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comment voyager d'un nombre à l'autre

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RAPPEL : une version de l'ensemble du développement, revue et améliorée dans le détail, est disponible en format pdf à l'adresse : Dimensions des nombres  

 
 
 
 
 
 
 
 
Reprenons à partir de zéro
 
  
On ne démontrera pas que Cantor fait une erreur de raisonnement logique quand il s'approche de l'infini ou lorsqu'il prétend l'atteindre. 
On essaiera de démontrer que c'est au départ même qu'il prend un mauvais chemin. 

Cantor nous demande de commencer par ranger en ligne tous les nombres irrationnels. Or, tous les nombres irrationnels ne peuvent tout simplement pas se mettre tous en même temps, sur une même ligne.  
 

 
 
Depuis Cantor précisément, les mathématiciens ont un concept qui s'appelle la "droite réelle", sur laquelle ils rangent tous les nombres réels par ordre de taille   [nota : on rappelle que les réels comprennent les nombres rationnels et les nombres irrationnels].
On essaiera de montrer, au-delà même des nombres réels irrationnels, que la droite réelle est un monstre impossible. Qu'il n'y a aucune ligne droite sur laquelle on puisse ranger tous les nombres réels à la fois.

Pour le démontrer, il faut revenir à la source, c'est-à-dire à la façon dont les nombres sont produits selon la théorie des ensembles.
Commençons par les nombres entiers.
 
 
 
  
Dans la théorie des ensembles, la méthode la plus usuelle pour produire les nombres entiers est de commencer par faire un constat : on dit qu'aucune chose ne peut être le contraire d'elle-même. Par exemple, qu'aucune chose ne peut être à la fois positive et négative, à la fois ici et pas ici, etc.  
Ce constat réalisé, on fait un paquet de toutes les choses qui sont contradictoires avec elles-mêmes : ce paquet ne contient rien. On l'appelle alors "l'ensemble vide". Puis on dit que l'ensemble vide cela correspond au chiffre "zéro". 
 
Le chiffre zéro, cela sert à se souvenir que l'on a fait un paquet qui s'appelle l'ensemble vide. C'est une étiquette qui n'est pas mise sur l'ensemble vide lui-même. L'étiquette de l'ensemble vide, c'est-à-dire son nom c'est : "l'ensemble vide". Zéro, c'est l'étiquette qui correspond à l'opération même de mise en paquet, de désignation de l'ensemble vide, de reconnaissance de son existence. C'est à cet acte que zéro sert d'étiquette, c'est-à-dire de nom. 
 
Zéro, c'est donc le constat de ce que l'on a, quand on a rien. 
On a donc un ensemble vide. "Un" ensemble vide ? Mais ce n'est pas rien cela ! C'est "une" chose. Mettons tout de suite une étiquette à ce constat que l'on vient de faire, qu'il y a "un" ensemble vide. Disons que ce constat sera le chiffre "1". 
On a donc fait le constat d'un ensemble vide et le constat d'un ensemble qui contient 1 chose (l'ensemble vide précisément), cela fait donc 2 choses. Vite, une étiquette pour nous rappeler de ce nouveau constat : le chiffre "2". Cela fait donc 3 choses maintenant : le chiffre "3", etc. bien sûr, et jusqu'à l'infini. 
 
 

Quand on génère ainsi les nombres, à partir de la mise en ensemble des choses qui sont le contraire d'elles-mêmes, on remarque deux faits.
        - d'une part, on ne trouve jamais dans les nombres que l'on produit ainsi, quelque chose qui ressemble de près ou de loin à un nombre décimal, fractionnaire, ou irrationnel. On tombe toujours pile sur des entiers, jamais entre deux.
        - d'autre part, on s'aperçoit que l'on ne peut pas faire le constat du vide d'éléments dans un ensemble, sans constater en même temps qu'il existe "1" tel ensemble qui ne contient rien, donc qu'il y a du rien et du 1, donc 2 choses, donc du rien du 1 et du 2, donc 3 choses, etc. Faire ainsi 0, 1, 2, 3, 4, etc à l'infini, ce n'est donc pas avancer progressivement comme sur une droite, par petits sauts répétés se produisant les uns après les autres et faisant à chaque fois sur cette droite une encoche séparée de la précédente et de la suivante. C'est au contraire faire défiler d'un seul coup tous les nombres jusqu'à l'infini, alors même qu'on en est encore à faire le 0.
Tous les nombres entiers sont donc contenus dans le zéro, ramassés dans le zéro, même l'infini.
 
Bien sûr, après coup, c'est-à-dire après les avoir générés, rien ne nous empêche de ranger tous les nombres entiers positifs sur une droite qui part de 0 et va jusqu'à l'infini. Mais c'est alors un rangement, un étalement. Cela n'a rien à voir avec la dynamique de création des nombres entiers.
Cela n'a rien à voir avec le fait qu'ils existent, qu'on peut les produire.
 
 
 
 
  
Maintenant que nous avons les nombres entiers, passons aux nombres décimaux, tels que 0,1 ou 0,23489421. 
Tous les nombres entiers étant ramassés sur 0, il n'y a pas de distance entre le 0 et le 1, donc pas de trajet possible entre le 0 et 1. Aucun trajet que l'on pourrait graduer en mettant l'étiquette d'un nombre décimal à tous les intervalles rencontrés. 
Si l'on veut graduer quelque chose sans pouvoir circuler sur ce quelque chose en faisant des marques le long de ce trajet, le seul moyen que l'on ait consiste à simplement déformer cette chose, et à garder souvenir de l'intensité de cette déformation. 
 
C'est ainsi que l'on va générer les nombres décimaux : en graduant l'intensité d'une déformation, de telle sorte que l'absence complète de déformation sera notée 0, et que la déformation maximum possible sera notée 1. 
 
On dira que cette procédure n'est pas dans la théorie des ensembles.
Mais on avait bien prévenu qu'on allait proposer un changement dans la conception que l'on se fait des nombres.
D'ailleurs, ce que l'on va faire maintenant, ce n'est pas vraiment proposer une nouvelle façon de compter, mais c'est seulement se rendre conscient de ce que l'on fait réellement quand on prend un nombre décimal.
De la même façon que Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, nous faisons bien quelque chose quand nous "prenons" un nombre décimal. Si tous les nombres entiers sont ramassés dans le 0 et n'ont par conséquent aucun écart entre eux, alors nous sommes bien obligés d'admettre que ce que nous faisons sans y penser quand nous prenons un nombre décimal, cela ne peut pas être un trajet. Cela ne peut être qu'une déformation.

Comment nous y prenons-nous ?
Prenons un nombre décimal quelconque, par exemple 0,340238911352. On constate, rien qu'en l'écrivant, plusieurs faits incontournables :

         1/     D'abord, on met une virgule. C'est-à-dire que l'on met une étiquette d'un type spécial, qui sert à nous souvenir que ce qu'il y a à gauche et à droite de ce signe, ne doivent pas être mélangés.
 
         2/     Ensuite, derrière la virgule on  met plusieurs chiffres qui sont autant d'étiquettes à des choses dont on veut se souvenir. Dans ce cas, on a employé 12 chiffres après la virgule. Si l'on a employé 12 chiffres, c'est qu'on en avait besoin. Si l'on avait pu en utiliser moins, on l'aurait fait. On sait par contre, qu'on peut en rajouter autant que l'on veut après ces 12 premiers. Cela ne changera pas le nombre, à condition seulement que l'on ne rajoute que des chiffres 0.
 
         3/     L'ordre des chiffres, a par ailleurs son importance : le nombre 0,129 n'est pas du tout le  même que le nombre 0,912. Il y a donc aussi quelque chose dont on veut se souvenir qui est contenu dans l'ordre avec lequel on range les chiffres derrière la virgule.
 
         4/     Dernier point important : on n'emploie que 10 étiquettes différentes qui suffisent à créer et désigner tous les nombres décimaux : les étiquettes 0, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 et 9. Ce dont on veut garder la trace à chaque chiffre après la virgule, est donc quelque chose qui ne peut prendre que 10 valeurs régulièrement graduées. On peut noter en passant, que l'on aurait pu s'y prendre autrement : au lieu d'employer les 10 premiers nombres entiers, on aurait pu utiliser des lettres de l'alphabet, ou même n'importe quel petit dessin. Le fait qu'on emploie les 10 premiers nombres entiers pour nommer les chiffres décimaux, n'a rien à voir avec le fait que ce sont des nombres. C'est seulement qu'on se souvient plus facilement de l'ordre dans lequel ils sont rangés, que de l'ordre dans lequel sont rangés par exemple 1 étoile, 1 trèfle à quatre feuilles, et 1 as de pique.
On n'est pas obligés non plus d'employer 10 graduations. Ce nombre n'est valable que pour les nombres que l'on appelle "de base 10". On peut aussi employer des nombres "de base 16" ou plus. En fait, plus le nombre d'étiquettes est grand, moins on a besoin d'en mettre derrière la virgule, car la gamme de graduations couverte par chaque étiquette est d'autant plus fine. L'informatique utilise couramment cette propriété en prenant toutes les lettres de l'alphabet et même tous les autres signes du clavier, à la place de nombres. Cela permet à chaque nombre, formé à partir de choix successifs dans cette multitude de signes, d'être composé de moins "d'étiquettes après la virgule" que s'ils étaient formés à partir de choix successifs entre les 10 premiers nombres entiers, ce qui permet ainsi de tenir moins de place dans la mémoire de l'ordinateur. Ainsi un nombre peut être conservé par exemple sous la forme : 4#DF
 
 
 
  
Maintenant que nous avons énuméré tous les types de traces dont nous cherchons à nous souvenir quand nous nommons un nombre décimal, décrivons pas à pas comment nous procédons pour produire un tel nombre. 
 
On prend d'abord un nombre entier, de 0 à l'infini positif ou de 0 à l'infini négatif, et on le laisse intact, sans déformation. 
Puis à sa suite on place une virgule, qui signale qu'à partir de là on va commencer à faire quelque chose d'une autre nature que le nombre entier déjà placé. Quelque chose qu'on n'a pas pu ramener dans ce nombre, qu'on n'a pas pu désigner en même temps que lui. 
 
Après la virgule, ce que l'on va faire c'est énumérer l'une après l'autre des intensités de déformation. Déformation de quoi ? De tout ce que vous voudrez, car on ne va pas enregistrer la matérialité de ces déformations, seulement noter leur intensité. 
On fait d'abord une première déformation dont l'intensité sera repérée par une 1ère étiquette mise après la virgule. Dans notre système de base 10, on a 10 valeurs d'intensité à notre disposition.  
Et de deux choses l'une : ou bien le nombre que l'on cherche à indiquer correspond précisément à l'une de ces 10 valeurs possibles de déformation, ou bien il n'y correspond pas. Il ne peut pas être « entre » deux valeurs, puisque les valeurs que nous envisageons ne correspondent pas à des coordonnées sur une courbe se traçant dans l'espace, mais à des intensités de déformation : comme il n'y a pas d'espace entre deux valeurs, il ne peut y avoir de notion de « entre » ces deux valeurs qui ne sont écartées d'aucune distance l'une de l'autre.  
 
Si notre nombre n'est pas exactement obtenu après cette première déformation, on va garder comme souvenir l'étiquette qui correspond à l'intensité de la dernière déformation trouvée avant que l'on s'aperçoive qu'on a raté le nombre. Ce n'est pas "la plus proche" du nombre cherché puisque, à nouveau, il n'y a pas de distance quelconque à ce nombre : c'est "la dernière" avant le constat de son ratage.  

Donc, une première déformation, sautant par crans d'intensité rigides de 0 à 9, n'a pas suffi pour obtenir le nombre. Alors on recommence avec une 2ème déformation, dont on garde le souvenir de la même façon en désignant l'intensité mesurée quand on a  raté le nombre. Etc, jusqu'à ce que l'on obtienne le nombre exact que l'on cherche. 
 
Quand on l'a obtenu, si l'on veut, on peut mettre autant de 0 qu'on le souhaite à la suite. Cela servira à rappeler que toutes les déformations que l'on fait maintenant sont d'intensité nulle.  
Mais autant ne pas se fatiguer et s'abstenir de cette infinité de 0 possibles. En s'abstenant de mettre ces 0, on signale qu'on ne déforme pas d'avantage le nombre, donc qu'il n'y a plus besoin de laisser de chiffres pour servir de trace à des déformations. 
 
S'il s'agit d'un nombre irrationnel, on s'y prendra comme pour former n'importe quel nombre décimal.  
Simplement on devra continuer indéfiniment de faire se succéder les déformations les unes derrière les autres, et on marquera chaque fois le ratage par de nouvelles étiquettes, qui seront donc en nombre infini. 
 

 

 

La question revient donc maintenant : tous ces nombres fractionnaires et irrationnels que l'on peut produire de cette façon, peut-on les mettre alignés tous ensemble sur une même droite, et de préférence sur une même droite que les nombres entiers ?
Cette fois, la réponse est non ! Catégoriquement non !
Car si l'on veut garder toutes les informations qui nous ont été utiles pour obtenir un nombre décimal, on doit garder la trace de toutes ces déformations successives, et de leur ordre de survenue.

Si l'on veut garder toutes ces informations sous forme "d'espace", c'est-à-dire de graphique, le moins que l'on puisse faire, c'est d'étaler cette succession de déformations les unes à côté des autres, sans en changer ni l'ordre, ni le nombre, ni la valeur de l'intensité constatée à chaque ratage. Perdre une seule de ces informations, c'est perdre ce qui distingue un nombre d'un autre, c'est confondre abusivement deux nombres différents, c'est perdre le nombre que l'on voulait figurer dans un espace en le mélangeant à d'autres.

 

représentation spatiale du nombre x,378
 
 

 
  
Si l'on dessine un schéma qui conserve toutes ces informations, on voit clairement qu'un nombre décimal requière, pour être représenté, un espace à 2 dimensions au minimum : une surface donc, non pas une droite qui n'a qu'une dimension.  
 
 
Si l'on dessine tous ensembles, sur une telle surface infinie, tous les nombres décimaux, la surface sera alors pavée de noeuds de bifurcations, et l'on ne pourra pas ramener tous les nombres sur une même droite si l'on ne tranche pas au préalable une grande partie de ces noeuds qui bloquent le passage des nombres les plus éloignés.
On peut aussi comprendre l'impossibilité de se contenter d'une droite, de la façon suivante. Un point sur une droite repère une position. Ce repérage ne peut donc garder qu'une seule information qui est son éloignement de l'origine 0 de la droite. Or, pour garder le souvenir des opérations qui servent à différencier un nombre décimal d'un autre, il faut conserver plusieurs informations : combien de déformations, dans quel ordre, et pour chaque déformation quelle intensité. On ne peut utiliser un système à une seule information, pour repérer un nombre décimal qui en requiert plusieurs, ou alors on accepte de perdre une partie considérable de ce qui sert à différencier un nombre d'un autre.

Si par commodité on accepte de perdre des informations sur les nombres afin de les placer sur une même droite, on doit bien entendu s'abstenir d'utiliser ce mode de rangement qui les massacre, pour faire des démonstrations sur leurs propriétés. C'est pourtant ce que nous demande Cantor quand il commence par nous demander : "mettez dans une même colonne tous les nombres irrationnels". Si l'on prolonge jusqu'à l'infini un raisonnement qui a commencé par massacrer les nombres en leur faisant perdre plus de la moitié de leurs propriétés, il ne faut pas s'étonner si l'on obtient des monstres en arrivant à l'infini. Ni non plus s'en inquiéter.

Même les nombres entiers ne peuvent être valablement représentés tous ensemble par une ligne droite. Car il y a plus d'information dans la suite infinie des nombres entiers, qu'il n'y en a dans la suite infinie des points sur une droite. Cette information est que les nombres entiers sont à la fois tous confondus avec zéro, et tous décalés de +1 les uns des autres. Les points d'une droite sont "seulement" différenciés par un décalage entre eux. Ils ne sont pas "en plus" rassemblés en un même point.
L'information contenue dans l'ensemble des nombres entiers n'étant pas du même type que celle contenue dans l'ensemble des points d'une droite, on ne peut par conséquent prétendre utiliser les propriétés de l'une, pour en déduire les propriétés de l'autre.
 

 
 


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