LA "
CENTAINE " D'ARNAVILLE
Nous avons vu dans
notre précédent article (1)
quels étaient au début du XIII° siècle la division
du territoire et le régime ecclésiastique d'Arnaville ;
nous nous proposons aujourd'hui de rechercher comment ce village était
administré du XIII° au XV° siècle environ. Cette
étude peut jeter quelque jour sur la condition des habitants que
nous ne pouvons connaître directement, faute de documents.
Un acte de vente dont nous ne pouvons fixer exactement la date, mais qu'il
faut certainement placer entre les années 1213 et 1220, nous apprend
que, à cette époque, la " centaine d'Arnaville
(2)" allait passer des
mains du comte Henri de Bar à l'abbaye de Gorze. Que signifie le
mot de centena et en quoi consistait la centaine d'Arnaville? C'est
ce que nous allons successivement étudier.
Suivant
Du Cange, le mot centaine a deux sens principaux, celui de circonscription
territoriale et celui de seigneurie (3).
Ces deux significations qui, suivant M. Guyot (4),
dérivent l'une de l'autre, Lepage les a attribuées successivement
à la centaine d'Arnaville. D'abord, il avait cru reconnaître
dans le pagus Scarponensis l'indication des " centaines d'Arnaville,
Norroy, Pagny et Pont-à-Mousson, mentionnés seulement au
XIV° et au XV° siècles, mais dont l'origine est plus ancienne
(5) ". Pour Arnaville il
se trompait au moins de date ; de plus, il paraît douteux que, même
au XIII° siècle, on eût conservé les anciennes
divisions des pagi. Il resterait, d'ailleurs, à prouver
comment, dans le pagus Scarponensis, il eût pu exister des
circonscriptions territoriales assez restreintes pour avoir leur centre
dans les villages aussi rapprochés d'Arnaville, que Vandelainville
à l'ouest, Pagny-sur-Moselle au sud, Dornot au nord, localités
dont les centaines sont mentionnées aux XIV° et XV° siècles
(6).
Plus tard, dans l'énumération qu'il a donnée des
centaines du département de la Meurthe, Lepage a considéré
la centaine d'Arnaville comme " une seigneurie qui a sa charte particulière
(7) " ; mais, s'il se rapproche
ici de la vérité, sa définition est incomplète
et inexacte.
La
lecture du document cité plus haut permet de préciser pour
Arnaville le second sens du mot centaine. Le comte de Bar, en vendant
à la fois celles d'Arnaville et de Rezonville à l'abbaye
de Gorze, emploie les termes suivants : " Ego dictas vendiciones
factas dicte eccle[sie] et quidquid feodi et dominii habebam in dictis
centenis de Ernaldivilla et Resonvilla. " Ainsi la centaine d'Arnaville
comportait des droits féodaux et seigneuriaux, la possession de
vassaux et la propriété éminente de la terre. Elle
donnait à la fois, à son possesseur, des revenus en argent
et la souveraineté du territoire, au moins en partie. Cette souveraineté
comprenait sans doute, à ce moment comme plus tard, l'administration
du village par une mairie et en particulier les droits de haute justice
sur les habitants (8).
Au moment où nous est mentionnée la centaine d'Arnaville,
elle a passé par bien des mains. Nous n'en connaissons pas les
premiers possesseurs, mais il y a lieu de supposer que ce furent les ducs
de Lorraine. De là, elle passa sans doute aux comtes de Bar : Henri
de Bar, qui rendait hommage au duc Mathieu II pour la centaine d'Arnaville,
l'avait cédée au sire Gautier de Manonville, qui la céda
lui-même au sire Simon de Rozerieulles. Ce dernier la vendit à
son tour à l'abbaye de Gorze avec l'approbation des précédents
détenteurs ; le comte de Bar et le duc de Lorraine ratifièrent
cette vente en juillet et décembre 1233 (9).
Dès lors, la centaine fut certainement indépendante de la
Lorraine et du Barrois, et l'abbé de Gorze en exerça seul
la souveraineté.
Souveraine d'Arnaville, l'abbaye de Gorze y recevait de nouveaux dons,
tandis que d'autres maisons pieuses s'établissaient ou se constituaient
sur le territoire. En 1225, Henri, seigneur d'Aix, voué de Conflans,
donnait à l'abbaye de Gorze tout ce qu'il possédait du chef
de sa femme (10). En 1227, Jacques,
sire de Cons, vendit à l'abbaye d'Orval, dans les Ardennes, des
prés situés à Arnaville au bord de la Moselle (11).
Plus tard, le fils de Jacques, Jean de Termes, sire de Cons, et Poince,
sa femme, donneront en aumône à Gorze " les hom[mes]
et les fem[mes] " qu'ils avaient à Arnaville "
en tous prous et us comme ils les avaient tenus d'acquest ",
sauf réserve d'une famille de vilains et avec le consentement du
duc Mathieu II(1247) (12). De
même, l'abbaye de Sainte-Marie-aux-Bois recevait du clerc Josserans,
originaire d'Arnaville, une rente annuelle de dix muids de vin (1271)
(13). Dix ans après, comme nous allons
le voir, un sire de Bassompierre relevait de Gorze pour deux vignes.
Les ducs de Lorraine n'avaient sans doute des terres que sur le ban Saint-Pierre;
dans le village, ils possédaient quelques vilains. En 1281, Orry,
sire de Bassompierre, reconnaît tenir de Ferry III " en
fief et hommage " tout ce qu'il possédait à Arnaville,
" fors deux journaux de vigne que meuvent du ban quon dit Saint Gorgonne
" et, comme vassal du duc, lui devoir quelques semaines de garde
au château de Prény (14).
Le seul document daté que nous connaissions sur Arnaville au XIV°
siècle nous apprend que le duc Raoul endetté vendit à
un messein, Nicolas Baudoche, les " conduits " ou ménages
qu'il possédait à Arnaville et dans toute la vallée
du Rupt de Mad (1347), Le duc conservait la faculté de rachat (15).
Ces familles furent-elles rachetées plus tard? D'autres s'établirent-elles
à leur place? Nous ne le savons point. Toujours est-il qu'au XV°
siècle, dans les documents qui se rapportent au ban Saint-Pierre
(16), il se trouve toujours à Arnaville
des habitants " lorrains "; il est vrai que leur nombre est
infime en comparaison des autres, dits " gorzains " (17).
L'abbé de Gorze et le duc de Lorraine étaient, en effet,
les deux principaux seigneurs d'Arnaville. Aucun document, à notre
connaissance, n'a trait à l'abbaye de Saint-Vanne, du XII°
au XV° siècle. Non seulement ses biens ne durent pas augmenter,
mais il semble que l'abbaye ait été en quelque sorte soumise
au duc de Lorraine ; du moins, les habitants qui pouvaient relever de
Saint-Vanne seront-ils compris plus tard parmi les Lorrains (18).
Quant aux ducs, il semble certain que, parmi les droits féodaux
qu'ils avaient gardés depuis la vente de la centaine sur leurs
propres sujets d'Arnaville, était compris le service militaire.
Sans doute, le sire de Bassompierre et ceux qui, après lui, furent
vassaux des ducs pour leurs terres d'Arnaville n'étaient pas seuls
à monter la garde au château de Prény. Il est vraisemblable
qu'ils en chargèrent leurs sujets qui servaient en général
comme soldats lorrains. Du moins, dans la première partie du XVI°
siècle, si l'abbé de Gorze avait encore à Arnaville
la souveraineté et la haute-justice, le duc de Lorraine y possédait,
" à cause de Prény, la retenue de ses hommes
(19) ".
Les droits de l'abbé de Gorze nous sont énumérés
dans un document fort important, mais non daté, intitulé
" Drois de la ville Darnaville et du ban que rmons[eignieur] l'abbe
y a cause de la centenne lesquelz se rapportent par la justice de lad[ite]
centenne ". La plus ancienne rédaction que nous en connaissons
fait partie du cartulaire de l'abbaye de Gorze conservé à
la bibliothèque du Grand Séminaire de Nancy; elle en occupe
les folios LXXII et LXXÏII; malheureusement, les trois feuillets
suivants manquent à ce manuscrit (20).
La pièce est incomplète ; il en est de même de la
copie contenue dans le second cartulaire de Gorze de la Bibliothèque
de Metz (21).
Cependant, les archives du département de la Moselle possèdent
une rédaction un peu différente, plus longue sinon complète,
des Drois Darnaville. Ce texte, M. Sauer a cru pouvoir le dater
de 1560 (22); mais ce millésime
devrait être de beaucoup diminué, même s'il s'agissait
d'une dernière rédaction. La pièce du manuscrit de
Nancy dont la date est la plus récente porte, en effet, le millésime
de 1362 (23); l'écriture
de ce manuscrit est du XV° siècle : on peut donc supposer que
notre document a été rédigé vers la seconde
moitié du XIV° siècle et qu'il date de 1350. L'ancienneté
du style et l'emploi de certains mots comme ville et hôtel
pour village et maison correspondent d'ailleurs à cette époque.
Cependant, croyons-nous, nous ne possédons là qu'une rédaction
assez tardive de droits qui étaient depuis longtemps reconnus à
l'abbé de Gorze. Cette hypothèse est encore fortifiée
à nos yeux quand on y relève des expressions comme "
il est d'ancienneté (§ III et VII)
(24) ", " il est de coustume en
ladite ville (III) ", " telle coutume dans ladicte centenne
(V) ", indiquant qu'il s'agit de faits ou de droits établis
ou reconnus depuis longtemps, certainement dès le début
du XIV° siècle, peut être vers la seconde moitié
du XIII° (25). Ainsi ce document
peut servir à relier la centaine d'Arnaville telle que nous la
connaissons au XIV° siècle à celle qui nous est mentionnée
au début du XIII°. C'est ce que nous allons essayer d'établir
en analysant ce document.
D'abord, le titre de cette pièce nous paraît fort ancien.
Il contient les deux mots de " ban " et de "
centaine " qui, sous leur forme latine, se trouvent si souvent
réunis dans l'expression " cum banno et centena
(26) ". Si l'on en croit Du Cange, le mot bannum aurait
à peu près le même sens que centena, tout en
s'appliquant plus particulièrement à la justice et peut-être
à la haute justice (27).
Le titre de notre document permet, croyons-nous, de préciser. Il
semble, en effet, que le ban ait pour origine la centaine et que le mot
bannum désignât les droits de souverain, conséquence
de cette souveraineté même, centena. Nous voyons encore
par ce titre que les droits de l'abbé sont exercés par la
justice de la centaine. Ainsi notre document n'est ni une charte de franchise,
comme pourraient le faire croire les mots Droits d'Arnaville, ni, comme
l'a dit Lepage, qui l'a cependant analysé à plusieurs reprises
(28), la " charte particulière " d'une " seigneurie
". C'est l'énumération, faite sans ordre, des droits
que l'abbé de Gorze possédait à Arnaville à
la fois comme souverain et comme seigneur particulier.
Comme souverain d'Arnaville, l'abbé de Gorze avait un droit de
police et de surveillance générale dans le village comme
sur le territoire; il rendait la justice ordinaire aux plaids annaux,
mais son attribution principale était la haute justice. Outre les
droits domaniaux que lui valait la centaine, il possédait encore,
comme seigneur du ban Saint-Gorgon, des droits particuliers.
L'administration
générale d'Arnaville était confiée à
un maire et à six échevins, sorte de municipalité
que l'on appelait communément, à cause de ses attributions
principales, " la justice de la centaine (29)
". Les magistrats qui la composaient étaient nommés
directement par l'abbé de Gorze qui, sur les six échevins,
devait choisir, s'il était possible, deux lorrains (II), "
lesquelz " y avaient été " establis anciennement
pour ce qu'on ne foulist point les hommes de monseigneur de Lorraine (III)
". Ceci nous ramène évidemment à la première
moitié du XIII° siècle. La nationalité de ces
magistrats n'avait, d'ailleurs, aucun rapport avec leurs fonctions : il
suffisait du témoignage de deux échevins, quels qu'ils fussent,
pour déférer un prévenu, gorzain ou lorrain, à
la justice de la centaine (VI-VII). Maire et échevins devaient
" prester serment en la main de l'abbé de Gorze ou de ses
gens " de garder partout les droits de l'abbé et des habitants
d'Arnaville et de rapporter fidèlement au premier toutes les amendes
qu'ils percevraient (II). S'ils manquaient à leur serment, l'abbé
pouvait les " priver de leurs offices " et "
les a corriger selon leur meffait (III) ". Représentant
l'abbé de Gorze en tout, sauf lors de la tenue des plaids, les
juges de la centaine avaient de nombreuses attributions qui devaient leur
prendre une grande partie de leur temps. Aussi devaient-ils recevoir des
indemnités assez considérables ; mais c'est à peine
si notre document en fait mention à propos du maire (30).
Il est probable que les échevins étaient payés soit
en nature, soit avec une partie des amendes qu'ils percevaient; peut-être
l'étaient-ils de l'une et de l'autre manière à la
fois.
La
justice de la centaine faisait la police du village et de son territoire.
Au dedans, elle garantissait la propriété. Lorsqu'un habitant
d'Arnaville se croyait victime d'un vol, il en avertissait le maire. Celui-ci,
suivi de ses éche vins, avait le droit d'aller fouiller toutes
les maisons du village ; si l'objet était retrouvé, les
magistrats emmenaient avec eux le voleur présumé pour le
juger (XI). Ils avaient aussi la police et la surveillance de la voirie.
Les injures et les coups qui s'échangeaient sur les routes et les
chemins ressortissaient à leur tribunal (XXV). La grand route qui
traversait Arnaville devait avoir 24 pieds de large, dans le village comme
à travers le territoire; les chemins traversant les champs, les
prés, les bois et les vignes ou aboutissant au village devaient
en mesurer la moitié (V). A chaque plaid, maire et échevins
devaient parcourir les rues et les routes, frappant d'amende ceux qui
les avaient encombrées (XVI).
C'était une véritable cour de justice que ces plaids annaux
(31) tenus par l'abbé
à trois reprises : à la mi-mai, le jour de la Saint-Remi
(1er octobre) et vers le milieu du mois de janvier. Ces dates étaient
fixes (XII) ; mais l'abbé pouvait les avancer ou les retarder à
son gré, à condition de le faire annoncer deux jours d'avance
(XV). Le jour venu, tous les chefs de famille devaient, sous peine d'amende,
se présenter devant l'abbé ou ses commettants pour se plaindre
les uns des autres, à propos des dettes, des médisances,
des injures ou des coups de force dont ils avaient eu à souffrir.
Le demandeur et le défendeur devaient, sous peine d'amende, répondre
promptement des faits incriminés. Tout jugement de ce genre était
sans appel (XII-XlII). La justice de la centaine qui, ces jours-là,
visitait routes et chemins, ne faisait pas partie de ce tribunal ; mais,
à chaque plaid, l'abbé de Gorze devait nourrir à
ses frais ceux qui le composaient (XXXIII).
La " hauteur " ou haute justice relevait aussi de l'abbé
de Gorze (VIII), qui avait une prison à Arnaville (X)
(32). Les attributs de cette justice étaient les fourches patibulaires,
qu'on appelait " les fourches d'Arnaville (IX) ". La
haute justice s'exerçait " pour fait de crime qui recquiert
exécution de corps ". Sorti de prison, le prévenu
était interrogé par le maire et les échevins. S'il
était reconnu coupable et condamné à mort, on le
conduisait aux fourches contre lesquelles était dressée
une échelle. Au moment où le malheureux en gravissait les
échelons, l'abbé de Gorze pouvait suspendre la peine édictée
et gracier le coupable en lui imposant un pèlerinage "
grant ou petit, ainsi com[me] il lui plaist ". L'exécution
était aux frais de l'abbé, qui recueillait ce que possédait
le malfaiteur (X); toutefois, il est probable qu'il usait assez fréquemment
de son droit de grâce. La haute justice de l'abbé s'étendait
encore, au-delà du territoire d'Arnaville, sur celui de Novéant
(33). Comme l'abbé n'avait point la centaine de ce dernier
lieu, il se servait parfois de la justice et même des habitants
d'Arnaville pour juger et arrêter les coupables pris sur le territoire
de Novéant ; mais il semble bien que l'exécution ait eu
lieu sur ce même territoire (34)
(XXX). Ces autres droits de l'abbé de Gorze comprenaient d'abord
certaines banalités. Le moulin-haut, propriété de
l'abbaye, était banal. Pendant les six premiers mois de l'année,
de Noël à la Saint-Jean (24 juin), le prix de la mouture était
de un demi setier par panier, le reste de l'année de moitié;
moyennant cette rétribution, le meunier était à la
disposition des particuliers. Non seulement il devait parcourir le village
trois fois la semaine en criant : " Qui veut moudre ? "
et amener au moulin le blé des habitants, mais il lui fallait avoir
perpétuellement chez lui une bête à leur disposition.
Chacun pouvait aller prendre l'animal au moulin pour y conduire son blé
ou en ramener la farine, à condition de reconduire l'animal au
moulin ; en donnant un peu plus de farine au meunier, on pouvait se dispenser
de ramener la bête : il suffisait de la tourner du côté
du moulin et de la frapper sur la queue (XXIX).
Tout ce qui touchait à la farine et au pain était sévèrement
contrôlé par la justice de la centaine. On ne devait se servir
à Arnaville d'autre mesure que de celle de l'abbé ; cette
mesure ou franchart, contenant un certain nombre de paniers, devait
être vérifiée par le maire et les échevins
(XVII). Seul le meunier la devait posséder. Le maire, qui en avait
l'étalon, pouvait le prêter aux habitants à condition
qu'ils le lui rendissent le même jour (XX). Meunier et boulanger
étaient surveillés de près. Trois fois la semaine,
les échevins devaient faire une descente au moulin pour en examiner
les farines; ils venaient de même s'assurer de la qualité
du pain qui était vendu aux particuliers : s'ils le trouvaient
mauvais, ils le découpaient pour le donner aux pauvres et, en cas
de récidive, ils avaient le droit d'en interdire la vente (XXII).
Rien n'indique qu'il ait existé un four, non plus qu'un pressoir
banal aux mains de l'abbé
(36). Il en était cependant un peu du vin comme du blé
: les vignerons, eux aussi, devaient faire vérifier leurs mesures
par la justice de la centaine, moyennant un demi setier de vin pour chacune
(XVIII-XIX). Si l'abbé de Gorze ne paraît pas avoir eu de
pressoir banal, il possédait à Arnaville le rouage (XXIII),
droit qui portait sur la voiture de tout acheteur de vin étranger
au village (35). Il avait encore
le droit de pèche dans la Moselle, depuis l'embouchure du Rupt-de-Mad
jusqu'au dessous de Novéant(XXVI).
Tels étaient les droits que donnait à l'abbé de Gorze
la souveraineté d'Arnaville. Au dessous de la " justice
de la centaine ", et indépendamment d'elle, il existait
" trois cours " particulières de justice, toutes
trois comprenant, comme celle de la centaine, un maire et six échevins.
Chacune correspondait à l'un des trois bans, Saint-Gorgon, Saint-Vanne
et Saint-Pierre ; elles s'occupaient de leurs propriétés
respectives et, par suite, des conflits qui éclataient au sujet
de chacun de ces territoires (IV). C'était, par conséquent,
des justices foncières. Voilà tout ce que notre document
nous apprend sur leur compétence (36). Quant
à leur origine, elle était au moins aussi ancienne que la
centaine. La principale de ces cours était nécessairement
celle de l'abbaye de Gorze : seule la justice de Saint-Gorgon nous est
connue par différents documents du XV° siècle (37)
; encore ignorons-nous comment elle fonctionnait.
De Saint-Vanne, nous ne savons rien, et quand, à la fin même
du siècle, le ban Saint-Pierre est indiqué dans les documents,
il relève de la prévôté de Prény.
Ainsi, l'administration d'Arnaville, du XIII° au XV° siècle
environ, comportait deux degrés. Au dessus, il existait une cour
supérieure de justice, dont la compétence s'étendait
des simples délits aux plus grands crimes ; au dessous, des tribunaux
ordinaires, correspondant aux différentes seigneuries, s'occupaient
des affaires particulières de chacune d'elles. Dans cette répartition,
il n'existait nulle unité: les différentes cours empiétaient
évidemment l'une sur l'autre, multipliant les conflits.
La première organisation, qui nous est assez bien connue, nous
donne quelques renseignements sur certaines redevances des habitants ;
pour la seconde, nous ne savons rien touchant les droits particuliers
des différents seigneurs (38).
Quant à la condition des habitants, elle n'apparaît même
pas dans les différents documents que nous possédons : le
mot d' " hommes " et de " vilains "
employé en 1247 ne nous apprend rien ; seul, celui de "
prudhommes " qu'on trouve clans les Drois Darnaville (§
XVIII) peut faire supposer que, au moment où le document a été
rédigé, il n'y avait plus guère de serfs à
Arnaville : peut-être n'y en avait-il plus du tout. A défaut
de renseignements sur l'affranchissement successif des habitants, il serait
intéressant de savoir comment ils acquéraient leur nationalité
et devenaient gorzains ou lorrains. Nous n'avons là-dessus que
des témoignages bien postérieurs ; toutefois il est permis
de supposer que la coutume existait depuis longtemps. Différents
documents du XVII° siècle
(39) rappellent que, dans la terre de Gorze, " le fruit suit
le ventre ", c'est-à-dire que l'enfant acquérait
la condition de sa mère ou, en cas de contestation, de sa grand'mère
maternelle; les étrangers avaient un an et un jour pour choisir
le seigneur qui leur convenait. La première de ces deux règles,
rédigée au XVI° siècle avec celles de Gorze,
devait être ancienne ; quant à la seconde, il est impossible
d'en fixer la date, mais il est vraisemblable qu'elle fut le résultat
d'une transaction entre l'abbé de Gorze et les ducs de Lorraine
: on peut également croire à son ancienneté.
Louis DAVILLÉ.
|
(1)
: (retour) |
Les
origines du village et de l'église d'Arnaville. (Journ, de
la soc. d'Archéol. lorr., 1900, p. 193-207.) |
(2)
: (retour) |
" Centena de Ernaldivilla. " Bibliothèque
de Metz, ms. 77, f° 395. La date ainsi donnée: "
anno gratie millio CCmo XII° mense julii " est évidemment
fausse, car il est question dans la charte de la mort du duc Ferry
(1213) et de son successeur Thiébaut (1213-1220). L'indication
du mois de juillet, qui se retrouve dans une charte de confirmation
datée de 1233 (ms. cité, f° 397), pourrait faire
supposer que les deux pièces sont de même époque,
s'il n'était question dans la seconde seule du duc Mathieu
(1220-1251). |
(3)
: (retour) |
CENTENA. Districtus, juridictio, dominium,
Seigneurie, Glossarium medice. latinitatis. |
(4)
: (retour) |
La
situation des campagnes en Lorraine sous Mathieu 11. Mém.
Soc. d'archéol. lorr., 1895, p. 207. |
(5)
: (retour) |
Dictionnaire topographique de la Meurthe, 1862, Préface,
p. VIII. |
(6)
: (retour) |
Sur
les centaines de Pagny-sur-Moselle et de Vandelainville, voir
Lepage, La centaine de Pont-à-Mousson. Mén. Soc. archéol.
loir., 1880, p. 145, 147 et 149. Sur celles D'Onville et Dornot, v.
ms. 77 de Metz, p. 431. |
(7)
: (retour) |
Lepage, idem, p. 148. |
(8)
: (retour) |
V. plus loin, p. 00, Cf. Guyot, Mémoire cité,
p. 207, où il parle de certaines mairies " analogues
aux centaines " et cite en note celles d'Avnavillc et de
Rezonville d'après le document de 1233. |
(9)
: (retour) |
Ms.
77 de Metz, p. 397 et 399. Cf. De Morière, Catalogue des
actes du duc Mathieu II, n° 172 et 174. Dans la charte que nous
avons citée plus haut, Henri de Bar ne dit pas qu'il tenait
la centaine d'Arnaville du duc Thiébaut, mais cela nous semble
probable. |
(10)
: (retour) |
Ms.
77 de la Bibl. de Metz p. 391. |
(11)
: (retour) |
Cartulaire
de l'abbaye d'Orval, parle R. P. Hipp. Goffinet, p. 193. |
(12)
: (retour) |
Ms.
77 de Metz, p. 401. Cf. Léon Germain, Jean I° de Termes,
sire de Cons (1247-1258), p. 14. |
(13)
: (retour) |
Archives
de la Moselle, H. 1122. |
(14)
: (retour) |
Extrait du Cartulaire intitulé " Fiefs et Vosges ".
Collection de Lorraine, t. 136, p. 25. Cf. Lepage, Catalogue des actes
du règne de Ferry III. Mém. Soc. archéol. lorr.
1876, p. 200. |
(15)
: (retour) |
Pièce citée, comme plusieurs des précédentes,
avec rajeunissement du style, par Lepage, Les Communes de la Meurthe,
art. Arnaville. Cf. Bibliothèque nationale, Inventaire Dufourny,
p. 942 verso. Suivant Lepage, le duc Jean, successeur de Raoul, aurait
renoncé à son droit de rachat en 1363; mais nous ne
savons pas si cet acte engageait ses descendants. |
(16)
: (retour) |
Comptes
des receveurs de Prény depuis 1477. Archives de Meurthe-et-Moselle,
B. 8.224 et suiv. |
(17)
: (retour) |
Il
pouvait même, semble-t-il, ne pas exister de Lorrains. Dans
les droits d'Arnaville, dont nous parlerons plus loin, à propos
de la justice de la centaine il est dit que des "VI échevins
ledit monseigneur de Gorze en doit faire II des hommes de monsieur
de Lorraine se tant en y at pour estre eschevins ". Copie
du Ms. 77 de Metz, § II. |
(18)
: (retour) |
Déclaration
de 1668. Archives de la Meurthe, B. 8316. |
(19):
(retour) |
Huguenin, Chroniques messines, p. 862. |
(20)
: (retour) |
Nous devons une grande partie de ces renseignements à M. l'abbé
Jérôme, professeur d'histoire au Grand Séminaire
de Nancy, que nous sommes heureux de remercier ici. |
(21):
(retour) |
Ms.
77 de la bibliothèque de Metz. |
(22)
: (retour) |
Archives
de la Moselle. H. 768, n° 5. Cette date figure sur la chemise
qui contient la pièce. |
(23)
: (retour) |
D'après
l'indication do M. l'abbé Jérome. Le ms. 77, copie
faite au XVIII° siècle par Dom Tabouillot, contient une
pièce datée de 1437. |
(24)
: (retour) |
Nous adoptons les numéros des paragraphes selon le Cartulaire
de la bibliothèque de Metz ; dans celui de Nancy, les divisions
sont simplement marquées par Item. |
(25)
: (retour) |
A
considérer surtout la formule suivante : " Item a encor
d'anciennetey en ladite ville Darnaville telle coustume du fait de
la centenne (VII) ". |
(26)
: (retour) |
Les
exemples en sont nombreux dans Dom Calmet et dans l'Histoire de Metz
par les Bénédictins (v. t. III, p. 109, charte de 1130). |
(27)
: (retour) |
BANNUM.
Districtus, jurisdïctio, juslilla. Glossar. mdii vi...
Cf. plus haut, (3) |
(28)
: (retour) |
Statistique de la Meurthe, 1es Communes de la Meurthe, articles
ARNAVILLE. Cf. La Centaine de Pont-à-.Mousson, p. 148. |
(29)
: (retour) |
Le
maire était assisté d'un doyen, qu'il chargeait des
notifications quand il en était empêché (§
X, XII, XV, XVI, XVII). |
(30)
: (retour) |
"
Item le vachier doit warder une beste et le maire de la centenne
tout pour néant (XXVII). " La bête était
sans doute pour le maire; au paragraphe suivant, il est dit que l'abbé
de Gorze nourrit maire et échevins le jour des plaids. Malgré
le décousu de la pièce, il semble qu'il y ait ici un
rapprochement d'idées. |
(31)
: (retour) |
Le
manuscrit de Nancy porte partout " les annalz plaids "
; au § XIII seul, il y a " bannalz. " C'est
évidemment une faute du copiste. |
(32)
: (retour) |
Où était cette prison ? peut-être dans la "
grand maison " de l'abbaye dont nous avons parlé dans
notre précédent article, p. 204. Il y a encore là,
à l'extrémité occidentale, du bâtiment
qui subsiste, une petite chambre, triangulaire, à peine éclairée,
où l'on ne pouvait guère loger que les criminels. |
(33)
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Nous
pensons que l'expression de " justice d'Arnaville ",
employée encore aujourd'hui par dérision dans le pays,
venait de ce qu'Arnaville, seul des villages immédiatement
voisins, possédait les attributs de haute justice, qui s'étendait
peut-être encore à d'autres villages que Novéant. |
(34)
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Avec
l'exécution de Novéant finit le document incomplet ;
nous croyons intéressant d'en donner ici la suite, d'après
les Archives de Metz. La partie nouvelle est en italique. Notons que
la dernière phrase reproduit le § XXVII, cité plus
haut, p. 34, n. 1. Le mot " Ici " est probablement pris
pour " Item ".
[XXX]. Item sil avenoit con preinst ung larron ou une larnesse on
ban et on la fin de Noviant qui eut fait fait de crime la justice
de Noviant doit déterminer quelle mort il a a recevoir et le
doit faire savoir au maire de la centaine III jours devant en disant
a celui jour je vous amenerai un tel... et le doivent amener au parron
sur et doivent amener le malfaiteur et appourter le larcin et un paul
de sept pieds et la tonne pour planter le paulx et le doivent planter
III pieds et demi en terre et III pieds dehors et le doivent livrer
aulx paulx et a la piere et doivent le doyen de Nouveant monter sur
la piere et huicher le maire de la centaine si fort com il peult et
si le maire de la centaine ne le respond le maire de Nouveant doit
envoyer son doyen a luy du maire de la centaine et hucher trois fois
sy fort comme il peult et sil ne le respond il le doit dire au voisin
d.... et au voisin dessus et au voisin dessous et adonc quand ils
ont fait leurs debv*oirs le maire de Noveant en peut aller lui et
ses gens tous quite et laisser le malfaiteur tous... et si le maire
de la centaine le voulait recepvoir il doit et peut recommander tous
les manans de la ville darnaville a quel seigneur quils soient et
sils desfaillaient ils doivent lamende de par le rouv*art de la justice
de la centaine et est à monseigneur de Gorze sans person daltruy
et la doivent delivrer le chevest au col et doivent dire le maire
et la justice de Noveant quel mort quil a a recepvoir et le maire
de la centaine lamaine pour mener aux forges et destruire aux frais
de monseigneur de Gorze.
Ici le vachier doit warder une beste le maire de la centaine tout
pour neant. Archives de Lorraine. H. 768, pièce 5. |
(35)
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Définition donnée par le Terrier d'Arnaville de 1748.
Archives de la Moselle, H. 758. f° 109, n° 8. |
(36)
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C'est,
du moins, tout ce que nous pouvons en tirer de certain. La phrase
suivante : " Et ne se doient mesler lesdites courts ne lesdits
maires et eschevins fors que du four et de la roie (IV) ",
semble indiquer qu'il y avait un four banal, qui était la propriété
commune des seigneurs des trois bans, et qu'il en était de
même de la " roie ". Ce dernier mot, dont le
sens nous est inconnu et qu'on ne peut pas confondre avec "
rowage " ou rouage, pourrait avoir le même radical,
roue, et, par suite, signifier pressoir. |
(37)
: (retour) |
Pièces
de 1454, 1462 et 1470, Archives de Meurthe-et-Moselle, II. 1112. |
(38)
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Quant aux droits des habitants, nous savons qu'ils avaient des biens
communaux (V), notamment des pâquïs, dont la justice relevait
de l'abbé de Gorze à cause de la centaine (.XXIV). |
(39)
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Déclaration
de 1666, Collection de Lorraine, t. 106, f° 101 de 1667 et
1668, Archives de la Meurthe, B. 8316. |
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