Dans
Mon village en sabots, Marcel Paillet raconte les souvenirs de son père
né en 1891. Tous les deux ont vécu à Plainefas, hameau de la commune de
Saint-Martin-du-Puy. Il consacre un chapitre de son livre au moulin qui
a disparu
en 1933 sous les eaux du réservoir de Chaumeçon. En voici quelques
extraits illustrés par les photos confiées par Annie et Pierre
Davidovici ainsi que par la copie du plan cadastral de 1839.
Ferme
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Ruisseau de la ribaudelle
Nord
De
la route, pour accéder au moulin, il fallait emprunter juste avant le
pont un petit chemin d’une largeur d’une carriole dont un des côtés se
trouvait bordé d’une haie vive de noisetiers, de charmes et d’épines
noires au milieu desquels couraient des barbes-au-bon-Dieu1. Complanté par endroits d’arbres
fruitiers sauvages et souffreteux, dominotiers2, doucins3, aux troncs rongés de mousse,
envahis de vide-pommier4,
cette haie, jamais élaguée, cachait à la vue la rivière qui s’écoulait
en contrebas, quelques trente mètres plus loin, séparée de la sente par
une bande de pré. Et le moulin s’offrait à nous.
Le pont de Vaussegrois après la
mise en eau du barrage
Le
pont de Vaussegrois avant la mise en eau du barrage
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C’était
un grand corps de ferme au carré, maisonnement énorme, avec la colline
qui descendait brutalement derrière, le protégeant des vents d’ouest.
Il se composait d’une maison d’habitation, du moulin proprement dit
avec un étage et des bâtiments d’élevage, grange étable et écuries qui
encadraient une grande cour où s’ébattaient en liberté, actives et
bruyantes, des volailles de toutes sortes […] Car en plus de ses activités
de meunerie, le propriétaire pratiquait également la culture, l’élevage
et même la vente de vin au détail. [...]
Le
Moulin de Vaussegrois,
document publié par
Moulins du Morvan N° 31
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C’était
un moulin au petit sac5 qui ne travaillait que pour les
particuliers,
rendant en farine le sac de blé qu’on lui avait confié. A l’intérieur,
éclairé à hauteur de l’étage par une ouverture à tous vents, un
assemblage compliqué de poulies mues par des courroies d’engrenages, de
meules dormantes et courantes, ces dernières tournant dans un bruit
terrible parmi les craquements de toutes sortes, écrasaient, broyaient
la semence blonde qui leur était confiée. Sortant du blutoir, une fine
poussière blanche de folle farine6 se répandait dans l’air,
envahissante, se déposant partout, couvrant sol et murs, dégageant une
odeur particulière qui vous prenait à la gorge. C’est cette fanée7
qui
servait dans les temps jadis à la fabrication d’une colle utilisée par
les tisserands pour le partage des chaînes de tissus. [...] A l’extérieur,
fendant le pré dans sa longueur, une échappée de la rivière, sorte de
bief de dérivation, creusé en amont du moulin, amenait l’eau jusqu’à la
grande roue à aubes, la faisant tourner et pleurer d’un mouvement
régulier, ininterrompu.
Emma
Daudier devant la roue du moulin
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L’eau
ensuite dérivait par le bief de fuite, rejoignait, toute moussante, la
rivière, une cinquantaine de mètres en aval. Le tout clos par une
écluse dont les parois latérales, les bajoyers8 venaient
s’appuyer sur
un mur de chute, muni d’une vanne qui permettait de monter et
d’abaisser à gré le niveau de l’eau dans la retenue aux moment des
périodes de sécheresse, lors des avalaisons provoquées par les grandes
pluies d’automne et les fontes des neiges au printemps qui créent des
débordiaux9 importants ou encore lorsque l’on voulait mettre
le moulin
à joc10.
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La
dépêche de la Nièvre du 25 mars 1933 publie les actes d'expropriation
datés des 22 janvier et 6 mars de la même année. Nous apprenons alors
que Guillaume Meunier cède alors les terrains qu'il possède à
Vaussegrois dont la parcelle 756 sur laquelle se situait sa ferme. cf.
le plan cadastral reproduit en haut de cette page.
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Dans le numéro 31 de Moulins du Morvan, Philippe Landry écrit : Chaumeçon : le
lac noie le deuxième par ordre d’importance des moulins de Brassy :
Vaussegrois ou (Vossegré) : il appartient à Charles Boire, qui
l’exploite lui-même, et en tire un revenu de 612 F (mieux que Queuson,
donc, et à peine moins que son voisin de Brassy, Talas 672). De
vieilles gens se souviennent l’avoir vu refuser de quitter son moulin
lorsque l’eau est montée ; on aurait été contraint de le faire évacuer
par la force. Il a probablement, comme le plus souvent en pareil cas,
fait retirer les appareils les plus coûteux pour les vendre ; c’est
pourquoi j’ai trouvé cet écho dans « Paris-Centre » du 18 juin 1932 : «
M. Nithlaire Antoine, meunier au moulin Talas, était occupé à démonter
une meule dans un autre moulin au pays de Vosgrois, perdant
l’équilibre, M. Nithlaire est tombé d’une hauteur de trois mètres, se
brissant le poignet droit, un repos de quarante jours a été prescrit ».
Vestiges
de la ferme visibles lors des vidanges du réservoir
Vestiges
de la ferme
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1
Barbes-au-bon-Dieu : liane dont les fruits ressemblent à des pelotes de
laine.
2 Dominotier
: prunier non greffé.
3
Doucin : pommier non greffé.
4
Vide-pommier : gui blanc.
5
Moulin au petit sac : moulin de pays ou à façon qui ne possède que deux
ou trois paires de meules, un matériel et un équipement simplifié.
6
Folle farine : on dit fanée en morvandiau. Fleur de farine extrêmement
fine que le moindre souffle d’air soulève et emporte.
7 Fanée
: utilisée par les tisserands pour la fabrication de colle appelée «
châ » ou « sâ » en patois.
8
Bajoyers : murs qui consolident les berges d’une retenue d’eau.
9
Débordiaux : débordements.
10
Moulin à joc : moulin au repos.
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La
ferme de Guillaume Meunier
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