Site de Stéphane Descornes, dit Bishop. Écrivain.

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Carnets d'un Terrien

1997

 

« Celui qui s'impose des tâches exerce un pouvoir manifeste limité ; celui qui ne  s'impose rien, une vaste puissance cachée. Il ne fabrique pas, il oeuvre. »         (Tchouang Tseu.)

                                                         *

« L'homme est l'être qui ne peut sortir de soi, qui ne connaît les autres qu'en soi, et qui, en disant le contraire, ment. »                                                                           (Marcel Proust.)

                                                         *
Et si, dans les interviews, on remplaçait le sempiternel questionnaire de Proust, par celui de Roland Topor ?

« As-tu déjà rencontré les limites de ton intelligence, et à quoi ressemble-t-elle?

Imagines-tu un système pénitentiaire satisfaisant ?

Chien ou chat ?

Conserves-tu pour les soirées d'hiver une solution de derrière les fagots en ce qui concerne l'immortalité ?

Peut-on croire en Dieu et être ton ami ?

Te trouves-tu beau ? Jusqu'à quel point va ton dégoût de toi-même ?

Peux-tu me montrer ce qu'il y a dans ton portefeuille ?

Puisque le monde à peu de chance d'être parfait, pourquoi s'attacher à modifier les imperfections de l'heure, au lieu de s'en accommoder ?

Gardes-tu un peu de sympathie pour une quelconque tyrannie ?

Imagines-tu systématiquement toutes les jeunes femmes que tu rencontre sans leurs vêtements ?

Un grand écrivain peut-il être un salaud ?

As-tu la larme facile ? Au cinéma ? A la télé ?

Puisque la guerre est la continuation de la politique par d'autres moyens, de quoi la politique est-elle le prolongement ?

Un jeune homme à tête de cheval rentre chez lui, et s'aperçoit que sa mère est en train de faire cuire le sexe de son père coupé en morceaux sur le tapis. Imagines-tu la suite ?

Peux-tu me prêter vingt Euros ?

T'adresses-tu la parole à voix haute quand tu est seul ?

Mer ou montagne ?

Bleu ou a point ?

As-tu la conviction de conserver consciemment ou inconsciemment les traces de chaque jour vécu ?

Quel est pour toi le comble de la misère ?

Et est-ce qu'on va boire quelque chose après ? »

(Roland Topor - Entendu sur France Culture, en juin 1987, dans Le Bon Plaisir de Roland Topor.)

                                                         *


« Un rêve m'a hanté dans mes heures de veille :

Écrire pour moi seul, et mourir inconnu

Sans avoir dit pourquoi mon âme s'émerveille

Ni révélée la voix qui frappe mon oreille

Je m'en serais allé comme j'étais venu. »

 

(Pierre Louÿs - 1891)

*

Quand on est jeune, les livres qu'on écrit sont des pierres qu'on sème en pensant qu'on pourra retrouver son chemin. Mais le temps passe, et on se rend compte qu'en fait les livres ne sont que des grains de sables oubliés par la mer, tandis la mer, aussi profonde et insondable que notre vie, s'est retirée.

 
*

Limites de l'histoire du battement d'ailes

« Le créateur de la métaphore de « l'effet papillon », Lorenz, l'évoquait pour dire qu'il ne fallait surtout pas l'interpréter comme le fait d'un battement d'ailes de papillon pouvait déclencher une tempête, parce qu'alors un autre battement d'aile d'un autre papillon peut donc l'arrêter. Et la conclusion qu'il en tirait était en fait celle de la limite même de la notion de causalité. » (J-M. Lévy-Leblond, lu dans Le Monde)

                                                         *

 Apprendre à aimer

Entendu, dans une librairie : une femme confiait à un autre client qu'elle ne continuait pas un livre qui ne lui plaisait pas. « A quoi ça sert ? Lire un livre pour dire « Je l'ai lu », je ne vois pas l'intérêt. J'avais envie de lui dire le fond de ma pensée : qu'il faut peut-être laisser une chance, voir plusieurs, à un livre ou à un auteur qui semble ne pas vous toucher, au premier abord. La lecture ne procure pas forcement un plaisir immédiat. Comme toute chose importante, elle demande un effort. Il faut peut-être laisser « reposer » un livre qu'on trouve difficile d'accès. Avant d'y retourner. (C'est vrai aussi pour une œuvre musicale, d'ailleurs.)

Cioran disait qu'il faudrait même se forcer à lire chaque jour une page d'un livre qu'on ne comprend pas, et qu'avec le temps on finira par l'apprivoiser. Rechercher la facilité dans la lecture est sans doute très répandu de nos jours, mais il faut combattre cette paresse. Il faut donner un peu de temps à ces livres que l'on croit d'abord sans intérêt. Car certaines œuvres attendent qu'on se livre à elles, avant de se livrer à nous.

                                                         * 
Démons dépossédés

Après s'être appelé « Les Démons », dans la Pléiade, la traduction du roman de Dostoievski par Boris de Schloezer, est mystérieusement devenue « Les Possédés », en livre de poche et en Folio. Sans doute à cause du succès d'un film ?

Depuis que le traducteur André Markowicz (en 1985) a redonné au livre son titre original « Bézy » (Les Démons, paru chez Actes Sud), en référence à un poème de Pouchkine... et pour peu qu'on fréquente les librairies... on a pu entendre nombre de scènes de confusions chez les clients qui, cherchant « Les Possédés » passaient à côté des « Démons », (nouvelle et excellente traduction) ; et qui demandait « Les Démons » se voyaient répondre : « Vous voulez dire Les Possédés ? ».

Et voilatipa qu'en 1997, la traduction de Boris de Schloezer reparaît chez Folio sous le titre « Les Démons ». (Bonne chance, messieurs les libraires !) Est-ce le succès des traductions de Markowicz qui est le résultat de ce revirement ? Car selon André Markowicz, « Les Possédés » est un contre-sens. Aucun personnage du livre n'est Possédé. Les seuls possédés, ce sont les lecteurs. Et c'est diablement juste !

                                                         *

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©  Stéphane Descornes

Dernière mise à jour :  24/01/05