3 ans d’Intifada : où en est le peuple palestinien ?

Cela fait désormais 3 ans qu’a débuté la seconde Intifada. On sait que le détonateur en a été la visite provocatrice de Sharon sur l’esplanade des Mosquées de Jerusalem. Par ce geste, celui-ci, alors candidat au poste de premier ministre d’Israël, indiquait à la face du monde que son programme n’avait pas varié : le but est bien l’annexion totale de Jerusalem et de la Cisjordanie, l’expulsion en masse des palestiniens vers les pays voisins – quel qu’en soit le prix.

Effondrement des accords d’Oslo-Washington

La « visite » de Sharon n’avait évidemment rien de fortuit. En septembre 2000, le dispositif mis en place à Oslo et à Washington était à bout de souffle.

Rappelons ce qu’en écrivait « Combattre pour le Socialisme » n°65 (30.11.1996) :

« L’Organisation de Libération de la Palestine, renonçait à tout combat pour libérer la Palestine ; l’OLP obtenait la gestion administrative de Gaza et de quelques autres enclaves. La police de Yasser Arafat devenait supplétive de l’armée israélienne, chargée de contrôler les masses dans ces enclaves. Les exilés étaient abandonnés à leur sort. On laissait croire qu’ultérieurement un " État " palestinien serait mis en place : État croupion, inviable, constitué de fragments misérables où sont parqués les Palestiniens. Ce n’était qu’un leurre cauchemardesque. En attendant, la police d’Arafat agissait comme le gourdin d’Israël au sein des enclaves, multipliant arrestations arbitraires et liquidation des opposants. L’OLP apparaissait clairement pour ce qu’elle avait toujours été : une organisation nationaliste petite-bourgeoise profondément réactionnaire. Mais parce qu’elle avait capté, des décennies durant, l’aspiration des Palestiniens à la libération de leur pays, l’accord de Washington constituait une trahison et leur mise en œuvre un nouveau coup contre les masses palestiniennes. »

Les faits se sont chargés de vérifier cette appréciation. On se souvient notamment que le dispositif dit d’ « Oslo » prévoyaient une succession de phases négociées. Mais les exigences américano-sionistes étaient telles qu’aucun accord substantiel ne fut possible : en fait, il était demandé à Arafat de mener une véritable guerre civile contre son propre peuple, c’est à dire de se liquider lui-même. D’où l’échec des sommets de Camp-David et Taba (2000), la direction de l’OLP étant en effet incapable de réaliser ce qu’on attendait d’elle.

Cette impasse était prévisible. Elle ne faisait que démontrer une fois de plus que la question palestinienne ne peut être réglée que par le projet du sionisme (la destruction du peuple palestinien) ou par le démantèlement de l’Etat sioniste. Entre les deux, aucune voie médiane assurant une stabilité à long terme n’existe, ne serait-ce que parce qu’en Palestine, la base territoriale exiguë rend impossible l’existence de deux états viables.

C’est d’ailleurs désormais quasi-officiellement la doctrine sioniste et américaine :

« Je suis pessimiste, je ne vois aucune solution dans notre génération. Ni paix ni accord avec les Palestiniens. C'est pourquoi Israël doit affirmer sa propre volonté politique : décider où passe sa frontière et laisser les Palestiniens mener leurs propres affaires. » (Interview d’un responsable de la stratégie militaire israélienne, Libération, 6.10.2003)

Un bilan terrible

Faire le bilan exhaustif des trois dernières années du point de vue du peuple palestinien est impossible. Néanmoins quelques chiffres donnent un aperçu du déluge de coups qui ont plu sur ce peuple.

Les divers combats se sont soldés par plus de 2 600 morts. On estime que plus de 40.000 personnes ont été blessées, dont 7.000 enfants (source : ONU). Depuis le 29 mars 2002, il y a eu 15.000 détenus, 6.000 sont toujours en prison (dont 1.700 en détention administrative, c’est-à-dire sans procès et dans l’arbitraire le plus total).

On sait que le joug sioniste règne totalement sur la population. Ainsi face à l’impossibilité d’arrêter la vague d’attentats anti-israéliens, Tel-Aviv va mettre en place des « punitions collectives » de sinistre mémoire : les familles de kamikazes ont vu leurs habitations systématiquement rasées. En mai 2002, un nouveau régime de permis personnel est instauré, qui rend impossible tout déplacement entre les villes de Cisjordanie. La liste des vexations subies par les palestiniens est interminable.

Bien évidemment, ces chiffres sont insuffisants pour apprécier la situation. Il faut ajouter la situation économique. Là-aussi quelques chiffres permettent de l’appréhender. Un rapport de l’ONU indique que : le PIB par habitant de 2002 est tombé à 46 % de celui de 1999, plus de 2/3 des habitants des territoires subsistent avec 2$ par jour ou moins, le taux de chômage officiel est supérieur à 40% (60% à Gaza). La très faible industrie qui existait jusque là a pour l’essentiel été détruite, etc… Seule subsiste – et dans quel état ! – une activité agricole : on verra plus bas dans quelles conditions.

Conséquence de tout ceci sur le plan sanitaire :

« Deux enquêtes récentes entreprises par des organisations distinctes et utilisant des indicateurs et des seuils légèrement différents font penser que l’état nutritionnel de la femme et de l’enfant est menacé. Presque la moitié des jeunes enfants (âgés de 6 à 59 mois) et des femmes en âge de procréer sont anémiques. (…)
L’UNRWA signale une augmentation de 58 % de la mortinatalité (surtout dans les zones de Jénine et d’Hébron). Le Ministère de la Santé indique que le pourcentage des accouchements à domicile est passé de 5 à 50 %, là aussi à la suite des mesures de bouclage limitant l’accès aux services. (…)
Le Ministère palestinien de la Santé indique qu’en raison des mesures de bouclage et des couvre-feux, ses installations ne sont opérationnelles qu’à 30 % environ. Les restrictions continuent d’empêcher les Palestiniens qui ont besoin d’un traitement médical d’avoir accès aux services de santé.» (Source : Organisation mondiale de la Santé, 27.9.2002)

Ces quelques données n’autorisent aucun doute : c’est bien à un plan méthodique d’anéantissement des palestiniens que l’on a affaire. Ce dont il est question, c’est de les pousser à l’exil en masse et de transformer en clochards misérables ceux qui s’obstineraient à rester.

Certes, ceci n’a rien de nouveau. Ce plan existe depuis qu’existe le sionisme. Ce qui l’est, c’est qu’on assiste désormais à sa mise en œuvre à rythme accéléré.

Les colonies

Depuis 1967, date de la prise de la Cisjordanie par Israël, l’objectif a toujours été de créer une situation irréversible rendant l’annexion inévitable. Il fallait faire en sorte que les implantations de population juives dans les territoires soient telles qu’aucun retour en arrière ne soit possible. Le plan Allon (1967) prévoyait déjà ouvertement l’annexion de 30 à 40 % de ces territoires. Et effectivement au cours de ces années, le phénomène de colonisation s’est poursuivi sans interruption : en 2000, 28% du territoire avait été annexé (sans compter le cas de Jerusalem-Est, grignoté aussi peu à peu). Et désormais, cette « masse critique » de population existe :

« Le processus d'Oslo se sera paradoxalement accompagné d'une emprise décuplée d'Israël sur les territoires palestiniens. En l'espace d'une décennie, le nombre des colons installés en Cisjordanie et à Gaza (le cas des quartiers orientaux de Jérusalem mis à part) a doublé. Que les nouveaux résidents aient été attirés par des considérations économiques, le prix modéré de maisons bâties sur des surfaces considérées comme disponibles et situées à proximité des métropoles israéliennes, Tel Aviv ou Jérusalem, ou motivés par des considérations ultra-idéologiques qui leur font proclamer aujourd'hui la fin d'un sionisme jugé essoufflé au profit d'un judaïsme de conquête ne change pas grand-chose.
Avec 400 000 colons (les nouveaux quartiers de Jérusalem-Est inclus), on est bien loin, déjà, des 5 000 « pionniers » du Sinaï, évacués dans la douleur en 1982, ou des 15 000 Israéliens installés sur le Golan. » (Le Monde,14.9.2003)

Comme on s’en doute, pour les palestiniens, cela a signifié expulsions arbitraires, « fermetures » de terrains par Tsahal, etc.

On notera que :

« L'agrandissement des colonies existantes et la création de nouvelles ont également été accompagnés par la construction en Cisjordanie, tout au long des années d'Oslo, d'un réseau sans précédent de routes dites « de contournement », qui évitent les agglomérations palestiniennes isolées dans des poches et qui permettent, lorsque la situation l'exige, d'assurer une continuité sécurisée entre les points de colonisation, les positions militaires et Israël. »

Bref, que tout est prêt pour créer des enclaves palestiniennes, véritables bantoustans, où serait enfermée la population palestinienne.

Bien sûr, le soutien américain aux sionistes est total ; ainsi, dans un discours prononcé mi-mars 2003, Bush exigea qu'à mesure que le « processus de paix » progresse, Israël mette fin à ses nouveaux programmes de colonies. Autrement dit, feu vert était donné à la construction de nouvelles colonies en attendant un improbable progrès dudit processus…

Avec le soutien total de Washington…

On sait qu’Israël n’existe que par et pour les intérêts de l’impérialisme US. Or, plus que jamais, cette colonie est essentielle.

La première raison est d’ordre historique. Depuis 1948, le combat du peuple palestinien pour son droit à l’existence, contre l’Etat colonial israélien a été le point de ralliement du combat des peuples de cette région du monde contre l’ordre impérialiste et les divers régimes qui lui sont inféodés. Vue la collaboration cynique des diverses dictatures de la région avec l‘impérialisme, le sionisme, le combat des masses en soutien au peuple palestinien tendait à fusionner avec celui mené contre les régimes de ces pays. Ecraser les palestiniens, c’est donc obligatoirement infliger un coup terrible aux masses de toute cette région du monde.

De plus, l’ensemble des équilibres de cette région du monde ont étés construits dans l’après-guerre sur la base de la négation du droit à l’existence du peuple palestinien : qu’il dispose d’un Etat, d’une république palestinienne, et c’est tout le château de cartes qui risque d’être soufflé.

Ainsi, pour ce qui concerne la Jordanie : le régime de la monarchie hachémite n’a été (artificiellement) créé que comme élément de cette architecture politique après le retrait britannique de cette région du monde (la majorité de la population du royaume est palestinienne). Il est visiblement travaillé de contradictions profondes : là aussi les islamistes menacent.

De même, la très fragile république libanaise subirait immanquablement l’onde de choc résultant d’un progrès même partiel du combat du peuple palestinien – ainsi que cela s’est illustré dans les années 70.

Au-delà, il y a les conséquences du tournant engagé par l’impérialisme US après le 11 septembre 2001 dont l’un des objectifs centraux est bien évidemment le renforcement de la férule US sur le Proche et le Moyen Orient. Or le fait est que les relais politiques et militaires dont dispose Washington dans cette région du monde sont des plus faibles.

Personne ne peut se faire d’illusion sur la solidité du régime égyptien, traditionnel « partenaire » privilégié de l’impérialisme dans cette région. Jusqu’ici Moubarak a pu contenir ses contradictions. Il n’empêche que les troubles à répétition sont l’expression de mouvements profonds qui ne peuvent qu’apparaître au grand jour à une étape ou une autre.

La monarchie hachémite n’est pas en meilleur état. Quant aux syriens, le moins que l’on puisse dire est qu’ils n’ont jamais étés un partenaire américain fiable – quels que soient les gestes de bonne volonté faits récemment par Bashar Al-Assad.

Seul demeure donc Israël comme gendarme impérialiste crédible dans cette région du monde.

Dès lors on peut comprendre les relations existant entre Washington et Tel-Aviv. Certes, Bush et Powell doivent prendre en compte d’autres facteurs et notamment de ménager leurs autres auxiliaires. Mais sur le fond, le soutien cynique offert par Washington aux pires exactions sionistes est parfaitement compréhensible : le renforcement de l’Etat sioniste est la seule garantie crédible de la domination US dans cette région du monde. Et fondamentalement, il n’existe aux yeux de Bush et Powell pas d’autre politique crédible que celle de Sharon.

…et de l’Union européenne

Les positions prises par les impérialismes européens doivent tenir compte des contraintes qui leurs sont propres. Mais sur le fond, leurs positions sont identiques, pour la même raison : ils ne disposent d’aucune solution alternative à l’Etat d’Israël. Dès lors, qu’elle le veuille ou non, l’UE ne peut que soutenir Tel-Aviv dans les faits. La récente décision de gel des avoirs financiers du Hamas – alors qu’aucune sanction n’a jamais été prise contre Israël – est de ce point de vue emblématique.

Ne demeure pour ces puissances que la nécessité de faire en sorte de ne pas être expulsés du jeu, de défendre leurs positions dans une région du monde où Washington les leur dispute âprement. Si le Moyen-Orient est désormais une semi-colonie étroitement contrôlée par les USA, l’UE demeure par exemple en position dominante dans des pays comme le Liban ou la Syrie. Ainsi faut-il comprendre les plaidoyers de Chirac ou Schröder en faveur du « multilatéralisme », d’une présence militaire internationale sur le terrain.

Mais là aussi, les nouveaux rapports mondiaux marquent la situation. La crise rampante actuelle de l’UE est inséparable du renforcement incontestable de l’ « influence » américaine en son sein, ainsi qu’on a pu le mesurer à l’occasion de l’invasion de l’Irak. Les marges de manœuvre de l’UE lui permettant d’ « exister » sur ce terrain se sont singulièrement réduites.

Les commentaires de l’ancien ministre Moscovici sur la récente « feuille de route » sont significatifs :

« "Présentée" aux protagonistes, le 30 avril 2003, par le président américain, la « Road map » appelle bien sûr des réserves de forme. Outre sa dénomination malheureuse, empruntée au vocabulaire militaire américain, la « Feuille de route » a été, dans sa version finale et sa présentation, très largement récupérée par les États-Unis, alors qu'elle est l'œuvre du Quatuor (Quartett), c'est-à dire les États-Unis, l'Union européenne, la Russie et le Secrétaire général de l'Onu. L'Union européenne (…) a joué un rôle très important dans la rédaction, mais aussi dans l'acceptation par le président palestinien de nommer un Premier ministre et dans le vote par le Conseil de sécurité d'une résolution de soutien à cette même feuille de route. Ce texte entérine donc, après la crise irakienne, la "capitis diminutio" de l'Onu, qui n'est plus qu'un acteur parmi d'autres, et semble substituer un mécanisme de négociation empirique au recours à des termes de références normatifs. »

En définitive, tout en maugréant, la diplomatie européenne n’a d’autre choix que de s’aligner sur Tel-Aviv et Washington tout en tentant de préserver ses relations avec les divers régimes arabes où elle garde un semblant de crédibilité.

Un peuple politiquement désarmé

La lutte du peuple palestinien ne se mène évidemment pas hors du contexte politique général qui prévaut à l’échelle mondiale, c’est à dire d’un processus de décomposition incontestable du mouvement ouvrier et du renforcement incontestable de l’impérialisme dans cette région du monde.

La prise du contrôle de l’Afghanistan, de l’Irak par l’impérialisme pèse évidemment de tout son poids sur les peuples de cette région. D’autant plus que seuls les cléricaux apparaissent comme combattant l’occupation (ce qui reste du PC irakien soutenant quasi-explicitement celle-ci).

Certes, historiquement, les palestiniens n’ont jamais disposé de parti ouvrier, pas même de syndicat. Le manque d’une direction leur permettant d’orienter leur combat a coûté très cher.

En l’absence de telles organisations, des directions petites-bourgeoises diverses et en général plus aventuristes l’une que l’autre ont occupé cette place. Dans les années 1960 et 70 Fatah, FDLP, FPLP… ont en effet axé la lutte sur le terrain militaire, et dans le cadre d’une connivence cynique avec Damas ou Bagdad. Alors que la lutte des palestiniens pour leurs droits nationaux était justement inséparable du combat contre les diverses dictatures de la région – qui d’ailleurs ne se priveront pas de tourner leurs armes contre eux (Jordanie, Syrie…).

Or sur le terrain militaire, face à l’une des armées les plus expérimentées du monde, le peuple palestinien ne disposait pas de la moindre chance. D’où les reculs permanents de la résistance à partir des années 70 : renoncement à l’objectif d’une république laïque sur tout le territoire de la Palestine, recherche des faveurs des puissances impérialistes, signature des accords de 1993 qui ne pouvaient que mener à la situation présente.

Mais force est de constater que ces organisations sont désormais en pleine décomposition. Ne subsiste qu’un Fatah exsangue et profondément divisé. Le drame est que ce sont désormais des groupes ultra-réactionnaires – Hamas ou Jihad – qui ont pris la direction des opérations. Notamment le Hamas semble régner en maître sur Gaza. Il suffit de rappeler que cette organisation fut à l’origine soutenue en sous-main par Tel-Aviv pour mesurer l’ampleur des problèmes politiques auxquels est confronté le peuple palestinien.

Significatif de ce désarmement est l’utilisation de kamikazes comme boucliers humains. Il ne s’agit bien évidemment pas pour nous de condamner le « terrorisme » en tant que tel. Soumis à toutes les exactions, le peuple palestinien est parfaitement en droit d’utiliser de telles armes si nécessaire. Notre approche de cette question peut être résumée par ces quelques extraits de L. Trotsky :

« Il n'est pas besoin d'insister sur le point que la social-démocratie n'a rien de commun avec ces moralistes vénaux qui, en réponse à tout acte terroriste, font des déclaration à propos de la "valeur absolue" de la vie humaine. Ce sont les mêmes qui, en d'autres occasions, au nom d'autres valeurs absolues - par exemple l'honneur de la nation ou le prestige du monarque - sont prêts à pousser des millions de gens dans l'enfer de la guerre. Aujourd'hui, leur héros national est le ministre qui accorde le droit sacré de la propriété privée, et, demain, quand la main désespérée des travailleurs au chômage se serre en un poing ou ramasse une arme, ils profèrent toutes sortes d'inepties à propos de l'inadmissibilité de la violence sous quelque forme que ce soit.
Quoi que puissent dire les eunuques et les pharisiens de la moralité, le sentiment de vengeance a ses droits. Il accorde à la classe ouvrière le plus grand crédit moral : le fait qu'elle ne regarde pas d'un œil indifférent, passivement, ce qui se passe dans ce meilleur des mondes. Ne pas éteindre le sentiment de vengeance inassouvi du prolétariat, mais au contraire l'attiser encore et encore, le rendre plus profond, et le diriger contre les causes réelles de toute l'injustice et de la bassesse humaine - c'est là la tâche de la social-démocratie [1]. »

La question posée est de savoir si le terrorisme aveugle pratiqué par les islamistes est en l’occurrence approprié. Et la réponse est évidente. Il n’a servi qu’à isoler un peu plus le peuple palestinien, à le confiner dans un ghetto politique. Or répétons-le : sur le terrain militaire, les palestiniens n’ont pas la moindre chance. Tout se joue sur le terrain politique, bref l’enjeu est de mobiliser la classe ouvrière internationale en défense de ce peuple. Ce qui est bien évidemment radicalement contraire à tous les objectifs des Jihad, Hamas et autres.

La « feuille de route »…

On sait que le dernier « plan de paix » en date était la feuille de route, publiée par Washington en mai 2003, après sa prise en main de l’Irak. Il n’est pas inutile de rappeler comment la presse décrivait les principes ayant contribué à son élaboration :

« (…) n'étant pas centrée sur l'occupation par Israël de la Cisjordanie, de la bande de Gaza et de Jérusalem Est - occupation sur le point d'entrer dans sa trente-septième année - ni sur les colonies israéliennes qui servent à la maintenir, la feuille de route manque une opportunité de mettre une fin à ce conflit. Bien loin de cela, elle se concentre sur la violence palestinienne et sur la manière de la combattre - comme si cette violence venait de nulle part et comme si, dût-elle être arrêtée, la situation d'occupation et de colonisation était quelque chose de normal. Cela reflète bien le rôle prépondérant des États-Unis dans la rédaction de ce document. C'est aussi une indication de la raison de son échec vraisemblable. En effet, les officiels de Washington font une fixation obsessionnelle sur la violence palestinienne, dans laquelle ils voient la cause première de tous les problèmes entre Palestiniens et Israéliens. » (The Nation, 22.5.2003)

Un quotidien israélien résumait l’approche israélienne par ces lignes révélatrices :

« L'establishment militaire israélien affiche son scepticisme quant aux chances de succès du nouveau plan de paix. Et il a de bonnes raisons pour cela. Les militaires sont parfaitement conscients qu'ils devront éliminer tous les barrages routiers et tous les points de contrôle établis entre les villages et les villes et abroger les restrictions à la circulation s'ils veulent que les Palestiniens de Cis­jordanie ressentent aussi un changement dans leur quotidien. Or, ces dispositifs ont été mis en place pour assurer le bien-être des habitants israéliens des colonies de Cisjordanie, lesquels ont proliféré au cours des dix dernières années. En attendant, on croit rêver... car ce qui se passe devant leurs yeux [ceux des Palestiniens] c'est l'expansion continue des colonies. Ces colonies qui résultent du transfert illégal de la population occupante dans les territoires occupés, qui illustrent le pillage cynique des réserves territoriales vitales pour les villes et les villages pales­tiniens... » (Haaretz, 2 juillet 2003)

Autrement dit, le dispositif avait ouvertement pour but de faire rendre gorge aux palestiniens, et aucune concession ne pouvait être attendue d’Israël, qui poursuivait son but, désormais évident : la transformation des territoires en bantoustans.

Formellement, le plan était découpé en trois phases.

« 1. Première phase. Fin de la terreur et de la violence, normalisation de la vie des Palestiniens, mise en place d'institutions palestiniennes, jusqu'en mai 2003.(…)
2. Deuxième phase. Transition juin 2003 décembre 2003. Pendant la deuxième phase, les efforts sont concentrés sur l'option de la création d'un Etat palestinien indépendant, avec des frontières provisoires et les attributs de la souveraineté, (…) vers l'accord sur un statut permanent. (…)
3. Troisième phase. Accord sur un statut définitif et fin du conflit israélo-palestinien. 2004-2005. »

En bref, les palestiniens étaient sommés de cesser de résister. A ce prix, leur était promis un « Etat » dont les contours restaient à être définis… Autrement dit, c’était un chèque en blanc qu’exigeait l’impérialisme… pour leur faire la peau.

La campagne visant à éliminer Arafat va aussi commencer à cette étape : son élimination aurait signifié la soumission totale du peuple palestinien à Tel-Aviv et Washington, le démantèlement de l’OLP et du Fatah – bref la disparition de la moindre structure politique en Palestine à l’exception des islamistes dont l’armée sioniste s’occupe par ailleurs. Comme à l’habitude Arafat manœuvra, mettant en place l’homme des américains, M. Abbas, tout en essayant de conserver l’essentiel d’un pouvoir d’ailleurs plus formel que réel.

On sait que Sharon montra peu d’enthousiasme face à ce plan. La mention d’un Etat palestinien, même bidon, ne faisait pas ses affaires : le Likoud y a toujours été opposé, son programme fondamental demeurant celui de l’annexion des territoires. Mais Tel-Aviv réalisera rapidement à juste titre que la « Feuille de route » ne compromettait en rien ses plans.

Le « mur de la honte »

Il est désormais connu que le projet de la direction sioniste est depuis longtemps d’aboutir à une situation de séparation étanche entre les zones palestiniennes – transformées en ghettos insupportables - et Israël. A l’origine, cette idée fut émise par les dirigeants « travaillistes », mais il ne fait guère de doute que Sharon et sa clique avaient le même objectif. Tout est désormais en place pour y aboutir :

« (…) l'économie palestinienne a été découplée de celle de son puissant voisin sans disposer pour autant des conditions essentielles d'un développement : la liberté de circulation des hommes et des biens. Cette coupure induite par les bouclages a fait regretter à de nombreux Palestiniens, d'un point de vue matériel, l'occupation israélienne et sa continuité territoriale qui permettait à n'importe quel habitant de Gaza de se rendre librement en Israël, à Jérusalem, ce qui est rigoureusement impossible aujourd'hui.
(…) Pour les Palestiniens employés - certes à bas prix - dans l'agriculture ou le bâtiment, Israël avait cessé d'être une « entité » fantasmée mais une réalité concrète et accessoirement une source appréciable de revenus.
La moitié de la population palestinienne, âgée de moins de 15 ans, ne peut faire aujourd'hui cette expérience incomparable de l'autre procurée par les circuits économiques. Ses expériences d'Israël, limitées au minimum pendant des années de bouclages, se réduisent à présent à deux figures emblématiques et honnies, le colon et le soldat.
Dans le même temps, pour les Israéliens qui ont remplacé cette main d’œuvre par des travailleurs émigrés venus d'Asie ou d'Europe centrale, le Palestinien n'est plus que le porteur de bombe qui se fait exploser dans les bus ou dans les cafés. » (Le Monde, 14.9.2003)

Dans ce cadre, on peut comprendre les raisons de la construction, à partir de juin 2002, du mur gigantesque qui est en train d’enserrer les villes de Cisjordanie. Bien évidemment, cette initiative était prise – quoiqu’on en dise – avec le plein soutien américain : le 22.9.2003, Washington indiquait la nécessité « minimiser l’impact de son édification pour les palestiniens et le processus de paix »… Par le biais de ce mur, 16.000 hectares supplémentaires seront arrachés à leur propriétaires, des milliers d’exploitations agricoles seront ruinées.

Le témoignage d’une observatrice se passe de commentaires :

« Comme beaucoup d'autres étrangers, je suis allée dans la chaleur de l'été dernier, voir des fermiers à Jayyous. Il y a cinq kilomètres et demi depuis la frontière de 1967. Les habitants de Jayyous ont perdu 75% de leurs terres agricoles et sept puits artésiens, le tout ayant été confisqué pour construire ce soi-disant «mur de sécurité». (…)
Les Israéliens ont pris encore plus de terres depuis. Et les terres restantes? «Ils ont attaqué nos fermiers avec des chiens, quand nous avons essayé de les atteindre», a dit Fayez Salim, le maire de Jayyous. «En tous les cas, la plupart des terres restantes sont devenues improductives, car nous n'avons pas d'eau pour les irriguer.» (…)
«Les Israéliens nous ont promis que l'on pouvait accéder à nos terres», dit le maire (de Qalqiliya ) Zahran, «mais nous n'avons pas obtenu cela en neuf mois». Non seulement Qalqiliya est devenu un ghetto, mais les 32 villages de la région ont également été divisés en trois zones par des barrières, ce qui empêche les villageois de se rendre visite ou de se déplacer à Qalqiliya pour recevoir des soins médicaux. (…)
Non seulement on a séparé les fermiers de leurs terres, mais les familles sont aujourd'hui divisées. «Les familles qui ont des permis ont dû décider de quel côté vivre. Et celles-là ont de la chance. Beaucoup de familles ont été divisées sans avoir pu choisir de rester d'un côté ou de l'autre».

Il n’y aucun doute à se faire, en particulier, que l’eau (denrée précieuse en Palestine), risque de voir son utilisation sévèrement contrôlée afin de pousser un peu plus à la ruine les cultures palestiniennes.

Effondrement de la « feuille de route »

Le dispositif de la feuille de route avait abouti à la constitution du « gouvernement » palestinien de M. Abbas, l’homme des américains. Parallèlement, les organisations islamistes avaient décidé d’une trêve des attentats.

Abbas avait été désigné pour stabiliser la situation, contenir les islamistes et fondamentalement, faire accepter par la population palestinienne le sort qui lui était promis. Mais encore fallait-il pour cela que Tel-Aviv fasse ne serait-ce que quelques concessions formelles. Ce ne fut évidemment pas le cas. Dès lors, sa démission n’était qu’une question de temps. Elle sera effective après la reprise des attentats, le 10 septembre : le déclencheur sera la refus par Arafat de lui accorder les pouvoirs spéciaux qu’il réclamait.

Pour Washington, la méthode douce ayant échoué, seule demeure la force. Carte blanche a donc été donnée à Sharon, qui commence par décider d’expulser Arafat [2]. C’est la signification des échos de « désengagement » américain dont se fait écho la presse :

« Quatre mois plus tard, la "feuille de route" a beau rester dans les discours le seul horizon politique - comme cela a été rappelé le 26 septembre à New York par ses auteurs, les membres du Quartet (Etats-Unis, Union européenne, Russie, Nations unies) -, le fiasco apparaît total, et Washington semble revoir considérablement à la baisse ses ambitions.
Coup sur coup, le gouvernement israélien vient de prendre deux décisions qui en témoignent. En dépit des avertissements américains, les dispositions sont désormais prises pour raccorder le moment venu des colonies situées en profondeur dans les territoires palestiniens à la "clôture de sécurité" en cours de construction en Cisjordanie pour empêcher officiellement les infiltrations d'activistes palestiniens en Israël. (…)
De même, jeudi 2 octobre, le ministère israélien du logement a lancé un appel d'offres pour 565 nouvelles unités de logements dans les colonies de Cisjordanie. Au total, selon l'organisation israélienne La Paix maintenant, le ministère du logement a publié depuis le début de l'année des appels d'offres pour 1 364 unités de logements qui permettraient d'héberger environ 5 000 colons supplémentaires.
Selon la "feuille de route", Israël aurait dû au contraire geler ses activités de colonisation, y compris la "croissance naturelle" des implantations existantes.
Alors que le ton qu'utilise Washington pour rappeler l'Autorité palestinienne à ses obligations en matière de sécurité - également prévues par la "feuille de route"- est souvent celui de l'admonestation, ces deux mesures ont été accueillies par des critiques très modérées aux Etats-Unis. » (Le Monde, 3.10.2003)

Et évidemment, les choses vont très loin. Désormais Tel-Aviv pousse l’avantage en réaffirmant son rôle de gendarme privilégié de l’impérialisme dans cette région du monde. Ainsi faut-il analyser la décision de bombarder un centre d’entraînement, supposé ou réel, du Jihad situé en Syrie.

Défense des palestiniens ! A bas l’Etat d’Israël ! Boycott de l’Etat sioniste !

Il serait puéril de le cacher : la situation du peuple palestinien est désormais dramatique. Au sens propre, c’est de sa survie qu’il est question.

Un cran supplémentaire dans l’horreur a été franchi, en relation avec les succès impérialistes en Irak et en Afghanistan. C’est à une entreprise de destruction de ce peuple en tant que tel que l’on a affaire, méthodique, systématique. Désormais Sharon et sa clique peuvent donner l’entière mesure d’eux-mêmes sans la moindre entrave.

Répétons-le : aucun espoir n’est permis sur le terrain militaire. Tout se joue sur le terrain politique.

Pour l’impérialisme, l’enjeu n’est pas mince. Il s’agit de liquider l’un des « conflits régionaux » les plus anciens de la planète, après qu’il ait pu liquider le foyer révolutionnaire d’Amérique Centrale (Nicaragua, Salvador…) au milieu des années 80, parvenir à une transition conforme à ses intérêts en Afrique du Sud, etc. il s’agit d’infliger une défaite historique aux peuples de cette région du monde, de leur indiquer qu’il n’est d’avenir que celui que leur accorde Washington et ses alliés.

Pour atteindre un tel but, aucune illusion n’est permise : ils s’autoriseront tous les moyens ainsi que ce fut le cas en Indochine, au Chili, et dans tant d’autres régions du monde.

Mais il faut toujours y revenir. L’impérialisme n’est pas invincible. Les difficultés de Blair, celles – certes pour l’instant plus limitées – de Bush indiquent bien que l’action du prolétariat sur son propre terrain peuvent modifier les choses.

Au moment présent tout se concentre sur l’action politique à mener nécessairement pour le boycott de l’Etat sioniste. Mais il serait puéril d’ignorer que l’intervention sur une telle orientation se heurte aux plus grands obstacles au sein même du mouvement ouvrier.

Concernant le PS – « ami d’Israël » traditionnel – c’est une évidence. Opposé à la moindre initiative aboutissant à mettre en cause les bouchers de Tel-Aviv depuis toujours, il a encore récemment réaffirmé cette orientation.

Quant au PCF, il a commis le 14 septembre une déclaration reprise par ses « partenaires » habituels. On peut lire que :

« Menacer Yasser Arafat, le Président légitimement élu de l'Autorité palestinienne, c'est bafouer les droits et les aspirations de tout un peuple.
C'est faire le choix de violence face à ceux qui ont fait le choix du dialogue et qui ont condamné les actes terroristes.
C'est refuser la perspective d'une solution dans la justice, conformément aux résolutions de l'ONU, avec la création d'un Etat palestinien viable dans les frontières de 1967, vivant dans une sécurité partagée avec Israël.
Tout au contraire, ce qu'il faut c'est la levée du bouclage et le retrait des territoires occupés, l'arrêt de la colonisation et le démantèlement du "mur de la honte" en Cisjordanie. Dans ce moment grave, nous réaffirmons notre solidarité avec le peuple palestinien et avec le combat courageux des pacifistes israéliens.
Nous demandons que la France, les pays de l'Union européenne et l'Union européenne elle-même, avec les Nations-Unies, interviennent de tout leur poids»

Passons sur la référence désormais rituelle à l’« Etat palestinien viable dans les frontières de 1967 », c’est à dire la reconnaissance de toutes les spoliations antérieures au nom de la création d’un Etat obligatoirement inviable. En tout état de cause, l’histoire l’a montré : ce n’est certainement pas Chirac ou l’ONU qui pourront ne serait-ce que ralentir l’offensive sioniste, bien au contraire. Historiquement, l’ONU n’a eu de cesse de sanctifier les exactions sionistes – ne serait-ce que par son soutien aux accords dits d’Oslo.

Soutenir le peuple palestinien nécessite au contraire de tout faire pour permettre aux travailleurs d’intervenir sur leur propre terrain, en particulier par l’organisation d’une vaste :

campagne internationale de boycott de l’Etat sioniste.

Ainsi, et seulement ainsi, ce qui se profile en Palestine pourra être évitée. Mais une chose est tout aussi certaine : ni le PCF ni le PS ni les directions syndicales, ne s’orienteront spontanément sur cette orientation. Leurs génuflexions face à la politique étrangère de Chirac le montrent assez clairement.

Tout dépend en dernière analyse de l’avant-garde ouvrière, de la jeunesse, de sa capacité à intervenir et imposer aux organisations ouvrières de prendre en charge une telle activité. Aider à ce que s’exprime cette volonté : tel est l’un des axes sur lequel interviennent les militants trotskystes à cette étape cruciale.

Le 8 octobre 2003.

P. JACQUOT.


Notes

2 Cette mesure est toujours en suspens.