1. Alexe : rétive.

- C'est pas mal. Je ne t'ai presque pas entendu venir.
- Comment ça, pas mal ? C'était parfait oui.
- Je t'ai pourtant entendu détacher une clochette. Tu as tenté de tricher.
- Pfff !

Cordi se faufile à travers des entrelacs de fils tendus reliés à des clochettes, tandis qu'Eldig, assis sur un tabouret et les yeux fermés, écoute la progression de son élève.

- De toute façon, une telle situation est improbable.
- Un bon voleur doit savoir évoluer silencieusement dans toutes les situations. Reprends tes quilles de jongleur et entraîne-toi maintenant.
- Je comprends l'exercice précédent, mais à quoi bon celui-ci ?
- C'est un excellent travail de coordination des mains, et puis tu en auras besoin si tu veux passer pour un bateleur. Fais venir ton amie pour qu'elle s’entraîne avec toi.
Cordi appelle Diane.

Ils sont tous deux arrivés à la capitale depuis quelques jours. Après avoir passé la moitié de l'hiver à banqueter et festoyer chez le duc de Patatras. Mais, comme Georg et Laura quelque temps plus tôt, ils se sont décidés à partir. Le voleur a rendu compte de sa mission à Eldig, et celui-ci lui en a confié une autre :
- Vous devez vous infiltrer dans les fêtes du printemps données dans les Iles Anciennes. Il semble que les habitants sacrifient des fortunes à leurs dieux à cette occasion. Avec un peu de chance, vous pourrez en capter une partie. Cette expédition a été imaginée par mes soins. J'espère que tu feras honneur à mes enseignements.
- Il n'y a pas de trésors à dérober plus près ?
- Tant qu'à faire, cela me permet aussi de me débarrasser de toi pour un certain temps.

Avec une petite troupe de voleurs comme lui, et Diane, qui l'a accompagné, ils partent pour Calibas, une des cinq îles principales de l'archipel.

Après une traversée sans incident, malgré une tempête, ils débarquent. Ils découvrent une ville fantastique, dotée de grandes tours de fer et de verre. Mais ils n'ont pas le temps de s’émerveiller. Ils sont accueillis par des soldats, qui leur demandent ce qu'ils sont venus faire. Ils déclarent être des troubadours arrivés spécialement pour montrer leurs numéros au château. Quoi de moins étonnant ? Les festivités attirent de nombreux saltimbanques.

Ils se présentent au palais avec une recommandation, fournie par Eldig, et paraphée d'importants dignitaires du royaume d'Uhr. Le maître voleur l'a obtenue grâce à ses nombreux appuis.

Ils sont reçus par le chambellan, qui leur fait passer une audition. Ils sont finalement acceptés et inclus dans le déroulement de la fête du soir qui suit les cérémonies de la journée.

- Alors ? Satisfaite ? demande Cordi à Diane lorsqu'ils sont de retour à l'auberge où ils ont établi leurs quartiers.
- Notre expédition commence demain.
- Oui, mais il nous faudra fuir rapidement une fois notre coup fait, répond le voleur. Aussi vais-je profiter de ces quelques instants de liberté pour visiter la ville ce soir.
- Veux-tu que je t'accompagne ?
- Non merci. Tu m'encombrerais plutôt qu'autre chose, cela dit sans vouloir t'offenser.
- Charmant ! C'est bon, vis ta vie !
- Ne m'en veux pas. Il y a des lieux où un homme ne peut aller avec sa régulière.
- Fous le camp te dis-je ! Et d'abord je ne suis pas ta "régulière", comme tu dis !
Diane le met hors de sa chambre.

Assez rapidement, Cordi a suivi ses mauvais penchants, et a trouvé les quartiers les plus mal famés de la ville, les seuls dignes d'intérêt touristique à ses yeux. Il déambule dans les rues en faisant la tournée des tavernes, lorsque, tard dans la nuit, il est abordé par un homme tellement souriant qu'il en est louche.
- Bonsoir. Désirez-vous une fille?
- Je n'ai pas pour habitude de payer lorsque je désire une fille.
- Pour à peine le double du prix habituel, je vous propose une fille rétive.
- Une fille comment ?
- Une fille qui n'a pas encore été matée. Vous pouvez en faire ce que vous voulez.
- Ha ? Pourquoi pas... Je vous suis.

L'homme le conduit dans une maison discrète. A l'intérieur, il le fait patienter dans un salon où des hôtesses aguichantes servent des rafraîchissements à des quinquagénaires libidineux. C'est de toute évidence une maison close.

Au bout d'un certain temps, l'homme revient chercher Cordi.
- C'est bon, vous pouvez venir. Mais vous devez laisser vos armes, par mesure de sécurité.
Le voleur, toujours un peu éméché, lui confie son épée, et le suit dans un couloir.
- C'est là, la deuxième porte à droite. Appelez si vous avez besoin d'aide.
- Ce ne sera pas la peine.

Il entre dans la chambre. La fille est ligotée nue sur un lit. Il y a des fouets et des chaînes au mur.
- Alors ma toute belle ? Il parait que tu n’es pas encore matée. Mais le beau Cordi va te faire découvrir les délices de l'amour.
La fille ne répond pas. Le voleur commence à caresser un fouet. La fille lui témoigne soudain de l'intérêt.
- C'est vrai que tu es joli garçon. Allons, je ne te résisterai pas. Si tu commençais par me détacher ?
- Et avec quoi ? Ces liens semblent solides.
- Et cette dague que tu as cachée dans ta botte ?
- Je n'y pensais plus.

Cordi la détache. La jeune fille se fait plus tendre. Elle a un assez joli corps, très musclé.
- Allons, détends-toi maintenant. Veux-tu que je te déshabille ? Si tu me confiais cette dague, je te montrerai des jeux auxquels tu n'as jamais osé rêver.
- Pourquoi pas ?

Sûr de son charme, Cordi lui tend l'arme. Elle le saisit brusquement par le bras, effectue une torsion, le retourne sur le lit, et lui applique la lame sur la gorge. De sa main libre, le voleur essaie d'éloigner cette menace, en vain, car la fille est plus forte que lui.
- Sale porc ! Je vais t'égorger ! Tu payeras pour les autres!
- Attends ! Je peux encore t'être utile ! balbutie Cordi, maintenant tout à fait dégrisé.
- Et pour quoi faire, espèce d'orque ?
- Je peux t'aider à t'échapper.
- Comment ?
- Je sors, je récupère mon épée, et j'attaque le maquereau qui te garde.
- Soit, répond la jeune femme au bout d'un certain temps. Je n'ai plus rien à perdre. Ca va faire un mois qu'ils me tiennent prisonnière ici. Je vais devenir folle si ça continue.

Cordi se rhabille et quitte la chambre comme convenu.
- Alors ? Ca s'est bien passé ? demande le proxénète dans le couloir. Je n'ai pas entendu beaucoup de cris.
- Elle n'avait même plus la force de crier. Je l'ai matée. Puis-je récupérer mon épée?
- La voici.
Cordi fixe le fourreau à sa ceinture.
Puis il s'en va.
- Bonsoir.
- Bonsoir.

La prisonnière se rend compte qu'elle a été jouée, et se rue à l'attaque, armée de sa seule dague. La lutte est brève. L'homme au sourire en vient rapidement à bout. Elle gît désormais à terre.
- Vous ne l'avez pas tuée au moins ? demande Cordi qui est revenu sur ses pas.
- Non. Je n'aime pas gâcher la marchandise. J'ignore comment elle s'est procuré cette dague.
- Au fait, y a-t-il une sortie discrète ? Je n'aimerai pas être vu.
- Au fond du couloir à gauche.
- Merci.
Et le voleur tire son épée silencieusement et l'enfonce dans le dos du proxénète qui se penchait pour ramasser sa prisonnière. Puis il prend la jeune femme, toujours inconsciente, sur ses épaules, et emprunte la sortie dérobée.

Après quelques dizaines de mètres dans la ruelle, il entend des cris. L'alerte est donnée. Il essaie de courir, mais son fardeau est trop lourd. Il s'en débarrasse en jetant la jeune femme sous un porche. Soudain il est hélé. Il prend ses jambes à son cou. C'est toute la bande de proxénètes qui le pourchassent, et il ne connaît pas la ville. Tôt ou tard il finira par tomber sur une impasse.

Prenant un maximum de risques, il escalade un muret, puis un autre. Il mise sur son adresse pour s'enfuir par les toits, et semer ses poursuivants.

Mais ils l'ont aperçu, et ils le suivent. Il doit s'agir d'une bande organisée, avec des monte-en-l'air experts comme lui dans l'art de la varappe.

En désespoir de cause, il redescend par une façade à toute vitesse. Il dégringole, et se reçoit avec peine. Heureusement il peut encore courir. Personne n'a osé le suivre cette fois-ci.

Mais il ne s'en tient pas quitte. Bien que perdu dans ces ruelles, il veut retrouver la jeune femme qu'il a sauvée, car il espère bien être récompensé de ses efforts d'une manière ou d'une autre. Je vous l'ai déjà dit, ce voleur est têtu.

Il revient donc surs ses pas, au jugé, et en rasant les murs pour ne pas être vu par la bande qui le cherche toujours. Au moment où il allait renoncer, il reconnaît le porche où il avait laissé la prisonnière. Elle est toujours là, encore inerte.

Il a juste le temps de s’engouffrer dans l'entrée du bâtiment qu'il entend des pas au coin de la rue. C'est un des bandits. Il s'approche du porche en jetant un coup d'œil dans toutes les ouvertures. Il aperçoit le corps de la jeune femme. Il alerte ses compagnons.

Cordi ne respire plus. Il s'est dissimulé dans l'ombre, l'arme au poing. Mais le bandit reste hors de portée. Va-t-il se décider à bouger? Il fait enfin un pas à l'intérieur. Cordi l'assassine.

Puis le voleur reprend la jeune femme sur son dos, et franchit le portail. Celui-ci donne sur une cour intérieure. Il y des escaliers donnant sur de nombreux balcons, mais pas de seconde issue.

Il entend le reste de la bande appeler. Bientôt ils découvriront le cadavre de leur compère. Cordi monte. Il choisit une porte au hasard et la crochète. Puis il pénètre le plus silencieusement possible à l'intérieur, en portant toujours la jeune femme.

Mais ses poursuivants commencent à frapper aux portes et à chercher dans tous les appartements. Dans le noir, Cordi devine un lit et des corps endormis. Il sort sa dague, mais il n'a pas le temps de s'approcher. Une femme vient de se lever, réveillée par les bruits, et attise la flamme d'une lanterne.

Cordi s’apprête à lancer sa dague, mais à cet instant on frappe à la porte. Il n'a plus d'autres alternatives que de mettre un doigt devant sa bouche, pour supplier la femme de se taire, et en accompagnant ce geste universellement connu de son plus beau sourire.

Celle-ci ne panique pas en découvrant les intrus. Elle fait un signe d’acquiescement à Cordi, puis va ouvrir devant l'insistance du proxénète qui y frappe. Elle lui répond dans une langue étrangère, sur un ton de commandement, note notre voleur. A cet instant la jeune femme qu'il a sauvée reprend vie. Il lui plaque la main sur la bouche pour l'empêcher de crier.

Puis l'habitante du logis referme sa porte.
- Tu es un étranger, venu du nouveau monde, d'après ta tenue, dit celle-ci à Cordi dans sa langue, qu'elle parle avec un très léger accent. Et tu as délivré cette jeune personne. Elle est fort jolie, ajoute-t-elle en la regardant longuement.
- Viale, que se passe-t-il ?
C'est la deuxième personne dans le lit qui vient de se réveiller. Cordi est surpris, car c'est une voix de femme alors qu'il s'attendait à un homme.
- Rien, Nadia, recouche-toi. Je m'occupe de tout.
Puis, aux deux fugitifs :
- Je vais voir si je ne trouve pas quelque chose pour habiller cette charmante enfant. Au fait, il n'est plus nécessaire que tu continues de lui fermer la bouche. J'aimerais entendre sa voix.
- Je m'appelle Alexe, et je vous remercie de nous cacher.
- Suivez-moi. Nous allons laisser dormir Nadia.

Elle les emmène dans une deuxième pièce. Notre voleur est stupéfait de découvrir la riche décoration. Il y là des meubles précieux, et des tapisseries, plusieurs épaisseurs de tapis de soie dans lesquels on s'enfonce. Et il y a aussi des bibelots précieux et des coffrets qui débordent de bijoux variés.

Tandis qu’Alexe et Viale choisissent des vêtements dans une armoire, Cordi a du mal à résister à la tentation. Volera-t-il son hôtesse ? Et s'il se contentait de cette petite bague, avec ce gros diamant ? Non, cela ne serait pas raisonnable. Mais il y a tant de trésors. Cela ne se remarquera pas.

Il tend la main.
- Je me demandais combien de temps tu résisterais.
Il retire précipitamment sa main.
- Tu es un voleur, poursuit Viale, et pas trop maladroit d'après ce que l'on m'a raconté sur tes exploits de cette nuit.
- Mais qui donc êtes-vous, pour entasser une telle fortune dans ce quartier si mal famé ?
- Nous sommes des voleuses comme toi. Nous faisons partie de la bande que tu as attaquée cette nuit. Mais rassure-toi, nous ne te livrerons pas. Tu peux dormir ici en attendant la fin des recherches. Demain nous te proposerons un marché. Bonne nuit.

Elle les laisse dans le salon. Cordi s'installe dans un des fauteuils, en disposant à sa guise les coussins de soie brodés de fils d'or. Puis il se souvient d'Alexe.
- Au fait, maintenant que tu es libre, si nous reparlions des jeux que tu m'as promis.
- Je te suis reconnaissante, mais c'est impossible.
- Impossible ? Une belle fille comme toi, et un gars bien bâti comme moi? Impossible ?
- C'est non, je regrette...
- Et pourquoi diable ?
- Je n'aime que les femmes !
Cordi est abasourdi.
- Allons bon ! Décidément c'est ma journée !
Il se retourne sur son fauteuil et dort.

Le lendemain il est réveillé par Nadia.
- Debout, il est l'aube. Voici des vêtements. Ce sera moins voyant que tes habits d'étrangers.
- Pardon, si vous vouliez bien vous détourner afin que je me déshabille, minaude-t-il. Je sais, vous allez me dire vous aussi que vous n'aimez que les femmes, mais j'ai ma pudeur.
- Cesse de plaisanter ! Comme Viale te l'a dit, nous avons un marché à te proposer.

Cordi s’habille en vitesse et écoute l'étrange offre.
- Malgré notre réputation de voleuses habiles, nous nous sentons menacées dans notre bande. Les chefs jalousent nos succès. Alors nous avons décidé de nous installer ailleurs, sur le nouveau monde. Nous avons besoin de quelqu'un comme toi pour explorer les possibilités de fonder une nouvelle base. De plus tu nous serviras de paravent. Tu commanderas le jour, et nous commanderons dans l'ombre.
- Et pourquoi donc un tel luxe de précautions ?
- Parce que nous sommes des femmes, et étrangères de surcroît. Nous aurions du mal à exercer notre autorité de façon directe dans un monde d'hommes.
- Mais je ne comprends pas. Dans mon pays les hommes et les femmes sont égaux.
- Dis-moi, ton suzerain est-ce un roi ou une reine ?
- Un roi.
- Et le second personnage du royaume, est-ce un homme ou une femme ?
- C'est le prince Corn, de sinistre réputation.
- Et ton maître dans ta bande de voleurs ?
- Un homme également.
- Alors tu vois bien.
- Bon sang ! Vous me rappelez Eldig, et ma mission. Il faut que je parte.
- Acceptes-tu ou non ?
- L'offre est plaisante, mais c'est non. Diane m'arracherait les yeux si je revenais sur le continent avec des beautés telles que vous, même homosexuelles.

Il prend congé et s'en va. Il sifflote sur le chemin du retour à l'auberge. Mine de rien, il n'est pas mécontent de son aventure. Mais que se passe-t-il ? Il y a bien peu de monde autours de l'auberge, et quel est cet homme à la croisée qui observe la rue ? Ne porte-t-il pas une cuirasse aux armes du palais?

Cordi flaire un coup fourré, et passe devant la façade de l'établissement sans s’arrêter. Mais voici que l'aubergiste en sort, et le désigne du doigt.
- C'est lui !
- Arrêtez-le !

Le voleur est poursuivi à nouveau, à présent par le guet. C'était une souricière ! Malgré sa fatigue, il emprunte les toits pour leur échapper. Cette fois-ci il n'est pas poursuivi sur ce chemin dangereux.

Que faire ? Diane et les autres ont dû être capturés. Nadia et Viale ! Voilà la solution ! Il retourne donc chez les deux voleuses.

- Diane a disparu ! Pouvez-vous m'aider ? Je consentirai à tout ce que vous voudrez après.
- Ta complice ? Et les autres? demande Nadia.
- C'est accessoire. Son père est le duc de Patatras. C’est un homme terrible. Il m'embrochera quand il apprendra ça.
- Reste calme. Cache-toi ici pour la journée avec Alexe. Nous allons nous renseigner, lui dit Viale.

Lorsqu'elles reviennent dans l'après-midi, elles réveillent Cordi qui finissait sa nuit.
- Tes amis ont été dénoncés. Ils sont en ce moment sacrifiés aux dieux.
- Ne pouvons-nous rien faire ?
- Ils ont été drogués. Ils ne sentiront rien quand les dieux leur suceront la cervelle.
- C'est horrible. Qui sont donc ces dieux si cruels ?
- Des êtres puissants et malfaisants qui habitent les profondeurs du palais. Les prisonniers sont ligotés et conduits dans un souterrain, avec les diverses offrandes. Au bout de quelques jours, les dieux viennent les prendre.
- Ne peut-on les délivrer avant qu'ils ne soient pris ?
- Ce soir le palais sera en fête, et de nombreux gardes seront saouls. Nous pourrons peut-être intervenir.


Cordi se fait convainquant, et la nuit venue, ils approchent de la citadelle.
- Passe-toi de la boue sur le visage. Avec ta peau claire, tu vas te faire repérer, chuchote Viale.
- Bonne idée. Comment allons-nous procéder ?
- Nous escaladons à l'angle de la tour ouest. La garde y est très relâchée du fait de la hauteur des murailles. Ils se croient en sécurité de ce côté-là.

L'ascension est périlleuse. Les prises sont assez bonnes, mais la paroi est vertigineuse. Jamais Cordi n'en a grimpé d'aussi haute.

Arrivée au sommet, Viale se faufile dans l'ombre, et estourbit le garde ensommeillé. Puis elle siffle ses complices. Ils viennent à leur tour.

Ils se glissent dans le palais, vers les souterrains. Au loin ils entendent les cris et les rires de la fête qui bat son plein. Notre voleur aurait bien voulu y participer, mais bah ! Ce sera pour une autre fois.

- C'est là, derrière ces grandes portes de bronze, murmure Viale.
- Comment allons-nous nous débarrasser du garde ? demande Cordi. Il n'a pas l'air commode.
- Débrouille-toi pour le faire venir jusqu'ici, répond Nadia.

Au bout d'un certain temps, le garde voit s'approcher un homme titubant.
- Holà, compagnon, pourquoi ne viendrais-tu pas boire un coup avec les autres ?
- Je suis en service.
- Mais ce n'est pas toujours la fête, répond Cordi, en s'accrochant aux habits du soldat.
- Dégage ! rétorque celui-ci en le repoussant violemment.
- Alors, cela veut-il dire que tu ne peux pas bouger de ton poste ?
- Oui.
Le voleur exhibe un petit objet de cuir et l'agite sous le nez du garde.
- Et que même si je te dérobe quelque chose, comme je viens de le faire, tu ne peux pas me poursuivre ?
- Ma bourse ! Bandit ! Rends-la-moi !

Le guerrier s'élance derrière Cordi, et au premier croisement de couloir, il se fait transpercer dans le dos par les deux voleuses qui l'attendaient dans l'ombre.
- Du travail bien propre, comme je l’aime ! déclare Nadia.
- Voici les clefs ! A toi de jouer maintenant, ajoute Viale.
- Comment, vous ne venez pas ?
- Pourquoi risquer plusieurs vies ? De plus, c'est ton amie, pas la notre.

Cordi s'aventure donc seul dans les souterrains. Il entend le son lugubre de la lourde porte de bronze que les deux voleuses referment derrière lui. Mais c'est trop tard pour renoncer maintenant. Epée et lanterne aux poings, il descend l'escalier.

C'est là. Il aperçoit Diane et ses complices, ligotés et bâillonnés, et aussi les richesses offertes aux dieux. Il y a des fruits sur de la vaisselle d'or, de grandes vasques d'argent pleines de vin, et encore de l'or, et des onguents, et des pierres précieuses. Il délaisse le but de sa venue pour plonger ses mains dans un coffret remplit de diamants. Soudain il entend Diane et les autres crier sous leurs bâillons. Il se retourne et l'aperçoit.

Il a la taille d'un humain, une robe pourpre, une tête nue rosâtre avec des tentacules à la place de la bouche, et des petits yeux violacés et cruels. C'est le dieu en personne.

A cette vue tous les prisonniers se tordent de douleur. Cordi se sent pris d'une rage démente. Il tire son épée et charge. Il se vantera par la suite d'avoir eu l'air si terrible qu'il a fait fuir le dieu à lui tout seul, mais peut-être était-ce dans la nature de ce dieu que d'éviter l'affrontement direct ?

Quoi qu'il en soit le voleur, dans sa folie, le poursuit...
...et s’assomme au linteau de la porte basse qui mène aux profondeurs.

Lorsqu'il reprend ses esprits, il a un mal de crâne épouvantable, et tremble rétrospectivement de tous ses membres. Diane n’est qu’évanouie, mais les autres prisonniers sont morts. Un vilain filet de sang goutte de leurs oreilles. Il prend sur ses épaules la prêtresse, et remonte l'escalier, délaissant les autres trésors.

Arrivés au sommet, il frappe à la porte.
- C'est moi ! Ouvrez vite !
- Qui nous dit que c'est bien toi, et que ce n'est pas le dieu qui contrefait ta voix ?
- Ne faites pas les idiotes. Je sais que Viale a un grain de beauté sur la fesse gauche. Je l'ai vu cette nuit. Je n'arrivais pas à dormir. Je suis venu vous contempler dans votre sommeil. Quel autre homme que moi pourrait le savoir ?
- Ceci n’est pas une preuve. Le dieu aurait pu voler tes souvenirs avant de te tuer. Mais nous te croyons, tu es bien Cordi. Il faut être fou pour avoir des idées pareilles.
- Et croire que tu es le seul homme à connaître le secret de ma fesse...

Elles leur ouvrent, puis referment la porte rapidement. Diane reprend conscience.
- Mon héros ! Dans mes bras ! Je sais que tu ignorais les dangers que tu courrais, mais le cœur y était.
- Ce n'était qu'un petit dieu de rien du tout.
- C'est bien ce que je disais. Tu ne sais pas qu'il est capable de tuer ses ennemis par la seule force de son pouvoir mental.
- Pouvoir mental ? répond le voleur en palissant.
- Oui. Mais au fait, mon symbole ! Il faut le reprendre !
- Je ne retourne pas en bas !
- Ils ont dû le ranger dans la salle du trésor, précise Viale.
- Il faut aller le chercher !
- C'est impossible. C'est la pièce la plus dangereuse du palais après les souterrains. Il paraît que le monstre qui la garde est capable de percer une poitrine pour y dévorer le cœur en un clin d'œil ! explique Nadia.
- Cordi ? interroge Diane.

- Il est très important ce trésor ? demande le voleur pour touteréponse.

Quelques minutes plus tard, ils se retrouvent devant la porte de la salle. Il n'y a pas de gardes. Il n'y en a pas besoin, le gardien suffit, explique Viale. Les deux voleuses crochètent la serrure.
- Voilà, à vous de jouer, disent-elles après avoir accompli leurs manipulations. Il vous suffit de pousser pour ouvrir maintenant. Allez au port après. Un petit voilier vous y attendra jusqu'à cinq heures du matin. Bonne chance.
Puis elles partent, laissant nos deux aventuriers à leur destin.

Cordi pousse la porte.
- Et voilà, ce n'est pas plus difficile que cela. Oh !
Il découvre une salle des trésors comme jamais il n'en a rêvé. De l'or, des émeraudes, des rubis, des perles, dans des coupes, des vases, des coffres...
- Allons-y ! Il n'y a qu'à se servir.
- Attends !
Diane a juste le temps de le retenir par l'épaule.
- Ne vois-tu pas ces fils translucides ? Ils sont sûrement reliés à un mécanisme d'alarme. Il y en a partout!
- Tu as raison. Sans toi j'allais m'y jeter.
- J'aperçois mon symbole ! Mais comment aller le chercher ?
Cordi se souvient alors des leçons de maître Eldig.
- Je vois une faille dans ce nœud. Reste là, j'y vais!

Il enjambe les premiers fils, se contorsionne pour passer entre les suivants, rampe sous les derniers et finit par traverser les mailles du filet, sans le toucher. Il se saisit enfin du symbole.
- Attrape !
Il le lance adroitement à travers une ouverture. Diane le ramasse.
- Reviens vite maintenant !

Mais Cordi aperçoit un petit coffret plein d'émeraude, et ne résiste pas à la tentation. Il le prend, et se rend compte trop tard qu'un fil s'y attache. Du fond de la pièce jaillit alors une forme dorée. C'est une araignée mécanique, entièrement faite d'or, et d'un pied de large, qui agite furieusement ses mandibules.
- C'est le gardien ! Fuyons !
Ils se ruent vers la sortie, et referment la porte à l'ultime seconde. Ils écoutent. Ils entendent l'araignée cogner rageusement la porte de métal.
- Je doute qu'elle puisse sortir. Partons maintenant.

Arrivés dans la cour du château, sans que nul ne les inquiète, ils s'interrogent.
- Comment vas-tu faire pour sortir ? Tu ne sais pas escalader les parois, et les portes sont closes et gardées.
- N'aie craint. J'ai mon symbole. Fafir est de nouveau avec moi. On se retrouve à l'extérieur.

Elle prononce une incantation magique, tourne trois fois sur elle-même en présentant son symbole sacré aux cieux, puis se dirige vers la plus proche poterne. Là, les soldats ne semblent pas l'apercevoir. Elle ouvre les lourds verrous, et sort le plus tranquillement du monde.

Au bout d'un certain temps un garde remarque enfin que la porte est restée entrouverte. Il alerte ses compagnons. Il s'ensuit une vive discussion pour savoir qui est coupable de cette négligence.
- C'est très fort ! songe Cordi qui a observé le manège dans l'ombre. A mon tour.
Il se dirige vers les remparts, entreprend de les escalader. Arrivé au faîte il redescend rapidement de l'autre côté. Une fois dehors, il rejoint Diane.
- Au port maintenant, et en vitesse !

Ils y arrivent en courant, puis cherchent un voilier des yeux.
- Par ici !
C'est Alexe qui les appelle. Elle est déjà à bord.
- Vous voilà sauf. Je vous attendais pour partir.
- Et Nadia et Viale ?
- Elles nous rejoindront plus tard, par un autre bateau.
- Là ! s'exclame soudain Diane.
Elle a aperçu l'araignée d'or sur le quai. Elle va très vite et fonce vers eux. Cordi a juste le temps de renverser la planche qui sert de passerelle alors que la mécanique la franchissait. Celle-ci tombe à la mer.
- Avec son poids, je doute qu'elle puisse nager, dit Cordi en se frottant les mains.
- L'alerte doit être donnée. Filons maintenant ! conclut Alexe en coupant les amarres avec son épée.
Ils lèvent la voile et s'enfuient dans la nuit.

Au cours de la traversée, sans incident, Cordi compte et recompte son trésor.
- Que fais-tu à observer ces pierres ? lui demande Diane. Tu n'as pas cessé de les admirer depuis notre départ.
- Je me demande ce que je vais en faire. Il y en a pour une fortune.
- Elles nous serviront à acheter les complicités dont nous aurons besoin pour fonder notre guilde des voleurs, répond Alexe.
- Silence toi. Et si je préférais plutôt la vie paisible et retirée d'une gentille ferme ?
- Mais...
- Quelques hectares de terre, des bêtes, de la vigne, des serviteurs...
- Tu ne supporterais pas cette vie, intervient la prêtresse.
- Laisse-moi donc rêver que je suis un propriétaire terrien. Finis pour moi la vie d'aventure !

A l'arrivée au port d'Uhr, les deux femmes n’ont toujours pas réussi à convaincre Cordi. Au moment de débarquer, Diane aperçoit soudain un éclair doré sur le quai.
- L’araignée ! Elle nous attendait ! Elle a dû franchir la mer par le fond.
Alexe veut relever la passerelle, mais c'est peine perdue, la mécanique est déjà montée à bord. Cordi a juste le temps de grimper au mat pour lui échapper.
- Elle est en train de scier la base avec ses mandibules, faites quelque chose !
La guerrière frappe la créature de son épée, mais en vain.
- Cet or est plus solide que l'acier. Elle est invulnérable.
- Jette-lui les émeraudes, peut-être te laissera-t-elle ? suggère Diane.
Le voleur sort son coffret, mais se ravise au dernier moment.
- Ma ferme, ma terre, ma vigne ! Jamais je ne les abandonnerai ! Plutôt mourir !
- Jette !
La prêtresse utilise la Voix. Le voleur est forcé de lui obéir. Le trésor tombe à la mer. L’araignée y plonge à la suite.

- Souris-nous. Te voilà sauf.
- Hélas, me voici de nouveau pauvre, obligé de courir les chemins comme un mendiant !
- Si tu es pauvre, Eldig te laissera partir plus volontiers.
- J'allais l'oublier. Comment lui échapper et échapper à ma précédente guilde ? Nous ne pouvons nous installer à Uhr.
- Que dirais-tu de s'installer à Berrabès ?
- Je crains la police du prince. Et les Etats Libres ?
- Nous y supporterions la tutelle de mon père, et tôt ou tard nous serions en conflit. Je préférerais plus loin.
- Alors va pour plus loin, dans les régions nouvellement colonisées du nord.
- Va pour la Frontière.

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