Le japonais est une langue pour le moins
surprenante à plusieurs égards; elle n'a pas (?) de parenté
linguistique avec d'autres langues (sinon avec le coréen), son lexique
est doublement structuré (sino-japonais), ce qui d'ailleurs empêche les
Japonais d'abandonner l'écriture « idéographique » empruntée à la
Chine, sa syntaxe se fonde sur une prédication avec un sujet facultatif
(!), elle exprime les rapports « interlocutifs » de l'énonciation au
moyen d'une catégorie honorifique (la Personne n'y étant pas une
catégorie verbale) etc.
Sur le plan méta-linguistique, il existe
aujourd'hui au Japon plusieurs termes qui correspondent grosso modo au
seul nom de notre discipline « la linguistique »: kokugogaku (études de
la langue nationale), (gaikoku) gogaku (études des langues
(étrangères)), gengogaku (études du langage, d'où ippan-gengogaku -
linguistique générale). Le terme kokugogaku (études de la langue
japonaise) a été forgé par opposition au kangogaku (études de la langue
chinoise), tandis que le terme nihongogaku (études de la langue
japonaise) l'a été par opposition à gaikokugogaku (études des langues
étrangères). Très récemment, on observe l'apparition du néologisme
nihongengogaku (linguistique japonaise) qui suggère moins la
modernisation des études linguistiques au Japon que le désir de
rechercher les bases profondes d'une pensée linguistique indigène, ce
qui semble témoigner de la nécessité d'un nouveau retour aux sources
dans ce domaine.
En effet, bien que depuis un siècle déjà tous
les courants qui animent les études linguistiques en Occident aient
gagné les îles de l'archipel nippon, la linguistique traditionnelle y
survit, bien plus qu'ailleurs, a côté des théories linguistiques
modernes. Ceci doit pouvoir s'expliquer par le fait que les
spécialistes de la langue japonaise, pour lu plupart, convaincus de la
particularité de l'objet de leurs études par rapport aux autres langues
du monde, s'attachent plus volontiers à la recherche d'une théorie de
la langue japonaise (qui serait censée mettre en évidence la réalité
linguistique indigène) et refusent ainsi souvent toute possibilité
d'appliquer aux structures de leur langue les instruments de recherches
d'importation. Nul doute que les racines de ce relativisme remontent au
siècle passé où les premiers comparatistes ont établi que le japonais
et le coréen étaient « uniques au monde » et constituaient à eux seuls
une famille linguistique. Il est cependant digne d'intérêt de signaler
également les nombreuses difficultés que rencontrent les théoriciens de
la linguistique générale lorsqu'ils s'attachent à décrire/interpréter
les structures du japonais avec les moyens qui se trouvent à leur
portée.
Dans ce volume, nous avons délibérément limité
le choix des sujets à la linguistique japonaise traditionnelle car 1°)
au sein de ces études, on aperçoit aujourd'hui, au-delà de la quête des
données, la recherche d'une plus exacte adéquation de la théorie à
l'objet étudié et 2°) cette tradition linguistique méconnue en Occident
peut y contribuer a repenser certaines positions prises dans le cadre
d'une linguistique dont le souci principal devrait être d'élargir
incessamment l'applicabilité de ses méthodes. |