1. Infortunes.

- Pensez-vous, vénérée mère, que j’ai bien agi au service de la déesse ?
- Tu n’as pas bien ou mal agi. Tu as tenté ta chance, c’est tout. Pourquoi ? Espérais-tu déjà ta récompense ?
- ...
- Bientôt aura lieu le temps du Renouveau pour le royaume. Il se pourrait alors que la place de la déesse dans ce monde soit changée. J’ai prévu un petit rôle pour toi dans ce changement.
- Mais suis-je suffisamment préparée ?
- Tu dois d’abord faire tes preuves avant que je t’enseigne encore de nouveaux charmes. J’ai déjà eu trop de déconvenues avec mes élèves. L’une d’elle m’a récemment trahie pour un château. Elle en a payé le prix. Mais voici ce que je te propose...

C’est la pleine lune. Laura converse avec sa mère en religion, la mystérieuse grande prêtresse de Kita. Comme sa patronne, elle change d’apparence à volonté, et nul ne sait quel est son véritable visage.

- ... Pour t’aider, je te donne ce pendentif. Va maintenant.
- Merci, mère.
- Es-tu sûre de ne rien te souvenir de ton aventure avec ce faune ?
- Hélas, non.
- Dommage. Ce récit m’aurait certainement plu. Au revoir.

La grande prêtresse quitte la colline du chêne mort. Sous les reflets de l’astre de la nuit, Laura peut admirer la belle chevelure argentée de la silhouette qui s’éloigne d’un pas éthéré.

- Allons, compère, prendras-tu un nouveau verre ?
- Je crains d’être ivre, et, en matière de boisson, Aana préconise la retenue, répond Gil.
- Prends donc quelque chose, réplique Hubert. Je suis sûr que ta déesse regarde ailleurs en ce moment.
- Je prendrai un lait de chèvre.
- Décontracte-toi. Tiens ! Regarde donc ces beautés à la table voisine ! Si nous leur tenions un brin de compagnie ?
- Pardon messieurs. Je suis étrangère dans cette ville. Pourriez-vous me renseigner ? demande soudain une ravissante personne qui s’était approchée d’eux sans qu’ils y prennent garde.
- Mais comment donc, ma jolie. Prenez siège. Brenïn ! Fais un peu de place pour la demoiselle !

Hubert effectue la tournée des tavernes avec son inséparable ami, le nain Brenïn. Ce soir, il a réussi à détourner Gil de ses pieuses prières, et justement ils ont l’opportunité de passer la soirée en fort galante compagnie. Mais la nouvelle venue semble plutôt attirée par la mine austère du prêtre. Ne sont-ils pas en train de disserter philosophie ?

Le guerrier les laisse à de si sévère propos. Il lorgne du côté de la table voisine, et se recommande à boire.

Le lendemain, la tête un peu prise, il va, comme chaque jour, s’entraîner à l’escrime avec son ami, le prince Orion. Celui-ci est déjà équipé, et plaisante avec Gil.
- Et alors ? Vous êtes-vous bien divertis cette nuit ?
- J’y ai rencontré une femme exquise, intelligente et cultivée. Nous avons passé la soirée ensemble.
- Et la nuit ?
- Cette nuit fut la plus belle et la plus tendre de mes expériences.
- Tant mieux pour vous. Mais ne me dites pas que vous en avez oublié vos dévotions matinales?
- Oh ! Honte sur moi !
- Allons ! Ce n’est pas si grave. La déesse tolère ce genre de petit écart pour un novice. Allez voir le grand prêtre. Il vous en coûtera seulement une petite pénitence.
- Mais c’est bien pire que cela, sanglote le jeune homme.
- Quoi donc ? Vous m’inquiétez.
- J’ai perdu l’image de la déesse Aana en mon cœur !
- Allons voir Val immédiatement, décide le prince.

Ils vont demander conseil au précepteur d’Orion, qui est aussi le premier représentant mortel d’Aana, après le roi lui-même. Après avoir pris connaissance du problème de Gil, il interroge les cieux, puis leur répond.

- J’ai dû solliciter le plus puissant des anges d’Aana, Ralf, l’ange de la guerre.
- Qu’a-t-il répondu ? demande Orion.
- Gil est maudit. Sa faute est d’avoir forniqué avec cette étrangère.
- Et quoi donc ? s’étonne Hubert. Serait ce un garou sous ses dehors féminins ?
- Plus terrible encore. C’est une prêtresse de Kita !
- De Kita ? Honte sur moi !
- Pour vous racheter, vous devrez la retrouver, et la combattre.
- Elle a dit qu'elle s’appelait Laura. Mais où est-elle maintenant ?
- Ralf m’a indiqué le chemin de la Frontière, en direction du château de Gatt.
- Il faut absolument la rattraper avant qu’elle ne nous nuise encore, déclare Orion. Je vais avertir mon père que nous partons sur l’heure. Nous suivrez-vous, chevalier ?
- Veuillez m’excuser, répond Hubert. Mais je trouve toute cette histoire, comment dire?... Après tout, Gil avait l’air libre de ses actes. Dans quelque temps, peut-être sera-t-il le premier à rire de cette situation ?
- Est-ce à dire que vous nous abandonnez ?
- Je ne puis me résoudre à pourchasser une femme, et encore moins la punir, sous le fallacieux prétexte qu’elle est prêtresse de Kita, et qu’elle a plu à un prêtre d’Aana. Je suis étranger à ce genre de querelle théologique !
- Dans ces conditions, vous concevrez que nous ne puissions continuer à croiser nos chemins.
- Je le conçois et prends congé de vous.

Le guerrier, et son compagnon Brenïn, se retirent.
- Allons-nous vraiment abandonner ce prince si noble ? demande le nain.
- Je reconnais bien là ton sens de la loyauté. Tu es pris entre deux amitiés. Mais je te rassure. Nous allons tout de même les suivre à distance, et tâcher que rien de fâcheux ne leur arrive. As-tu gardé de cette potion que t’avais donnée la prêtresse de Mara ?

Pendant ce temps le prince demande audience à son père, et peu après a lieu l’entrevue sollicitée...
- Vous pouvez partir sur-le-champ, mon fils, répond le roi Uhr à Orion. Mais revenez vite. D’importants bouleversements vont maintenant se produire, et j’aurais besoin de vous.
- Le royaume serait-il en péril ?
- Il n’y a rien d’irrémédiable pour l’instant, mais les signes annonciateurs sont là. Qui vous secondera dans votre recherche ?
- Seulement Gart et Gil, puisque Karnay n’est pas encore remis.
- Le novice ne sera pas d’un grand secours, puisqu’il a perdu la confiance d’Aana. Demandez donc à Val quelques potions de soins.
- J’y vais de ce pas.

- Concentre-toi maintenant, et répète après moi : " Loucateuzeubigueurabiteu ".
- " Loucatezebiguerabite " ?
- Sans l’accent tonique et en prononçant bien les " eu ".
- " Loucateuzeubigueurabiteu " !
Eloa fait brusquement un bond en hauteur de deux mètres, et retombe comme elle peut.
- Très bien, tu es au point, lui déclare l’Egyptien. Tu ne t’es pas fait mal au moins ? C’est vrai que j’ai omis de te prévenir. En fléchissant les jambes et en invoquant la formule au bon moment, tu peux faire un saut encore plus important, et le diriger en hauteur ou en longueur. Es-tu prête à recommencer ?
- Peut-être pas tout de suite, répond l’apprentie en se frottant le bas du dos.
- Je veux dire, sens-tu que tu pourrais faire appel à un autre sortilège ?
- A la réflexion, je sens affleurer encore un peu de magie à la limite de mes pensées.
- Te voilà devenue une magicienne du second cercle.
- Cela veut-il dire que je peux employer deux charmes par jour ? C’est formidable !
- Oui. Toutefois je dois freiner ton enthousiasme. Tu restes limitée par le petit nombre de sorts que tu connais, et la plupart des parchemins que tu pourrais trouver sont d’une complexité trop grande pour tes capacités actuelles. Il peut même être dangereux de t’y essayer malgré mon avertissement.
- Mais si je vous les rapporte, m’aiderez-vous à les maîtriser ?
- Certainement. Mais pour l’instant je te propose un autre exercice. Examine ce parchemin, et donne-moi tes conclusions.
Eloa saisit le document, et tente de le déchiffrer.
- Je n’y arrive pas. Je ne connais pas ces symboles.
- As-tu déjà oublié ce que je t’ai appris ces derniers jours ?
- Mais oui ! Suis-je sotte ! Il me suffit d’utiliser le charme de Clarté des Langues.
- Et, comme tu es maintenant magicienne du second cercle, voici de quoi utiliser ton deuxième pouvoir.
Elle extirpe de sa cachette son livre de magie, et étudie donc avec soin le fameux charme. Puis elle saupoudre le mystérieux parchemin d’une pincée de cendre, de quelques grains de sel, et récite la formule.
- Je lis : " Pour le renouveau des jours, une main innocente devra recueillir l’essence divine du mortel au petit matin de la nouvelle lune, et la mélanger à la sève d’un jeune chêne, ou mieux, d’un séquoia, avant que la rosée ne s’évanouisse ".
- C’est très bien. Mais mon autre élève, Carali, a une autre traduction. Il parle, lui, de " l’essence mortelle du divin ".
- Et quelle est la bonne interprétation ?
- Cela, c’est à toi de le découvrir.

Orion, Gart et Gil ont quitté Uhr depuis une semaine. Ils voyagent à présent dans les Marches du prince Corn, lorsque, traversant un village, ils voient un attroupement autour d’une femme qui implore les cieux.
- Que se passe-t-il ? interroge le paladin.
- C’est la femme du forgeron. Son mari l’a abandonnée, avec ses cinq enfants, pour suivre une étrangère.
- Comment était cette étrangère ?
- Petite, un peu ronde, les cheveux blonds, et surtout de grands yeux bleus à faire damner un saint.
- C’est Laura ! s’exclame Gil.
- Nous sommes sur la bonne piste.

Un peu plus loin, ils trouvent une élégante voiture sans attelage, et un marchand en train de se lamenter sur son sort.
- Qu’avez-vous ? Pouvons-nous vous être de quelques secours ?
- Hélas ! Je revenais d’une vente d’un de mes fermages, et je me suis fait dérober mon bien, ainsi que mes chevaux.
- Quels étaient vos dévaliseurs ?
- Un homme et une femme, pires que des démons. Je vois que vous êtes bien armés. Pourriez-vous les rattraper et les châtier ? Je vous en serais grandement reconnaissant.

Ils chevauchent à brides abattues, mais sans réussir à rejoindre les fugitifs. Passant devant une auberge, ils interrogent le tenancier.
- Bonjour, avez-vous aperçu un homme et une femme, montés sur deux chevaux ? La femme est petite, un peu ronde, les cheveux blonds et des yeux bleus à damner un saint.
- Quel sera mon salaire si je vous réponds ?
Avec une moue de dédain, Gart tire une pièce d’or de sa bourse, et la lui jette.
- Alors ? demande le prince.
- Ils sont partis il y a quelques instants. La femme a payé une tournée générale. Elle s’est entretenue avec quelques-uns uns. Puis elle a entraîné toute ma clientèle derrière elle. Elle semblait très riche. Il ne reste que le vieux, là-bas, dans un coin.
- Qui étaient vos clients ?
- A deuxième question, deuxième salaire.
Gart s’exécute de nouveaux.
- Ce sont des soldats en fin de solde. Depuis qu’il a renoncé à ses campagnes contre les elfes, le prince Corn en démobilise beaucoup.
- Et par où sont-ils partis ?
- ...
Gart lance une troisième pièce.
- Ils ont coupé à travers bois.
Ils tentent de les poursuivre, mais perdent rapidement la piste.

Dans le mois qui suit, ils apprennent les méfaits de la nouvelle bande. Des marchands sont attaqués, des fermes isolées, et même un collecteur d’impôt. Hélas, la troupe reste insaisissable. A peine les signale-t-on ici, qu’ils apparaissent ailleurs.

Mais un jour, ils arrivent près d’un noyer où pendent de curieux fruits.
- Que s'est-il passé ici ? Demandent-ils à une vieille femme qui cueillait du bois mort aux alentours.
- Notre bon seigneur a tendu une embuscade aux bandits, et il les a tous pendus.
- Et la femme ?
- Il en a eu pitié, et l’a prise sous sa protection.
- Si c’est un seigneur du prince Corn, dit Gart, nous obtiendrons difficilement justice.
- Demeurons donc au village voisin, répond Orion, et attendons que la louve sorte du bois !

Ils y logent un mois supplémentaire. Mais là, ils apprennent que les choses ont empiré. La sorcière, comme l’appellent maintenant les paysans, a perverti le seigneur. Celui-ci s’adonne désormais à des fêtes et des orgies où règnent tous les vices. Pour les financer il a mis en coupe réglée tous les habitants de son domaine en les submergeant de taxes.
- Cela en est trop ! déclare le paladin. Il faut en finir !
Ils se rendent à la porte du petit château.
- Je somme le maître de ces lieux de répondre de ses vilenies ! clame Gart. S’il lui reste un peu d’honneur, mon prince, le valeureux Orion, le défie en combat singulier demain à l’aube, au noyer des pendus !
Puis ils se retirent sous les quolibets des gardes du château.

Mais le lendemain, contre toute attente, le seigneur se présente sur la colline, à cheval et en armes, escorté par seulement quelques soldats, et une femme en armure.
- J’ai décidé de répondre à votre appel, déclare-t-il. Souhaitez-vous combattre à pied ou à cheval ?
- Je vous prie de m’excuser, mais j’ignorais votre âge, répond le prince en découvrant les cheveux blancs et le visage buriné par les ans de son adversaire. Le duel en serait trop déséquilibré. Livrez-moi la femme, jurez de mener bonne vie, et n’en parlons plus.
- Vous insultez mes nombreuses années au service de votre père ! Battez-vous !
Le seigneur a baissé sa visière, relevé sa lance, et éperonné son cheval. Il fonce sur Orion, qui n’a pas le temps de prendre son élan. Le voici démonté.
- Et maintenant, vidons notre querelle à l’épée, jeune présomptueux ! dit le seigneur en mettant pied à terre.
- J’ignorais que vous aviez été vassal de mon père, répond Orion tout en se défendant.
- J’ai combattu à ses côtés il y a maintenant dix lustres. Mais que cela ne retienne pas votre bras.
Le vétéran est expérimenté. De quelques coups adroits, il met Orion en difficulté. Celui-ci évoque alors Aana, et se ressaisi.

Le combat est incertain. Mais le poids des ans finit par trahir le seigneur, qui est désarmé et projeté à terre.
- Confessez-vous vos fautes, et implorez-vous merci ? lui demande Orion en pointant son épée sur sa gorge.
Le seigneur tourne son regard vers le petit groupe de ses compagnons. Il aperçoit ses fidèles soldats, mais aucun d’eux ne bougera, car il leur en a donné l’ordre, quelle que soit l’issue du combat. Quant à la femme, elle a disparu.
- La raison de vivre de mes vieux jours n’est plus là. Mais je ne regrette rien. Et maintenant, je vous en conjure, ne m’humiliez pas plus devant mes hommes, et tuez-moi !

A la tombée du soir, les habitants du château enterrent leur seigneur. Orion, Gart et Gil assistent à la cérémonie. " Un chevalier place son honneur au-dessus de sa vie " répètent souvent les prêtres d’Aana aux écuyers.

Pendant ce temps, Hubert et Brenïn vident des chopines à l’auberge...

- Qu’allons nous faire ? demande Gil après les funérailles. Nous avons perdu de nouveau la piste de cette prêtresse de Kita.
- Elle a dû poursuivre son intention première, et aller au château de Gatt. Tâchons de la précéder en prenant le plus court chemin.
Ils quittent les Marches du prince Corn, et s’aventurent sur la Frontière, quittant ainsi la protection de la civilisation.

Tout se passe sans incident jusqu’au troisième jour. Mais, ce matin, voici que Gart reçoit à la tempe une pierre lancée d’une main experte. Il est à moitié assommé et tombe de cheval.
- C’est Laura ! s’exclame Gil. J’ai reconnu sa silhouette derrière les arbres. Elle a dévêtu son armure !
- Je la poursuis ! répond le prince. Occupez-vous de Gart !

Il descend de sa monture et entre dans la forêt. Il l’aperçoit par intervalles, et la suit jusqu’à l’entrée d’une petite ruine. Elle a du s’y cacher.
- Montrez-vous donc sous le soleil, madame ! Je vous défie !
A cet instant les trois ogres sortent de leur tanière, et attaquent le paladin. Orion est tellement occupé à se défendre qu’il a juste le temps d’apercevoir Laura, qui profite du combat pour se faufiler dans la tour. Mais par quelle sorcellerie aucun ogre ne l’aperçoit ?

Puis elle ressort, emportant avec elle quelques fioles et un parchemin : le trésor des ogres.
- Maudite sorcière ! Tu t’es jouée de moi ! Mais tu n’échapperas pas éternellement à la vengeance d’Aana !
Enfin Gart et Gil arrivent à la rescousse, et, à trois, ils se défont des anthropophages.

Pendant ce temps, Hubert et Brenïn sont aux prises avec un troll...

Espérant toujours arriver avant Laura au château de Gatt, Orion, Gart et Gil ont repris leur route.

Ils ne sont plus qu’à une journée de marche, lorsque soudain ils entendent les appels au secours d’une femme en détresse.
- Croyez-vous qu’il s’agisse encore d’une fourberie de ce démon femelle ? demande Gart.
- Je ne reconnais pas sa voix, répond Gil.
- Allons-y ! décide le paladin.

Ils éperonnent leurs chevaux, et gravissent la colline. Mais lorsqu’ils en redescendent la pente opposée, les cris se sont tus. Ils se retrouvent dans un petit vallon cerné par des falaises.

Soudain un gros rocher s’écrase à quelques pas d’eux. Ils se retournent, et découvrent un géant des collines qui les a pris à revers.
- Un géant ! Nous sommes perdus ! s’exclame Gil.
- Messieurs, souvenez-vous qu’il n’y a destin plus chanceux que celui de mourir dans l’honneur ! s’écrie Orion.

Les deux guerriers saisissent leurs épées, et chargent.
- Ce lâche fuit ! avertit Gart en apercevant Gil, qui a mis pied à terre, et profite du combat pour échapper à l’attention du monstre.
- Rappelle-toi qu’il n’a plus l’image de la déesse en son cœur, dit le paladin. On ne peut lui demander d’être héroïque!
Puis le géant, d’un seul coup de poing, les assomme tous les deux.

Pendant ce temps, Hubert et Brenïn affrontent un nombre invraisemblable de poux d’ours...

Lorsqu'Orion se réveille, il est ligoté, étendu à même le sol dans ce qui semble être une vaste grotte. Un feu brille à proximité. Gart gît à côté de lui, encore inconscient. Mais de vilains filets de sang lui coulent du nez et des oreilles.

Le paladin se contorsionne pour poser la tête contre la poitrine de son ami. Oui, le cœur bat encore. Si seulement il était libre de ses mouvements, il pourrait le soigner grâce à son don de thaumaturge. Hélas, il a beau essayer de rompre ses liens, cela lui est impossible. Il n’a pas la force d'Hubert. En silence, il prie sa déesse, espérant un secours.

Et le secours vient, sous la forme d’une majestueuse femme brune.
- Vite, paladin ! Il faut vous échapper avant le retour du géant, dit-elle en coupant la corde qui le retient avec une dague.
- Et mon ami ?
- Il est intransportable. Nous viendrons le chercher plus tard. Faites-moi confiance. Suivez-moi sans poser de question.
Confiant dans l’envoyée de sa déesse, le paladin la suit.

Pendant ce temps, Hubert et Brenïn contemplent leur ouvrage.
- Je n’ai jamais vu une telle quantité de poux d’ours. Je te remercie, Eloa. Sans toi nous n’en serions jamais venus à bout.
- Hélas, ceci n’est qu’une petite partie de ma mission. Savez-vous où est le prince Orion en ce moment? Il est vital que nous le rejoignions.

Au moment de sortir de la grotte, le paladin aperçoit un reflet sur la gorge de sa salvatrice. Qu’est-ce ? On dirait une pierre de Lune!

Pris d’un horrible soupçon, il tend la main et arrache la chaînette.
- Vous ! Vous avez voulu me tromper et avez passé de la teinture de châtaignier sur vos cheveux! Comment ne vous ai-je pas reconnue tout de suite ?
- La pierre de Lune, symbole de ma déesse, me permettait de me cacher de votre don de clairvoyance. Mais c’est trop tard, ex paladin! Vous m’êtes maintenant redevable de votre vie. Moi, une prêtresse de Kita !
- Pas encore, sorcière ! Je n’ai pas tout à fait franchi le seuil de l’antre du géant, et je retourne de ce pas attendre mon destin!
- Ne soyez pas stupide. Sauvez votre vie...
- Plus un mot, démon, et reprenez votre symbole ! Je risquerai d’être souillé par cette industrie de Kita en la conservant.
Il lui jette le bijou au visage, puis s’en retourne dans les profondeurs de la grotte.
- A votre aise, paladin ! Si je n’ai pu vous corrompre, j’aurai du moins le plaisir d’avoir causé votre perte!

Orion observe, rassuré, le corps de son ami. Il a pu le soigner, et celui-ci respire maintenant plus librement. Mais à quoi bon le réveiller ? Le géant va bientôt revenir, et ils vont mourir tous les deux.

Mais voici qu’arrive soudain Gil, porteurs de leurs épées.
- Brave cœur, tu n’as pu te résoudre à nous abandonner. Mais c’est peine perdue. L’honneur m’interdit de me défendre.
- Mais si ! Puisque c’est moi qui vous délivre maintenant, et non la prêtresse de Kita. De plus... Attention !
Le géant vient d’entrer. Furieux de découvrir les prisonniers libres de leurs entraves, il se saisit d’un rocher, et le lance contre eux avec force. Gil s’interpose, et le reçoit de plein fouet.

- Par Aana ! Géant, à nous deux ! s’exclame Orion en brandissant son épée.
Il parvient à frapper la créature de taille et d’estoc, mais ce faisant, il s’expose à un coup de poing. Malgré son armure, cela lui bloque la respiration. Il a probablement quelques côtes cassées. Il n’y a rien à faire contre la force monstrueuse du géant. Celui-ci s’apprête à asséner un second coup, mais soudain son pied glisse, et il s’étale de tout son long !

- A nous cinq, voulez-vous dire, prince !
C’est Hubert et Brenïn qui font irruption à leur tour dans la grotte.
- Vous avez dit cinq, je crois, mais vous n’êtes que deux. Qui est le cinquième?
- Je suis là également, dit Eloa, avec mon épée. Gil nous a avertis de votre captivité, mais il était tellement pressé qu’il nous a précédés.
- Je me disais bien que je reconnaissais le sortilège capable de faire chuter un géant.

Sur ces entrefaites, celui-ci se relève. Mais il est aussitôt assailli par quatre lames tenues par de vaillants bras. Non sans avoir tenté de se défendre par tous les moyens, et après avoir causé quelques horions et meurtrissures, il finit par succomber sous le nombre.

Puis Orion s’occupe du prêtre blessé.
- Gil, mon ami, comment vas-tu ?
- Hélas, je ne sens plus mes membres. Je crois que je vais mourir. Mais je meurs en paix. J’ai enfin retrouvé l’image de ma déesse en mon cœur.
- C’est en te sacrifiant pour ton prince que tu as obtenu son pardon. Je ferais élever une stèle à ta gloire.
- Brenïn, ne nous reste-t-il pas quelques potions de soin ? demande Hubert.
- Tu as utilisé la dernière pour me sauver lors du combat contre les poux d’ours, répond le nain.

Gil expire.

- C’est fini. Il nous faut aller avertir Gatt maintenant.
- Nous n’avons plus le temps, dit Eloa. Une nouvelle quête, dont dépend la survie du royaume, va commencer. L’Egyptien m’en a tracé les grandes lignes. Nous devons nous rendre à Uhr sans tarder. Mais rassurez-vous, je crois ce Gatt plus fine mouche qu’il n’y parait. Il saura éviter les tentations.

Laura attend au pied du chêne mort. Cela fait maintenant trois lunes qu’elle en est partie.
- J’ai apprécié tes ruses, lui dit soudain une voix. C’était de la chance que de trouver une potion de contrôle des géants dans le repaire des ogres. Mais c’était de l’habileté que d’avoir su l’utiliser avant qu’Orion ne soit en sécurité chez Gatt. Ton piège était subtil.
- Hélas, vénérée mère, j’ai échoué. Et la magie de la pierre de Lune s’est maintenant éteinte.
- C’est ma faute, en vérité. A défaut d’entamer la solidité du tronc, j’ai cru pouvoir atteindre les bourgeons. Mais j’ai sous-estimé Orion. Je crains que le fils ne soit un plus rude adversaire que le père. Bientôt débutera le solstice d’été, et il nous faudra réviser nos plans.

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