Entrée du Sanctuaire  >> Jeux de Rôles

 

 

Je suis fatigué… et mourant. Je ne retrouve plus cette force qui autrefois m’habitait. Cette volonté de lutter jusqu’au bout, quoiqu’il puisse en coûter… Je suis seul… depuis trop longtemps… Il m’est arrivé plus d’une fois d’essayer de comprendre le sens de mon existence… Je n’ai jamais trouvé le temps de m’en faire le récit. Aujourd’hui, sur ce lit d’hôpital, plus rien ne m’en empêche. C’est pour moi la dernière chance de vous faire part de la vérité. Une vérité contre laquelle je me suis battu, contre laquelle j’ai résisté durant des décennies, une vérité qui m’a poursuivi jusqu’à ce jour et qui, après plus de cent ans, a fini par me rattraper. Mon nom est Allan Murphy… et si ma mémoire ne me fait pas encore défaut, j’ai exactement cent trente-sept ans…. Le secret de cette longévité ? La damnation…

Il pleuvait cette nuit là. C’était en février 1900. Je ne savais plus où aller. Où me réfugier. Plus je m’enfonçais dans la nuit, plus l’étau se resserrait. Il n’y avait personne dehors, seulement moi et ces agents de police qui me pourchassaient. Puis j’aperçus cette lumière. Elle était faible mais si réconfortante. Je n’ai jamais su pourquoi cette fenêtre était ouverte cette nuit-là. Il faisait froid dehors. Le vent soufflait et rabattait la pluie sur les vitres de toutes les fenêtres de la ville. Alors pourquoi ? C’était comme s’il avait su…

Je n’eus qu’à pousser la fenêtre, enjamber le mur et entrer. La première chose dont je me souvienne, c’est la chaleur venant de la cheminée. Mais les flammes, presque mortes, ne m’offraient qu’un aperçu très restreint du salon. C’est à ce moment là, alors que j’étais encore sous l’emprise de la peur et les yeux remplis de pluie, qu’il apparut dans l’embrasure de la porte, une chandelle à la main.

-         Vous devriez refermer cette fenêtre. Sinon cela risque fort d’attirer leur curiosité, comme cela a attiré la vôtre, me dit-il calmement, comme si nous nous connaissions.

Je restai sans voix… et me contentai de refermer la fenêtre.

Voilà comment tout a commencé. Cette nuit-là, il m’était impossible de savoir que ma vie allait totalement changer. Durant les cinq années qui suivirent, j’appris un nouveau métier : chasseur de fantômes. Cela me permit de tirer définitivement un trait sur mon ancienne vie. Il n’aimait guère cette expression, « Chasseur de fantômes ». C’était comme s’il craignait qu’on ne minimise ou même ridiculise ses expériences passées. Il, c’était Caton. Sa véritable identité était Albert Langelier. Mais le règlement était strict pour les sociétaires quant à l’usage de pseudonyme au sein des Clubs.

Lorsque je pénétrai par cette fenêtre, cela faisait un mois que le Club Pythagore de Paris avait ouvert ces portes et il n’y avait alors que peu de membres. Albert Langelier était un ancien médecin de 62 ans. Il avait exercé à l’Hôpital de la Salpetrière avec le professeur Charcot. Membre de l’Institut, ses travaux sur les maladies nerveuses et plus particulièrement sur l’hystérie lui avaient valu une réputation internationale.  Ce n’est  qu’à moi qu’il accepta volontairement de conter sa vie. C’était un privilège dont j’étais le seul bénéficiaire. Pourquoi m’avait-t-il fait cette faveur ? Pourquoi moi ?

Les Clubs Pythagore étaient répartis dans les cinq plus grandes capitales d’Europe : Vienne, Berlin, Londres, Rome et Paris. Ils avaient pour but de s’intéresser à toutes les activités de la pensée humaine. Plus justement, il s’agissait d’étudier les sciences occultes et les phénomènes paranormaux, tout en respectant cette objectivité et cette ouverture d’esprit qui était la règle d’or des Clubs. C’est pour cette raison qu’ils ne cherchaient pas la publicité, fonctionnant de la façon la plus discrète possible.

Dès ma nomination en tant que sociétaire, et comme le règlement le stipulait, je pris le pseudonyme de Minos. A vrai dire, mes connaissances en matière de personnalités antiques étaient des plus limitées et Minos était le seul nom que je connaissais et qui n’avait pas déjà été choisi. L’un des trois juges des Enfers, m’expliqua Caton. Quel choix étrange me direz-vous !

Le Club de Paris était situé dans un immeuble du Palais-RoyaL. Sénèque, alors âgé de 70 ans, était sociétaire du Club et faisait office de gardien et de bibliothécaire. C’était un ancien professeur d’histoire et d’archéologie. C’était un homme pour qui j’avais beaucoup d’admiration. Pas autant que pour Caton bien sûr, mais Sénèque avait fait preuve plus d’une fois d’une immense patience pour m’aider à comprendre certaines choses qui semblaient naturelles pour le commun des membres de ces Clubs, mais qui me dépassaient complètement. Malheureusement, des forces démoniaques appelées Cénobites se sont attaquées au Club de Paris en 1905. Sénèque fut tué et plusieurs membres du Club moururent ou disparurent…. Cet événement fut l’un des plus marquants de l’histoire des Clubs.

Je me souviens également de Frantz Von Berg, un ancien militaire allemand qui fit son entrée en 1903. Je ne sus jamais comment il avait fait la connaissance de Caton. C’est étrange comme ces souvenirs enfuis depuis si longtemps refont subitement surface… Archibald Devington, un menuisier de métier, je crois…, Félix Masarick, un voleur de rues repenti…, Thomas Muller, médecin…, Franco Alberto…, Christian de Marigny, un écrivain français il me semble…, Davidson… son prénom m’a échappé, lui aussi victime des Cénobites en 1905, et Sally Crooks. La seule femme qui a su toucher mon cœur. Mais en 1906, elle fut la victime du Comte Dracula. Ne soyez pas si surpris ! Cette vérité là est loin d’être la plus effrayante… Sally avait été choisie par le Comte pour être sienne et c’est le plus librement qu’elle accepta ce destin. Aucun membre ne parvint à l’en empêcher.

Depuis lors, j’ai consacré mon temps à étudier les vampires et leur culture. Mon seul objectif était de retrouver le Comte et de le détruire. Caton tenta à maintes reprises de me détourner de mon obsession. Et ce n’est peut être pas un hasard si en 1923, le Comte Dracula fut terrassé par le Clan, une organisation ecclésiastique chasseurs de vampires. Je soupçonne fort Caton d’y être pour quelque chose. Il m’a toujours considéré comme son propre fils et n’aurait jamais supporté de me voir risquer ma vie en affrontant le Comte Dracula. En réalité, Caton avait d’autres desseins pour moi, que je ne découvris qu’à l’age de 77 ans… Mais ceci est une autre histoire…

Durant toutes ces années passées au Club, j’ai toujours refusé d’étudier la magie, qu’elle eût été blanche ou noire. Et cela m’avait toujours surpris qu’un homme comme Caton, avec son passé, puisse imaginer que j’accepterais. Dans les années 80, je veux parler de 1880, Caton était parvenu à une certaine maîtrise de la magie blanche. Mais cette volonté légitime de vouloir s’assurer une parfaite réussite dans les recherches scientifiques qu’il menait avec Charcot le conduisit à s’intéresser au côté sombre de la magie. Celle-ci est, par nature, beaucoup plus facile à pratiquer, ce qui n’a rien d’étonnant quand on sait de qui elle est issue.

Il découvrit l’existence d’un manuscrit ancien dans lequel se trouvait une incantation destinée à invoquer Lucifer en personne. Il demanda fortune et gloire en échange d’une vie éternelle de damnation. Le pacte fut signé pour une durée de onze mille six cent soixante-quinze jours. A cette époque, Caton pensait avoir trompé Lucifer. Comment le Diable pourrait-il prendre une âme éternelle ?.

C’est en 1942 que Caton prit réellement conscience de cette vérité.

« La vanité m’a conduit à croire en une loyauté démoniaque qui, et je l’appris très vite, n’existe pas. L’homme n’est rien d’autre qu’un pion sur l’échiquier du Malin. Il se joue de nous avec des promesses qu’il interprète à son gré. J’ai obtenu une vie éternelle, tout au moins pour mon âme, mais seulement pour permettre à Lucifer de me tourmenter éternellement… encore et encore. ». Ce furent ces derniers mots…

A cette époque, le Club Pythagore de Paris était le dernier rempart en Europe contre les Forces des Ténèbres. La Seconde Guerre Mondiale fut l’opportunité du siècle pour mettre un terme à nos agissements ; les Clubs furent détruis les uns après les autres. Les Nazis n’étaient-ils pas démoniaques ? Certains le furent réellement, je puis vous l’assurer.

Caton savait exactement à quelle date son pacte prenait fin. Il savait que Lucifer viendrait ici pour prendre son du et que nous serions tous exposés au danger.

Des mois auparavant, les membres du Club avaient été préparés pour cet affrontement. A l’idée que la seule issue soit la mort, certains membres décidèrent de quitter le Club. Ceux qui restèrent savaient que c’était pour mourir. Il fallait gagner du temps.  Caton avait volontairement refusé de révéler quoique ce soit, afin que le Mal ne puisse utiliser sa puissance pour lire dans l’esprit des membres du Club. Quelque chose devait avoir lieu ce jour-là. Quelque chose qui ne sauverait pas le Club et ses membres, mais qui devait à tout prix avoir lieu. La grande surprise pour moi fut de découvrir que je jouais un rôle dans ce mystère.

Lorsque les soldats allemands se présentèrent aux portes du Club, je me trouvais avec mon ami, dans le sous-sol du bâtiment, au centre de la bibliothèque secrète. Celle-ci était considérée comme le sanctuaire de Caton. En tant normal, ce dernier était le seul à pouvoir y pénétrer. Cet endroit  était protégé par une entité dont, encore aujourd’hui, je ne sais rien. Cette force protectrice était capable de tuer si la bibliothèque était menacée de quelque façon que ce soit. Mais cette fois-là, toute sa puissance n’y pourrait rien. Seul Caton savait ce qu’il fallait faire. Il l’avait toujours su. Comme s’il s’était depuis toujours préparé à cette confrontation.

Ce jour-là, je pris part à un rituel sorcier dont il m’arrive encore d’avoir des cauchemars. Caton m’expliqua alors de quoi il en retournait. Puisque le Diable en voulait à son âme et que celle-ci bénéficiait de l’éternité, le seul moyen de la sauver était, d’après Caton, de la transférer dans un esprit suffisamment fort pour la supporter. J’étais l’heureux élu.

Mais le rituel magique permettant le transfert était des plus inhumains. Après s’être ouvert les veines du poigné droit avec un poignard sacrificiel, Caton m’obligea à boire son sang … jusqu’à la dernière goutte. Ca n’était pas du sang que je vis couler de l’entaille, mais une substance blanchâtre d’un goût très velouté. Je fus aussitôt saisi d’une une étrange sensation. C’était comme si subitement l’ensemble de mes veines était parcouru par un froid glacial. Je ne percevais plus aucun bruit autour de moi. J’étais comme isolé du reste du monde alors que quelques secondes plus tôt, j’entendais encore clairement les cris des ceux qui se sacrifiaient pour nous à l’étage. Ca devait être d’une violence infernale. Et tout à coup, tout devint limpide, clair, je ressentais une béatitude inadaptée à la situation et qui me transperçait le corps.

Le temps était compté. Il me restait une dernière étape du rituel à accomplir. Le corps presque sans vie de Caton était allongé sur un canapé sur lequel autrefois il s’installait pour lire ses ouvrages de sorcellerie. Je pris le livre ouvert posé sur l’accoudoir et commençais à lire le contenu des pages. Mais ce n’était pas réellement moi qui les lisais. Il y avait autre chose dans la bibliothèque avec nous à ce moment là. Une chose qui avait voué son existence à servir Caton. L’entité. Elle aussi faisait partie du rituel. C’était de l’akkadien… aujourd’hui je le sais ! Puis il y eut ce grondement vers le fond de la pièce. Une des parois du mur devant lequel se trouvait un rayonnage de livres anciens basculait pour laisser apparaître un passage obscur. C’est alors qu’une force invisible me traîna à terre jusqu’à ce passage. Je voyais le corps sans vie de Caton allongé sur ce canapé, le visage tourné vers moi et les yeux me fixant d’un regard vide terrifiant. Il s’éloignait…

Je ne me souviens plus de rien après cela, si ce n’est le mur se refermant sur moi et me plongeant ainsi dans une totale obscurité… J’étais seul…

Durant les jours qui suivirent, je fus plongé dans une confusion et une perdition mentale complète. Puis je commençai à ressentir sa présence. Il était là... Son âme, sa connaissance, tout son savoir accumulé au cours de sa vie se trouvait dans ma tête. Cette volonté de lutter jusqu’au bout, quoiqu’il puisse en coûter… Le combat devait absolument continuer et c’était à moi de prendre la relève. Caton savait, … je savais que cet affrontement ne serait pas le dernier. Lucifer n’avait pas obtenu ce qu’il était venu chercher. IL reviendrait tôt ou tard et il fallait à tout prix s’y préparer. Comme le fit avant moi Albert Langelier, je m’engageais sans le savoir vers ce long chemin qui m’a amené aujourd’hui à ce lit d’hôpital.

Mais alors, je n’étais pas seul… et pour longtemps…

 

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