LA " CENTAINE " D'ARNAVILLE
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par Louis DAVILLÉ
 
 
 

LA " CENTAINE " D'ARNAVILLE


Nous avons vu dans notre précédent article (1) quels étaient au début du XIII° siècle la division du territoire et le régime ecclésiastique d'Arnaville ; nous nous proposons aujourd'hui de rechercher comment ce village était administré du XIII° au XV° siècle environ. Cette étude peut jeter quelque jour sur la condition des habitants que nous ne pouvons connaître directement, faute de documents.
Un acte de vente dont nous ne pouvons fixer exactement la date, mais qu'il faut certainement placer entre les années 1213 et 1220, nous apprend que, à cette époque, la " centaine d'Arnaville (2)" allait passer des mains du comte Henri de Bar à l'abbaye de Gorze. Que signifie le mot de centena et en quoi consistait la centaine d'Arnaville? C'est ce que nous allons successivement étudier.

Suivant Du Cange, le mot centaine a deux sens principaux, celui de circonscription territoriale et celui de seigneurie (3). Ces deux significations qui, suivant M. Guyot (4), dérivent l'une de l'autre, Lepage les a attribuées successivement à la centaine d'Arnaville. D'abord, il avait cru reconnaître dans le pagus Scarponensis l'indication des " centaines d'Arnaville, Norroy, Pagny et Pont-à-Mousson, mentionnés seulement au XIV° et au XV° siècles, mais dont l'origine est plus ancienne (5) ". Pour Arnaville il se trompait au moins de date ; de plus, il paraît douteux que, même au XIII° siècle, on eût conservé les anciennes divisions des pagi. Il resterait, d'ailleurs, à prouver comment, dans le pagus Scarponensis, il eût pu exister des circonscriptions territoriales assez restreintes pour avoir leur centre dans les villages aussi rapprochés d'Arnaville, que Vandelainville à l'ouest, Pagny-sur-Moselle au sud, Dornot au nord, localités dont les centaines sont mentionnées aux XIV° et XV° siècles (6).
Plus tard, dans l'énumération qu'il a donnée des centaines du département de la Meurthe, Lepage a considéré la centaine d'Arnaville comme " une seigneurie qui a sa charte particulière (7) " ; mais, s'il se rapproche ici de la vérité, sa définition est incomplète et inexacte.

La lecture du document cité plus haut permet de préciser pour Arnaville le second sens du mot centaine. Le comte de Bar, en vendant à la fois celles d'Arnaville et de Rezonville à l'abbaye de Gorze, emploie les termes suivants : " Ego dictas vendiciones factas dicte eccle[sie] et quidquid feodi et dominii habebam in dictis centenis de Ernaldivilla et Resonvilla. " Ainsi la centaine d'Arnaville comportait des droits féodaux et seigneuriaux, la possession de vassaux et la propriété éminente de la terre. Elle donnait à la fois, à son possesseur, des revenus en argent et la souveraineté du territoire, au moins en partie. Cette souveraineté comprenait sans doute, à ce moment comme plus tard, l'administration du village par une mairie et en particulier les droits de haute justice sur les habitants (8).
Au moment où nous est mentionnée la centaine d'Arnaville, elle a passé par bien des mains. Nous n'en connaissons pas les premiers possesseurs, mais il y a lieu de supposer que ce furent les ducs de Lorraine. De là, elle passa sans doute aux comtes de Bar : Henri de Bar, qui rendait hommage au duc Mathieu II pour la centaine d'Arnaville, l'avait cédée au sire Gautier de Manonville, qui la céda lui-même au sire Simon de Rozerieulles. Ce dernier la vendit à son tour à l'abbaye de Gorze avec l'approbation des précédents détenteurs ; le comte de Bar et le duc de Lorraine ratifièrent cette vente en juillet et décembre 1233 (9). Dès lors, la centaine fut certainement indépendante de la Lorraine et du Barrois, et l'abbé de Gorze en exerça seul la souveraineté.
Souveraine d'Arnaville, l'abbaye de Gorze y recevait de nouveaux dons, tandis que d'autres maisons pieuses s'établissaient ou se constituaient sur le territoire. En 1225, Henri, seigneur d'Aix, voué de Conflans, donnait à l'abbaye de Gorze tout ce qu'il possédait du chef de sa femme (10). En 1227, Jacques, sire de Cons, vendit à l'abbaye d'Orval, dans les Ardennes, des prés situés à Arnaville au bord de la Moselle (11). Plus tard, le fils de Jacques, Jean de Termes, sire de Cons, et Poince, sa femme, donneront en aumône à Gorze " les hom[mes] et les fem[mes] " qu'ils avaient à Arnaville " en tous prous et us comme ils les avaient tenus d'acquest ", sauf réserve d'une famille de vilains et avec le consentement du duc Mathieu II(1247) (12). De même, l'abbaye de Sainte-Marie-aux-Bois recevait du clerc Josserans, originaire d'Arnaville, une rente annuelle de dix muids de vin (1271) (13). Dix ans après, comme nous allons le voir, un sire de Bassompierre relevait de Gorze pour deux vignes.
Les ducs de Lorraine n'avaient sans doute des terres que sur le ban Saint-Pierre; dans le village, ils possédaient quelques vilains. En 1281, Orry, sire de Bassompierre, reconnaît tenir de Ferry III " en fief et hommage " tout ce qu'il possédait à Arnaville, " fors deux journaux de vigne que meuvent du ban quon dit Saint Gorgonne " et, comme vassal du duc, lui devoir quelques semaines de garde au château de Prény (14). Le seul document daté que nous connaissions sur Arnaville au XIV° siècle nous apprend que le duc Raoul endetté vendit à un messein, Nicolas Baudoche, les " conduits " ou ménages qu'il possédait à Arnaville et dans toute la vallée du Rupt de Mad (1347), Le duc conservait la faculté de rachat (15). Ces familles furent-elles rachetées plus tard? D'autres s'établirent-elles à leur place? Nous ne le savons point. Toujours est-il qu'au XV° siècle, dans les documents qui se rapportent au ban Saint-Pierre (16), il se trouve toujours à Arnaville des habitants " lorrains "; il est vrai que leur nombre est infime en comparaison des autres, dits " gorzains " (17).
L'abbé de Gorze et le duc de Lorraine étaient, en effet, les deux principaux seigneurs d'Arnaville. Aucun document, à notre connaissance, n'a trait à l'abbaye de Saint-Vanne, du XII° au XV° siècle. Non seulement ses biens ne durent pas augmenter, mais il semble que l'abbaye ait été en quelque sorte soumise au duc de Lorraine ; du moins, les habitants qui pouvaient relever de Saint-Vanne seront-ils compris plus tard parmi les Lorrains (18). Quant aux ducs, il semble certain que, parmi les droits féodaux qu'ils avaient gardés depuis la vente de la centaine sur leurs propres sujets d'Arnaville, était compris le service militaire. Sans doute, le sire de Bassompierre et ceux qui, après lui, furent vassaux des ducs pour leurs terres d'Arnaville n'étaient pas seuls à monter la garde au château de Prény. Il est vraisemblable qu'ils en chargèrent leurs sujets qui servaient en général comme soldats lorrains. Du moins, dans la première partie du XVI° siècle, si l'abbé de Gorze avait encore à Arnaville la souveraineté et la haute-justice, le duc de Lorraine y possédait, " à cause de Prény, la retenue de ses hommes (19) ".
Les droits de l'abbé de Gorze nous sont énumérés dans un document fort important, mais non daté, intitulé " Drois de la ville Darnaville et du ban que rmons[eignieur] l'abbe y a cause de la centenne lesquelz se rapportent par la justice de lad[ite] centenne ". La plus ancienne rédaction que nous en connaissons fait partie du cartulaire de l'abbaye de Gorze conservé à la bibliothèque du Grand Séminaire de Nancy; elle en occupe les folios LXXII et LXXÏII; malheureusement, les trois feuillets suivants manquent à ce manuscrit (20). La pièce est incomplète ; il en est de même de la copie contenue dans le second cartulaire de Gorze de la Bibliothèque de Metz (21).
Cependant, les archives du département de la Moselle possèdent une rédaction un peu différente, plus longue sinon complète, des Drois Darnaville. Ce texte, M. Sauer a cru pouvoir le dater de 1560 (22); mais ce millésime devrait être de beaucoup diminué, même s'il s'agissait d'une dernière rédaction. La pièce du manuscrit de Nancy dont la date est la plus récente porte, en effet, le millésime de 1362 (23); l'écriture de ce manuscrit est du XV° siècle : on peut donc supposer que notre document a été rédigé vers la seconde moitié du XIV° siècle et qu'il date de 1350. L'ancienneté du style et l'emploi de certains mots comme ville et hôtel pour village et maison correspondent d'ailleurs à cette époque. Cependant, croyons-nous, nous ne possédons là qu'une rédaction assez tardive de droits qui étaient depuis longtemps reconnus à l'abbé de Gorze. Cette hypothèse est encore fortifiée à nos yeux quand on y relève des expressions comme " il est d'ancienneté (§ III et VII) (24) ", " il est de coustume en ladite ville (III) ", " telle coutume dans ladicte centenne (V) ", indiquant qu'il s'agit de faits ou de droits établis ou reconnus depuis longtemps, certainement dès le début du XIV° siècle, peut être vers la seconde moitié du XIII° (25). Ainsi ce document peut servir à relier la centaine d'Arnaville telle que nous la connaissons au XIV° siècle à celle qui nous est mentionnée au début du XIII°. C'est ce que nous allons essayer d'établir en analysant ce document.
D'abord, le titre de cette pièce nous paraît fort ancien. Il contient les deux mots de " ban " et de " centaine " qui, sous leur forme latine, se trouvent si souvent réunis dans l'expression " cum banno et centena (26) ". Si l'on en croit Du Cange, le mot bannum aurait à peu près le même sens que centena, tout en s'appliquant plus particulièrement à la justice et peut-être à la haute justice (27). Le titre de notre document permet, croyons-nous, de préciser. Il semble, en effet, que le ban ait pour origine la centaine et que le mot bannum désignât les droits de souverain, conséquence de cette souveraineté même, centena. Nous voyons encore par ce titre que les droits de l'abbé sont exercés par la justice de la centaine. Ainsi notre document n'est ni une charte de franchise, comme pourraient le faire croire les mots Droits d'Arnaville, ni, comme l'a dit Lepage, qui l'a cependant analysé à plusieurs reprises (28), la " charte particulière " d'une " seigneurie ". C'est l'énumération, faite sans ordre, des droits que l'abbé de Gorze possédait à Arnaville à la fois comme souverain et comme seigneur particulier.
Comme souverain d'Arnaville, l'abbé de Gorze avait un droit de police et de surveillance générale dans le village comme sur le territoire; il rendait la justice ordinaire aux plaids annaux, mais son attribution principale était la haute justice. Outre les droits domaniaux que lui valait la centaine, il possédait encore, comme seigneur du ban Saint-Gorgon, des droits particuliers.

L'administration générale d'Arnaville était confiée à un maire et à six échevins, sorte de municipalité que l'on appelait communément, à cause de ses attributions principales, " la justice de la centaine (29) ". Les magistrats qui la composaient étaient nommés directement par l'abbé de Gorze qui, sur les six échevins, devait choisir, s'il était possible, deux lorrains (II), " lesquelz " y avaient été " establis anciennement pour ce qu'on ne foulist point les hommes de monseigneur de Lorraine (III) ". Ceci nous ramène évidemment à la première moitié du XIII° siècle. La nationalité de ces magistrats n'avait, d'ailleurs, aucun rapport avec leurs fonctions : il suffisait du témoignage de deux échevins, quels qu'ils fussent, pour déférer un prévenu, gorzain ou lorrain, à la justice de la centaine (VI-VII). Maire et échevins devaient " prester serment en la main de l'abbé de Gorze ou de ses gens " de garder partout les droits de l'abbé et des habitants d'Arnaville et de rapporter fidèlement au premier toutes les amendes qu'ils percevraient (II). S'ils manquaient à leur serment, l'abbé pouvait les " priver de leurs offices " et " les a corriger selon leur meffait (III) ". Représentant l'abbé de Gorze en tout, sauf lors de la tenue des plaids, les juges de la centaine avaient de nombreuses attributions qui devaient leur prendre une grande partie de leur temps. Aussi devaient-ils recevoir des indemnités assez considérables ; mais c'est à peine si notre document en fait mention à propos du maire (30). Il est probable que les échevins étaient payés soit en nature, soit avec une partie des amendes qu'ils percevaient; peut-être l'étaient-ils de l'une et de l'autre manière à la fois.

La justice de la centaine faisait la police du village et de son territoire. Au dedans, elle garantissait la propriété. Lorsqu'un habitant d'Arnaville se croyait victime d'un vol, il en avertissait le maire. Celui-ci, suivi de ses éche vins, avait le droit d'aller fouiller toutes les maisons du village ; si l'objet était retrouvé, les magistrats emmenaient avec eux le voleur présumé pour le juger (XI). Ils avaient aussi la police et la surveillance de la voirie. Les injures et les coups qui s'échangeaient sur les routes et les chemins ressortissaient à leur tribunal (XXV). La grand route qui traversait Arnaville devait avoir 24 pieds de large, dans le village comme à travers le territoire; les chemins traversant les champs, les prés, les bois et les vignes ou aboutissant au village devaient en mesurer la moitié (V). A chaque plaid, maire et échevins devaient parcourir les rues et les routes, frappant d'amende ceux qui les avaient encombrées (XVI).
C'était une véritable cour de justice que ces plaids annaux (31) tenus par l'abbé à trois reprises : à la mi-mai, le jour de la Saint-Remi (1er octobre) et vers le milieu du mois de janvier. Ces dates étaient fixes (XII) ; mais l'abbé pouvait les avancer ou les retarder à son gré, à condition de le faire annoncer deux jours d'avance (XV). Le jour venu, tous les chefs de famille devaient, sous peine d'amende, se présenter devant l'abbé ou ses commettants pour se plaindre les uns des autres, à propos des dettes, des médisances, des injures ou des coups de force dont ils avaient eu à souffrir. Le demandeur et le défendeur devaient, sous peine d'amende, répondre promptement des faits incriminés. Tout jugement de ce genre était sans appel (XII-XlII). La justice de la centaine qui, ces jours-là, visitait routes et chemins, ne faisait pas partie de ce tribunal ; mais, à chaque plaid, l'abbé de Gorze devait nourrir à ses frais ceux qui le composaient (XXXIII).
La " hauteur " ou haute justice relevait aussi de l'abbé de Gorze (VIII), qui avait une prison à Arnaville (X) (32). Les attributs de cette justice étaient les fourches patibulaires, qu'on appelait " les fourches d'Arnaville (IX) ". La haute justice s'exerçait " pour fait de crime qui recquiert exécution de corps ". Sorti de prison, le prévenu était interrogé par le maire et les échevins. S'il était reconnu coupable et condamné à mort, on le conduisait aux fourches contre lesquelles était dressée une échelle. Au moment où le malheureux en gravissait les échelons, l'abbé de Gorze pouvait suspendre la peine édictée et gracier le coupable en lui imposant un pèlerinage " grant ou petit, ainsi com[me] il lui plaist ". L'exécution était aux frais de l'abbé, qui recueillait ce que possédait le malfaiteur (X); toutefois, il est probable qu'il usait assez fréquemment de son droit de grâce. La haute justice de l'abbé s'étendait encore, au-delà du territoire d'Arnaville, sur celui de Novéant (33). Comme l'abbé n'avait point la centaine de ce dernier lieu, il se servait parfois de la justice et même des habitants d'Arnaville pour juger et arrêter les coupables pris sur le territoire de Novéant ; mais il semble bien que l'exécution ait eu lieu sur ce même territoire (34) (XXX). Ces autres droits de l'abbé de Gorze comprenaient d'abord certaines banalités. Le moulin-haut, propriété de l'abbaye, était banal. Pendant les six premiers mois de l'année, de Noël à la Saint-Jean (24 juin), le prix de la mouture était de un demi setier par panier, le reste de l'année de moitié; moyennant cette rétribution, le meunier était à la disposition des particuliers. Non seulement il devait parcourir le village trois fois la semaine en criant : " Qui veut moudre ? " et amener au moulin le blé des habitants, mais il lui fallait avoir perpétuellement chez lui une bête à leur disposition. Chacun pouvait aller prendre l'animal au moulin pour y conduire son blé ou en ramener la farine, à condition de reconduire l'animal au moulin ; en donnant un peu plus de farine au meunier, on pouvait se dispenser de ramener la bête : il suffisait de la tourner du côté du moulin et de la frapper sur la queue (XXIX).
Tout ce qui touchait à la farine et au pain était sévèrement contrôlé par la justice de la centaine. On ne devait se servir à Arnaville d'autre mesure que de celle de l'abbé ; cette mesure ou franchart, contenant un certain nombre de paniers, devait être vérifiée par le maire et les échevins (XVII). Seul le meunier la devait posséder. Le maire, qui en avait l'étalon, pouvait le prêter aux habitants à condition qu'ils le lui rendissent le même jour (XX). Meunier et boulanger étaient surveillés de près. Trois fois la semaine, les échevins devaient faire une descente au moulin pour en examiner les farines; ils venaient de même s'assurer de la qualité du pain qui était vendu aux particuliers : s'ils le trouvaient mauvais, ils le découpaient pour le donner aux pauvres et, en cas de récidive, ils avaient le droit d'en interdire la vente (XXII). Rien n'indique qu'il ait existé un four, non plus qu'un pressoir banal aux mains de l'abbé (36). Il en était cependant un peu du vin comme du blé : les vignerons, eux aussi, devaient faire vérifier leurs mesures par la justice de la centaine, moyennant un demi setier de vin pour chacune (XVIII-XIX). Si l'abbé de Gorze ne paraît pas avoir eu de pressoir banal, il possédait à Arnaville le rouage (XXIII), droit qui portait sur la voiture de tout acheteur de vin étranger au village (35). Il avait encore le droit de pèche dans la Moselle, depuis l'embouchure du Rupt-de-Mad jusqu'au dessous de Novéant(XXVI).
Tels étaient les droits que donnait à l'abbé de Gorze la souveraineté d'Arnaville. Au dessous de la " justice de la centaine ", et indépendamment d'elle, il existait " trois cours " particulières de justice, toutes trois comprenant, comme celle de la centaine, un maire et six échevins. Chacune correspondait à l'un des trois bans, Saint-Gorgon, Saint-Vanne et Saint-Pierre ; elles s'occupaient de leurs propriétés respectives et, par suite, des conflits qui éclataient au sujet de chacun de ces territoires (IV). C'était, par conséquent, des justices foncières. Voilà tout ce que notre document nous apprend sur leur compétence (36). Quant à leur origine, elle était au moins aussi ancienne que la centaine. La principale de ces cours était nécessairement celle de l'abbaye de Gorze : seule la justice de Saint-Gorgon nous est connue par différents documents du XV° siècle (37) ; encore ignorons-nous comment elle fonctionnait.
De Saint-Vanne, nous ne savons rien, et quand, à la fin même du siècle, le ban Saint-Pierre est indiqué dans les documents, il relève de la prévôté de Prény.
Ainsi, l'administration d'Arnaville, du XIII° au XV° siècle environ, comportait deux degrés. Au dessus, il existait une cour supérieure de justice, dont la compétence s'étendait des simples délits aux plus grands crimes ; au dessous, des tribunaux ordinaires, correspondant aux différentes seigneuries, s'occupaient des affaires particulières de chacune d'elles. Dans cette répartition, il n'existait nulle unité: les différentes cours empiétaient évidemment l'une sur l'autre, multipliant les conflits.
La première organisation, qui nous est assez bien connue, nous donne quelques renseignements sur certaines redevances des habitants ; pour la seconde, nous ne savons rien touchant les droits particuliers des différents seigneurs (38). Quant à la condition des habitants, elle n'apparaît même pas dans les différents documents que nous possédons : le mot d' " hommes " et de " vilains " employé en 1247 ne nous apprend rien ; seul, celui de " prudhommes " qu'on trouve clans les Drois Darnaville (§ XVIII) peut faire supposer que, au moment où le document a été rédigé, il n'y avait plus guère de serfs à Arnaville : peut-être n'y en avait-il plus du tout. A défaut de renseignements sur l'affranchissement successif des habitants, il serait intéressant de savoir comment ils acquéraient leur nationalité et devenaient gorzains ou lorrains. Nous n'avons là-dessus que des témoignages bien postérieurs ; toutefois il est permis de supposer que la coutume existait depuis longtemps. Différents documents du XVII° siècle (39) rappellent que, dans la terre de Gorze, " le fruit suit le ventre ", c'est-à-dire que l'enfant acquérait la condition de sa mère ou, en cas de contestation, de sa grand'mère maternelle; les étrangers avaient un an et un jour pour choisir le seigneur qui leur convenait. La première de ces deux règles, rédigée au XVI° siècle avec celles de Gorze, devait être ancienne ; quant à la seconde, il est impossible d'en fixer la date, mais il est vraisemblable qu'elle fut le résultat d'une transaction entre l'abbé de Gorze et les ducs de Lorraine : on peut également croire à son ancienneté.


Louis DAVILLÉ.

 

 
 
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(1) : (retour) Les origines du village et de l'église d'Arnaville. (Journ, de la soc. d'Archéol. lorr., 1900, p. 193-207.)
(2) : (retour) " Centena de Ernaldivilla. " Bibliothèque de Metz, ms. 77, f° 395. La date ainsi donnée: " anno gratie millio CCmo XII° mense julii " est évidemment fausse, car il est question dans la charte de la mort du duc Ferry (1213) et de son successeur Thiébaut (1213-1220). L'indication du mois de juillet, qui se retrouve dans une charte de confirmation datée de 1233 (ms. cité, f° 397), pourrait faire supposer que les deux pièces sont de même époque, s'il n'était question dans la seconde seule du duc Mathieu (1220-1251).
(3) : (retour) CENTENA. Districtus, juridictio, dominium, Seigneurie, Glossarium medice. latinitatis.
(4) : (retour) La situation des campagnes en Lorraine sous Mathieu 11. Mém. Soc. d'archéol. lorr., 1895, p. 207.
(5) : (retour) Dictionnaire topographique de la Meurthe, 1862, Préface, p. VIII.
(6) : (retour) Sur les centaines de Pagny-sur-Moselle et de Vandelainville, voir Lepage, La centaine de Pont-à-Mousson. Mén. Soc. archéol. loir., 1880, p. 145, 147 et 149. Sur celles D'Onville et Dornot, v. ms. 77 de Metz, p. 431.
(7) : (retour) Lepage, idem, p. 148.
(8) : (retour) V. plus loin, p. 00, Cf. Guyot, Mémoire cité, p. 207, où il parle de certaines mairies " analogues aux centaines " et cite en note celles d'Avnavillc et de Rezonville d'après le document de 1233.
(9) : (retour) Ms. 77 de Metz, p. 397 et 399. Cf. De Morière, Catalogue des actes du duc Mathieu II, n° 172 et 174. Dans la charte que nous avons citée plus haut, Henri de Bar ne dit pas qu'il tenait la centaine d'Arnaville du duc Thiébaut, mais cela nous semble probable.
(10) : (retour) Ms. 77 de la Bibl. de Metz p. 391.
(11) : (retour) Cartulaire de l'abbaye d'Orval, parle R. P. Hipp. Goffinet, p. 193.
(12) : (retour) Ms. 77 de Metz, p. 401. Cf. Léon Germain, Jean I° de Termes, sire de Cons (1247-1258), p. 14.
(13) : (retour) Archives de la Moselle, H. 1122.
(14) : (retour) Extrait du Cartulaire intitulé " Fiefs et Vosges ". Collection de Lorraine, t. 136, p. 25. Cf. Lepage, Catalogue des actes du règne de Ferry III. Mém. Soc. archéol. lorr. 1876, p. 200.
(15) : (retour) Pièce citée, comme plusieurs des précédentes, avec rajeunissement du style, par Lepage, Les Communes de la Meurthe, art. Arnaville. Cf. Bibliothèque nationale, Inventaire Dufourny, p. 942 verso. Suivant Lepage, le duc Jean, successeur de Raoul, aurait renoncé à son droit de rachat en 1363; mais nous ne savons pas si cet acte engageait ses descendants.
(16) : (retour) Comptes des receveurs de Prény depuis 1477. Archives de Meurthe-et-Moselle, B. 8.224 et suiv.
(17) : (retour) Il pouvait même, semble-t-il, ne pas exister de Lorrains. Dans les droits d'Arnaville, dont nous parlerons plus loin, à propos de la justice de la centaine il est dit que des "VI échevins ledit monseigneur de Gorze en doit faire II des hommes de monsieur de Lorraine se tant en y at pour estre eschevins ". Copie du Ms. 77 de Metz, § II.
(18) : (retour) Déclaration de 1668. Archives de la Meurthe, B. 8316.
(19): (retour) Huguenin, Chroniques messines, p. 862.
(20) : (retour) Nous devons une grande partie de ces renseignements à M. l'abbé Jérôme, professeur d'histoire au Grand Séminaire de Nancy, que nous sommes heureux de remercier ici.
(21): (retour) Ms. 77 de la bibliothèque de Metz.
(22) : (retour) Archives de la Moselle. H. 768, n° 5. Cette date figure sur la chemise qui contient la pièce.
(23) : (retour) D'après l'indication do M. l'abbé Jérome. Le ms. 77, copie faite au XVIII° siècle par Dom Tabouillot, contient une pièce datée de 1437.
(24) : (retour) Nous adoptons les numéros des paragraphes selon le Cartulaire de la bibliothèque de Metz ; dans celui de Nancy, les divisions sont simplement marquées par Item.
(25) : (retour) A considérer surtout la formule suivante : " Item a encor d'anciennetey en ladite ville Darnaville telle coustume du fait de la centenne (VII) ".
(26) : (retour) Les exemples en sont nombreux dans Dom Calmet et dans l'Histoire de Metz par les Bénédictins (v. t. III, p. 109, charte de 1130).
(27) : (retour) BANNUM. Districtus, jurisdïctio, juslilla. Glossar. mœdii œvi... Cf. plus haut, (3)
(28) : (retour)
Statistique de la Meurthe, 1es Communes de la Meurthe, articles ARNAVILLE. Cf. La Centaine de Pont-à-.Mousson, p. 148.
(29) : (retour) Le maire était assisté d'un doyen, qu'il chargeait des notifications quand il en était empêché (§ X, XII, XV, XVI, XVII).
(30) : (retour) " Item le vachier doit warder une beste et le maire de la centenne tout pour néant (XXVII). " La bête était sans doute pour le maire; au paragraphe suivant, il est dit que l'abbé de Gorze nourrit maire et échevins le jour des plaids. Malgré le décousu de la pièce, il semble qu'il y ait ici un rapprochement d'idées.
(31) : (retour) Le manuscrit de Nancy porte partout " les annalz plaids " ; au § XIII seul, il y a " bannalz. " C'est évidemment une faute du copiste.
(32) : (retour) Où était cette prison ? peut-être dans la " grand maison " de l'abbaye dont nous avons parlé dans notre précédent article, p. 204. Il y a encore là, à l'extrémité occidentale, du bâtiment qui subsiste, une petite chambre, triangulaire, à peine éclairée, où l'on ne pouvait guère loger que les criminels.
(33) : (retour) Nous pensons que l'expression de " justice d'Arnaville ", employée encore aujourd'hui par dérision dans le pays, venait de ce qu'Arnaville, seul des villages immédiatement voisins, possédait les attributs de haute justice, qui s'étendait peut-être encore à d'autres villages que Novéant.
(34) : (retour) Avec l'exécution de Novéant finit le document incomplet ; nous croyons intéressant d'en donner ici la suite, d'après les Archives de Metz. La partie nouvelle est en italique. Notons que la dernière phrase reproduit le § XXVII, cité plus haut, p. 34, n. 1. Le mot " Ici " est probablement pris pour " Item ".
[XXX]. Item sil avenoit con preinst ung larron ou une larnesse on ban et on la fin de Noviant qui eut fait fait de crime la justice de Noviant doit déterminer quelle mort il a a recevoir et le doit faire savoir au maire de la centaine III jours devant en disant a celui jour je vous amenerai un tel... et le doivent amener au parron sur et doivent amener le malfaiteur et appourter le larcin et un paul de sept pieds et la tonne pour planter le paulx et le doivent planter III pieds et demi en terre et III pieds dehors et le doivent livrer aulx paulx et a la piere et doivent le doyen de Nouveant monter sur la piere et huicher le maire de la centaine si fort com il peult et si le maire de la centaine ne le respond le maire de Nouveant doit envoyer son doyen a luy du maire de la centaine et hucher trois fois sy fort comme il peult et sil ne le respond il le doit dire au voisin d.... et au voisin dessus et au voisin dessous et adonc quand ils ont fait leurs debv*oirs le maire de Noveant en peut aller lui et ses gens tous quite et laisser le malfaiteur tous... et si le maire de la centaine le voulait recepvoir il doit et peut recommander tous les manans de la ville darnaville a quel seigneur quils soient et sils desfaillaient ils doivent lamende de par le rouv*art de la justice de la centaine et est à monseigneur de Gorze sans person daltruy et la doivent delivrer le chevest au col et doivent dire le maire et la justice de Noveant quel mort quil a a recepvoir et le maire de la centaine lamaine pour mener aux forges et destruire aux frais de monseigneur de Gorze.
Ici le vachier doit warder une beste le maire de la centaine tout pour neant. Archives de Lorraine. H. 768, pièce 5.
(35) : (retour) Définition donnée par le Terrier d'Arnaville de 1748. Archives de la Moselle, H. 758. f° 109, n° 8.
(36) : (retour) C'est, du moins, tout ce que nous pouvons en tirer de certain. La phrase suivante : " Et ne se doient mesler lesdites courts ne lesdits maires et eschevins fors que du four et de la roie (IV) ", semble indiquer qu'il y avait un four banal, qui était la propriété commune des seigneurs des trois bans, et qu'il en était de même de la " roie ". Ce dernier mot, dont le sens nous est inconnu et qu'on ne peut pas confondre avec " rowage " ou rouage, pourrait avoir le même radical, roue, et, par suite, signifier pressoir.
(37) : (retour) Pièces de 1454, 1462 et 1470, Archives de Meurthe-et-Moselle, II. 1112.
(38) : (retour) Quant aux droits des habitants, nous savons qu'ils avaient des biens communaux (V), notamment des pâquïs, dont la justice relevait de l'abbé de Gorze à cause de la centaine (.XXIV).
(39) : (retour) Déclaration de 1666, Collection de Lorraine, t. 106, f° 101 de 1667 et 1668, Archives de la Meurthe, B. 8316.

 

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