Mélusine
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MELUSINE APRES LE CRI.

En 1392, sur la commande du duc Jean de Berry, comte du Poitou et de sa femme Marie, duchesse de Bar, Jehan d'Arras, libraire et relieur, entreprend l'écriture du roman de Mélusine laquelle passait pour fondatrice de la famille des Lusignan.
Ce faisant, il donnait corps aux traditions orales et littéraires qui circulaient alors.
On en trouve trace, en effet, dés le XIème siècle, chez des auteurs comme Gautier Map ou Gervais de Tilbury.
Pour Gilbert Durand( ), le Moyen-Age fut un temps où tradition et philosophie vécurent en bon accord. S'y équilibraient en effet démarches sacrées et démarches profanes à l'instar des philosophies orientales, lesquelles postulent complémentarité entre vision intérieure et expérience mystique. Celles-ci s'originent à l'Orient des pures Intelligences, dans les gnoses orientales fondées sur la révélation intérieure et l'Illumination mystique et encore dans les récits bardiques et les hagiographies des pays celtes.
De là découle une hiérarchie des univers fondée sur l'angélologie qui bouleverse le schéma du monde entre Univers angélique et univers matériel.
Ainsi, le mystique oriental Sohrawardi, au XIIème siècle, distinguait 4 niveaux:
1 -le monde des pures intelligences: lumiéres archangéliques, Méres, Intelligences-Archétypes,
2 -le Monde des Lumiéres régissant un corps, monde des âmes célestes et humaines,
3 -le Monde des sphéres célestes, fait d'éléments sublunaires,
4 - le Mundus Imaginalis, monde intermédiaire entre l'intelligible et le sensible dont l'organe est l'Imagination active, monde des Formes et des Images en suspens où se retrouve toute la richesse et la variété du monde sensible mais à l'état subtil, ce sont les cités mystiques de Jâbalqâ, Jâbarsä, Hirqalyä que certains ont rapproché du Sid celtique..
De nombreux récits mettent ainsi l'accent sur l'exil, récits symbolique et d'initiation spirituelle, recréant un intermonde. Le mystique y ressaisit le drame personnel de son histoire au plan d'un monde suprasensible. Ces récits le reconduisent à son origine, il peut retourner chez lui s'il ne sépare ni n'isole l'une de l'autre la recherche philosophique et la réalisation spirituelle.
Ainsi, tandis que l'Orient, posant que la Science vient de Dieu, intériorisera l'histoire et revalorisera l'Imaginaire par la poèsie, et ce dés le XIIéme siécle, l'Occident va développer la Science des causes: s'opposent alors la dialectique et la philosophia perennis.
"Une logique binaire vient remplacer le systéme unitaire et trinitaire de la relation symbolique du systéme des signatures. (...) Le corrélat en est la suprématie de l'explication historique, la toute puissance des faits, leur enchaînement et l'Histoire devient l'ultima ratio d'une raison en faillite, l'homme ayant tout sacrifié à l'Histoire se trouve plus démuni, plus aliéné qu'auparavant.
Gilbert Durand en tire la conséquence suivante: la premiére tâche de l'herméneutique anthropologique doit passer par l'étude de tous les "laissés pour compte de la pensée occidentale officielle et universitairement triomphante"( ). On se souvient les efforts accomplis dans ce sens, en plein XXème siècle, par Henri Dontenville et son école pour revisiter nos mythes nationaux dont Mélusine est une des figures les plus marquantes.
Pour René Huyghe( ), le Moyen-Age est porteur du fonds gréco-latin qui procéde d'un équilibre miraculeux entre, d'une part, le réalisme de l'Univers et les tentatives de rationalisation de l'homme et, de l'autre, l'origine orientale du christianisme qui "incite l'homme à se dépasser pour trouver par delà les raisonnements de la logique, les révélations de la foi et les élans spirituels".

La pensée qui s'affirme fonde le régne de la Nature, en fait la grande réalité, explorée par les sens et dont l'intelligence, qui s'y applique, dégage les généralités.
Plusieurs explications à cela:
- l'Occident, d'abord débordé par les civilisations étrangéres, plus conscient de ses ressources, retrouve ses bases: réalisme et rationalisme,
- l'ascension de la classe bourgeoise a développé les goûts positifs et concrets.
De ce fait on peut sans doute estimer qu'à la fin du Moyen-Age, quand se produit le grand basculement préparé dès la fin du XIIème siècle, les res l'emportent sur les voces. Cependant de nombreux récits proprement initiatiques en raison de leurs racines populaires, tel le Roman de Mélusine, (mais on pense aussi à l'oeuvre de Rabelais et aux romans de La Table Ronde comme aux grands théatres à mystères du XIVème siècle), conservent les traces de ce conflit des interprétations du monde.
Il faudra attendre notre siécle pour qu'à nouveau cette dualité fondée en parti pris fasse l'objet d'interrogation, voire de contestation radicale.
André Breton, chef de file du groupe surréaliste de Paris est incontestablement la figure de proue de cette contestation, fustigeant l'attitude réaliste, de Saint Thomas à Anatole France qu'il voyait "hostile à tout essor intellectuel et moral... faite de plate suffisance".
Il écrit en effet dans le Manifeste du Surréalisme:
"le procés de l'attitude réaliste demande à être instruit aprés le procés de l'attitude matérialiste(...) sous couleur de civilisation, sous prétexte de progrés, on est parvenu à bannir tout ce qui peut se taxer à tort ou à raison de superstition, de chimére; à proscrire tout mode de recherche de la vérité qui n'est pas conforme à l'usage.( )"

Et de proposer le modéle du réve et du merveilleux, d'évoquer la toute puissance de l'Image, médiatrice entre le domaine vivant et l'univers, création pure de l'esprit, prise de conscience immédiate d'un rapport qui existe dans l'Univers.

Breton, qui connaissait bien le Moyen-Age et ses débats, et fit, ce que l’on sait moins, de fréquents séjours aux sites de Brocéliande, réclame, dans Arcane 17, le retour de Mélusine :
"Mélusine aprés le cri, Mélusine au-dessous du buste, je vois miroiter ses écailles dans le ciel d'automne. Sa torsade éblouissante enserre maintenant par trois fois une colline boisée qui ondule par vagues (...) oui, c'est toujours la femme qui chante dans l'imagination de l'homme, mais au bout de quelles épreuves pour elle, pour lui, ce doit être aussi la femme retrouvée". ( )

Il pose alors les conditions de ce retour en trois temps qui sont trois cris:
- celui d'un « bouquet de fougère commençant à se tordre dans une haute cheminée», cri réversible comme la pierre de l'Apocalypse,
- celui de la « descente d'escarpolette dans un jardin où il n'y a pas d'escarpolette », rève de l'enfantement sans la douleur,
- celui de la «femme-enfant, avénement de tout l'empire sensible auquel l'art doit préparer systématiquement. »

A la lumière de nos travaux antérieurs sur les Visages du Temps dans la littérature médiévale et dans l'oeuvre d'André Breton dont nous montrerons la subtile correspondance, nous proposerons une actualisation du mythe de Mélusine, nourrie d'images qui mettent en évidence les paradoxes de la modernité, de ses avatars, de ses ruptures.
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Georges Bertin.
GRIOT. 1996.

gbertin49
05/03/03