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L'ALGEBRE DES SIGNES

Essai de sémiotique scientifique d'aprés Charles Sanders PEIRCE

par

Robert MARTY

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       All speech is but an algebra, the repeated signs being the  words,which have relations by virtue of the meanings      associated with them.

C.S. PEIRCE (3-418)

 

AVANT - PROPOS

 

Charles Sanders Peirce est "le plus profond investigateur de l'essence des signes", telle est l'opinion de R.Jakobson sur le sémioticien américain; René Thom qualifie sa classification des signes de "simple et profonde" et il n'est pas d'auteur qui dans les premières pages d'une présentation générale de la sémiotique ne consacre quelques lignes au "grand précurseur". Le dénominateur commun à l'ensemble de ces références à Peirce, c'est cette sorte de reconnaissance implicite d'un corps de doctrine identifié sous le nom de "sémiotique peircienne". Or un examen superficiel, même limité aux écrits de Peirce les plus largement diffusés, comme les Collected Papers, montre qu'un tel corps de doctrine n'existe pas vraiment dans ces textes et, si on étend l'examen aux manuscrits dont l'ensemble microfilmé, sans la correspondance, occupe trente deux rouleaux de cent mètres chacun, on est littéralement choqué qu'une telle affirmation puisse être soutenue, à moins de réduire ce corps de doctrine à quelques lignes comprenant une définition des signes (et déjà le choix de cette définition serait problématique comme le montrent sans conteste l'annexe A de ce travail et la lecture de la section 3 de son premier chapitre) et la célèbre classification des signes en icônes, indices (ou index) et symboles, universellement reconnue, le tout étant enveloppé dans quelques vagues références à la phanéroscopie et aux catégories fondamentales. Finalement c'est la plupart du temps au travers des présentations qu'en ont donné quelques exégètes, notamment Charles Morris, que la sémiotique peircienne est pratiquement utilisée. Il n'est pas dans mes intentions de faire l'inventaire de ces présentations et d'en pointer les différences, les oppositions voire les incohérences. D'abord parce que ce serait un travail considérable et de peu d'intérêt ; ensuite et surtout, parce que la confusion qui règne est tout à fait normale étant donné l'état de l'oeuvre de Peirce, monument inachevé, pour ainsi dire une sorte d'équivalent dans la pensée de la Sagrada Familia de Gaudi à Barcelone en architecture. Teresa Calvet de Magalhaes dans son petit livre (197l) consacré aux catégories met en exergue ce que Peirce pensait lui-même de son oeuvre en l903 (Peirce est décédé en 1914 et a écrit intensément jusqu'en 1911):

"Tout ce que vous pourrez trouver d'imprimé de mes travaux de logique seront de simples affleurements dispersés ici et là d'une riche veine qui reste non publiée. La plupart, je le suppose, a été couchée par écrit; mais aucun être humain ne pourrait en rassembler les fragments. Je ne pourrai le faire moi-même."

C'est donc dire que toute présentation de la sémiotique peircienne n'engage que son auteur et que la question d'un quelconque orthodoxie ne saurait se poser. C'est pourquoi j'ai sous-titré mon travail : "Essai de sémiotique scientifique, d'aprés Charles Sanders Peirce" pour indiquer que si les travaux de Peirce sont à l'origine de ma réflexion mes écrits n'engagent nullement sa pensée et que d'éventuels critiques ne doivent s'en prendre qu'à moi, même si j'ai pris un soin constant à souligner, chaque fois que cela m'est apparu évident (mais peut être me trompai-je ?) combien le développement de mon modèle épousait les grandes lignes directrices de la pensée de Peirce. Qu'on ne voie pas dans ces citations une utilisation abusive de l'argument d'autorité, mais tout simplement le désir de justifier le sous-titre et de ne point abuser le lecteur.

Mon principal objectif est donc de produire un exposé le plus clair, le plus rigoureux et le plus cohérent possible d'une théorie sémiotique élaborée à partir de la masse des écrits de Peirce dans une perspective résolument "scientifique". Ce dernier terme est évidemment, sinon à justifier, du moins à préciser, mais auparavant il convient de dire que nombre de tentatives en ce sens ont été faites avec des réussites inégales qu'il ne m'appartient pas d'évaluer.

C'est la communauté scientifique agissant comme instance unique d'évaluation pratique qui opère les tris en promouvant les théories adéquates aux objets réels qu'elles prétendent décrire et en plongeant les autres dans l'oubli. Cette "justice immanente" fonctionne fort heureusement avec des procédures constantes d'appel et de recours qui font que rien n'est jamais totalement rejeté ou oublié et que certaines exclusions donnent lieu quelquefois à des réhabilitations spectaculaires, comme l'histoire des sciences le montre à loisir. Il est clair cependant que l'existence même de mon projet présuppose qu'aucune des tentatives passées n'est satisfaisante à mes yeux.

G.Mounin (1970) souligne que "la lacune la plus sensible, au point de vue historique et peut être théorique est l'absence d'une bonne étude sur C.S.Peirce" et Jakobson évoque "le jour où l'on se décidera à étudier sérieusement la théorie des signes de Peirce" . Compte tenu de l'état dans lequel se présentent ses écrits cette tâche est quasiment impossible et ne peut être menée à bien sans retravailler les concepts et leur organisation, sans y adjoindre d'autres concepts nécessaires pour combler un manque, assurer une transition, sans y intégrer certains des acquis récents des sciences humaines, des sciences exactes et de la réflexion épistémologique. Retravailler ne signifie pas nécessairement transformer ou déformer (mais même à cet égard il n'y a évidemment pas de tabous : si l'exigence de cohérence, par exemple impliquait une transformation notable ou un écart important on ne voit pas ce qui pourrait interdire de le faire, l'honnêteté intellectuelle consistant alors simplement à les signaler et à en exposer les raisons). Il s'agira donc pour l'essentiel d'expliciter dans un modèle formalisé, de préciser, voire de prolonger les aspects de la pensée de Peirce jugés les plus intéressants en justifiant, autant que possible, les choix qui seront opérés. L'exemple des quelques 76 définitions du signe relevées dans les manuscrits est exemplaire à cet égard. Beaucoup d'auteurs se sont contentés de choisir la définition qui convenait le mieux à leur projet ce qui équivalait à instituer un des aspects momentanés et même fugitifs de la pensée de Peirce et à laisser en définitive aux lecteurs le soin d'apporter les clarifications nécessaires. Un projet ainsi défini s'expose évidemment à subir les critiques symétriques des orthodoxes (bien qu'aucune orthodoxie ne soit praticable) et des laxistes qui confondent métaphore et discours scientifique. C'est le risque inhérent à toute entreprise de ce type. Ce risque que Peirce, d'ailleurs, nous invite à courir

"Le chercheur doit s'efforcer de n'être point influencé par la tradition, l'autorité, les raisons qui le porteraient à supposer ce que les faits doivent être, ou par des idées fantaisistes de quelque genre que ce soit; il doit s'en tenir à l'observation honnête et obstinée des apparences. Le lecteur, de son côté, doit répéter pour lui même les observations de l'auteur et décider en se fondant sur ses propres observations si la description des apparences que donne l'auteur est correcte ou non."(1-287)(1)

Si le lecteur prend le texte ci-dessus au pied de la lettre (et quel auteur ne souhaite pas avoir de tels lecteurs !) il sera confronté suivant son état d'information en mathématiques, avec les universaux mathématiques que l'observation empirique des phénomènes de signification et l'analyse formelle des textes sémiotiques de Peirce m'ont irrésistiblement conduit à adopter. Leur définition et leur utilisation ne requièrent aucune connaissance mathématique autre que celles qui sont démontrées dans le cours du texte. C'est-à-dire que je n'utilise aucun résultat et donc que le rapport entre les phénomènes de signification que j'étudie et les mathématiques n'est pas un rapport d'application mais un rapport de constitution. La difficulté pour le lecteur pourra résulter de l'insuffisance de son expérience antérieure des objets de l'algèbre, c'est-à-dire de son habitus à saisir des objets formels et à les combiner. Qu'il soit persuadé que le choix de la théorie des catégories algébriques et des foncteurs ne résulte pas d'un désir de sophistication mais d'une adéquation particulièrement réussie entre la pensée de Peirce et la pensée algébrique moderne. La théorie des catégories a autorisé de grandes clarifications dans les mathématiques; il est permis de penser qu'elle peut rendre des services au moins équivalents dans les sciences humaines, dans la mesure où la pensée structuraliste, en instituant la primauté de la relation sur l'élément, a ouvert la voie aux formalismes de l'algèbre homologique dans les sciences humaines.

Ma démarche se veut "scientifique" en un sens qui tend aujourd'hui à se banaliser dans les sciences humaines et qui s'exprime dans la méthodologie mise en oeuvre: l'observation "abstractive" qui consiste à abstraire du donné empirique les caractères essentiels des observables (essentiels, c'est-à-dire des caractères sans lesquels ils ne seraient pas ce qu'ils sont) est mise en rapport avec un ensemble organisé d'universaux mathématiques. Cette mise en rapport est de type fonctoriel, c'est-à-dire que lorsque des caractères essentiels des observables apparaissent liés dans l'observation (par exemple lorsque deux ou plusieurs d'entre eux sont simultanément présents ou dans une relation constante de causalité temporelle), les universaux mathématiques choisis correspondant à chacun d'eux doivent entretenir aussi une relation formelle explicite formulée en termes mathématiques. La notion de catégorie algébrique qui permet de saisir les êtres mathématiques à la fois par leur structure, et par les relations que ces structures entretiennent entre elles (morphismes) et la notion de foncteur qui met en correspondance les structures des objets et pour chaque couple d'objets les relations que leurs structures entretiennent, apparaissent a priori comme les notions fondamentales sur lesquelles une telle méthodologie doit trouver ses fondements et sa justification. Elles conduisent à une conception nettement holistique de l'épistémologie des sciences humaines. L'objet de connaissance n'est pas l'élément dont les caractères essentiels déterminent l'appartenance à la classe des observables mais l'élément en tant qu'il participe d'un tout, en tant qu'il est le lieu de solidarités avec d'autres éléments ne serait ce qu'en partageant avec eux certains de ces caractères essentiels. La nécessité de saisir de la sorte les observables a souvent été ressentie; mais la plupart du temps l'emploi d'universaux mathématiques de type ensembliste a conduit à séparer le processus de formalisation de la structure "interne" des éléments (leur "essence") de celui de la formalisation des relations qu'ils entretiennent avec d'autres éléments (leur "existence" ). Cette méthodologie, articulée en deux moments distincts, impose une suspension du premier moment afin d'aborder le second, ce qui a pour résultat d'autonomiser l'élaboration de la structure interne des éléments de celle de la totalité qu'ils constituent. Elle traduit finalement une conception individualiste de l'épistémologie qui ouvre la voie, dans les sciences humaines, au psychologisme et au solipsisme. Pour éviter ces écueils il faut saisir d'un même mouvement de pensée l'élément et la totalité à laquelle il appartient, c'est-à-dire formaliser la structure interne d'un élément dans ses relations avec les structures des autres éléments munis de la même structure de façon que l'élaboration de cette structure soit le résultat d'une interaction dialectique entre la partie et le tout. Les formalismes de l'algèbre homologique sont, me semble-t-il, les instruments d'une telle épistémologie "intégrée". Il est clair de plus qu'on ne peut étudier les phénomènes de signification comme on étudie la chute des corps ou le magnétisme. Ceux-ci ont un caractère de réalité qui s'impose d'emblée, dans le sens où la vérification que le phénomène ne dépend pas de l'esprit de l'observateur est quasiment immédiate. Les phénomènes de signification impliquent l'observateur comme élément essentiel du phénomène c'est-à-dire comme élément nécessaire, sans lequel ce dernier n'adviendrait pas. Il faudra donc élaborer une phénoménologie particulière capable de saisir la différence (je propose le nom de phénoménologie de seconde intention) et donnant le moyen de s'assurer de la réalité des objets manipulés et de leurs relations. Cette obligation implique l'intégration dans le modèle d'une sociologie de la connaissance dont l'analyse institutionnelle m'a fourni les fondements. Si l'on ne veut pas autonomiser le sujet connaissant, de la même façon qu'on s'est gardé d'autonomiser l'objet de connaissance de ses relations avec les autres objets, il faut le considérer lui aussi dans ses relations avec les autres sujets. Ce sont les institutions prises dans un sens très large, qui règlent ces relations et c'est donc le concept dialectisé d'institution qui évitera du côté du sujet l'écueil que l'on veut éviter du côté de l'objet.

Le programme implicitement défini dans les lignes qui précèdent ne pourrait pas être seulement amorcé si la complexité des structures associées à la perception des objets réels et à leur présence à l'esprit ne pouvait être réduite à trois grandes catégories d'éléments dont la combinaison permet de reconstruire à la fois les structures et les relations qu'elles entretiennent. Cette possibilité est purement formelle : elle résulte d'un théorème qui s'applique aux universaux mathématiques choisis. Elle recoupe et fonde définitivement l'intuition de Peirce. Il fut en son temps taxé de "triadomanie" et nombreux sont ceux qui voient en lui un névrosé obsessionnel, un obsédé du chiffre trois. Peirce n'avait pas d'autre obsession que celle de la vérité.

On a voulu aussi faire de Peirce un taxinomiste invétéré. Certes beaucoup de résultats s'expriment sous forme de taxinomies des phénomènes. Cependant, j'ai pu montrer, grâce précisément à l'emploi de notions dérivées de celles de catégorie algébrique et de foncteur qu'il s'agissait moins de taxinomie que d'architectonique, que l'on pouvait compliquer presque à loisir le modèle en l'affinant jusqu'au degré nécessaire pour produire une description satisfaisante et opératoire des phénomènes sémiotiques. De plus, ceux qui persistent ou feignent de prendre Peirce pour un taxinomiste ignorent nécessairement son analyse de la semiosis et notamment sa théorie des interprétants qui permet d'amorcer une description du processus d'élaboration des significations aussi bien dans la particularité du sujet et de l'instant que dans l'universalité de la "communauté sémiotique" et la temporalité propre d'un univers sémio-culturel.

J'ai fait observer, le plus souvent possible, que le succés universel de la division des signes en icône, indice, symbole aurait dû attirer plus fortement l'attention des chercheurs sur le système de pensée qui l'avait produite et notamment sur un examen nettement plus approfondi et plus étendu, de la part de la communauté scientifique, des trois catégories phanéroscopiques fondamentales. Je suis intimement convaincu que ce sont la mauvaise accessibilité à l'oeuvre de Peirce, l'absence de clarification convaincante et surtout l'absurde compartimentation des disciplines en "scientifiques" et "littéraires" (qui tend heureusement à se réduire) qui sont responsables de cette vague incrédulité qui accueille en général cette observation. L'idée qui semble prévaloir est plus ou moins celle d'une coïncidence fortuite, d'une heureuse rencontre entre un système de pensée nébuleux et inachevé et certaines généralisations empiriques. Bien au contraire je crois qu'il y a lieu de suivre et de développer les voies indiquées par Peirce vers ce qu'on peut appeler la "pensée triadique" dont les rapports avec la "pensée dialectique" sont implicitement évoqués dans ce travail grâce à l'incorporation du concept d'institution dans le modèle formel. Se posant la question de l'interprétant logique et constatant son impuissance à le résoudre en termes autres qu'intuitifs, Peirce écrivait en l906 :

"Mon excuse de ne pas fournir une réponse scientifique à cette question est que je suis, autant que je sache, un pionnier ou plutôt un défricheur de forêts, dans la tâche de dégager et d'ouvrir des chemins dans ce que j'appelle la sémiotique, c'est-à-dire la doctrine de la nature essentielle et des variétés fondamentales de sémiosis possibles ; et je trouve que le champ est trop vaste et le travail trop lourd pour le premier que je suis qui s'attelle à cette tâche. Je suis par conséquent obligé de me limiter aux questions les plus importantes. De ces questions du même type particulier que celles à laquelle j'ai répondu en me fondant sur une impression, et qui ont à peu près la même importance, il y en a plus de quatre cents, et elles sont toutes délicates et difficiles, chacune requérant beaucoup de recherche et beaucoup de prudence."(5-488)

On admirera la précision du propos ("plus de quatre cents"). Rares sont ceux qui se sont engagés dans les chemins ouverts par ce pionnier, du moins en ce qui concerne la sémiotique, alors que ses écrits philosophiques ont suscité une grande quantité de travaux. Faut-il poursuivre la métaphore et dire que, laissés à l'abandon, ces chemins ont été envahis de mauvaises herbes et de ronces ? Et que la tâche est toujours aussi lourde de les retrouver d'abord, de les dégager et de les prolonger dans ces directions qu'il nous a indiquées ensuite ?

Il y a une autre question qu'on ne peut éluder et que j'ai indirectement évoquée plus haut, c'est celle de la signification du sort fait aux travaux de Peirce, même malmenés par l'édition et par la communauté scientifique. Car on ne peut pas affirmer qu'ils ont été oubliés, comme le sont les théories superficielles ou insignifiantes, ni réfutés comme cela est fréquent dans le cas de théories formalisées. D'une manière ou d'une autre la pensée de Peirce a toujours hanté la cité scientifique. Au moment ou certains présentent la théorie des catastrophes comme un nouveau paradigme dans les sciences humaines on doit s'interroger sur la sémiotique percienne, sur la place qu'elle a occupée et qu'elle occupe vis à vis des autres paradigmes puisque, comme l' écrit T.S.Kuhn (1982) : Les adeptes des paradigmes concurrents ne s'entendent jamais complètement aucun des partis ne voulant admettre toutes les suppositions non empiriques dont l'autre a besoin pour rendre valable son point de vue.

Cela signifie que le paradigme peircien, toujours présent depuis un siècle a résisté dans le champ clos ou s'affrontent les paradigmes à l'avènement des théories de la signification dérivées des conceptions de Saussure et de Hjelmslev. Car il s'agit d'une opposition, peut être moins radicale d'ailleurs qu'il n'y parait, entre binarisme et triadicité. J'écris "moins radicale qu'il n'y parait" parce que d'un point de vue triadique, on peut considérer le binarisme comme une forme dégénérée de la triadicité, ce que l'on pourra voir tout au long de ce travail. Est-ce que le binarisme aurait partie liée avec une certaine idéologie dominante structuraliste ? Cela parait être l'opinion de R.Barthes (1965) lorsque, s'interrogeant sur le binarisme il écrit :

"En fait, et pour conclure brièvement sur le binarisme, on peut se demander s'il ne s'agit pas là d'une classification à la fois nécessaire et transitoire: le binarisme serait lui aussi un métalangage, une taxinomie particulière destinée à être emportée par l'histoire,dont elle aura été un moment juste"

La différence entre les approches binaire et triadique dans tout projet de description d'une région quelconque du réel est considérable. On pourra le constater dans quelques études rassemblées dans le dernier chapitre qui s'efforcent de montrer quelle pourrait être une approche triadique dans des champs aussi divers que la théâtrologie, l'épistémologie, l'idéologie, l'ethnométhodologie.

Un champ mériterait à lui seul un ouvrage complet : c'est l'approche triadique des phénomènes linguistiques si mal comprise et si mal jugée, notamment par Benveniste. La sémiotique peircienne est une science transverse. Ni discipline, ni méthode, elle occupe vis à vis des sciences humaines la même position que la logique vis à vis des mathématiques. La sémiotique, dit Peirce, est un autre nom de la logique. Elle permet de poser différemment, en des termes directement opératoires les problèmes fondamentaux de chaque discipline des sciences humaines par sa prise en compte "de nature" de l'implication du chercheur dans chacun de ses objets.

On peut conclure que, pour des raisons qui viennent d'être explicitées, la sémiotique peircienne n'a pas été soumise à validation sociale par la communauté scientifique, faute de se présenter dans l'état que requiert habituellement cette validation. Ce travail n'a pas la prétention de la présenter sous sa forme canonique et le jugement du lecteur ne saurait s'appliquer à Peirce au travers de cette présentation. Si le doute ou la contestation s'emparent de son esprit je ne saurais trop l'engager à voir par lui-même, dans l'oeuvre de Peirce, des raisons de réformer son jugement. Il y trouvera certainement une pensée d'une richesse telle que ma présentation, par la force des choses très personnelle, ne lui paraîtra, dans le meilleur des cas, que l'image partielle et peut être déformée d'une science des significations virtuellement présente dans les écrits de Peirce et dont l'extension dépasse largement l'algèbre qui en est ici ébauchée.

 

 

L'ALGEBRE DES SIGNES, (1990), Collection "Foundations of Semiotics", John Benjamins, Amsterdam/Philadelphie, 406 p.

Disponible aussi sur  amazom.com.