1. Le secret des collines.

Carali compte et recompte les pas :
- ... vingt-trois, vingt-quatre, vingt-cinq... la distance y est. Essayons maintenant !

Il prononce une formule, et la lumière de la lanterne placée exactement à vingt-cinq pas de lui vacille et s'éteint !

- J'avais raison ! Mes études à la bibliothèque n'ont pas été vaines. Mon pouvoir de concentration s'est renforcé !
- Félicitations ! Tu es maintenant un initié du quatrième cercle.
- L'Egyptien ! Vous étiez là ? Quelle joie de vous revoir !
- Le roi en personne a eu vent de tes exploits, et te demande. Suis-moi...

En compagnie de son maître, Carali va donc voir le roi Uhr à son palais. Il est reçu dans un petit bureau. Le prince Corn, grand connétable du royaume, est là aussi.
- Tout d'abord, je dois te féliciter et te remercier pour ton présent : ce bateau magique. Mes savants sont en train de l'examiner. D'ores et déjà ta trouvaille semble prometteuse, dit le roi.
- Merci, votre majesté.
- Des événements récents nous font craindre pour le royaume. Nous avons pensé qu'un apprenti aussi chanceux que toi pourrait nous être utile.
- Chanceux ?
L'Egyptien pousse son apprenti du coude.
- Je remercie votre altesse de son compliment.
- Et aussi intelligent, bien sûr. Mais je laisse ton maître et le connétable t'expliquer plus en détail l'affaire. Je dois encore assister à plusieurs cérémonies ce matin.

Le roi sort.

- Il s'agit de découvrir pourquoi l'ancienne civilisation a disparue, explique L'Egyptien. Comme tu l'as sans doute déjà compris, cette histoire ne se trouve pas dans la bibliothèque d'Uhr.
- Nous pensons qu'elle se trouve quelque part sur la Frontière, précise Corn. Je vais te donner une lettre d'introduction pour le commandant Arnus. Il tient garnison au château de la tribu orque des Briseurs de crânes.
- Des orques ? Ne sont-ils point dangereux ?
- Ne t'en fais pas. Arnus les a soumit. Ils nous sont fidèles désormais, répond le prince.
- Et si tu trouves une réponse à cette énigme, ajoute l'Egyptien, ne le dis à personne et préviens-nous en premier surtout ! Je te donne ce parchemin pour faire la route, mais évite villes et villages jusqu'à ta destination.

Impatient, mais suffisamment prudent pour ne le faire qu'une fois loin de toute agglomération, Carali lit le parchemin. Un brouillard apparaît magiquement, et, sortant du brouillard...
- Un cheval ! Un cheval de brume magique. Hélas ! Comment vais-je faire pour le monter ? Je tiens à peine en selle !

Mais il s'aperçoit vite que cette monture est très docile et confortable. Il grimpe dessus aisément.
- Et maintenant, comment vais-je te demander d'aller où je dois aller ? Je parie que tu ne comprends pas ce que je dis. Si ?
Pour toute réponse, le cheval secoue la tête.
- Bon, j'essaye quand même : Cheval de brume ! Va où je dois aller !

Le cheval se met en route. Comme ses sabots éthérés effleurent à peine le sol, il ne provoque pas de sursauts qui pourraient désarçonner son cavalier. Carali se met à oser lui demander d'aller au galop, puis de plus en plus vite !

Il voyage ainsi tout le reste de la matinée. Puis il songe à s'arrêter pour déjeuner.
- Cheval de brume, sommes-nous bientôt arrivés ? J'ai faim ! Halte !

Pour toute réponse, le cheval s'arrête net, projetant son cavalier dans un trou plein d'eau.
- Maudite créature d'enfer ! Me voici tout trempé maintenant ! Hé ! Ne t'enfuis pas !

Trop tard : le cheval disparaît comme il était venu, happé par un brouillard magique. Une fois celui-ci dissipé, Carali regarde où il a atterri. Il est au pied des remparts d'un château, dans un fossé rempli de fange qui lui arrive jusqu'aux aisselles. Il entend des voix d'orques.

- Je suis Carali, le puissant magicien ! De quelle tribu êtes-vous ? Crie-t-il dans leur langue, dont il a pu apprendre des rudiments à la bibliothèque royale.
- Nous sommes les Briseurs de crânes, répondent les orques hilares. Notre maître sera ravi de vous recevoir. Il vous attendait !

Ainsi Carali et Arnus se rencontrent-ils pour la première fois...

- Et ainsi vous pensez que ce château était un centre important de l'ancienne civilisation ?
- C'est du moins les conclusions auxquelles était arrivé ce Brand.
- Qu'est-il devenu ?
- Il est parti après avoir détruit les inscriptions de la pièce centrale.
- Vous ne l'avez pas revu depuis ?
- Il est bien revenu accomplir quelques missions pour nous. Mais il a disparu au cours de l'une d'elle sans que nous ayons pu l'interroger.
- Il était seul ?
- Un de nos hommes, Jack, l'accompagnait aussi. J'ai eu plus le loisir de le questionner...
- Et ?

Silence.

- Ecoutez, je suis mandaté par le roi et le prince réunis. Regardez donc de nouveau ma lettre d'introduction. Nous devons nous faire confiance !
- Bien. D'après mon espion, ils ont trouvé un souterrain dans l'antre de la Bête qui menait à un laboratoire...
- La bête ?
- Je vais vous montrer. Suivez-moi !

Arnus mène Carali au fond de la cour, près du puits. De loin, il jette un petit caillou dans l'orifice. De grands tentacules roses jaillissent soudain, qui balaient l'espace. Après de longues minutes, elles se rétractent enfin.

- Fichtre ! Et vous n'avez pas essayé de la tuer, ou de combler le puits avec des pierres ?
- Plusieurs hommes sont morts en vain. Je n'ai pas insisté.
- Comment votre Jack et ce Brand ont-ils pu passer alors ?
- Ils ont eu de la chance. Mais c'est une idée, demain, quand la bête sera calmée, nous essaierons à notre tour.

- Et pourquoi est-ce moi qui dois y aller ?
- Parce que tu es le meilleur éclaireur que je connaisse !
- Le meilleur ? Vraiment ?
- Le meilleur disponible. Vas-y !
- Mes jambes ne m'obéissent plus...
- Merle ! Avance ou je te pousse moi-même dans le puits !
- Et si je mourrais ?
- Je te promets que tu ne mourras pas aujourd'hui ! Avance, te dis-je !

Finalement, attaché à une corde dont les orques tiennent l'extrémité, Merle descend le long de la paroi. Du bord de la margelle, Carali dirige la manœuvre par signe.

L'éclaireur est presque arrivé à l'endroit ou commence le souterrain, quand soudain le magicien s'aperçoit que sa dague a pris une teinte bleutée.

- La Bête ! Elle va surgir ! Remontez-le !
- Au secours ! Elle arrive !

Trop tard, un tentacule coupe la corde. Carali a juste le temps de se retirer.

- Je ne veux pas mourir ainsi ! Arnus ! Tu m'avais promis !
- Allez chercher une autre corde ! s'exclame le commandant.

Epée à la main, Arnus a sauté dans le trou !

- Quel inconscient ! Vite ! Vous autres ! Une corde !
- Je l'ai ! crie Merle, tirez moi de là !

Les orques hissent l'éclaireur, puis essaient de s'approcher du puits, mais les tentacules leurs barrent le chemin.

- C'est inutile ! s'écrie Arnus. Laissez-moi !

Carali examine la lueur bleutée au bout de sa dague. Il découvre que tout son corps est entouré de cette même lueur. Et si cette aura suffisait à le protéger de la Bête ? Ce ne serait pas la première fois que sa dague lui rend un tel service. Il s'approche...

Et ça marche ! Il est sur la margelle. Il aperçoit Arnus, pris dans un tentacule comme dans un étau.

- J'ai perdu mon épée, peux-tu m'envoyer une arme ?

Carali examine sa dague. Saura-t-elle le protéger jusqu'au bout ? Aura-t-il suffisamment de courage pour sauter à son tour ?

La dague lui échappe des doigts et tombe...

Il échappe de justesse à un tentacule. Le prochain aura sûrement raison de lui...

Et soudain :

- Le monstre a disparu !

Etonnement, silence...

- Arnus ?

Encore un silence.

- C'est bon. Vous pouvez venir. Il n'y a plus de danger ! répond le commandant après quelques minutes d'angoisse.

Les orques se congratulent. Merle en embrasse un. Carali a presque envie d'en faire autant.

- Que s'est il passé exactement ?
- Heureusement mon armure m'a protégé suffisamment longtemps. J'ai attrapé ta dague au vol, et j'ai frappé au jugé ! Puis le monstre a disparu !
- Mon arme a du le renvoyer dans son monde d'origine, c'est la seule explication que je voie. Peux-tu me la rendre au fait ?
- Tiens. Je crois que mon armure est malheureusement fichue maintenant.
- Pourquoi avoir sauté dans le puits ? C'était un acte courageux, certes, mais plutôt téméraire.
- J'avais fait une promesse à Merle. Qu'a donné l'inspection du souterrain ?
- Hélas, les inscriptions de Brand sont effacées elles aussi. Tu es sûr que ton Jack ne se souvient pas du mot ouvrant la voie ?
- Hélas, il n'a pas eu le temps de me le donner.
- Nous ne pouvons donc pas emprunter le passage secret. Et de ton côté ? Qu'as-tu trouvé au fond du puits ?
- Les reliefs des proies de la Bête. Et ceci :

Il lui montre une tablette couverte de runes.

- Excellent ! Peut-être est-ce la clef de cette énigme ?
Carali saupoudre la tablette d'un peu de cendre et de sel, et prononce une formule.

- Alors ?
- C'est un extrait d'un rituel. Probablement de celui qui a amené à l'existence de la Bête.
- C'est utilisable ?
- Pas trop. Mais il y a une signature...
- Qui est ?
- Elle est hélas illisible... mais attend...
- Oui ?
- En dessous je vois des symboles et des chiffres.
- Et qui signifient ?
- Ca semble indiquer un autre lieu situé sur la Frontière !

- Mais pourquoi avez-vous tué mon géant ?
- Il était hostile. Vous devez être Fred, l'éclaireur du roi à la retraite qui habite les environs ?
Nous sommes mandatés par le roi et son connétable pour effectuer des recherches sur toute la Frontière. Voici nos ordres de mission.
- C'est bon, dit le fermier après avoir lu les parchemins. Mais vous auriez du m'en parler avant. Le géant avait ordre de ne laisser passer personne.
- Où sommes-nous exactement ?
- Dans l'antre du géant. Ce passage donne accès à un lieu connu de seulement quelques-uns. Voulez-vous me suivre ?

Arnus et Carali suivent donc le fermier. Au bout d'un corridor taillé dans la roche qui leur semble interminable, ils entrent dans un endroit plus vaste. Carali utilise un sort de lumière pour éclairer l'ensemble. La salle circulaire est ornée d'un autel et de plusieurs statues nichées dans des alcôves le long des murs.

- C'est bon. Nous allons étudier ça minutieusement.
- Parfait, répond Fred. Je vous laisse donc. Mais je vous aurais prévenu, même L'Egyptien n'a pas osé rester ici plus de quelques heures.
- Que comptes-tu faire ? demande Arnus à Carali une fois le fermier parti.
- Regarde ! Il y a un lutrin à terre... Peut-être y a-t-il un livre ? Oh !
- Qu'y a-t-il ?
- Cette statue, elle ressemble à un gnome que je connais !
- Tous les gnomes se ressemblent. Combien de temps allons-nous rester ?
- Oui ! Le livre est ici !

Il le ramasse, et redresse le lutrin.

- Le livre est intact ! Je compte le lire jusqu'à épuisement de mes sorts... Il paraît que j'ai de la chance... Tu as peur ?
- Non. Une récente aventure m'a appris à rester éveiller et à monter la garde pendant longtemps.
- Parfait.

Le magicien prononce une formule magique, et des toiles d'araignées apparaissent dans toute la pièce, sauf à l'endroit où ils sont.

- Crois-tu vraiment que ceci suffise à retenir nos ennemis, s'ils viennent ?
- Non, mais ceci suffira pour nous prévenir, même s'ils sont invisibles ! répond Carali en sortant une poignée de petits objets métalliques de son sac.

Il souffle dessus et, par magie, ces minuscules objets viennent se disperser et se suspendre dans les fils de la toile.

- Ce sont de minuscules clochettes que j'ai fait fabriquer selon mes plans. Elles tinteront à l'approche d'un ennemi.
- Je croyais que les magiciens utilisaient d'ordinaire un sort plus direct.
- Oui, mais je ne possède pas encore ce sortilège.
- Ceci est-il une de tes inventions ?
- Oui.
- Il est vrai que tu es chanceux. Alors ça peut marcher...

- Alors ?
- Il s'agit d'un livre de prière. Ce lieu devait être dédié au culte. Les statues représentent leurs dieux. Il y en a vingt.
- As-tu remarqué que la vingtième alcôve est vide ?
- Oui. Et la page qui devait mentionner cette divinité a été effacée...
- Tu en as encore pour longtemps ? J'ai un certain pressentiment...
- Mon sortilège touche à sa fin. Je saute directement les pages jusqu'à la signature. Oui ! Il y en a une !
- Qui dit ?
- Il y en a même plusieurs ! Il s'agit des principaux dignitaires de l'ancienne civilisation. Il y a aussi leurs lieux de résidence ! Vite ! Une carte et un fusain !

Une fois le sort expiré, Carali explique à Arnus sa trouvaille :

- Nous sommes au centre religieux. Là est le centre administratif : c'est le château des briseurs de crânes d'où nous venons...
- Et les autres croix que tu as faites ?
- Là est le centre financier : c'est le château de Gatt, où Eloa est devenue magicienne. Là est le centre militaire, et là, là ! C'est le centre magique !
- Le centre militaire dis-tu ?

Silence.

- Ecoute, nous n'arriverons à rien si nous n'échangeons pas pleinement nos informations...
- C'est une tour que j'ai déjà exploré avec dame Eloa et dame Lorraine : une prêtresse de Mara, ainsi qu'un chasseur nommé Dalor. A ton tour ! Parle-moi du centre de magie !
- C'est le château des géants que j'ai soumis. Nous l'avons depuis confié au magicien Dreuze. Il peut nous aider.
- Et, qui sait, peut-être y découvrirons-nous enfin le mystère qui entoure la disparition de l'ancienne civilisation ?
- Il ne faut cependant pas se leurrer, beaucoup de générations d'aventuriers l'ont recherché en vain. Nous n'avons que très peu de chances de réussir...

Ils n'eurent pas longtemps à attendre...

- Et c'est ainsi que, par une série de coïncidences extraordinaires, Arnus et moi-même avons découvert le grand secret des collines... relate Carali. N'est-ce point merveilleux ?
- Oui. N'y a-t-il qu'Arnus et toi au courant ? Lui demande son maître, l'Egyptien.
- Oui, et vous maintenant. Je me dirigeais vers Uhr pour vous en rendre compte, mais vous m'avez encore une fois précédé. Quant à Arnus, il doit être sur le chemin de Berrabès pour aller prévenir le prince Corn.
- C'est une chance que Fred se soit souvenu de sa dette, et m'ait prévenu à temps... mais tu disais ?
- Je... je ne me souviens plus...
- C'est-à-dire ?
- J'étais en train de discuter avec Arnus dans la crypte, quand soudain je me retrouve ici devant vous. Où sommes-nous ?
- En sécurité dans ma roulotte. Ce type d'amnésie arrive parfois dans la vie d'un magicien, surtout d'un futur magicien du cinquième cercle.
- Du cinquième cercle, vraiment ?
- Tu en as la chance... je veux dire : l'intelligence.
- Et serais-je toujours votre apprenti ?
- Tant que tu le désires... Mais tu devrais aller dormir maintenant. Tu as subi de nombreuses épreuves ces derniers temps.
- Et vous ?
- J'ai rendez-vous avec quelqu'un sur la route de Berrabès avant qu'il ne voie son prince, mais il ne le sait pas encore.

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