Georges Brossard



Faire et connaître

Chapitre 11 : Esquisse d'une topique des opérations

Dernière mise à jour le 01/01/2016

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Note : ce texte date d'une dizaine d'années et est en cours de réécriture

  

La réalité se manifeste à nous dans des interactions avec notre propre réalité. Nous sommes la cause de certaines de ces interactions qui sont alors des occurrences de faits convertibles en vérités. Il s'agit d'opérations.

 

Opération et analogie

L'opération est analogue à l'analogie. Elle est essentiellement une transposition. Utiliser un outil est transposer sur un objet N des gestes et des mécanismes qui ont déjà été effectués, par moi ou par d'autres, sur des objets A, B, C …M. Faire le plan d'un objet N à construire, c'est prendre des éléments tels que matériaux, structures, modes d'assemblages, etc. qui ont déjà été employés pour les objets A, B,C, … M et les transposer dans le modèle d'un autre objet. Toute opération est une transposition, plus ou moins innovante et plus ou moins partielle, d'éléments, de processus, de matériaux, d'outils, qui appartiennent à d'autres opérations et qui vont ici être combinés d'une nouvelle façon pour réaliser la nouvelle opération. C'est pourquoi une classification de ces éléments constitutifs de l'opération, et transposés de l'une à l'autre selon la créativité de l'opérateur est instructive. C'est ce qui est tenté ici sous la désignation d'une "topique" des opérations. Si une telle topique existait, elle permettrait de dire ce que dit l'opération, grâce à la possession de sa grammaire, et cet enjeu est un élément de réponse aux questions qui sont à l'origine de ce travail.

Qu'est-ce qu'une opération ?

Les opérations ont une structure générale commune qui crée des perspectives différentes sur les différentes éléments de cette structure.

Les analyses précédentes conduisent à considérer l'opération comme le lieu où la connaissance se produit. Dès lors, il convient évidemment d'enquêter sur ce qu'est l'opération. Il serait en effet de peu d'utilité de se limiter à une désignation des opérations, comme, par exemple, "fabrication", "production", "transformation", "écriture", "représentation", etc., car, alors, on aurait seulement remplacé un terme obscur par un autre qui ne le serait pas moins. Par ailleurs, l'idée suivant laquelle le sujet de l'opération, l'opérateur, ou le créateur artisan, connaît l'objet parce qu'il le contient en lui-même, cette idée n'est pas suffisante non plus, d'une part, parce que la notion même de sujet et, par conséquent, de ce qui serait "à l'intérieur" de ce sujet, est rien moins que claire, et, d'autre part, parce qu'elle renverrait à une intériorité sans issue, " sans porte ni fenêtre " qui ne rendrait pas compte, ni de l'objectivité, ni de la publicité du vrai.

Pour spécifier l'opération, on peut bien sûr d'abord en déterminer le terrain d’application. On peut parler, pour être plus précis, non pas de fabrication en général, mais de la fabrication d'un appareil destiné à tel ou tel usage, non pas de transformation en général, mais de transformation de glace en eau, non pas d'écriture en général, mais d'écriture d'une formule exprimant tel rapport entre telles grandeurs, non pas de représentation en général, mais de représentation d'un détroit marin sur une carte de navigation, etc. Ces spécifications semblent indispensables au titre d'un besoin de précision, mais apportent-elles l'information que l'on recherche par rapport à la question de la vérité : qu'est-ce qui est vrai ? Comment sait-on que c'est vrai ? Pourquoi et en quoi est-ce vrai ? Qu'est-ce qu'on entend par là ?

En fait, l'opération doit être spécifiée par là où, dans ses structures, se produisent les occurrences de clarté et d'obscurité de la connaissance, d'erreur et de vérité. Pour l'opérateur, est clair ce qu'il fabrique lui-même, selon des procédés qu'il connaît, avec des moyens qu'il connaît, etc. A l'opposé, est obscur ce qui lui est donné déjà fait. Bien sûr, on l'a vu, il y a des degrés dans cette connaissance ou cette méconnaissance. L'opérateur n'est jamais - à part Dieu dans le modèle vichien - seul créateur de l'objet créé. Il prend souvent une part indirecte dans la fabrication de l'objet. Il en connaît certains éléments par procuration. Par exemple, l’artisan menuisier fabrique le lit à partir de planches qu’il a reçues toutes faites de l’ébéniste, et qui, donc, comportent pour lui des parties ignorées. En science, le chercheur ne réalise pas lui-même tous les éléments de son dispositif expérimental. Dans l’exemple étudié plus haut, Lavoisier utilise un chaudron émaillé dans lequel il fait fondre de la glace. Il n’a pas lui-même émaillé le chaudron. Il n'en sait pas moins que ce chaudron est émaillé et qu'il n'y a pas d'oxydation du récipient à craindre. Il utilise l'algèbre sans démontrer tous les théorèmes qu'il emploie dans ses démonstrations, etc. C’est le propre des humains et, peut-être, de certains autres animaux, de capitaliser, en quelque sorte, les opérations, de façon telle qu’un individu peut réutiliser les résultats d’une opération effectuée par d’autres dans une autre opération qui, alors, englobera la première comme l’une de ses étapes et ses acquis avec les siens propres. Les effets de cette division du travail sont essentiels pour la connaissance et seront discutés un peu plus loin.

L'opération et ses éléments structurants

Les éléments suivants sont récurrents dans toute opération et ce sont eux qui sont l’objet d’une transpositions lorsque l’on passe d’une opération à une autre. Ils constituent donc autant d’angles d’analyse d’une opération donnée. C’est pourquoi le terme de " topique " est utilisé.

1. La finalité de l'opération, son intérêt, pour l'opérateur et pour d'autres agents, ses commanditaires, ses partenaires, ses adversaires, ses alliés, etc.

2. le résultat visé, et notamment son plan, le plan de l'objet prévu, sa structure, son organisation

3. les interlocuteurs ou co-acteurs

4. les matières premières utilisées, les objets donnés au départ et sur lesquels s'exercent les gestes et les protocoles du travail effectué

5. les instruments employés, éventuellement conçus et fabriqués ad hoc, ou au contraire, reçus "tout faits" parce que disponibles dans le stock culturel

6. les contraintes à respecter

7. les actions menées pour atteindre le résultat, les gestes et les protocoles du travail effectué

8. le résultat atteint, et notamment son rapport avec la finalité initiale et le plan prévu de l'objet.

Une opération donnée se caractérise comme semblable à telle ou telle autre en ce que l’un ou plusieurs de ses éléments ont été transposés de celle-là à celle-ci. C’est cette transposition qui fait de l’opération le principe de l’intelligibilité du fait, c’est-à-dire qui rend celui-ci porteur intrinsèque d’une information. En mesurant une longueur à l’aide d’un mètre, on transpose l’instrument et les actions d’autres opérations (celles par lesquelles le mètre en question a été certifié conforme à l’étalon, d’une part, et celles par lesquelles nous faisons correspondre la répétition d’une opération à la série des nombres entiers), et notre connaissance possible de cette opération réside précisément dans ces éléments transposés, éléments constitutifs du fait que l’objet mesure, par exemple, trois mètres, et de notre possibilité de connaître ce fait.

L'opération et la relation sujet-objet ; analogie avec la perspective

L’opération conditionne la conscience possible du réel sur lequel elle s’exerce, à la manière dont la perspective conditionne la vision possible d’un paysage. Vu des Tuileries, l’obélisque de la Concorde est devant l’Arc de triomphe de l’Etoile ; vu de la Défense, il est derrière celui-ci. Cela est vrai pour tout observateur possible. Si un aveugle, pour qui cette vision en perspective est une non-occurrence certaine, recouvrait subitement la vue, c’est, alors, selon cette perspective qu’il découvrirait ce paysage. De la même façon, l’opération crée un ordre d’accès au réel qui en conditionne toute conscience possible. La matière première que j’utilise m’est obscure par principe, puisqu’elle est " première ", brute, donnée. Les opérations que j’effectue sur elle pour la transformer et l’organiser selon mon plan et en vue du résultat que je vise, me donnent un aperçu de ses propriétés relativement à ces opérations : elle résiste de telle ou telle façon, réagit à tel traitement de telle manière, etc. Mon " client ", ou l’utilisateur final du résultat de mes opérations (moi-même, le cas échéant), n’aura pas de visibilité sur ces propriétés, mais sur celles du résultat de mes opérations, qui pourra se présenter pour lui comme une matière première. Il aura sur celui-ci non pas ma perspective de producteur du résultat, mais la sienne, d’utilisateur d’une matière première. Bien sûr, son attention même est orientée selon son intérêt. Et s’il reçoit le produit de mon travail, son intérêt sera l’usage qu’il pourra en faire. Ainsi, ce que j’aurai considéré comme résultat d’une opération O1 sera pour lui la matière première d’une autre opération O2. Mais il ne s’agit pas seulement d’intérêt ou de manière dont l’attention psychologique est orientée en fonction des motivations, mais bien d’une perspective au sens où le point de vue qui est de fait celui du locuteur est déterminant quant à ce qu’il peut percevoir. Qu’il le perçoive effectivement est une autre affaire. L’aveugle situé à la Défense ne voit pas que l’Arc de triomphe est devant l’obélisque de la Concorde. Néanmoins, c’est ce que la disposition des lieux lui permettrait, en tout état de cause, de percevoir (et on peut imaginer d’autres moyens que la vision pour percevoir cet ordre, et d’autres causes que la cécité pour ne pas le percevoir) . De la même façon, l’utilisateur de mon travail ne sait pas en quoi celui-ci a consisté, et ne perçoit pas (ne peut pas percevoir) certains aspects des matières sur lesquelles j’ai opéré. Le fournisseur de la matière première que j'ai utilisée (fût-il la Nature elle-même …) " voit " des aspects de celle-ci qui me sont à jamais inaccessibles.

Cet aspect de la situation de l’opérateur par rapport aux éléments de l’opération passe souvent inaperçu ou pour anecdotique. La cause de cette mésestimation réside dans le fait que les humains verbalisent la plupart de leurs connaissances et échangent des informations sur les objets de leur travail, si bien que nous possédons la plus grande partie de nos connaissances par ouï-dire, et non de façon directe. Nous avons ainsi l’impression de connaître aussi bien ce qui nous échappe que ce qui nous appartient en propre ; voire mieux, dans le cas des connaissances livresques, par exemple, dans lesquelles nous avons une grande confiance.

Il est à noter que ce qui est concerné ici n’est pas la connaissance ou la conscience en tant que phénomène psychique effectif. L’opération n’est pas ici prise comme productrice par elle-même de conscience de ses éléments, mais comme conditionnant d’une éventuelle conscience de ceux-ci. Cette conscience, si elle a lieu, est alors de l’ordre de la connaissance parce que cette topique de l’opération est en même temps une topique des points de convergences entre subjectivité et objectivité du réel. Il n’y a pas de distance entre mon facere et mon scire, entre faire et savoir, mais il y en a une entre leurs représentations, sensibles, intellectuelles, ou symboliques, éventuellement incarnées dans des énoncés.

Différents types d'opérations

 Opérations répétitives

Chacune d'elles transpose alors l'ensemble des éléments de sa topique sur la suivante. L'ouvrier spécialisé à la chaîne transpose sur une pièce nouvelle mais de structure et de matière identique à la précédente, la finalité, le plan et les protocole d'action de l'opération précédente. Bien sûr, une observation attentive et minutieuse permettrait de relever d'infimes différences entre chaque pièce et chaque opération. Mais ces différences ne sont pas jugées pertinentes. Ce jugement de pertinence révèle en fait une perspective déterminée du point de vue de la finalité de l'opération.

Opérations innovantes

Elles transposent des éléments d'un domaine à un autre, d'un objet d'un certain type à un autre type d'objet. Par exemple, mesurer la surface d'un triangle à l'aide de la formule S=b*h/2 permet d'appliquer à une matière première triangulaire un protocole opératoire supposé connu et originairement applicable aux parallélogrammes.

Expérimentation

Une forme particulièrement intéressante d'opération innovante est l'expérimentation. Elle se distingue uniquement par ceci que sa finalité est la validation d'un modèle en "posant une question à la Nature". La difficulté est alors d'être certain que la question est bien posée. Au XVIIIème siècle, les biologistes se séparaient entre les partisans de la "génération spontanée" et ceux des "germes" comme modèles explicatifs de l'apparition des "animalcules" dans les matières animales en décomposition. "Un prêtre irlandais, Tuberville Needham (1713-1781), alléguait, en faveur de cette opinion (celle de la génération spontanée), une expérience précise prétendument cruciale (1745). Ayant placé du jus de mouton dans une fiole soigneusement bouchée, il l'avait ensuite tenue une demi-heure sur des cendres chaudes, à dessein de détruire les germes qui - dans l'hypothèse antispontanéiste - eussent pu se trouver sur les parois de la fiole, ou dans l'air intérieur de celle-ci, ou dans le liquide lui-même : or, en dépit de cette précaution, le jus de mouton s'était en peu de temps peuplé d'animalcules qui ne pouvaient provenir, selon Needham, que d'une genèse spontanée. L'expérience fit grand bruit. (…) Toute la question était de savoir si l'ingénieuse expérience de Needham était correcte. Pour s'en assurer, et sans idée préconçue, Spallanzani (1729-1797), se met en devoir de la reproduire en donnant seulement plus de rigueur aux procédés qui visent l'exclusion des germes ; fioles mieux bouchées, chauffage prolongé. Dans ces nouvelles conditions, le résultat devient tout autre, les animalcules n'apparaissent pas. " (Jean Rostand, Esquisse d'un histoire de la biologie, NRF Idées, 1966, p. 86). Needham croyait poser une ceraine question et en fait en posait une autre. La question posée à la Nature n'est ainsi pas celle que nous nous posons dans notre conscience et notre énonciation, mais celle que les opérations que nous menons lui posent en fait.

Opérations mathématiques et logiques

Elles s'exercent sur des propositions et des éléments dont on ne retient rien que les propriétés permettant le calcul. Cette caractéristique permet de comprendre pourquoi elles ne produisent, en un sens, que des tautologies : elles sont en effet vide des références au signifié, et ne peuvent donc pas produire de vérité à l'égard de celui-ci. Elles en produisent, en fait, quant à leurs relations entre elles. La méconnaissance de ce fait est à l'origine de certaines méprises fréquentes. Ainsi Descartes, après Galilée, est-il parvenu à une formulation erronée de la loi de la chute des corps (en faisant de la vitesse une fonction des espaces parcourus et non du temps passé) en travaillant sur la représentation géométrique du modèle dont il voulait développer la loi. Les règles de la représentation se sont substituées à celles du représenté (cf. Alexandre Koyré, Etudes galiléennes, Hermann, 1966, p.83). Les règles propres à la matière du travail du sujet (la géométrie de Descartes) se sont substituées à celles de la matière du domaine d'origine des premières opérations (l'expérience de Galilée).

Expériences de pensée

Galilée, précisément, (malgré son titre de "saggiatore", l'essayeur), s'est souvent livré à des expériences non réalisées, mais seulement inventées et pensées, et, après lui, de nombreux savants, physiciens notamment, mais aussi biologistes, économistes, etc. Le principe de ces "expériences" est souvent le passage à la limite d'opérations réelles d'expériences réelles. Ainsi, dans l'étude du mouvement, Galilée a effectivement tenté par de multiples procédés de réduire les frottements du milieu sur le corps en mouvement, et les résistances au mouvement. Les expériences supposées dans le vide, impossibles dans la réalité, sont en fait les conséquences logiques de ce qui se passerait si le facteur représentant ces résistances était effectivement égal à zéro. Mais ce que cela exprime, ce n'est pas l'éventualité réelle de cette situation, dont Galilée ne pouvait avoir la moindre idée de la possibilité et des conditions, mais l'indépendance du mouvement et des forces dans l'opération, indépendance qui sera formulée plus tard comme principe d'inertie.

Les expériences de pensée sont des opérations sur des modèles et des symboles. Elles prennent leur signification et leur vérité dans ce qu'elles conservent et ce qu'elles éliminent des opérations matérielles sur lesquelles elles se fondent.

Concept et opération : le concept-question et le concept-réponse

La vérité contenue dans un concept est contenue dans des opérations qui en sont le fait.

Chaque concept est double : il comporte une question et une réponse. Beaucoup de malentendus et de sophismes résultent de la confusion entre ces deux aspects. On peut par exemple définir l’automobile comme une voiture dont la mobilité ne dépend pas d’un animal tractant. Ce serait là un concept-question . On peut aussi la définir, selon les traits caractéristiques de la plupart d’entre elles, par le fait qu’elle comporte des roues, un moteur embarqué, une transmission entre le moteur et les roues, un volant pour la direction, des sièges pour le conducteur et les passagers, etc. Ce serait là un concept-réponse. Le premier fait référence à ce dont on parle, le second à ce qu’on en dit. Les deux ne sont pas indépendants, et le second répond effectivement au premier, comme la réponse à la question. Néanmoins, il faut les distinguer. Il y aura peut-être un jour des autos sans roues ; elles n’entreront pas dans le concept-réponse, mais bien dans le concept-question. Inversement, un avion entrerait dans le concept-réponse, mais pas dans le concept-question. A propos de l’ " homme ", on trouve ce genre d’ambiguïté, avec, bien sûr, des enjeux beaucoup plus forts. Créationnisme et évolutionnisme sont des concepts-réponses : l’homme est une créature de Dieu le sixième jour du Monde, ou bien il est le énième avatar d’une lignée de primates. Mais, quelle que soit la bonne réponse, on ne sait pas toujours bien de quel Homme elle parle : Homo sapiens, faber, l’Homme en tant que sujet de la Déclaration universelle de ses Droits, etc. La question à laquelle on est censé répondre n’est pas toujours précisée.

Le fait est une réponse obtenue à une question posée, question et réponse posée et obtenue non pas en termes verbaux, mais en opérations et en résultats. Le capitaine perdu dans le brouillard qui tente de franchir le détroit invisible, le gogo qui, à la fête foraine, tente de passer les portes du labyrinthe de verre, l’homme affamé qui ouvre son réfrigérateur, posent des questions à la Nature (dirait Kant …), et en obtiennent des réponses en termes de situations telles qu’elles limitent leurs champs de possibles. Si maintenant par quelque modèle ils tentent de conceptualiser ces réponses, ces concepts se référeront aux questions posées, ou alors représenteront d’autres imaginations de leurs auteurs. Il arrive souvent que des débats se nourrissent essentiellement de malentendus sur la question posée et des enjeux sur des réponses qui y sont, en fait, étrangères. La clarification des concepts-questions est souvent une étape décisive dans les progrès de la pensée.

L'abstrait dans l'opération

Abstrait ne veut pas dire "irréel", ni concret "réel" L'opération est une abstraction. L'opérateur isole un aspect du réel qu'il prend comme matière de son opération. La vérité ne réside pas dans le concret global de l'opération, qui englobe des éléments non connus, mais dans l'abstrait réel mis en œuvre par l'opérateur et pensé avant d'être agi. Dans le Mémoire de Lavoisier et Laplace sur la chaleur, ils décrivent de façon précise un appareil qu'ils ont fait réaliser par un chaudronnier et les expériences qu'ils ont conduites grâce à ce dispositif nouveau. Comme résultats cognitifs de ces opérations, ils établissent, entre autres, une équivalence entre combustion et respiration et dessinent un concept de chaleur unique dans ses diverses manifestations et clairement distingué de celui de température. C'est un concept-question nouveau, qui correspond exactement et limitativement à la part opérationnelle de leur travail. L'appareil est pris comme une donnée satisfaisant aux conditions abstraites qu'ils lui ont fixées dans le cahier des charges, et les mécanismes internes des transformations physiques et chimiques observées (oxydation, mouvements de molécules, énergie, etc.), qui seraient à la base d'un concept-réponse de la chaleur, ne se retrouvent pas dans les conclusions qu'ils tirent de ces expériences.

Le sens de l'abstraction réelle est ainsi très précisément défini pas les contours de l'opération : but visé, plan de l'objet, matières et instruments employés, protocole des opérations, résultats. Il renvoie donc très précisément à la position du sujet dans l'opération.

La description de l'opération est aussi une opération

Elle consiste en la construction d’un modèle verbal ou, plus largement, symbolique d’une opération. La finalité en est la communication d’aspects estimés pertinents à d’autres locuteurs, selon un plan généralement plus ou moins préétabli et avec les matériaux offerts par la langue utilisée.

 

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