Quelques éléments d'Histoire

Imagine-t-on aujourd'hui une vie, où mala­die signifie absence de tout revenu, où il faut travailler jusqu'au bout de ses forces voire sa mort car la retraite n'existe pas ? Peut-on, dans nos cauchemars les plus fous voir les femmes accoucher au travail faute de congé de materni­té ou les travailleurs devenus chômeurs être jetés dans la misère du jour au lendemain ?

C'est du Zola, direz-vous : oui mais l'écri­vain n'a fait que peindre la réalité de son époque pas si lointaine. Pas étonnant donc si, pendant plus d'un siècle et demi, la création d'une véri­table protection sociale fut l'une des principales revendications du mouvement ouvrier.

 

De la Révolution française à 1945

Des "sociétés de secours mutuel" - en l'ab­sence de syndicats interdits par la loi Le Chape­lier de 1791 - tentent d'organiser un minimum de "prévoyance sociale". Les corporations unies et revendicatives (mineurs, cheminots...) obtien­nent des systèmes de retraite. 1853 verra l'acte de naissance du "droit à pension" pour les fonc­tionnaires d'État.

Les luttes qui suivent la création de la CGT en 1895 obligent le gouvernement de l'époque à créer les "Retraites ouvrières et paysannes" en 1910. Leur financement par capitalisation et la liquidation à 65 ans (pour une espérance de vie de 48 ans) permirent aux rares qui arrivèrent à cet âge de toucher l'équivalent... d'un paquet de tabac.

En 1930, sous la pression des grèves et manifestations, sont obtenues les "Assurances sociales", le premier système qui couvre la maladie, la maternité, la vieillesse, le décès et l'invalidité.

Les fonctionnaires sont exclus de ce systè­me : une loi sur leur régime de retraite, votée en 1924, est remise en cause en 1928. Des décrets­lois de 1934 leur donneront un système plus mauvais qu'avant 1853. Le Front populaire, en 1936, les abrogera.

La naissance de la Sécurité Sociale

e En mai 1943, le Conseil National de la Résistance - CNR - constitué de représentants CGT, CFTC, PCF, PS, et de mouvements de la Résistance, élabore un programme d'une grande portée économique et sociale. Publié en mars 1944 il prévoit notamment l'instauration d'un

système de protection sociale pour : « mettre définitivement l'Homme à l'abri du besoin, en finir avec l'indignité, la souffrance, le rejet, l'ex­clusion... ».

Ce plan repose sur 3 bases : une politique de plein emploi, le droit à la santé pour tous, une plus juste répartition des revenus.

Il s'établit autour de 5 mots clefs : UNICITE : une institution unique et obli­gatoire pour la maladie, la vieillesse, le décès, l'invalidité, les prestations familiales. UNIVERSALITÉ: volonté d'étendre la couverture à tous les citoyens. SOLIDARITÉ: entre professions, entre les générations, entre actifs et inactifs, entre bien portants et malades.FINANCEMENT: à partir du travail et des richesses produites. DEMOCRATIE :  la gestion doit être confiée aux assurés sociaux

                             .

 A la Libération :

- Une CGT qui compte 5 millions d'adhérents. - Un Parlement à majorité socialiste et commu­niste.

- Ambroise CROIZAT, militant CGT, ministre du Travail et de la Sécurité Sociale.

- Un patronat discrédité pour collaboration.

Tout permet la satisfaction des revendica­tions essentielles dans l'esprit du programme du CNR:

L'Ordonnance du 4 octobre 1945

« Il est institué une organisation de la Sécurité Sociale destinée à garantir les tra­vailleurs et leurs familles contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou de sup­primer leurs capacités de gain, à couvrir les charges de maternité et les charges de famille qu'ils supportent. »

Mais tout le monde n'est pas satisfait. Dès l'origine la Sécu est combattue.

Les adversaires :

La mutualité: revendique son expérience comme gestionnaire et défend le principe du libre choix : adhésion ou non à la Sécu

Les cadres: revendiquent le maintien des régimes d'entreprises plus favorables et la créa­tion d'un plafond de cotisation

La CFTC : revendique l'autonomie et la gestion par elle, des caisses d'allocations fami­liales

Le    CNPF :             conteste le  coût (cotisation 10 % employeurs/6 % salariés) et la gestion des caisses (3/4 des sièges aux salariés).

Les non-salariés : commerçants, artisans, agriculteurs... refusent leur intégration au régi­me général et revendiquent des caisses auto­nomes.

Remises en cause de la gestion démocratique

En 1947, lors des premières élections pour les Conseils d'Administration des caisses : 3/4 salariés - 1/4 patronat, la CGT recueille 59,75 % des voix. Malgré la scission (création de FO) la CGT restera largement en tête aux 3 élections suivantes.

Première offensive en 1962 :

Les Personnes Qualifiées (PQ) siégeant dans les CA ne sont plus proposées par les représen­tants salariés mais par le gouvernement.

Attaque d'envergure en 1967 :

De Gaulle vient d'obtenir les pleins pou­voirs. Il décide par ordonnances :

o La division de la Sécu en 3 caisses: CNAMTS (Caisse Nationale d'Assurance Mala­die des Travailleurs salariés), CNAF (Caisse Nationale d'Allocations Familiales), CNAVTS (Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse des Travailleurs Salariés). Les caisses locales pas­sent sous la direction hiérarchique des caisses nationales perdant une grande partie de leurs prérogatives.

o La création d'un organisme pour la ges­tion de tout le Personnel : l'UCANSS et d'une agence: ACOSS regroupant tous les centres lo­caux de recouvrement des cotisations (URSSAF).

 o La suppression des élections des admi­nistrateurs. Les représentants des assurés so­ciaux sont désignés, le patronat a autant de sièges que les salariés. FO, CFTC et CGC approuvent. La CGT ne compte plus que 929 administrateurs pour 1 671 auparavant.

Par le jeu des alliances, le CNPF prend le pouvoir.

La lutte empêche un très mauvais coup

Le projet de loi Berger prévoyant, entre autre, la séparation des branches et le renforce­ment de la place des assurances doit être retiré grâce aux luttes.

Un retour limité à la démocratie en 1982

Les élections sont rétablies, le patronat dis­pose de 6 sièges, les salariés de 15 ; mais dis­posent également de voix délibératives 2 PQ + 2 mutualité à la CNAMTS, 2 associations de retraités à la CNAVTS et 3 UNAF (union natio­nale des associations familiales) à la CNAF. On s'écarte de la gestion par les assurés sociaux.

 

Reports des élections suivantes...

Prévues en 1989 elles n'auront, en fait, jamais lieu. Seule la CGT proteste. La démocra­tie s'éloigne; le patronat et les autres organisa­

tions syndicales se partagent les présidences. En 1996 la commission AT/MP (accidents du tra­vail/maladies professionnelles) devient une branche quasi-autonome gérée par 5 patrons et 5 salariés.

L'application du plan JUPPÉ

1996 et les années suivantes verront l'appli­cation du plan JUPPÉ, soutenu par la CFDT et la mutualité, en matière de santé :

* Suppression définitive des élections.

* Marginalisation des représentants des assurés sociaux, rentrée en masse des PQ et des associations dans les conseils d'administration.

* Le parlement décide seul de l'équilibre financier de la Sécu (recettes et dépenses).

* Les ARH (agences régionales d'hospita­lisation) émanations du gouvernement ont tout pouvoir sur l'hospitalisation publique et privée

(les fermetures de lits, services, voire hôpitaux vont se multiplier).

Les administrateurs sont dessaisis de la grande majorité de leurs responsabilités.

C'est la mise en place de l'étatisation qui risque, sans luttes, de conduire à la privatisation.

Avancées et reculs

Les attaques contre la gestion démocratique avaient pour but de faciliter les remises en cause des principes de financement et du haut niveau de prestations. La puissance des luttes a cepen­dant imposé des succès de très grande importan­ce pour les salariés.

Quelques dates marquantes :

Les mesures DE GAULLE

1958: instauration d'une franchise de remboursement d'un montant de 3000 francs (anciens) qui, face à l'action, ne tiendra que

6 mois mais réduction de prestations et de rem­boursements sont mis en place.

Création de l'UNEDIC et des ASSEDIC qui auraient dus être du ressort de la Sécu.

 o 1967 : dans les ordonnances (voir plus haut) figurent baisse de remboursements et hausse des cotisations.

Les lois BOULIN:

succès pour les salariés du privé.

En 1971 l'action porte ses fruits : vote de la Ire des lois BOULIN sur les retraites. Leur mon­tant est porté à 50 % du salaire moyen des 10 meilleures années. 24 lois et décrets se succède­ront pour une des plus importantes réformes sociales du pays.

20 plans successifs

Entre 1975 et 1996, 20 plans au moins vont se succéder. Tous ou presque verront une aug­mentation des cotisations des salariés et une res­triction des droits servis. Ils émanent de gouver­nements de droite comme de gauche. Pour ne citer que quelques-uns :

* 1977, ler plan VEIL : déremboursement de 500 médicaments dits "de confort" et cotisa­tion maladie prélevée sur les retraites.

* 1980: le Ticket Modérateur d'Ordre Public (part non remboursable même par les mutuelles) prévu dans la loi BERGER finira au panier de la lutte.

* 1982: cotisation de 5,5 % sur les pré-re­traites et diminution de certains remboursements. * 1983 : instauration du forfait hospitalier. * 1986 : suppression du 100 % intégral et déremboursements.

Des attaques d'envergure

Rocard crée la CSG en 1991

a Il s'agit de faire voler en éclat et d'étati­ser la Sécurité Sociale » déclare la CGT.

Les lois BALLADUR de 1993

o Avril : exonérations importantes des coti­sations sociales des employeurs sur les salaires jusqu'à 1,3 SMIC.

o Juillet : les retraites du secteur privé : 40 annuités de cotisation, calcul sur 25 ans et sur l'évolution du coût de la vie. Augmentation de la CSG; création d'un fonds de solidarité vieillesse hors Sécurité Sociale.

Le plan JUPPÉ

Maîtrise comptable des dépenses de santé, fli­cage des médecins et des assurés sociaux; carnet de santé obligatoire (coût 40 millions pour rien).

Les lois AUBRY

Bonnes pour la RTT, mauvaises pour le finan­cement : allègement progressif des cotisations sociales des employeurs, jusqu'à 1,8 SMIC. Pour­suite de la maîtrise comptable des dépenses.

Et aujourd'hui les attaques se poursuivent...

 

 

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