Des arguments pour le débat

Trois raisons d'augmenter les salaires (art. NVO septembre 2003)

Article NVO: Janvier 2004

Réduire le coût du travail au nom de la compétitivité: à l'occasion des négociations sur les salaires, le gouvernement reprend de nouveau le refrain du Medef. Dans le secteur public, comme dans le privé, la revendication salariale revient sérieusement à l'ordre du jour .

 
"L'ALOURDISSEMENT DES COUTS SALARIAUX est tout à fait malvenu au moment où l'attractivité du territoire national s'étiole et où nos performances à l'exportation sont particulièrement décevantes [...]." On s'étonnera peu de ce plaidoyer des patrons de la métallurgie (UIMM) dans le dernier numéro d'Actualité à la veille de négociations sur les salaires. Objectif: réduire les coûts salariaux au nom de la « compétitivité française » et des « exigences européennes ». Un refrain du Medef repris à son compte par le gouvernement et en particulier par Jean- Paul Delevoye (ministre de la fonction publique, de la réforme de l'État et de l'aména gement du territoire). L'évolution récente des salaires en France fixe les enjeux des négocia tions en cours:
l'augmentation du pouvoir d'achat des salariés du privé reste faible, seulement plus 0,6 point entre septembre 2002 et septembre 2003 selon la dernière enquête de la Dares. Le tassement des hiérarchies se confirme, les salaires les plus faibles ayant augmenté un peu plus vite que les plus élevés, du fait notamment de la hausse sensible du Smic. Mais le gel des cinq autres salaires minimums contrecarre l'augmentation du pouvoir d'achat des salariés les moins bien rémunérés. Les salariés de la fonction publique, quant à eux, sont particulièrement mal lotis, puisque leur pouvoir d'achat régresse pour la troisième année consécutive. La tendance, plutôt morose, risque de se poursuivre, le patronat et le gou vernement continuant à sacrifier les salaires sur l'autel de la compétitivité.

A terme, cette politique menace la croissance. Selon la dernière enquête de la Dares, les salaires mensuels bruts de base (SMB, hors prime et autres formes de rémunération) des salariés à temps plein dans les entreprises de dix salariés et plus ont augmenté de 2,5% entre septembre 2002 et septembre 2003. Si l'on déduit l'effet de l'inflation, qui s'élève à 1,9% pour la période, le pouvoir d'achat ne croît que de 0,6 point. Le gain est plus élevé dans la construction (+ 1,1 point) et dans les services aux particuliers (+ 1,0 point) que dans l'industrie (+ 0,6 point) et le reste du secteur tertiaire (+ 0,5 point).
Les ouvriers et les employés en sont les principaux bénéficiaires: leurs salaires, inflation déduite, gagnent respectivement 0,9 point et 0,6 point, alors que le pouvoir d'achat des professions intermédiaires n'augmente que de 0,4 point, tandis que celui des cadres stagne presque, avec 0,1 point d'augmentation. Ces chiffres confirment le tassement de la hiérarchie salariale observée au cours de la décennie 1990. Ils semblent aussi indiquer une dévalorisation des qualifications, en particulier d'ailleurs pour les jeunes diplômés qui peinent à les faire reconnaître. La tendance à la réduction des écarts salariaux se poursuit au troisième trimestre 2003, où le pouvoir d'achat des ouvriers et des employés augmente légèrement, alors que celui des professions intermédiaires et des cadres diminue. Sauf bien sûr celui des cadres dirigeants: les rémunérations des grands patrons français ont tellement explosé ces dernières années que même certains députés UMP s'en sont dits choqués et ont fait voter à la fin 2003 une loi permettant aux actionnaires de contrôler le niveau de ces rémunérations.

Pressions sur le Smic et conséquences en chaîne
L'impulsion de la hausse du Smic de 5,3% en juillet 2003 est en partie responsable de ce tassement des hiérarchies salariales. Le «coup de pouce» au salaire minimum s'accompagne cependant d'un quasi gel des garanties mensuelles de rémunération (GRM), les cinq autres Smic des salariés aux 35 heures. Les hausses des G RM vont de 3,2% pour la plus fai ble à 1,6% pour la plus élevée, une augmenta tion strictement égale à l'inflation qui gèle donc le pouvoir d'achat. La hausse de 18% du Srnic prévue sur trois ans pour harmoniser l'ensem ble des salaires minimums nous met, selon Ernest-Antoine Seillière, président du Medef, «à la limite de la perte d'efficacité».

Le gel des GRM dont elle s'accompagne risque pourtant d'avoir des répercussions sur l'ensem ble de la grille des salaires: le patron des patrons ne peut l'ignorer. Le souci de la «compétitivité de la France » constitue le coeur de son argu mentaire. On connaît la chanson: le coût du tra vail serait trop élevé en France, et responsable du chômage de masse persistant. Portés par cette rengaine, les gouvernements successifs se sont attelés depuis dix ans à réduire le coût du travail peu qualifié, notamment en allégeant les charges sociales sur les bas salaires. Toujours sur le même refrain, François Fillon, ministre des Affaires sociales, a récemment instauré le RMA, 
qui fournit aux entreprises une main-d'oeuvre particulièrement bon marché. 20 heures de travail hebdomadaires d'un « éré maste » ne coûteront que 327 euros par mois à un employeur, charges sociales comprises : quatre smicards pour le prix d'un... La mesure risque d'inciter les employeurs à remplacer des emplois mieux rémunérés par des RMA, favo risant une diminution de la rémunération moyenne des salariés. Elle n'apparaîtra cependant pas dans les statistiques qui ne tiennent compte que des salariés à temps plein.
L'OFCE projetait une progression de 1,6% en moyenne du pouvoir d'achat des salariés du privé à temps plein entre 1998 et 2003. Joël Bourdin s'en réjouissait dans son rapport au Sénat sur les perspectives macroécono miques 2003, notant qu'il s'agissait d'une accélération de l'augmentation des salaires individuels par rapport à la période 1991-1997, au cours de laquelle le pouvoir d'achat a augmenté de 1% par an en moyenne. Mais si la hausse du pouvoir d'achat du SMB a effectivement été relativement importante entre 1998 et 2000, elle a été beaucoup plus faible sur la période récente, dans un contexte conjoncturel morose.

 

Gels et baisses au nom du marasme
L'évolution du pouvoir d'achat dépend beaucoup de la croissance, contrairement à ce qu'affirme une théorie économique libérale se plaignant de ce que les travailleurs, n'aimant pas le risque (ils sont «riscophobes» avance le Medef), établissent dès lors avec leur employeur un contrat implicite selon lequel leur salaire ne varie pas, quelle que soit la conjoncture. Le risque que la croissance fait peser sur la création de richesses serait alors exclusivement porté par le capital, c'est-à-dire encaissé par une variation des profits. S'il est indéniable que la rémunération d'un salarié est fixe, pour peu qu'elle ne contienne pas de part variable type prime ou intéressement, la théorie ne tient plus face à l'examen des données macroéconomiques: les «riscophobes»,

c'est-à-dire les salariés pourtant décrétés «à l'abri», encaissent bien une part du risque à travers la variation de leur pouvoir d'achat, ou même les licenciements...
L'argument du marasme économique est d'ailleurs un des plus employés par les libéraux pour justifier les politiques de rigueur. Le Premier ministre s'est servi de cet argument pour justifier la baisse du pouvoir d'achat des fonctionnaires. Après avoir annoncé aux 5,2 millions d'agents de l'État, des collectivités territoriales et des hôpitaux un gel des salaires en 2003, il a
«accordé» une hausse de 0,5% du point d'indice en 2004. Après déduction de l'inflation qui devrait dépasser les 3% sur la période 2003-2004, la perte de pouvoir d'achat sera d'au moins 2,5 points. Depuis le 1er janvier 2000, les pertes cumulées de salaire réel dans la fonction publique représentent 60% à 100% d'un traitement mensuel, selon le grade. Jean-Pierre Raffarin s'abrite derrière

 les « exigences européennes » pour justifier sa politique ultralibérale : il a promis à Bruxelles de stabiliser les dépenses de l'État jusqu'en 2004. La formule peut prêter à sourire quand on sait que la contrainte qui pèse sur les dépenses publiques est due à une réduction des ressources de l'État, suite aux nombreux cadeaux fiscaux concédés aux ménages les plus aisés (réductions de l'impôt sur le revenu et des droits de succession) et aux entreprises (report illimité des déficits et crédits d'impôts en tout genre). La situation ne vaut pas mieux dans les entreprises publiques: la direction de la SNCF vient d'annoncer une année blanche pour les salaires en 2003, du fait, selon elle, d'un déficit supérieur à celui qui était prévu.

Effets boomerang sur la croissance
Pourtant, le principal moteur de la croissance économique reste la consommation des ménages. Si la modération salariale présente l'avantage de réduire les coûts de production des entreprises, leur permettant ainsi de dégager des marges pour financer des investis sements, la faiblesse du pouvoir d'achat est aussi un frein de la consommation et, du même coup, de l'investissement: pourquoi investir pour produire davantage de biens et de services qui, de toute façon ne seront pas consommés puisque la demande est faible ? En France, un gouvernement a deux armes à sa disposition pour mener une politique salariale de préparation et de soutien de la croissance: le « coup de pouce » au Smic et celui aux rémunérations des fonctionnaires. L'existence de six Smic brouille le premier débat, mais le second fixe les enjeux : le gouvernement Raffarin n'a clairement pas fait le choix d'une politique de croissance. Il l'attend, passivement, à la manière «du navigateur qui attend le retour de l' anticyclone » selon une expression de l'économiste Laurent Cordonnier. Gageons que les salariés aideront à ce que le vent se lève... .

NVO; 23 janvier 2004

Avec la 

 

Egalité Homme / femme

L'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes relève d'une obligation légale. Mais force est de constater qu'on est encore loin du compte. Globalement, la rémunération des femmes reste inférieure de 20% à celle des hommes (pour des emplois à temps plein). Et la proportion des femmes à temps partiel imposé est largement supérieure à celle des hommes. Les femmes ont toujours du mal à accéder aux postes les plus qualifiés: selon l'Insee, 12,5% des femmes sont cadres contre 19% pour les hommes, alors qu'elles sont plus diplômées que les hommes à la sortie du système scolaire. Ou grain à moudre pour les négociations interprofessionnelles en cours sur la question.

Trois raisons d'augmenter les salaires

  La première raison, c'est que la situation des salaires en France s'est fortement dégradée depuis dix ans. L'éventail des rémunérations s'est resserré et dans les branches d'activité la quasi totalité des minima reste inférieure au niveau du Smic. Les politiques gouvernementales d'exonération des cotisa tions sociales patronales sur les bas salaires ont tiré l'ensemble des revenus vers le bas. Les bas salaires (moins de 830 euros par mois) concernaient 17% des salariés en 2001 contre 11% en 1983 et les très bas salaires (moins de 629 euros par mois) 9 % des sala riés en 2001 contre 5% en 1983. Le dernier bilan de la négociation collective portant sur l'année 2002 fait état d'un net repli des accords salariaux, dans les branches et les entreprises, malgré l'obligation annuelle de négocier. Alors que le niveau de l'inflation a été de 2,3 %, le nombre des hausses de salai res inférieures à 2% a doublé. Le traitement des fonctionnaires a été revalorisé de 1,3 %... et il n'a pas encore bougé d'un iota cette année (2003). Par contre, les salaires des dirigeants des entreprises du CAC40 ont fait un bond de 13% !Le gouvernement a fait beaucoup de tapage avec la revalorisation de 5,27% du Smic en juillet. En fait, il ne s'agit que d'une mesure de rattrapage destinée à compenser, en partie, la baisse de 11,4% du Smic men suel désormais calculé sur 151,66 heures par mois au lieu de 169 heures. Cette hausse n'a profité qu'aux salariés payés sur la base du Smic horaire, c'est-à-dire moins de la moitié des smicards, les autres bénéficiant d'une garantie mensuelle de rémunération (il en existe 5) dont la revalorisation s'est échelon née entre 1,6% et 3,2%.

  La consommation dope la croissance
La seconde raison,
c'est que la consommation constitue aujourd'hui le dernier moteur de la croissance. En France, les deux tiers de l'acti vité économique dépendent de la demande intérieure, c'est-à-dire pour l'essentiel de la consommation des salariés. On ne peut pas prétendre soutenir le pouvoir d'achat des ménages à l'aide de la baisse des impôts, de la  prime à l'emploi ou encore du revenu mini mum d'activité (RMA). Il faut d'urgence augmenter Ies salaires pour dynamiser le marché intérieur et construire une croissance durable. Les rémunérations ont progressé moins vite que la productivité du travail au cours des der nières années, il est donc possible de dégager des moyens pour répondre aux besoins des salariés. En 2002, les sociétés du CAC40 ont distribué 14,4 milliards d'euros à leurs action naires. Il faut rappeler que la part des revenus du travail dans les richesses produites a reculé de huit points dans les années 80 au bénéfice des revenus du capital et que cette répartition n'a pas fait l'objet de la moindre correction depuis. 

  La troisième raison, c'est qu'il est illusoire de penser qu'un pays comme la France puisse gagner la bataille de la compétitivité sur la scène internationale en compri mant sans cesse les coûts salariaux. Tout simplement parce que ces coûts peuvent être jusqu'à 50 fois inférieurs à ceux pratiqués dans l'hexagone et que la main-d'oeuvre qualifiée, contrairement à une idée reçue, ne fait pas forcément défaut dans les pays en voie de développement. Il est donc nécessaire de promouvoir une conception de la compétitivité fondée sur la qualité du travail humain pour garantir des perspectives de croissance et de développement de l'emploi. Les salariés constituent la meilleure ressource de l'entreprise.

 

Les grilles à 35 heures

Depuis le 1er janvier 2002, la durée légale du travail est fixée à 35 heures pour tous les salariés. Au-delà, il faut compter des heures supplémentaires. Cependant, sur 214 branches professionnelles de plus de 10000 salariés, près de la moitié conservent des barèmes calculés sur 39 heures. Ce qui entraîne la plus grande confusion quant aux droits des salariés par rapport aux montants des minima applicables. La CGT demande donc la suppression dans les grilles de salaires, de branches et d'entreprises, de la référence aux 39 heures. Elle revendique, par ailleurs, la fixa tion du Smic à 1 400 euros bruts par mois pour 35 heures de travail par semaine.

Aujourd'hui les plus compétitives sont d'ailleurs souvent celles qui disposent d'un statut social élevé. L'évolution des technolo gies et des organisations du travail plaident aussi pour une mobilisation de la matière grise. Il faut donc favoriser la formation et reconnaître les qualifications en les rémuné rant à leur juste valeur.

La NVO; 12 septembre 2003

Avec la