Et les salaires ? Si on en parlait !

Négociations Annuelles Obligatoires

Des éléments pour le débat avec les salariés

NVO- De multiples actions chez les cheminots, les fonctionnaires, etc. La revendication salariale reviendrait-elle en force sur les devants de la scène ?
Roland Metz -Il y a tout lieu de le penser. On observe un regain des luttes sur la question salariale dans le secteur public, mais aussi dans le privé. Les salariés du groupe Casino font circuler une pétition réclamant une « augmentation de 150 euros par mois ", des actions se multiplient dans les entreprises de l'agroalimentaire, de la distribution de l'eau, etc. Car l'attitude de l'État à l'égard des fonctionnaires sert évidemment d'exemple pour les employeurs du privé.
On assiste de plus en plus à un écrasement de la pyramide des salaires, alors même que le niveau des qualifi- cations s'élève. Plus de 80% des grilles de salaires du privé comportent des minima inférieurs au Smic.

Les statistiques du ministère de l'Emploi font cependant état d'une progression du pouvoir d'achat moyen de 0,4 %. ..
Ce chiffre est établi en comparaison de l'indice Insee du coût de la vie. Mais la hausse réelle du coût de la vie est bien plus importante que l'inflation mesurée par l'indice Insee, fut-il « hors tabac ». Prenons l'exemple du logement: de 1990 à 2001, l'indice du coût de la construction  - qui sert de base de calcul de l'évolution des loyers - a augmenté de 30% et l'indice des prix de 17,9% seulement. Or, le logement, qui représentait en 2001 en moyenne 24% des dépenses des ménages, n'intervient que pour 5,78% dans l'indice des prix.
On peut faire le même constat avec la fiscalité locale, la taxe d'habitation payée par les ménages a augmenté en moyenne de 6% en 2003. On mesure donc l'intérêt de construire les revendications salariales à partir de l'expression des besoins dans leur diversité.

Mais les employeurs disposent-ils vraiment d'une marge de manoeuvre pour augmenter les salaires ?
En tout cas ils la trouvent lorsqu'ils se préoccupent de leurs propres rémunérations: les patrons des 40 groupes composant le CAC 40 de la Bourse se sont octroyés des augmentations de plus de 80% ces trois dernières années, avec une rémunération moyenne annuelle, hors stock- options, de 2,07 millions d'euros. Depuis le début des années 80, la part de la valeur ajoutée revenant aux salaires est passée de 72,1 % à 64,7%. De 1996 à 2002, le montant des dividendes versés aux actionnaires a augmenté de 137 %, contre 31 % seulement pour les salaires. L'augmentation des salaires répond non seulement à une exigence de justice sociale, mais c'est aussi une mesure d'efficacité économique dans un pays où plus des deux tiers de l'emploi dépendent directement de la consommation intérieure.

Concrètement, que propose la CGT ? La CGT revendique d'abord  le Smic à 1 400 euros bruts par mois. Ensuite, il est nécessaire de reconstruire les grilles de salaires pour permettre la reconnaissance des qualifications, la prise en compte de l'expérience, la validation des acquis professionnels. Cela implique de fixer des points de référence.
Il faut définir dans la grille des classifications des salaires minima garantis correspondant à chaque grand niveau de qualification: nous proposons de fixer ces minima à 1,2 Smic pour le niveau CAP; 1,4 pour le bac; 1,6 pour le niveau bac + 2; 1,8 pour le niveau licence et 2 fois le Smic pour le niveau ingénieur.
Chaque salarié devrait bénéficier d'un déroulement de carrière, avec la perspective d'un doublement de son salaire au cours d'une carrière. Le syndicat doit examiner de près la situation dans l'entreprise: quels sont les niveaux de qualifications des salariés ? Pour quels emplois ? Quelles perspectives d'évolution de carrière ?
Quelles conséquences des actions de formation sur les salaires ? Comment valider l'expérience?
Autant de questions auxquelles on peut tenter de répondre avec les salariés pour conduire une négociation salariale offensive.

Les salaires constituent-ils le seul thème sur lequel les employeurs sont tenus de négocier ?
Non, la négociation sur les salaires doit être l'occasion d'examiner également les situations de précarité qui pèsent sur le pouvoir d'achat, par exemple.
N'oublions pas que la précarité au travail est la principale cause de pauvreté dans notre pays.
Il faut donc rappeler aux employeurs que la négociation annuelle obligatoire doit non seulement porter sur les salaires effectifs, mais aussi sur la durée et l'organisation du travail, le travail à temps partiel, l'évolution de l'emploi dans l'entreprise, les CDD, les missions d'intérim, les exonérations de cotisations sociales, l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, l'épargne salariale et la prévoyance..