laboratoires et dans la vie courante. Que dire lorsque les astronomes perçoivent des trous noirs ? Ils perçoivent des comportements prévus sur des appareils très complexes qui eux-mêmes ont été placés en interaction très indirecte avec les fameux trous noirs. La perception est alors un cas particulier des interactions entre les différents éléments de l'Univers. Il est rassurant d'apprendre que la chaise qui se trouve dans la chambre n'en disparaît pas dès que nous tournons le dos et que nous ne la percevons plus. Elle est toujours là, mais seulement comme une potentialité de perception. Celle-ci est le seul sens que nous pouvons donner au terme de "réalité". Le métaphysicien qui lui en accorde un autre n'a peut-être pas tort, mais l'empiriste "ne le comprend pas". En fait, celui-ci pourrait retourner la question à l'empiriste et lui dire qu'il ne comprend pas ce qu'est une perception potentielle. Aristote, inventeur de la métaphysique, et de la notion de réalité potentielle, serait peut-être d'un certain secours dans ce dialogue de sourds ! Ce qui reste établi par ces remarques, c'est que la réalité se manifeste par des interactions, dont certaines peuvent être qualifiées de "perception". Dans l'exemple du labyrinthe en verre des fêtes foraines, la réalité de la vitre se manifeste bien par le fait que je suis empêché de passer.

Ou bien la conscience, et spécialement la conscience humaine est considérée comme un constituant essentiel de la perception. Alors esse est percipi enferme l'être dans la connaissance humaine. On peut appeler subjectivisme l'attitude consistant ainsi à nier l'existence d'une réalité indépendante du sujet.

La notion de perception peut parfois être étendue de façon à englober ce qui n'est pas seulement sensible, mais aussi intellectuel, comme, notamment, les formes qui la structurent,les interprétations qui les informent et, finalement, les objets de la science. Ainsi, un bon exemple de l'emprise du subjectivisme dans la pensée actuelle est fourni par le biologiste Albert Jacquard dans son livre "Petite philosophie à l'usage des non-philosophes". Il fait fonctionner une autre version de l’esse est percipi qui consiste à transposer l'assimilation de l’être des objets au fait d’être perçus par l’homme à une autre assimilation de leur être à leur présence dans un discours. Le discours tient alors le rôle métaphysique qui était assigné jusque là à la perception. Cette position est peut-être affiliée à la tradition chrétienne qui fait du Verbe divin l’origine de toute chose, voire même fait du Verbe l’expression de la création continue de la nature par Dieu. Elle s’en distingue toutefois notablement par le fait que cette tradition chrétienne, tout au moins dans ses formes acceptées par les Eglises, est foncièrement réaliste, le Verbe en question étant celui de Dieu, et lui étant même souvent consubstantiel. La thèse dont nous parlons est subjectiviste, et assimile l’univers à un ensemble créé par le discours de l’homme. Albert Jacquard exprime cela ainsi : " Pour être objet de l’univers, il faut être objet du discours de l’observateur. " (p.33) Notons ici l’emploi du terme " observateur ", qui exprime de façon subtile plusieurs choses :

Substitué au terme de " sujet ", il signifie que le sujet est essentiellement un sujet observant, pas un sujet vivant, pensant, ou fabriquant, par exemple ;

Il réintroduit la perception de Berkeley ;

mais sous la forme plus moderne et, probablement, supposée plus scientifique, d’ " observation " .

Cette interprétation conduit inévitablement à une négation de la notion de réalité. En effet, la conscience, qui devient essentielle dans la perception, est elle-même une réalité floue et relativement insaisissable. Il y a de nombreux états intermédiaires entre l'inconscience d'une colonne de mercure dans un thermomètre et celle du savant observant attentivement sur un thermomètre les résultats de l'expérience qu'il a conçue. Même en ne considérant que les formes humaines de conscience, celle-ci est sujette à des degrés, qui varient en fonction de facteurs psychiques, comme l'attention, ou sociaux, comme l'énonciation, ou le caractère collectif ou individuel du sujet. Par ailleurs tous les tableaux que nous fournit la perception ainsi entendue sont plus ou moins divergents entre eux et leur adéquation, comme il a été vu dans le chapitre 6 est difficile à établir comme à vérifier. On revient ainsi inévitablement à une conception où la cohérence se substitue à la vérité. "Ce qui importe est la vérité interne de nos discours ; je préfère décidément employer le mot " cohérence " et abandonner le terme " vérité " trop chargé d’illusions. Car, en dernière analyse, il n’y a guère que des critères de cohérence ; ils nous sont fournis soit par la logique, qui vérifie les diverses étapes du raisonnement, soit par l’expérience, qui confronte les conséquences d’une hypothèse et les informations obtenues par l’expérience. " (p.222)". Albert Jacquard renvoie bien nos hypothèses à la confrontation aux informations que "l'Univers veut bien nous envoyer sur lui-même". Mais comme ces informations ne sont elles-mêmes que des perceptions, la boucle est bouclée et on reste dans le cercle de la cohérence. La réalité n'est pas le référent de la vérité. Pourtant, en considérant de nouveau l'exemple du labyrinthe de verre, il est clair que la vérité de mes hypothèses sur la présence ou non d'un panneau dans le couloir que j'emprunte ne dépend pas de leur cohérence et que "l'Univers m'envoie une information" qui ne dépend pas de ma perception.

La réalité et la relation sujet-objet

 Si l’existence d’une réalité extérieure est une hypothèse, il importe de comprendre ce qu’elle signifie et ce que serait l’hypothèse contraire. Albert Jacquard et, avec lui, la grande majorité des penseurs, accordent à cette réalité une double caractéristique : celle de résister à nos croyances et à nos efforts, et celle de répondre, dans une certaine mesure, aux questions que nous lui posons, au moyen de l’expérimentation. Cette double caractéristique paraît presque, au premier abord, contenir une contradiction, ou, au moins, une ambivalence. Elle suppose, en effet, à la fois une certaine opacité et une certaine transparence. Le réel se dérobe et se livre en même temps. Nous croyons le connaître, mais ce n’est qu’une hypothèse, et voilà qu’il nous livre un autre fait qui vient démentir cette hypothèse et nous incite à en formuler une autre. Finalement, ne sommes-nous pas seuls à jouer avec nos hypothèses ? Voilà, je crois, la situation envisagée par Albert Jacquard.

Mais quel est ce " nous " qui serait seul ? Selon Jacquard, un " observateur " créateur de discours et d’hypothèses. Voilà l’existence certaine d’où il part, explorant l’univers, à la recherche de la réalité extérieure, extérieure à cette réalité interne et première, observante, discourante, et ratiocinante. C’est cette problématique de départ qui ne peut être acceptée, car elle ne correspond pas, justement, à la réalité de la situation. Examinons rapidement les deux composantes de la description que fait Albert Jacquard de la situation :

1. Le sujet-observateur et discourant

2. L’extérieur, plus ou moins inaccessible à ce sujet.

L’idée que la réalité première, donnée, est le sujet, caractérisé par l’observation et le discours, est voisine de celle de Descartes, pour qui la donnée première est ma pensée. A la suite de Descartes, nous sommes bien obligés de reconnaître que cette pensée, quoique première certitude, est traversée de doute, qu’elle est le doute lui-même. Mais est-elle vraiment la première certitude ? Nous cherchons une réalité qui lui soit extérieure. Mais quelle est sa propre réalité ? Résistera-t-elle à notre mort ? à une simple détérioration des cellules de notre cerveau ? Quel est son véritable contenu ? Que pensons-nous vraiment, lorsque, à travers de longs efforts, à travers des énoncés sans cesse repris et corrigés, nous parvenons à peine à cerner la proposition que nous avions l’intention d’examiner ? Quelle est la réalité de cette pensée toujours fuyante, infidèle à elle-même ? Qu’est-ce que penser ? Je crois que c’est moi qui pense, mais je sais aussi qu’à travers moi, c’est une culture qui se réalise, se transforme, meurt et renaît toujours différente, jamais identique à elle-même. Le je est-il un sujet, au sens d’une réalité métaphysique, ou simplement le lieu d’un processus complexe dont j’ignore le fin mot ?

En fait, si nous en ignorons, en effet, le fin mot, nous en connaissons quand même une grande partie. La biologie, par exemple, nous montre comment la pensée est dépendante du cerveau, les perceptions dépendantes des organes sensoriels et du système nerveux, et comment, à leur tour, le cerveau, les organes sensoriels et le système nerveux dépendent du reste du corps, de sa chimie et de sa physique complexes. La psychologie, et les autres sciences humaines, nous montrent comment la pensée se construit peu à peu, comment l’individu reprend les mécanismes psychiques de son groupe, de ses congénères, comment l’apprentissage et l’invention se combinent, etc. Les sciences cognitives nous apprennent aussi que la pensée chemine selon des voies qui lui sont propres et qui ne sont pas toujours celles des discours qui l’expriment, et qu’il s’en faut de beaucoup qu’elle soit transparente à elle-même. Toutes ces connaissances nous montrent une pensée qui n’est pas indépendante d’objets et de processus que nous lui supposons extérieurs. Bien sûr, on peut révoquer en doute ces connaissances ou vouloir les circonscrire au domaine de la physique – au sens d’Aristote – et leur refuser toute valeur métaphysique. Mais on est alors réduit à l’alternative suivante : ou bien la pensée, première réalité, dont je parle est une pensée idéale, qui ne relève pas de ce type d’analyse et de cette dépendance à l’égard de phénomènes physiques – et alors se pose la question : quelle est cette pensée et comment puis-je en parler ? ou bien la pensée dont je parle est la même que celle analysée par les sciences et, pour imparfaites que soient les connaissances que celles-ci nous apportent à son sujet, il faut bien reconnaître que cette pensée n’est pas indépendante d’objets réputés "extérieurs ". Ainsi, de façon curieusement symétrique, après avoir considéré un ensemble de raisons qui font penser que les objets sont tout empreints de caractères subjectifs, au point de douter de leur réalité même, il faut bien aussi admettre que le sujet est lui-même constitué d'éléments objectifs.

En fait, cette notion d'extériorité renvoie à une conception spatiale de la relation sujet-objet. Quelle est la frontière supposée entre l'un et l'autre ? Les limites de l'enveloppe corporelle ? La conscience ? Les choses ? Considérant encore l'exemple du labyrinthe, on observera que le verre "extérieur" ne se manifeste que lorsque ma volonté "intérieure" me fait avancer contre le panneau situé devant moi et que si ma conscience "intérieure" est nécessaire pour que je sois bien informé de cette présence, c'est bien l'Univers "extérieur" qui est la cause de cette information, et c'est bien mon corps "extérieur" qui ne peut pas, quoi que j'en pense dans mon for "intérieur", franchir l'obstacle "extérieur". Cet exemple met en valeur une différence essentielle avec la notion habituelle d'expérience sensible comme source des connaissances : dans celle-ci, la décision de la question est en fin de compte du ressort du sujet, qui juge de l’identité ou de la ressemblance entre deux représentations. Le jugement émis est peut-être (mais pour le moment nous ne savons pas comment) instruit par l’environnement extérieur, mais il n’est pas nécessité par celui-ci. Au contraire, dans notre exemple, la réponse qui vient de l’environnement est nécessaire, dans le sens où elle ne laisse pas de liberté au sujet. Elle ne se situe pas dans le domaine de la représentation, mais dans celui de la possibilité ou de l’impossibilité. Si l’x est une vitre, il est impossible de le franchir (à moins de la briser ), et ceci n’est pas un jugement du sujet, mais un fait qui, même s’il n’était pas reconnu, s’imposerait avec nécessité. Le " pont " établi entre la question posée par le sujet et la réponse reçue de l’environnement est un fait défini par une situation du possible et de l’impossible.

Dans cette relation, sujet et objet forment un système dont ils ne sont que les deux pôles distingués dans l'analyse conceptuelle, mais non pas indépendants dans leur réalité. Quelle est donc cette réalité ? Il importe d'abord de se souvenir que la réalité n'est pas faite de choses.

 

Qu'est-ce qu'un objet ?

Un objet est le terme d'une relation duale, l'autre terme étant le sujet. Il n'est pas présupposé ici que l'objet existe, ni ce qu'il est. Mais il est simplement tenté de définir de quoi nous parlons, si nous en disons quoi que ce soit. Dans le désir, le sujet est celui (ou celle …) qui éprouve le désir, et l'objet, ce qui est désiré. Dans la connaissance, l'objet est ce qui est connu, le sujet, ce qui connaît.

Il y a différentes sortes d'objets, qui correspondent à différentes sortes d'"enquêtes". La même goutte d'eau est à la fois cet objet individualisé dont on suit la trajectoire sur la vitre que la énième partie de l'océan où le signe d'un changement de temps. Il est vrai que nous "découpons" le réel en objets selon les perspectives créées par nos activités. La même portion d'espace-temps peut être simultanément plusieurs objets. Le même objet peut occuper des portions disjointes d'espace-temps. Certains en concluent que ces objets n'ont pas d'existence propre. Certains d'entre eux ont pourtant une réalité qu'on ne saurait nier sans nier celle de l'Univers tout entier, ce qui n'avancerait aucune des questions soulevées ici.

L'objet peut être une partie du sujet, par exemple ses organes ou ses instruments. La frontière objet-sujet n'est pas figée.

Il ne faut évidemment pas confondre le "sujet" grammatical de l'énoncé et le sujet de la connaissance, qui est, en général, le locuteur. La définition d'un objet sera une ou plusieurs affirmations concernant cet objet. Cet objet sera alors souvent le sujet dans ces affirmations, et les propriétés de l'objet, supposées le définir, seront les attributs. La structure sujet-attribut est une structure de langue occidentale qui n'a rien d'universel.

Qu'est-ce qu'un sujet ?

Qu’est-ce qu’un sujet ? Pourquoi l’oppose-t-on à l’objet ? Si on pense d’abord à une sorte d’entité biologique et historique, on s’aperçoit vite qu’elle fait aussi partie de ce monde objectif que l’on cherche à connaître, et qu’alors, c’est une réalité complexe surdéterminée par la biologie, la phylo et l’ontogenèse. Dans cette réalité, il n’est pas facile de distinguer la part du cerveau et celle des mains ou des yeux. Les longues discussion sur le rôle respectif de la sensation et du jugement, sur la part prise par l’intellect dans la perception, et sur les restes des images sensibles dans la pensée abstraite, témoignent de l’étroite imbrication, et en même temps de la différence fondamentale entre les différents instruments biologiques de la connaissance. On a du mal, aussi, à distinguer la part de la " pensée " des simples ondes électriques qui parcourent le cerveau. Enfin, cette pensée, quoi qu’il en soit de sa réalité autonome et des conditions de sa production, est supposée individuelle. Mais, bien vite, on la découvre non seulement imprégnée par ses substrats sociaux, tels que le langage, les mythes, les préjugés, etc., mais aussi constituée par eux, au point qu’on ne sait guère ce qui est pensé par le sujet et ce qui est seulement porté par lui, en tant que membre d’une communauté sociale. Où est alors le sujet ? Qu’est-il ? Un cerveau ? Un esprit ? Un tas de viscères ? Un œil ? Un peuple ? Une classe sociale ? Un robot naturel ? Une entité transcendante ? En fait, ce que nous appelons sujet, n’est qu’une manière commode de parler d’un lieu de l’univers où tous ces processus - physiques, biologiques, sociaux, mentaux, etc. - s’entrecroisent et se tissent de manière à produire une toile sur laquelle est projeté un film que nous appelons " connaissance ". Bertrand Russell disait fort justement que " je " est une abstraction, simplement la collection d’une série d’apparitions dont la réalité est assez surestimée. Toutes ces approches scientifiques sont extrêmement instructives et dispensent d’excellentes leçons de modestie, car elles montrent toujours que la pensée et la connaissance sont profondément enracinées dans un univers qu’elles ne déterminent pas, et que dans leurs représentations les plus élaborées et les plus abstraites, elles portent encore la glaise de cet univers au cœur même de leur réalité. Le sujet n’apparaît dans ce cadre que comme rien d’autre qu’un moyen commode de parler de l’ensemble des conditions de production de la connaissance, mais non comme une réalité autonome. Le sujet est un lieu de l’univers où se produit un événement particulier nommé connaissance.

 

On peut aussi avoir une conception plus " métaphysique " de la notion de sujet, c’est-à-dire de ne pas la fonder sur des observations et de l’élaborer de façon indépendante des autres réalités, et notamment des réalités objectives. Mais alors, il est difficile de lui donner un contenu précis. Par exemple, on peut en faire une " chose pensante ", mais sa seule caractéristique claire sera alors d’être le lieu (supposé nécessaire) de la pensée. On retourne à la conception évoquée dans le paragraphe précédent : toujours pas de chose au sens d’une réalité palpable et étudiable en tant que telle ! On peut aussi en faire, comme Leibniz, le miroir où se reflètent les objets qu’il connaît. Kant, en quelque sorte, a déplacé son intérêt du miroir lui-même vers ce que serait, pour ainsi dire, l’ " optique " de ce miroir. Mais il est significatif que la descendance intellectuelle de ces recherches tende, ou bien vers un formalisme de plus en plus tautologique où l’on n’apprend rien sur ce qui fait l’objectif initial des recherches, à savoir : pourquoi et dans quelles conditions peut-on se fier à ce que nous appelons " connaissance ", ou bien, vers une historicisation du sujet, qui nous ramène encore vers les conceptions du paragraphe précédent.

 

Toutes les recherches évoquées dans ce paragraphe sont indispensables : comment fonctionnent nos organes sensoriels ? Comment le langage et la pensée se structurent-ils mutuellement ? Comment la société et l’individu interagissent-ils pour produire la science et la culture ? etc. Ces recherches relèvent de sciences positives dont la plupart sont encore en cours de constitution, mais qui vont toutes dans la bonne direction pour y voir plus clair. Toutefois, par leur nature même de sciences objectives, elles tendent à traiter le sujet, précisément, comme un objet.

Il y a différentes sortes de sujets :

le cerveau, siège de la perception sensible,

le cerveau, siège du jugement,

le cerveau, toujours, siège de l'entendement,

l'"observateur" cher aux scientifiques modernes, qui est un mixte de cerveaux, de mains, et d'instruments de laboratoire

le sujet transcendant de Kant

le sujet total de Hegel

etc.

Le sujet n'est pas une donnée, il est construit, biologiquement et psychologiquement (Nietzsche, Freud, Piaget …), linguistiquement (Chomsky..) socialement (Vico, Marx, Durkheim, …), mécaniquement (dans les laboratoires), et, donc, de nouveau socialement, etc. Il n'est pas nécessaire que le sujet soit humain, ni même vivant. Dans une certaine mesure, un appareil enregistreur ou de mesure entre en relation avec ce qu'il enregistre ou mesure comme un sujet avec son objet. 

Les choses sont-elles réelles ?

Les progrès de la connaissance ont entraîné une constante dissolution de la notion de chose.

Le premier pas consiste à distinguer le visible de l'invisible. Très tôt, des savants et des philosophes ont imaginé des structures radicalement invisibles dans la Nature. Mais invisible ne signifie pas nécessairement inaccessible. Voici comment Benjamin Farrington expose, par exemple l'apport d'Empédocle sur un point essentiel du progrès des connaissances humaines (Benjamin Farrington, La science dans l’Antiquité, traduit par Henri Chéret, Paris, Payot, ) : " Sa principale contribution à la science fut sa démonstration expérimentale de la matérialité de l’air invisible. Avant lui, on ne distinguait pas l’air du vide. (…) Les Grecs possédaient une horloge hydraulique, clepsydra, qui consistait essentiellement en un cylindre creux, ouvert à une extrémité et se terminant à l’autre par un cône présentant une petite ouverture à sa pointe. On utilisait le clepsydre pour mesurer le temps en la remplissant d’eau et en laissant celle-ci s’écouler par le petit trou situé à l’extrémité du cône. Comme le sable du sablier, l’eau s’écoulait en un intervalle de temps mesuré. Empédocle montra que si l’extrémité ouverte de la clepsydre était plongée dans l’eau, tandis qu’avec un doigt on bouchait le trou de l’extrémité du cône, l’air contenu à l’intérieur empêchait l’eau de pénétrer dans la clepsydre. Réciproquement, l’appareil rempli, bien que renversé, ne pouvait se vider tant qu’on maintenait un doigt sur le trou. La pression de l’air maintenait l’eau à l’intérieur. Par ces expériences, il démontrait que l’air invisible était quelque chose qui pouvait occuper un espace et exercer un pouvoir. " (p.56). L'air n'est pas visible, mais il est bien réel - "il occupe une place et exerce un pouvoir " - et son action explique certains phénomènes visibles. Benjamin Farrington cite ensuite l'exemple de Lucrèce : " Dans le premier livre du De Rerum Natura, Lucrèce rassemble les preuves traditionnelles de l’action de la Nature au moyen de corps invisibles. Il dresse une liste des " corps qui sont dans de nombreuses choses mais qui cependant ne peuvent être vus ". Parmi ceux-ci, l’air est le plus important. " Avant tout, écrit-il, la force du vent quand, soulevé, il frappe les ports, qu’il engloutit de grands navires et qu’il disperse les nuages ; parfois en de rapides tourbillons il balaie les plaines et les couvre de grands arbres et fouette les sommets des montagnes par des rafales qui déchirent les forêts ; ainsi le vent se déchaîne brutalement avec un hurlement perçant et fait rage avec un grondement menaçant. Cependant, il est assez certain que les vents sont des corps invisibles … puisque, par ce qu’ils accomplissent et par leur façon d’agir, ils rivalisent avec les grands fleuves qui sont des corps visibles. " (p. 58).

La face invisible des choses découverte par les philosophes cités - généralement rangés dans la lignée des "matérialistes" - présente les caractères suivants :

elle se manifeste par son action visible

elle est conçue sur le modèle des choses visibles

elle est accessible à l'expérience par des actions du sujet

Peu à peu, les modèles permettant de conceptualiser ce que sont les choses se sont affinés et ont gagné en abstraction. Les atomes d'Epicure représentent un progrès considérable, en ce qu'il affirmait par cette conception que las choses étaient analysables en éléments indifférenciés (c'est-à-dire, par exemple, non doués de personnalité ou de vertus propres) et soumis aux seules lois communes de la Nature, lois accessibles à la raison humaine et non pas soumises aux caprices des Dieux. Anaximandre a prouvé l'existence de réalités non perceptibles en mélangeant progressivement des grains noirs et des grains blancs dans un récipient : au début, le mélange est noir, pendant un certain temps, il semble toujours noir, alors qu'on sait qu'il ne l'est plus, puisqu'il contient des grains blancs, dont on perçoit finalement l'effet lorsque le mélange atteint une certain proportion critique. Ainsi, au cinquième siècle avant Jésus-Christ, les notions d'apparence et de réalité, de perception et de jugement étaient-elles convenablement posées de façon purement expérimentale.

Mais, pour des raisons qu'il n'est pas question d'analyser ici, ces conceptions saines ( c'est-à-dire aussi peu contaminées que possible par le préjugé et la conclusion hâtive) devaient être combattues et occultées par d'autres visions du monde. Les lents et valeureux efforts de penseurs spiritualistes ou idéalistes ont été nécessaires pour construire les grandes dogmatiques métaphysiques. L'idée d'une nécessaire permanence de la réalité a été imposée par Platon, et les recherches des philosophes se sont tournées vers l'imagination de modèles du réel comme capable de subsister par lui-même, sans que cela dépende d'une autre réalité. Ainsi la réalité est-elle souvent entendue comme substance, c'est-à-dire, selon la Scolastique, comme ce qui n'a pas besoin d'une autre réalité pour exister. Les objets sont alors ou des apparences, ou des substances, qui sont alors appelées "choses", pour les différencier d'une substance indéterminée (hylè ).

Mais la réalité est tout autre, et les modèles conçus pour répondre à ce que les connaissance scientifiques apportaient comme informations sur celle-ci, ces modèles s'éloignaient de plus en plus de la notion de "chose". Les choses visibles se dissolvaient en choses invisibles, atomes et cellules. Ces derniers à leur tour allaient et venaient entre ondes et corpuscules, information et interaction. L'espace où tout cela se mouvait, d'abord substantifié dans l'éther, se dissolvait dans un simple tissu de relations géométriques dans lesquelles il était impossible de localiser précisément quoi que ce soit sans le modifier en même temps, l'antimatière a pris tout autant de réalité que la matière, etc. Russell a résumé les conséquences philosophiques de ces évolutions par sa formule "le réalisme naïf, s'il est vrai, est faux", car en effet, le réalisme naïf conduit à croire dans les modèles produits par les activités scientifiques, or ceux-ci montrent précisément que les choses ne sont pas des choses. C'est-à-dire que leurs objets, que nous concevions comme des choses sous l'influence du besoin métaphysique de substantification de la réalité, ne sont pas des substances.

La substantification de la réalité avait déjà été critiquée par des philosophes, notamment par Berkeley et Hume. Ils tendent à remplacer les choses par des propriétés des objets de l'expérience, adoptant une démarche inverse de celle de Descartes, qui donne aux expériences les propriétés des choses, transformant, par exemple, cogito en sum res cogitans. La notion de "chose" est ainsi fréquemment prise comme modèle de la réalité.

Alors, le réel peut-il être autre chose que des choses ? Wittgenstein répond : "Le monde est l’ensemble des faits, non pas des choses." Tractatus logico-philosophicus (Paris, Gallimard, Idées, 1961). La science, notamment, si elle doit transcrire dans un langage mathématique notre connaissance ne peut nous faire connaître que des relations. Louis Rougier, dans "La méthode dans les sciences modernes", cite Henri Poincaré (La valeur de la science) : Dire que la science ne peut avoir de valeur objective parce qu'elle ne nous fait connaître que des rapports, c'est raisonner à rebours, puisque précisément ce sont les rapports seuls qui peuvent être considérés comme objectifs". Russell fait remarquer que "York est au Nord de Londres" est bien aussi réel que York et Londres, mais ne se trouve ni dans l'une ni dans l'autre de ces villes.

L'étymologie de réalité, dérivé de res, rend difficile l'acceptation d'une distinction essentielle entre chose et réalité. Mais origine n'est pas raison. La question n'est pas : "La réalité consiste-t-elle dans des choses ? ", mais "Dans quelle mesure les choses sont-elles réelles ?". Les choses sont un concept-réponse qui a certainement son domaine de validité, mais il faut bien admettre d'autres réalités que des choses : la ville de New York, le chômage, les particules élémentaires, les informations enregistrées dans mon ordinateur, etc. Ces réalités ne sont pas des choses, mais répondent bien à la question de la réalité. Ce qui est réel conditionne le réel.

Le réel est l'ensemble des conditions de la production des faits. C'est ce qui fait qu'un fait est possible et un autre non

Les réalités matérielles ont plus de réalité

Les opérations sont plus réelles que les questions verbales. Par exemple, le fait d'avancer dans le labyrinthe est une opération qui rend ma question plus réelle que si je me contente d'énoncer "Est-ce là une vitre ou un passage ?"

Les opérations matérielles sont plus réelles que les opérations mentales. Par exemple, si j'avance pour de bon, avec les pieds, l'opération sera plus réelle que si je me contente de l'imaginer. Une opération effectuée sur des objets matériels, par exemple le recensement des habitants de Paris, est plus réelle que celle effectuée sur un symbole ou un concept, par exemple, le calcul de la population parisienne à partir d'échantillons, de séries historiques, etc..

"Matériel" s'entend comme opposé à "mental" ou "spirituel" ou "symbolique".

La réalité de ces opérations s'étend à leurs sujets et à leurs objets simultanément.

 

La matérialité des questions et des réponses - c'est-à-dire leur plus grande réalité - est le garant de la vérité des propositions que les réponses contiennent.

 

Remarques en passant

Le subjectivisme dans la situation de l'arroseur arrosé

Les arguments qui permettent de mettre en doute la réalité proviennent précisément d'opérations matérielles.

 

Objets et sensations

Witgenstein : "Soit dit en passant : les objets sont incolores"

 

Une curieuse coïncidence 

Les tenants du subjectivisme voient dans la cohérence le critère de la validité des assertions. Les tenants de la vérité- adéquation supposent que le réel répond à nos questions. Cela suppose-t-il que le réel est binaire ? Que notre logique binaire serve à penser le réel n'implique pas que celui-ci soit binaire, car ceci impliquerait qu'il fût lui-même une logique, ce qui est peu probable, et, en tout cas, loin d'être prouvé. En fait, notre logique n'est que partiellement binaire. Des logiques comportant plus que deux valeurs de vérité ont été élaborées et sont utiles. Qu'il puisse y avoir une certaine correspondance entre des structures mentales et des structures matérielles est certes une coïncidence mystérieuse, mais si cette coïncidence n'existait pas, nous ne serions probablement pas là pour nous interroger à son sujet, car l'espèce humaine aurait disparu. Le mystère, en outre, est moins épais si on considère le fait que les structures mentales sont engagées dans les opérations matérielles que nous effectuons, à titre de projet, de plan, de concept, d'instrument fabriqué, d'organisation des tâches, etc.

 

Relatif n'implique pas irréel

Les non-réalistes s'appuient souvent sur le caractère essentiellement relatif de la connaissance pour nier la réalité de l'objet, comme si relatif impliquait irréel.

Le contraire de "relatif" est "absolu". Une telle implication impliquerait donc à son tour une confusion entre réel et absolu, cette dernière notion étant elle-même assimilée à transcendant, essentiellement inaccessible, ou encore totalement insulaire, comme les Britanniques et les monades de Leibniz, qui n'ont ni portes ni fenêtres. Cette conception du réel ne répond pas à la question posée en début de ce chapitre, puisque la réalité serait alors muette.

Si le caractère relatif de la connaissance devait impliquer une déréalisation de l'objet, il est clair qu'il devrait aussi impliquer une déréalisation du sujet, ce que les non-réalistes n'acceptent pas, puisqu'au contraire ils conçoivent la déréalisation de l'objet comme signifiant que sa réalité lui vient de sa perception par le sujet.

Certaines relations sont bel et bien réelles. Relations spatio-temporelles, interactions physico-chimiques, relations sociales, relations psychologiques entre un organisme et son entourage, et relation du sujet et de l'objet lorsque le faire est le connaître.

 

Abstrait n'implique pas irréel

 Toute action et toute connaissance sont par nature abstraits, puisqu'ils ne concernent qu'un aspect ou qu'une propriété du réel à la fois. Le buvard est rouge. Le rouge du buvard est abstrait mais le buvard est bel et bien réellement rouge (réfléchit des rayons lumineux que mon œil perçoit réellement comme rouges). Le litre est une mesure inventée par l'homme et est une notion abstraite et conceptuelle. Je peux l'étendre et la transposer à toutes sortes de liquides et même à des fluides non liquides, on peut faire des calculs sur des litres de matière qui n'existent pas, etc. Si toutefois on soustrait à un réservoir un litre d'eau, ce litre aura réellement disparu de la réserve.

 

La transcendance du réel

Le réel se donne et se constitue dans une relation, elle-même réelle, car transformant le réel, et se constituant en connaissance si l'un des termes de la relation est "sujet". Ce relativisme implique que le réel n'est plus transcendant, ni le sujet d'ailleurs. La transcendance supposée de l'objet et du sujet est à l'origine de la plupart des problèmes traditionnellement posés en théorie de la connaissance. S'il y a transcendance, la connaissance semble impossible par construction, car une caractéristique essentielle de la transcendance est l'absence de relation. Une autre caractéristique du réel transcendant subsiste cependant dans l'opération matérielle : le réel est le conditionnant universel; rien n'est possible en contradiction avec lui.

 

La réalité du sujet

Les théories non-réalistes supposent donnée la réalité du sujet ( "Et remarquant que cette vérité : je pense, donc je suis , était si ferme et si assurée que toutes les extravagantes suppositions des Sceptiques n'étaient pas capables de l'ébranler, je jugeai que je pouvais la recevoir, sans scrupule, pour le premier principe de la philosophie, que je cherchais" , Descartes, Discours de la méthode, quatrième partie, "La première certitude de la conscience est la conscience de soi.", Hegel Phénoménologie de l'Esprit, traduction de Jean Hyppolite, Paris, Aubier-Montaigne, 1939. Tome I )

Pourtant, cette réalité est construite en même temps que celle des objets. Logos et technè ne s'opposent pas, mais au contraire se forgent l'un par l'autre. Selon Leroi-Gourhan, "l'homme commence par les pieds", et non par le cogito, car c'est la station debout qui lui libère les mains, rendant possible à la fois l'appareillage technique et la réflexivité symbolique, conditions d'une cogitatio éventuelle. Le sujet n'a donc pas plus de réalité que l'objet, ni d'antériorité sur celui-ci.

 

Les aspects positifs des théories non-réalistes

Critique de la "chose"

Refus du dogmatisme et du positivisme simple

Affirmation du relativisme des connaissances

Mise en lumière de la construction de l'objet

Affirmation prométhéenne

Critique du religieux

Critique de l'argument d'autorité (sauf celle du locuteur)

 

Les aspects négatifs des théories non-réalistes

Vérité réduite à la probabilité

Vérité réduite à la cohérence

Vérité réduite au consensus

Pas de vérité du tout

Prométhée ou Protagoras ? l'affirmation prométhéenne sombre dans l'égoïsme ou le narcissisme : "Par l’effet de la nature indéfinie de son esprit, l’homme tombé dans l’ignorance, se prend lui-même comme règle de l’univers" ( Vico Des éléments (Science nouvelle, Livre I , Section seconde) §120)

Négation de la matière et ignorance du travail manuel

Le sujet prend le pouvoir, soit, mais quel sujet ? un sujet imaginaire

Instauration d'un dogmatisme du non-vérifié : puisque la vérité n'est pas vérifiable par confrontation au réel, toute affirmation possédant des caractéristiques définies par mon épistémologue préféré sera réputée vraie, dans la mesure pratique où ce terme aura un sens.

 

Le sujet est-il fondateur ?

Qu'il soit purement gnoséologique, ou fondé sur une axiologie, le subjectivisme est une caractéristique des épistémologies qui rejettent la vérité comme adéquation entre une proposition et son objet. Ce que l'on a retiré à l'objet, on le reporte sur le sujet. C'est ce qu'ont fait Protagoras, Descartes, Berkeley, Kant, Hegel, Nietzsche, Dewey, et d'autres …, mais

1. Qu'est-ce que le sujet ?

1. En grande partie une illusion

2. Pour le reste, pas grand-chose

2. Pourquoi fonder ce qui n'a pas besoin de l'être ? si la connaissance a besoin d'être fondée, c'est qu'on se réfère à une théorie de la connaissance correspondance, si la connaissance s'autolégitime, l'épistémologie est superflue.

  

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