La Page de la Métallurgie

Il y a de plus en plus d'entreprises qui disparaissent aprés avoir touché les aides publiques

Pour une autre politique industrielle

La CGT ne se résout pas au déclin industriel de la France. La fédération CGT de la métallurgie organise, le 2 octobre, avec la confédération, des Assises nationales de l'emploi industriel pour aider les syndicats, les salariés à construire des solutions alternatives.

Trois questions à Daniel Sanchez, Secrétaire Générale de la Fédération de la Métallurgie

Des régions entières sont ravagées par la désindustrialisation. Quelles en sont les raisons ?

Daniel Sanchez: Les groupes industriels multiplient les restructurations à l'heure de l'élargissement de l'Union européenne. C'est notamment le cas dans l'automobile, la sous-traitance, la fonderie. Sous prétexte que nos coûts salariaux ne seraient pas compétitifs, ils décident de délocaliser. C'est une logique qui a débuté il y aune ving- taine d'années, mais nous sommes dans une nouvelle phase d'accéléra- tion. Face à cela, les luttes de résistance sont nombreuses, mais elles se concluent trop souvent sur la discussion d'un plan social. La CGT refuse de se limiter à accompagner les plans sociaux et veut tordre le cou à des idées reçues. Prenons, par exemple, la question de la compétitivité telle que la conçoivent gouvernement et patronat. Aujourd'hui, les actionnaires attendent un retour sur investissement financier qui doit se situer autour de 15%. Schneider, qui ne dégage qu'un taux de 11 %, engage des restructurations alors qu'elle est la plus performante des entreprises industrielles. Cette conception de la compétitivité ne favorise pas la maîtrise industrielle et des savoirs et ne permet pas le développement de la société.

Quelles solutions préconisez-vous?

La défense de l'emploi et son développement passent par une multItude champs d'interventions. D'abord, il faut un nouveau partage de la richesse avec un retour plus important vers le travail, les salaires, les retraites. Ensuite, les salariés doivent disposer de moyens d'intervention pour sortir les entreprises des choix imposés par les marchés financiers. Pour cela, nous réclamons une plus grande transparence et une meilleure lisibilité sur les stratégies industrielles. Si les représentants des salariés étaient informés en amont du niveau de la technologie, de ce vers quoi s'o- rientent la recherche et l'évolution du produit, ils pourraient anticiper et for- muler d'autres propositions. Pour cette raison; nous souhaitons la création de comités interentreprises, d'espaces d'information communs à toutes les entreprises d'une même filière donneurs d'ordre et sous-traitants. Enfin, nous souffrons d'un déficit du secteur public. Nous ne demandons pas à l'État de se substituer aux entreprises du secteur privé pour fabriquer tel ou tel produit industriel. Mais nous considérons que le gouvernement doit reconstituer un pôle public industriel permettant de s'affranchir des seules considérations financières. C'est à cette condition que nous aurons des grands projets en positionnant la concurrence sur un autre terrain: celui de la capacité d'innover.

Empêcher les délocalisations en Europe

L'entrée dans l'Union européenne de dix nouveaux pays (Pologne, Hongrie, Tchéquie, Slovaquie, Slovénie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Malte et Chypre) comporte le risque d'une mise en concurrence accrue des salariés entre eux. « Les seuls éléments qui empêchent le nivellement par le bas du marché du travail, ce sont les systèmes de protection sociale, les politiques de l'emploi et de la formation. ..» déclarait Bernard Thibault lors du Congrès de la Confédération européenne des syndicats. Les syndicalistes européens sont confrontés à d'immenses défis pour la conquête de droits nouveaux. C'est pourquoi ils accordent une grande importance à la Charte des droits fondamentaux, ou encore à l'utilisation de moyens d'intervention que sont les comités de groupe européens. La situation invite sans doute l'ensemble des syndicats européens à mieux et plus travailler ensemble.

Pourquoi des assises nationales de l'emploi industriel ?

Il s'agit de positionner la CGT comme un interlocuteur incontournable sur les questions de l'emploi industriel. Nous voulons casser l'idée que nous serions à une étape du développement qui condamne l'emploi industriel sous prétexte que tout ce qui n'est pas à forte valeur ajoutée n'aurait pas sa place sur le sol national. Nous le ferons sous forme de débat contradictoire avec, au-delà des représentants de la CGT, la présence d'experts: de journa- listes économiques, etc.

Nous voulons confronter notre réflexion avec celle des a!Jtres. C'est pourquoi nous partiron des arguments tels que les rencontrent les salariés dans les entreprises; coûts salariaux, compétitivité, "ecentrage sur le creur du métier, spécialisation, délocalisations, etc.

Et nous poserons la question: ceci vise-t-il un développement industriel ? Il ne s'agit pas simplement de scander la réhabilitation du travail, l'enjeu consiste à octroyer une part plus importante des richesses produites pour la reconnaissance de ce travail. Le constat des dégâts occasionnés par la concurrence sauvage er la logique financière à court terme doit conduire à pousser la réflexion sur une autre politique industrielle.

Interview réalisée par "La Nouvelle Vie Ouvrière".

« Il y a de plus en plus d'entreprises porte-avions » 

Elles disparaissent une fois les aides publiques touchées,
dénonce Bernard Devers, de la fédération CGT de la métallurgie.

Assiste-t-on à une recru descence des licencie ments boursiers dans la métallurgie ?
Bernard Devers. Il n'y a quasiment pas de licencie ments du fait de manques de commandes ou de pertes de marchés. Les directions ne le cachent plus aux délégués du personnel, et elles justifient ouvertement les restructura tions et les licenciements par le souci d'améliorer la productivité. Cela d'autant plus que la loi Fillon permet ces licenciements sur la base de critères stratégiques tels que la pérennité de l'entre prise ou la sauvegarde de la compétitivité. Le MEDEF s'appuie d'ailleurs sur ces possibilités, en tentant de raccourcir encore les délais pour mener à bien les re structurations.
Quelles voies de recours reste-t-il aux salariés lors qu'ils sont frappés par ce type de licenciements?
Bernard Devers. L'en semble des salariés sont le plus souvent mis devant le fait accomplit à l'annonce de la décision, les délais pour s'y opposer et formuler des alternatives étant très courts. Les CE, lorsqu'il y en a, disposent d'un droit d'alerte, du droit à l'infor mation, et de celui de mis sionner ses propres experts. Soyons réalistes, ces procédures permettent es sentiellement de gagner du temps, le reste étant affaire de rapport de forces. Ces procédures gê nent encore le patronat, et c'est pourquoi il se lance dans la recherche d'accords de méthode pour gérer ses problèmes de "sureffectifs". Ces accords sont très dange reux, car ils visent à faire jouer aux syndicats le rôle d'accompagnateur des re structurations, et à dévoyer les prérogatives des CE.
En cas de plan social, les obligations faites aux em ployeurs et aux pouvoirs pu blics en matière de réindus trialisation et de reclasse ment sont-elles respectées dans les faits ?
Bernard Devers. Pre nons des cas très concrets, comme Moulinex ou Meta leurop. A Moulinex, ce sont à peine 14% à 15% des sa lariés qui vont retrouver un emploi. Sans compter le problème de l'utilisation des fonds publics accordés aux entreprises. Il se déve loppe une véritable course à la prime, où l'emploi sert de monnaie d'échange, avec une mise en concurrence des régions sur l' impor tance des aides accordées pour attirer les entreprises. Bien souvent, ces entre prises ne s'intègrent pas dans le bassin économique. A Longwy par exemple, toutes les entreprises d'élec tronique et d'informatique venues s'implanter sont re parties après avoir touché les aides publiques. Nous ap pelons cela les "entreprises porte-avions", qui atterris sent, puis décollent après un court laps de temps.
Existe-t-il.des possibilités réelles de mettre en échec les projets de fermeture ?
Bernard Devers. Des exemples le prouvent, comme à Fumel ou à Reims Aviation, où un rapport de forces conséquent, avec une organisation syndicale qui pèse, a permis d'imposer des alternatives.
A Fumel, les salariés ont fait des propositions en lien avec le besoin réel de leur sa voir-faire pour les construc teurs automobiles, et ont mis sur pied un montage finan cier viable associant les banques et les pouvoirs pu blics. A Reims, les salariés on suivi la même démarche, en prenant appui sur le fait qu'ils étaient un maillon es sentiel de la chaîne de l'in dustrie aéronautique, no tamment pour Airbus et Das sault. Dans les deux cas, les salariés ont réussi à imposer le maintien de l'activité.
   

Interview paru dans "L'Humanité" du 30 décembre 2003