Christian RICORDEAU
7e période de l'histoire de l'art
- de 1750 à 1950 -
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Pour cette 7e période, comme pour la précédente on se contentera de suivre la filière occidentale. À l'issue de la période précédente, la limite entre l'esprit et la matière est maintenant bien tranchée, non plus floue et difficile à saisir.
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situation à la fin de la 6e période et au début de la 7e : |
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Désormais, d'un côté d'une frontière il y a ce que l'on ressent comme relevant très certainement du domaine de la matière, et de l'autre côté il y a ce que l'on ressent très certainement comme relevant du domaine de l'esprit, et puisque leur différence est maintenant bien tranchée, puisque l'on peut désormais facilement les séparer, le pas suivant consistera à leur permettre de prendre leur indépendance l'une par rapport à l'autre malgré leur attache mutuelle à l'intérieur du couple qu'elles forment depuis la fin de la 5e période. Pour acquérir cette autonomie relative qu'elles obtiendront à la fin de la nouvelle période, les deux notions doivent cesser d'adhérer complètement l'une à l'autre et s'affranchir de la frontière qui les sépare, et finalement elles doivent donc fracturer la frontière qu'elles ont progressivement construite entre elles pendant la période précédente. À la fin de la 7e période, la relation entre les deux notions pourra donc être schématisée de la façon suivante, ce croquis signifiant à la fois le lien subsistant entre elles et l'indépendance complète prise par chacune en dehors de ce lien :
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situation à la fin de la 7e période : |
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En fait, pendant toute la 7e période cette frontière tout juste acquise continuera d'exister, et elle servira toujours à trancher la différence entre la notion de matière et la notion d'esprit, mais elle va devoir progressivement se déchirer, se déliter, se fractionner, s’effilocher, bref, se disloquer de quelque façon, sans toutefois jamais disparaître. Entendons-nous bien, toutefois, il ne s'agira pas d'une opération symétrique à la précédente construction de la frontière entre les deux notions, mais, s'appuyant sur la différence désormais bien et définitivement établie entre les deux notions, d'en profiter pour les exercer à se comporter librement et en parfaite autonomie l'une par rapport à l'autre. Certes, elles resteront liées l'une à l'autre, car c'est aussi un acquis des périodes précédentes qu'elles le soient, mais elles gagneront une autonomie suffisante pour que soit relancé, lors des périodes suivantes, l'approfondissement de leurs différences et la maturation de leur relation.
Au passage, on note que n'a désormais plus de sens la différence de situation qui prévalait jusqu'à la dernière période, l'une des notions étant prépondérante grâce à son type 1/x et l'autre, de type 1+1, lui étant subordonnée. Leur relation est maintenant parfaitement symétrique et il ne sera donc plus question de ces deux types. Dans les faits donc, sans que l'on ait eu à l'expliciter distinctivement, la construction d'un contraste maximum entre les deux notions pendant la période précédente a été l'occasion pour la notion de matière d'acquérir à son tour le type 1/x.
Par différence avec la période précédente, on traitera de la peinture avant d'aborder l'architecture. Une présentation plus détaillée de l'évolution de cette 7e période est présentée dans le chapitre 8 du tome 1 de l'Essai sur l'art, et on y trouvera aussi des développements complémentaires au chapitre 10 du tome 2.
1- Disloquer la frontière, en peinture
Étape D0-21 – Deuxième moitié du XVIIIe siècle et début du XIXe :
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Jean-Siméon Chardin (1699-1779) : Le Bocal d'abricots (1758 – détail)
Source de l'image : |
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Pour la première étape, Jean-Siméon Chardin (1699-1779) et son « Bocal d'Abricots » peint en 1758. Autant, à propos de Watteau, on a pu dire que c'était les éclats lumineux des plis des vêtements qui tenaient le corps de ses personnages dans l'espace, autant pour Chardin on peut dire au contraire que c'est le velouté sombre de la surface des objets qui suggère leur volume et leur épaisseur dans l'espace. Il y a pourtant des éclats de lumière ici : la légèreté d'une vapeur blanche s'échappant de la tasse et le blanc crémeux de cette même tasse, un éclat de lumière atténué qui souligne l'arrondi goûteux du fruit orangé, l'éclat retenu des morceaux de pain, des miettes et de l'acier du couteau, une minuscule pointe de lumière sur l'extrémité du manche de la cuillère et le mat reflet qui illumine son dessous, la lumière douce posée sur le rebord arrondi du meuble, les brefs éclats blancs et comme humides qui soulignent les volumes des verres, du bocal, du tissu de son couvercle et des abricots qui surnagent à mi-hauteur, la fluorescence rouge clair qui donne sa profondeur au vin qui remplit le verre et au liquide où baignent les abricots, la pâle lumière qui éclaire la surface du bois de la boîte de fromage et celle du vague gris perle qui éclaircit le fond du mur autour de cette boîte.
Le principe de cet art subtil est que la matérialité des objets est d'abord parfaitement présente du fait que l'esprit du peintre a su capter et rendre de façon convaincante la texture de leur surface, le sombre de leur profondeur et l'épaisseur de leur consistance, puis que, par-dessus le rendu de cette matière, l'esprit du peintre a ensuite sélectionné et mis en valeur avec parcimonie des éclats de lumière et des surfaces de lumière qui forment autant de points de contact, ou de surfaces de contact, entre la matérialité reconstituée des objets et l'attention de notre esprit.
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Jean-Honoré Fragonard (1732-1806) : Jeune fille lisant (vers 1770-72 – détail)
Source de l'image : https://www.google.com/culturalinstitute/beta/asset/young-girl-reading/JgFJCH9wxBktkg |
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De la même étape, Jean-Honoré Fragonard (1732-1806) et sa « Jeune fille lisant » peint vers 1771. Lui aussi utilise des trainées de lumière qui se répandent sur la surface de la peau de son personnage, mais il rend encore plus visible la touche avec laquelle son pinceau caresse cette surface et caresse ses cheveux, et il ajoute des trainées de couleurs variées à ses trainées de lumière. Ces traînées bien visibles du pinceau, ce sont elles qui signalent les accents que l'esprit du peintre entend rajouter à la matérialité du personnage qu'il a dressée dans l'espace.
Tout comme chez Chardin, il y a donc la matérialité se dressant dans l'espace et les accents que l'artiste porte sur ce volume et qui signalent, chez Chardin les points ou les surfaces de contact entre cette matière et l'attention de notre esprit, chez Fragonard le parcours des caresses de son pinceau que notre esprit suit des yeux. La prise d'autonomie entre l'esprit et la matière commence donc tout doucement, l'esprit du peintre se contentant d'abord de souligner sa capacité à sélectionner des accents de lumière à la surface des objets ou du corps des personnages, ou bien de choisir un parcours particulier pour caresser leur surface.
Étape D0-22 – Milieu et deuxième moitié du XIXe siècle :
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Eugène Delacroix (1798-1863) : La Fiancée d'Abydos (1857 – détail)
Source de l'image : https://www.google.com/culturalinstitute/beta/asset/selim-and-zuleika/EQHtARFFM4VtuA |
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Pour la deuxième étape, voici d'abord Eugène Delacroix (1798-1863) et un détail de sa « Fiancée d'Abydos » de 1857, une toile également dénommée « Selim et Zuleika ».
Chez Chardin et chez Fragonard l'esprit du peintre respectait le volume de la matière, il se contentait de souligner les éclats que générait la lumière à sa surface ou il la reconstituait à l'aide de touches rapides suivant fidèlement son volume. Avec Delacroix vient le moment d'une indépendance plus grande entre le volume de la matière représentée et les traces que l'esprit du peintre entend lui mettre en dialogue. Ainsi en va-t-il, par exemple, de la main droite de l'homme très vaguement suggérée et dont le volume n'est quasiment pas perceptible. Et que dire de la forme blanchâtre qui correspond au revers de sa manche ? Si nous ne comprenions pas, à la lecture de l'ensemble de la scène, qu'il y a là le volume d'une main et d'un revers de manche, pourrions-nous le deviner ? Même chose pour les avant-bras et les mains de la femme : une pâte épaisse d'un rosé trop égal signale la présence d'une surface, mais cette surface ne tourne pas dans l'espace pour générer des volumes bien lisibles. Quant aux trainées orangées qui correspondent au revers de sa manche gauche et quant aux plis du dessus de sa manche gauche violacée, elles ne suggèrent aucun volume et ne semblent là que pour le plaisir gourmand de leur coloris. Le visage de la femme est également empâté par une touche trop grossière qui masque les nuances de son volume mais qui nous régale du crémeux rosé de sa lumière trop égale et de son brutal contraste avec le sombre de ses arcades, le noir de ses yeux et le rose plus soutenu de ses lèvres.
Ci-dessus, Édouard Manet (1832-1883) : Le balcon (1868/1869 - détail) Source de l'image : https://www.google.com/culturalinstitute/beta/asset/the-balcony/ggFK0UgXAd7OCA
À droite, Édouard Manet (1832-1883) : Stéphane Mallarmé (1876 - détail) Source de l'image : https://www.google.com/culturalinstitute/beta/asset/st%C3%A9phane-mallarm%C3%A9/dQE80gCkrM68mA |
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Même imprécision du volume chez Édouard Manet (1832-1883) dans son tableau de 1876 représentant Stéphane Mallarmé. Les barbouillages colorés de son visage et de sa chevelure suggèrent correctement leur volume dans son ensemble tout en le massacrant dans ses détails. La façon dont sont rendus le genou du pantalon et les plis de sa veste est spécialement révélatrice : globalement, on reconstitue bien comment le genou s'avance au premier plan et comment le torse du poète se penche vers l'arrière, mais tout cela n'est rendu que par des touches larges qui dessinent chaque fois des plans rudement dressés dans l'espace et sans aucune transition de pli suggérée de l'un à l'autre.
On peut aussi considérer le détail des mains de la femme accoudée sur le garde-corps du « Balcon », peint par Manet entre 1868 et 1869, et la façon dont la pâte rosée passe en continu d'une main à l'autre ou d'un doigt à l'autre : elle s'étire dans un espace normalement vide et elle nie ainsi la discontinuité réelle des volumes représentés.
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Paul Cézanne (1839-1906) : Nature morte avec carafe, bouteille et fruits (1906 – détail) Source de l'image : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:1906,_C%C3%A9zanne,_Still_Life_with_Carafe,_Bottle,_and_Fruit.jpg
Paul Cézanne (1839-1906) : Montagne Sainte-Victoire (1904-1906 – détail) Source de l'image : https://fr.wikipedia.org/wiki/Paul_Cézanne |
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En un peu plus brutal dans ses procédés, Paul Cézanne (1839-1906). Comme Manet, il décompose la surface des volumes en plans parallèles entre eux, sèchement dressés dans l'espace et sans réelle continuité entre eux.
Dans cette « Montagne Sainte-Victoire » dont on donne un détail, il utilise le fait que les bosquets d'arbres sont réellement décalés les uns derrière les autres pour justifier l'étagement dans la profondeur des plans verts qui se succèdent les uns au-dessus des autres, mais l’aplatissement de chacun de ces bosquets par quelques coups de pinceau parallèles est une façon de transformer le volume réel qu'ils ont dans l'espace en une représentation rabattue sur des plans sans épaisseur. Quant à l'incertitude du contour de la Sainte-Victoire, dont le tracé noir ne coïncide pas avec les modifications de couleur qui devraient séparer la matière du rocher du ciel au-dessus, elle est une autre façon, à l'image des mains de la femme au balcon de Manet, de proposer un flottement entre la matérialité évoquée et le volume réellement suggéré sur la toile. Dans la nature-morte réalisée à l'aquarelle en 1906, « avec carafe, bouteille et fruits », l'incertitude sur le volume matériel est encore plus présente et peut même être considérée comme le véritable sujet du tableau : de tous ces contours esquissés pour la carafe, lequel est le bon ? Même chose pour la bouteille, pour le verre, et pour chacune des pommes représentées.
Étape D0-23 – Deuxième moitié du XIXe siècle et début du XXe :
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Claude Monet : La Manneporte près d'Étretat (1886 – détail)
Source de l'image : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Claude_Monet_-_The_Manneporte_near_%C3%89tretat.jpg?uselang=fr
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Delacroix, Manet et Cézanne relèvent de la même étape, et chez tous les trois on a vu un découplage s'amorcer entre le volume réel de la matière suggérée et le volume réellement figuré par l'esprit du peintre. À la 3e étape, maintenant que la matière et l'esprit ont commencé à se décoller l'un de l'autre, à se découpler, et avant que leur frontière ne se fracture complètement, il reste encore à l’amollir ou, si l'on veut, à la fragiliser.
Claude Monet (1840-1926) est de ceux qui représentent le mieux cette étape. Ainsi que cela apparaît sur cette peinture de 1886 de la falaise d'Étretat, un procédé souvent utilisé par Monet consiste à faire se chevaucher plusieurs trames de touches colorées différemment. Ici, le calcaire du pied de l'arche est principalement rendu par la combinaison d'une trame rose avec une trame brune, une trame blanchâtre, une trame mauve et une trame beige. Quant à la mer, elle est faite d'une trame de touches vertes s'interpénétrant avec une trame de touches bleues, une trame de touches roses et une trame de touches blanches. Avec, bien entendu, des nuances entre les diverses parties de chacune de ces trames.
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Claude Monet (1840-1926) : Les Nymphéas (vers 1907 – détail)
Source de l'image : L'impressionnisme (2e volume), par Jean Leymarie – éditions SKIRA (1955) |
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Près de vingt ans plus tard, c'est un procédé similaire de combinaison de trames qu'il utilise pour ses nymphéas. Les trames, toutefois, n'y sont pas toujours faites de simples amples touches de peinture et peuvent aussi y correspondre à des trainées de couleur plus ou moins longues : une trame d'arcs jaunes, une trame d'ondulations bleues, une trame de spirales vert clair, une trame d'ondulations mauve foncé, une trame de pétales blancs au cœur jaune, le tout croisé avec une trame assez verticale de trainées vertes, bleues, ou marron. Chaque fois, le principe est que, pour lire la surface de la matière représentée, notre esprit doit intégrer cette fragmentation de sa surface en textures autonomes les unes des autres et s'imbriquant les unes dans les autres. Cette surface est bien présente puisque l'esprit peut la recomposer en combinant visuellement ses multiples ingrédients, mais sa compacité est toujours en suspens puisque chacune des trames qui la composent est fragmentée en parties écartées les unes des autres. Dans le cas des nymphéas on doit même combiner visuellement la trame horizontale que forment les feuilles et les fleurs avec la trame verticale des reflets de l'eau qui suggère sa profondeur, ce qui nous oblige à combiner une profondeur liquide verticale avec une étendue végétale horizontale discontinue.
Une telle surface discontinue constamment trouée par un effet de profondeur, voilà qui correspond bien à une surface matérielle fragilisée quant à sa compacité et quant à sa continuité par l'intervention de l'esprit du peintre, et voilà qui justifie que le thème de l'eau et de ses reflets ait été si présent dans l'oeuvre de Monet.
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À gauche, Georges Seurat (1859-1891) : Poseuse de dos (1887)
Source de l'image : https://www.musee-orsay.fr/fr/oeuvres/poseuse-de-dos-537
À droite, Vincent van Gogh (1853-1890) : La Nuit étoilée (1889 – détail)
Source de l'image : https://artsandculture.google.com/story/egVRmbCQ5tyrVA |
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Une décomposition de la surface en multiples trames, chacune de couleur différente, c'est bien entendu chez Georges Seurat (1859-1891) qu'on la trouve de la façon la plus systématique. Ainsi dans cette « Poseuse de dos » qui date de 1887 : vue de près, la matérialité de la peau de la femme ou celle des murs de la pièce disparaît car ce n'est qu'en ayant suffisamment de recul qu'elle se reconstitue dans notre vision.
Aux touches pointillistes multicolores de Seurat, qu'il n'a que rarement utilisées, Vincent van Gogh a souvent préféré la décomposition des surfaces en tirets allongés imbriqués selon deux couleurs de trame seulement, tels que ceux qu'il a utilisés dans sa « Nuit étoilée » de 1889. Dans cette solution, du fait notamment de la force des contrastes utilisés, la surface ne peut pas sembler se dissoudre visuellement, au contraire elle est toujours très présente, mais c'est le violent fractionnement de sa texture mettant en cause sa continuité qui se démarque ici complètement de l'aspect uniformément lisse sous lequel on perçoit usuellement la continuité de la voûte céleste. On peut décrire cet effet en disant qu'il consiste en une aggravation de la décomposition des surfaces que l'on a observée dans la Sainte-Victoire de Cézanne, d'un durcissement de son fractionnement.
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Henri Matisse : L’Atelier rouge (1911)
Source de l'image : http://art.moderne.utl13.fr/2013/11/cours-du-18-novembre-2013/ |
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Henri Matisse (1869-1954) a aussi utilisé occasionnellement des techniques pointillistes qui se rapprochent de l'usage qu'en a fait Seurat, quoique dans une expression plus libre, mais il a plus souvent utilisé des anomalies suggérant l'indépendance de la matière par rapport à l'esprit.
Tout spécialement, dans ce but il a utilisé le chevauchement, dans maints tableaux, d'une vue en deux dimensions (2 D) et d'une vue en trois dimensions (3 D), comme si le même espace matériel pouvait réellement être à la fois en 2 D et en 3 D, ce qui, on en conviendra, correspond en principe à une anomalie pour un esprit humain. Ainsi, dans son « Atelier rouge » de 1911, on peut se laisser aller à parcourir des yeux l'ensemble de l'étendue rouge qui ne montre aucune ombre portée et très peu de différence de teinte entre les surfaces horizontales et la surface verticale des murs. Dans cette lecture, toute la profondeur de l'espace et tout le volume des objets sont comme rabattus sur la surface rouge qui occupe l'ensemble du tableau, mais on peut aussi porter attention aux tracés orangés qui eux dessinent correctement en perspective et dans la profondeur de l'espace, la table, la chaise, et les autres objets. Deux lectures alternatives sont donc possibles, soit la matière de la pièce et des objets qui l'occupent n'ont pas de profondeur et sont aussi minces qu'une feuille de papier, soit ils s'échelonnent dans la profondeur d'un espace 3 D. Par ce procédé, ce n'est pas seulement la surface de la matière qui est fragilisée quant à sa compacité et quant à sa continuité par l'intervention de l'esprit du peintre, c'est son volume même qui est mis en doute puisque le peintre s'arroge ainsi le pouvoir de le nier dans l'un des deux temps de la lecture de son tableau.
Étape D0-24 – Première moitié et milieu du XXe :
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Pablo Picasso : Portrait de Kahnweiler (1910) Source de l'image : https://en.wikipedia.org/wiki/File:Picasso_Portrait_of_Daniel-Henry_Kahnweiler_1910.jpg |
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De 1910 date ce « Portrait de Kahnweiler » de Pablo Picasso (1881-1973) qui montre de façon indiscutable que, pour la dernière étape de la 7e période, la surface apparente de la matière a fini par éclater complètement pour se briser dans les multiples facettes du cubisme dit analytique. De façon évidente, vue depuis l'esprit du peintre qui considère la matière qu'il a en face de lui, la frontière de cette matière se fragmente, et donc la frontière qui le sépare de cette matière. Sans toutefois perdre de sa réalité puisque, comme on l'a dit, cette frontière perdure tout au long de cette période pour toujours y séparer ce qui relève de la matière et ce qui relève de l'esprit, ce qui se traduit dans ce tableau par le fait que malgré sa fragmentation on y distingue bien la présence matérielle d'un personnage représenté en face de nous, et donc en face de notre esprit.
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Pablo Picasso : Paysage de Horta de Ebro (1909)
Source de l'image : https://www.pinterest.fr/pin/481533385134977289/ |
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De la même période, son « Paysage de Horta de Ebro » que Pablo Picasso peignit en 1909, un an donc avant son Kahnweiler. Par différence, les volumes des bâtiments ne sont pas éclatés en fragments, mais déformés, écornés, pliés, aplatis. Ces transformations sont particulièrement sensibles dans les bâtiments du premier plan et du centre du tableau représentés en perspectives inversées, ce qui implique que les parties les plus éloignées de leur toit ou de leurs murs sont plus larges que les parties qui sont les plus proches de nous. On peut aussi considérer la maison en bas à droite qui part dans une perspective avec point de fuite très bas vers la droite, laquelle n'est certainement pas compatible avec la vue de très haut que l'on a des bâtiments situés tout à côté, dans l'axe du tableau. Dans ce tableau, ce n'est pas un bâtiment particulier qui est comme plié, c'est tout l'espace de ce coin de village. Si les volumes ne sont pas fracturés comme dans le portrait de Kahnweiler, les déformations des bâtiments impliquent cependant de ressentir qu'un libre jeu s'exerce entre leurs différents plans puisque les articulations normales entre les plans sont comme cassées pour permettre aux plis de s'exercer. Et c'est aussi parce que l'espace a cessé d'être rigide et qu'il peut donc se dilater différemment d'un endroit à l'autre que, par exemple, les dimensions relatives d'un toit peuvent être modifiées.
Dans ces deux tableaux la matérialité du personnage ou du paysage telle qu'elle est représentée a donc pris une forte indépendance par rapport à ce que l'esprit du peintre pouvait en percevoir et par rapport à ce que notre esprit peut imaginer de l'aspect réel que devait avoir cette matérialité. Les deux fois cela correspond au résultat qui devait être atteint à l'issue de la 7e période, mais selon des modalités différentes puisque la frontière de la matière éclatée en morceaux du portrait de Kahnweiler n'est pas dans le même état que la frontière de la matière désarticulée du paysage de Horta de Ebro : dans le premier cas sa continuité a disparu, pas dans le second cas où l'enveloppe extérieure du paysage est seulement plissée et étirée selon des directions contradictoires.
Un rapide bilan de l'évolution qui va de Chardin à Picasso :
Dans un premier temps, avec Chardin on a vu l'esprit du peintre souligner des éclats de lumière à la surface de la matière, ou avec Fragonard proposer des parcours de frottement privilégiés sur sa surface. Dans un deuxième temps, avec Delacroix, Manet et Cézanne, on a vu l'esprit du peintre proposer de décoller la surface matérielle de sa position réelle, ou proposer de déformer son contour réel. Dans un troisième temps, avec Monet, Seurat et Van Gogh, on a vu l'esprit du peintre mettre à mal la continuité de la surface de la matière, principalement en la fractionnant dans le détail au moyen de trames hétérogènes entre elles, et on a aussi vu Matisse mettre en doute la solidité du volume de la matière, c'est-à-dire la consistance de son occupation de la profondeur de l'espace. Pour finir, à l'étape de Picasso, la surface de la matière évoquée dans les peintures avait été suffisamment affaiblie par les étapes précédentes pour que l'esprit des artistes puisse porter l'estocade finale à sa continuité, et la fractionner alors en plans ou en volumes radicalement tranchés les uns des autres, voire complètement désarticulés entre eux.
Dès lors, puisque l'esprit ne ressent plus que la surface de la matière est nécessairement ferme, stable et continue, il doit abandonner son adhérence à la matière sur laquelle il s'appuyait jusqu'ici pour se définir par contraste, et ce faisant il gagne son indépendance vis-à-vis de la matière bien qu'il lui reste accroché. La maturité acquise lors de la 7e période est désormais suffisante pour que l'on puisse passer à la suivante.
Au passage, on a vu la nécessité d'attribuer des étapes différentes à des peintres, tels que Manet, Cézanne, Monet, Seurat et Van Gogh qui étaient de parfaits contemporains et qui ont même, bien souvent, travaillé ensemble, au point qu'ils sont souvent présentés par les historiens de l'art comme formant plus ou moins une même école. La même chose vaudra pour l'architecture où, par exemple, il faudra séparer deux étapes successives chez les architectes habituellement rassemblés dans le courant de « l'art nouveau ». C'est que la succession des étapes s'est accélérée au fil de l'histoire. Quand les premières, à l'époque préhistorique, embrassaient chacune plusieurs millénaires, elles ne correspondaient plus qu'à quelques siècles chacune aux périodes antiques, puis à un siècle ou moins au Moyen Âge et par la suite. Au XIXe siècle, le rythme s'accélère au point que des contemporains relèvent donc de deux étapes différentes, et cela s’accélérera encore puisque, comme on le verra par la suite, au début du XXIe siècle les artistes contemporains relèvent d'une vingtaine d'étapes successives. Bien entendu, certains de ces artistes sont très âgés tandis que d'autres sont encore jeunes.
2- Disloquer la frontière, en architecture
À l'issue de la 6e période, la limite entre les notions de matière et d'esprit avait perdu son flou initial et était devenue bien tranchée. C'est cette frontière bien établie que les peintres ont eu à disloquer pour donner le maximum d'autonomie relative aux deux notions, ce que l'on vient donc de voir, mais qu'il nous reste à le voir dans l'évolution de l'architecture qui va de la deuxième moitié du XVIIIe siècle à la deuxième moitié du XXe siècle. En peinture, on était dans un domaine où l'esprit du peintre et ses capacités d'imagination dominait tout, avec l'architecture cette fois on est dans un domaine dominé par la réalité matérielle et par les matériaux de construction qui ont leurs propriétés propres, des propriétés qui sont indépendantes de la volonté de l'esprit de l'architecte qui ne peut au mieux que les exploiter, ou que les mettre en valeur.
Étape D0-21 – Deuxième moitié du XVIIIe siècle et début du XIXe :
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Jacques-Germain Soufflot : la coupole du Panthéon à Paris et sa colonnade périphérique (1756-1790)
Source de l'image : https://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques-Germain_Soufflot |
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Comme il en fut pour la peinture, la première étape de la 7e période nous ramène à la deuxième moitié du XVIIIe siècle et à la première moitié du siècle suivant. Comme premier exemple, la coupole avec colonnade de l'église Sainte-Geneviève de Jacques-Germain Soufflot (1713-1780) à Paris, église devenue le Panthéon et dont la conception et la construction s’étalèrent de 1756 à 1790.
Le sommet de cet édifice oppose clairement deux registres de formes circulaires emboîtées l'une dans l'autre. Au centre, une coupole aveugle, supportée par un tambour cylindrique peu ouvert et qui se prolonge derrière la colonnade par un mur très opaque. Cet ensemble se lit comme un volume, une masse, et donc comme un ensemble compact de matière. La partie basse de ce volume est dissimulée derrière une colonnade reliée par un entablement que divise le trait horizontal d'une corniche très saillante. Tant cette corniche intermédiaire de l'entablement que les jets verticaux des colonnes se lisent comme des tracés, courbe ou raides droits, des tracés qui captivent l'intérêt de notre esprit et que celui-ci ne peut lire qu'en les suivant des yeux. Dès la première étape, donc, les deux formes que l'on vient de décrire sont autonomes l'une de l'autre et elles se font clairement contraste puisque l'on a, d'une part une coupole qui se donne comme un volume massif de matière opaque, d'autre part une colonnade que l'esprit suit des yeux et qui s'ouvre largement de tous côtés.
Leo von Klenze : Glyptothèque de Munich (1816-1830) Source de l'image : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:M%C3%BCnchen_Glyptothek_GS_P1070326c.jpg
Même type de contraste dans la façade d'entrée de la Glyptothèque de Munich, conçue par l'architecte Leo von Klenze (1784-1864) et construite entre 1816 et 1830. Contraste très simple et très lisible, ici, entre la masse aveugle du bâtiment cubique et le jet vertical des colonnes qui sont lues par l'esprit et qui croise cette masse matérielle horizontale. Tout comme au Panthéon, les deux formes qui se font contraste sont bien indépendantes l'une de l'autre.
Étape D0-22 – Milieu et deuxième moitié du XIXe siècle :
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Henri Labrouste : façade et pignon de la bibliothèque Sainte-Geneviève à Paris (1843-1850)
Source de l'image : https://fr.wikipedia.org/wiki/Bibliothèque_Sainte-Geneviève |
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La deuxième étape nous amène plus loin dans le XIXe siècle mais nous ramène sur la place même du Panthéon de Paris puisqu'il s'agit de la façade et du pignon de la bibliothèque Sainte-Geneviève, conçue par Henri Labrouste (1801-1875) et construite de 1843 à 1850.
Le contraste visuel principal est ici entre l'effet de masse opaque du bâtiment et la lecture des deux bandes horizontales que sont le bandeau intermédiaire et la corniche du toit, lesquelles sont toutes les deux très saillantes et donc très autonomes par rapport à cette masse. Autant une masse opaque est un effet de matière que l'on ressent en l'incorporant de façon imaginaire dans notre corps, et donc avec la matière de notre corps, autant de telles bandes horizontales sont lues en les suivant des yeux, et donc avec l'attention que leur porte notre esprit.
Secondairement, à la lecture de la masse matérielle du bâtiment s'oppose aussi la lecture des dessins plus multiples ou plus discrets de la façade, des dessins qui sont chaque fois lus parce qu'ils attirent et requièrent l'attention de notre esprit : les arcs successifs des baies de l'étage, mais aussi la suite des pilastres verticaux qui les portent, les bandes horizontales hautes et basses de l'étage, sans cesse recoupées par ces pilastres, la répétition des suspensions décoratives qui ornent le haut du rez-de-chaussée. Chaque fois il s'agit de registres de formes autonomes, et chaque fois ils font clairement contraste à l'effet de surface plate procuré par la masse matérielle du bâtiment.
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Jacques Ignace Hittorff : façade d'entrée de la Gare du Nord à Paris (1861-1865)
Source de l'image : http://www.parisdailyphoto.com/2012/08/gare-du-nord-north-station.html |
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Avec la façade d'entrée de la Gare du Nord à Paris, construite entre 1861 et 1865 et que l'on doit à l'architecte Jacques Ignace Hittorff (1792-1867), nous avons un autre exemple de contraste entre une surface opaque qui affirme la matérialité massive du bâtiment et des trajets linéaires qui réclament de façon autonome l'attention de notre esprit pour être lus.
Pour ce qui concerne les subdivisions verticales et horizontales des surfaces vitrées, dans lesquelles il faut inclure les colonnes du niveau bas et leur entablement, les trajets qu'elles dessinent sont nettement autonomes puisqu'ils sont bien distincts de la masse en pierre qui forme la partie pleine de la façade. Les trajets verticaux des quatre paires de grands pilastres et les trajets obliques et horizontaux de la corniche supérieure sont également autonomes de la surface massive à arcades puisqu'ils sont nettement à l'avant de sa surface, mais ils participent cependant à son effet d'écran opaque chaque fois que l'on considère, cette fois globalement, d'une part ce qui fait effet de vitrage subdivisé par des horizontales et des verticales, et d'autre part ce qui fait effet de masse matérielle.
Étape D0-23 – Deuxième moitié du XIXe siècle et début du XXe :
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Otto Wagner : la Maison des majoliques à Vienne (1898-1899) Source des images : https://www.flickr.com/photos/ruamps/5693002423 et https://fr.wikipedia.org/wiki/Maison_des_majoliques |
Détail de la décoration en majoliques vers le haut de la façade |
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La troisième étape nous fait aborder ce qu'il est convenu d'appeler « le style Art nouveau ». La « Maison des majoliques », ou Majolikahaus, est un immeuble à appartements caractéristique de la Sécession viennoise édifié par l'architecte Otto Wagner (1841-1918), à Vienne en Autriche, en 1898 et 1899. Deux aspects de sa façade se font contraste : d'une part il s'agit d'une surface tout à fait plate et très régulièrement percée de fenêtres, d'autre part cette surface est recouverte de carreaux de faïence, les majoliques, lesquelles dessinent un motif plus resserré, donc plus dense, sur les côtés que vers le centre, et presque complètement absent en partie basse.
La platitude de cette façade, soulignée par le fond uniformément beige clair de la faïence, nous force à ressentir de façon brutale la masse du bâtiment et la matérialité de son mur en maçonnerie percé par les fenêtres de façon très monotone. Le dessin en arabesques des tiges et les taches que forment les fleurs ne peuvent être lus, au contraire, qu'en suivant patiemment des yeux leurs parcours, en pesant longuement leurs différences de densité d'une partie à l'autre de la surface, et en déchiffrant leurs nombreuses modifications de rythmes et de thèmes, bref, en y mettant toute l'attention de notre esprit. Comme aux étapes précédentes, l'effet de présence matérielle et l'effet qui capte l'attention de notre esprit sont donc bien autonomes l'un de l'autre, même s'ils partagent la même surface.
Antoni Gaudí : façades sur rue de la Casa Milà à Barcelone (1906-1910)
Source de l'image : https://www.traveladdicts.net/2015/09/antoni-gaudi-in-barcelona.html |
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Autre exemple pour cette étape, la façade de la Casa Milà à Barcelone, construite de 1906 à 1910 et que l'on doit à l'architecte Antoni Gaudí (1852-1926).
Très clairement ici, le mur ondulant aveugle affirme sa massivité et sa matérialité. Très homogène en surface du fait de l'uniformité de son matériau et de sa couleur, il est en même temps franchement hétérogène du fait des renflements qu'il marque au niveau de chaque plancher, du fait de ses ondulations horizontales, et du fait de l'aggravation de ces renflements à l'endroit des baies, spécialement à l'endroit des baies qui reçoivent les balcons. C'est aussi par un contraste très clair que les ferronneries sombres des balcons tranchent sur l'épiderme clair de la façade. Non seulement leur couleur les fait ressortir violemment, mais la complexité interne de leurs dessins tranche également avec l'uniformité de la surface de la pierre. Autant percevoir la massivité de cette pierre engage la perception de sa matérialité, autant l'examen nécessairement minutieux des détails complexes de la ferronnerie des gardes corps réclame toute l'attention de notre esprit. De cette ferronnerie, on peut également dire qu'elle est homogène dans sa couleur et dans sa densité d'ensemble, mais qu'elle est extrêmement hétérogène dans son détail puisqu'elle mélange de larges surfaces de métal avec des trajets fins et torturés, ce qui complexifie d'autant son examen par notre esprit.
Étape D0-24 – Première moitié et milieu du XXe :
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Frank Lloyd Wright : La Maison sur la cascade (Fallingwater), construite en 1936-1939 sur la rivière Bear Run en Pennsylvanie, USA Source de l'image : https://fr.wikiarquitectura.com/b%C3%A2timent/maison-sur-la-cascade/falling-water-house-2/ |
À la quatrième et dernière étape de la 7e période, la façon dont les architectes implantent leurs bâtiments dans un milieu naturel est particulièrement révélatrice, raison pour laquelle nous allons d'abord envisager cet aspect avec deux architectes à la sensibilité très différente. Tout d'abord, avec la « maison sur la cascade » conçue en 1935 par Frank Lloyd Wright (1867-1959) pour Edgar J. Kaufmann en Pennsylvanie. Cette maison s'intègre en parfaite continuité avec son environnement naturel : ses balcons en longs encorbellements horizontaux reprennent et poursuivent les lits de roche en cascade, et son noyau central reprend les hautes verticales des fûts des grands arbres au milieu desquels la maison s'est implantée. Toutefois, ce mimétisme des formes par lequel la maison semble se glisser dans la nature et la prolonger à l'identique est contrebalancé par le choix des matériaux dont l'aspect tranche radicalement avec l'aspect irrégulier des rochers et des végétaux : les balcons et les auvents filent nets tandis que leur claire surface uniforme tranche avec leur environnement aux formes irrégulières et avec l'infinie variation de leurs couleurs. De la même façon, la grille régulière des menuiseries, aussi bien les verticales que les horizontales, se distingue absolument de l'irrégularité et du fouillis végétal alentour.
IMAGE ÉVOQUÉE : Frank Lloyd Wright, projet de 1923 pour le lotissement du Ranch Doheny à Beverly Hills en Californie
Elle est en principe accessible à l'adresse : https://www.loc.gov/exhibits/flw/images/flw0005.jpg
Sinon, faites une recherche sur un moteur de recherche de votre choix avec la requête : Frank Lloyd Wright projet de 1923 pour le lotissement du Ranch Doheny à Beverly Hills en Californie
Après l'implantation isolée d'un bâtiment dans un environnement naturel, une construction plus volumineuse. Ce dessin de 1923 de Frank Lloyd Wright correspond à un projet qui n'a jamais été construit et qui était destiné au lotissement du Ranch Doheny à Beverly Hills en Californie. Bien que les constructions humaines y soient complètement immergées dans le relief naturel et sa végétation, il est aisé de séparer leurs horizontales, leurs verticales ou leurs rythmes réguliers des irrégularités sans forme repérable qui correspondent à la végétation à l'intérieur de laquelle s'imbriquent les bâtiments. Le matériau végétal naturel et les constructions artificielles de l'esprit humain s’interpénètrent étroitement et, à l'intérieur de cette relation obligée, chacun affirme son autonomie, sa capacité à enjamber l'autre ou à le traverser sans être contraint de se plier à sa logique : les bâtiments construits par l'esprit humain restent aussi raides et nets que la végétation sait rester vague et irrégulière.
IMAGES ÉVOQUÉES : Dessins de Le Corbusier, étude d'urbanisation de Rio de Janeiro, projet de passage de l'autostrade au-dessus d'un ruban d'immeubles-villas (projet à la plume de 1936), et croquis illustrant le concept de Ville Radieuse (1924)
Elles sont en principe accessibles aux l'adresses : http://www.ecowebtown.it/n_6/06_coccia_en.html (1re image)
et https://archidialog.com/tag/ville-radieuse/ (1er croquis du texte « Le Corbusier – “ville Radieuse” 2 – Not So Conscious Inspiration »)
Sinon, faites une recherche sur un moteur de recherche de votre choix avec la requête : Le Corbusier étude d'urbanisation de Rio de Janeiro projet de passage de l'autostrade au-dessus d'un ruban d'immeubles-villas 1936 ou la requête : Le Corbusier croquis illustrant le concept de Ville Radieuse 1924
Dans son projet de ville linéaire dans la baie de Rio de Janeiro, c'est de façon plus brutale que Le Corbusier (1887-1965) propose le croisement à très grande échelle de l'irrégularité et de la variété de la nature avec la régularité uniforme de la construction humaine. Pour laisser au site l'entièreté de son originalité et de sa continuité, dominé qu'il est par la force de ses massifs naturels, la construction s'abstient de tout saupoudrage dans le paysage et se concentre dans un long et haut ruban. Même la circulation automobile, afin de ne pas défigurer le site, est organisée sur le toit de ce ruban. Bien entendu, cette intervention de l'esprit humain se remarque dans le paysage, mais elle est de taille à s'affronter aux grandes figures du paysage naturel et à les concurrencer : la grande construction humaine se différencie des grandes formes naturelles et affirme résolument son autonomie par rapport à la nature qu'elle traverse, en retour l'autonomie du paysage naturel préservé peut s'affirmer par contraste à ce ruban qui le traverse.
À mi-chemin de la texture dense de l'affrontement proposé par Frank Lloyd Wright entre végétal et constructions humaines et leur affrontement brutal à grande échelle proposé par Le Corbusier pour Rio de Janeiro, on donne cet autre dessin d'ambiance de Le Corbusier. Il illustre cette fois son idée de Ville Radieuse dans laquelle de très hauts immeubles verticaux aux formes géométriquement régulières devaient jaillir de place en place au-dessus des frondaisons d'une végétation luxuriante, laquelle devait alors former une texture continue très irrégulière et toujours variée. Là encore, les bâtiments conçus par l'esprit humain s'implantent en tout indépendance au milieu d'une nature sans formes bien repérables, mais plutôt souples et arrondies, et tandis que le matériau végétal se poursuit librement en glissant en toute autonomie entre ces bâtiments, ceux-ci s'en différencient clairement du fait de leur rectitude, de leur orthogonalité et de leur régularité.
Dans tous les exemples que l'on vient de voir, on constate qu'à la dernière étape le matériau végétal et ce qui relève de la notion d'esprit sont complètement séparés et peuvent se tenir tête face à face, parfaitement autonomes l'un de l'autre, ce qui était, comme on l'a déjà évoqué, l'enjeu de la 7e période, et on a vu que cette autonomie était obtenue en donnant aux établissements humains des volumes et des lignes régulières, nettes, strictes, généralement très orthogonales, par comparaison à la végétation traitée de façon très irrégulière et semblant résulter de hasards naturels où toute organisation obtenue par la volonté d'un esprit semblait exclue.
Après ces manifestations de la confrontation entre les deux notions, nous envisageons maintenant la façon dont, à la même étape, elles trouvent des occasions de s’entraider et de s'épauler mutuellement. C'est que si la 7e période vise à détacher les deux notions l'une de l'autre et à assurer leur autonomie relative, explorer leur capacité à se différencier comme on vient de le voir doit normalement s'accompagner de l'exploration de leur capacité à aussi se conjuguer sans que l'une n'élimine l'autre. Une façon privilégiée de combiner les notions de matière et d'esprit consiste à inventer un style architectural qui s'appuie sur les spécificités du mode de construction d'un matériau et qui, simultanément, apparaît inventé et mis au point par l'esprit du constructeur. À l'époque concernée, ce furent principalement le béton armé et l'acier qui furent l'occasion d'une telle invention d'un style architectural.
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Auguste Perret, de gauche à droite : l'immeuble du 25bis rue Benjamin-Franklin à Paris (1903-1904) - l'atelier de Georges Braque (1927) et un immeuble de la reconstruction du Havre (1945 à 1964) Sources des images : https://www.flickr.com/photos/51366740@N07/5887116684/in/album-72157627001613180/ (auteur : Yvette G.), https://architectona.wordpress.com/oeuvres-dauguste-perret/paris/atelier-georges-braque-6-rue-georges-braque-paris-14/ et http://gede-de-le-havre.blogspot.fr/2014/02/
Pour le béton, c'est nécessairement à Auguste Perret (1874-1954) que l'on doit songer et à sa volonté d'inventer un véritable « ordre du béton armé ». L'idée principale de Perret est que, contrairement à la maçonnerie traditionnelle en petits éléments, le béton armé permet de réaliser une structure principale (des poteaux espacés, des poutres et des planchers) qui porte l'ensemble du bâtiment de la même façon qu'un squelette supporte l'ensemble d'un corps vivant, et il propose en conséquence que la division entre squelette portant et parois de simple remplissage soit rendue parfaitement lisible et constitue un élément fondamental de l'esthétique du bâtiment.
Cela est apparent dès son immeuble pionnier du 25bis rue Benjamin-Franklin à Paris, construit en 1903 et 1904. Toutefois, était-ce faute d'être certain de bien maîtriser la protection à l'eau du béton ou était-ce un reste de timidité dans l'expression, la structure porteuse y était encore recouverte d'éléments lisses en terre cuite vernissée. Cette structure porteuse n'était donc pas encore directement apparente, mais elle se différenciait clairement de l'habillage décoratif à base de feuillages qui recouvrait les surfaces correspondant à de simples remplissages situées entre les éléments porteurs en béton armé.
Dans le bâtiment servant de maison et d'atelier au peintre Georges Braque, construit en 1927 à Paris, le squelette en béton armé est cette fois nu et le matériau brique des remplissages est montré en contraste bien net à cette ossature.
Dans toute la reconstruction du Havre, menée de 1945 à 1964, c'est aussi cette division entre squelette porteur et remplissages qui fonde l'esthétique des surfaces. Ces remplissages sont réalisés en panneaux préfabriqués qui occupent parfois d'un seul coup la surface laissée par la structure, et qui sont parfois décomposés en modules aux dimensions régulières. L'encadrement des baies ne se mélange pas non plus à la structure porteuse et apparaît distinctement en relief.
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Auguste Perret : rotonde du Palais d'Iéna à Paris (1937)
Source de l'image : https://www.amc-archi.com/article/le-palais-d-iena-d-auguste-perret-a-80-ans,11126 |
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Perret ne s'est pas contenté de séparer techniquement et visuellement la structure porteuse des remplissages, il a aussi cherché à rendre visible la hiérarchie des différentes structures qui contribuent à l'édification du bâtiment. Ainsi, dans la façade de la rotonde de son Palais d'Iéna à Paris, qui date de 1937, la structure principale qui porte la toiture et qui correspond aux colonnes et à l'entablement circulaire qui les relie se distingue bien de la paroi qui protège l'intérieur de l'influence extérieure. Sa grande dimension amène d'ailleurs cette dernière à se diviser elle-même en une structure en poteaux et poutres apparentes distincte de ses éléments de remplissage, lesquels sont soit entre les poteaux, soit en imposte, soit en claustra continue tout en haut.
Dans ce bâtiment, on remarque aussi l'absence de décoration rapportée, celle-ci étant assumée par les diverses hiérarchies et les diverses combinaisons de structures et de remplissages. Quant à eux, les chapiteaux des colonnes se justifient seulement par la nécessité de bien enrober les aciers qui se replient en allant des colonnes vers la poutraison que forme l'entablement. À la différence des colonnes des constructions classiques en pierre qui s'élargissent habituellement vers le bas, les colonnes de ce bâtiment, à l'inverse, sont de plus en plus étroites vers le bas. Cela résulte aussi d'une particularité de la transmission des forces dans une structure en béton armé et donc du calcul structurel que l'architecte veut rendre visible : à la différence d'une colonne en pierre, ce n'est plus le poids qui détermine la forme mais les moments de flexion, lesquels vont eux en croissant vers le haut.
Il importe de comprendre qu'une telle expression du béton armé se différencie de celle utilisée par Le Corbusier, par exemple dans sa Villa Savoye à Poissy. Pour Le Corbusier, du fait que le béton armé donnait la possibilité de réaliser des constructions sur pilotis avec de grandes surfaces de façade horizontale libérées de tout point porteur apparent, il était seulement requis de se soumettre à ces nouvelles possibilités du matériau, et cela sans se croire tenu pour autant d'affirmer distinctement tous les chaînages et tous les poteaux en béton armé utiles pour réaliser ces dispositions. Perret, lui, ne se soumet pas passivement aux possibilités permises par le matériau béton armé, il veut que soit tout spécialement visible la façon dont son esprit a conçu la construction pour utiliser ces possibilités. Il s'agit donc bien d'une expression qui associe inséparablement la « vérité du matériau utilisé » et la « franchise de sa mise en œuvre par l'esprit ».
Mies van der Rohe : le Crown Hall du campus de l'Institut de technologie de l'Illinois (IIT) à Chicago, Illinois (1950-1956)
Source de l'image : https://www.archdaily.com/100500/mies-van-der-rohe-society/mies-van-der-rohe-society
Pour ce qui concerne la construction en verre et acier, c'est Ludwig Mies van der Rohe (1886-1969) qui, cette fois, se fera le chantre de la « vérité » de son usage. En accord avec sa célèbre formule « Less is more » (Moins, c'est plus), il bannira toute décoration rajoutée et s'efforcera de n'utiliser que les éléments indispensables à la construction pour générer l'effet visuel procuré par le bâtiment.
Le Crown Hall de l'Institut de technologie de l'Illinois, qui date de 1950 à 1956, est un exemple célèbre de l'esthétique qui en résulte. Toute la structure porteuse est rejetée à l'extérieur, notamment ses poutraisons principales, de telle sorte que l'intérieur du bâtiment se présente comme un grand plateau divisible à volonté. Il n'est donné à voir que les hautes poutraisons qui dépassent au-dessus du toit, le long bandeau horizontal de la terrasse et celui du soubassement, les poteaux verticaux de la structure, les sous-divisions de cette structure qui correspondent à la séparation des vitrages ainsi qu'à l'encadrement des portes, et les plateaux successifs que forment les marches et leur palier intermédiaire.
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Mies van der Rohe : la Farnsworth House (1946-1951), près de Plano, Illinois Source des images : http://frederic-morin-salome.fr/Mod-Mies-vd-Rohe-1951.html et https://apcostebelle.blogspot.com/2011/11/dedansdehors-2-en-1.html |
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Détail d'un support de la terrasse d'entrée |
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Réalisée un peu plus tôt, la maison de week-end qu'il conçut pour la Dr Farnsworth en 1946, près de Plano dans l'Illinois, relève du même principe : des poteaux verticaux, des sous-divisions verticales pour les vitrages, deux grands plateaux horizontaux, l'un pour former le sol surélevé dans cette zone inondable, l'autre pour former le toit, un autre grand plateau encore pour servir de terrasse d'accès, celui-ci recouvert en travertin et ceint d'une ossature porteuse en acier, et enfin quelques emmarchements pour relier le sol et ces divers plateaux. La forme en H des poteaux en acier n'est pas dissimulée et l'ensemble de la structure métallique est peint en blanc pour former un contraste simple avec les surfaces vitrées. Pas de mur, hormis les cloisons intérieures et des rideaux en périphérie. Toute l'esthétique de ces bâtiments repose donc sur l'orthogonalité des ossatures métalliques qui servent à faire les sols et les plafonds, les poteaux porteurs et les subdivisions des vitrages, ainsi que sur le contraste entre la ténuité des ossatures métalliques verticales et la transparence des vitrages, voire la complète transparence du bâtiment en l'absence de tout voilage.
Ce style ainsi défini deviendra la marque de fabrique de Mies van der Rohe, mais il importe de comprendre ce qu'a d'artificielle cette prétendue « vérité du matériau ». Artificielle, car Mies van der Rohe s'en tiendra à cette esthétique même lorsque les impératifs de la protection anti-incendie nécessiteront de cacher l'ossature métallique par du béton ou par des ouvrages de plâtrerie. Ainsi dans ses deux tours d'appartements de Lake Shore Drive, à Chicago, en regardant la façade on peut croire que l'immeuble est porté par les poteaux carrés métalliques que l'on voit monter depuis le rez-de-chaussée. En réalité, ce que l'on voit et que l'on prend pour une structure porteuse n'est qu'un habillage métallique qui cache une structure en H enrobée dans du béton ainsi que le montre le croquis de détail. En outre, pour obtenir une trame de raidisseurs verticaux réguliers, il ajoute de tels profils en H inutiles devant les poteaux alors que ces profils ne sont utiles que pour rigidifier les surfaces vitrées.
Cette apparente « tromperie » de l'architecte caractérise bien la nature de la relation entre les deux notions à l'issue de la 7e période : les deux notions sont partenaires, et chacune à un rôle à jouer. D'un côté, le matériau offre des opportunités techniques de mise en œuvre, de l'autre côté l'esprit de l'architecte choisit les opportunités qui l'intéressent et il les met en forme dans une combinaison qui forme un style qui relève de sa seule volonté et non pas seulement d'une nécessité technique.
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Mies van der Rohe : Lake Shore Drive Appartments à Chicago (1950-1951), photographie partielle et coupe de détail d'un angle de la structure
Sources des images : https://www.e-architect.co.uk/chicago/lake-shore-drive-towers |
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On vient de voir que Mies van der Rohe, dans sa volonté d'une esthétique épurée qui ne joue que sur une trame régulière de poteaux métalliques porteurs complétée par une sous-division correspondant aux unités de vitrerie, nous a fait prendre de simples capotages pour des poteaux et qu'il a aussi rajouté des profils métalliques inutiles. Toutefois, cela n'est pas fondamentalement différent de la solution adoptée par Perret dans l'immeuble du 25bis rue Benjamin-Franklin : il tenait à ce que l'on voie que sa construction se décompose en une ossature porteuse et des éléments de simple remplissage, mais il ne pouvait ou ne voulait pas encore laisser apparent le matériau de cette ossature, et il a alors opté pour un revêtement en terre cuite très nettement différent entre les surfaces correspondant à l'ossature et les surfaces correspondant aux remplissages. Il n'y avait aucune « vérité » technique dans ce choix, un même revêtement aurait tout aussi bien pu recouvrir l'ensemble de la surface, mais il aurait alors compromis la visibilité qu'il souhaitait pour la division entre ossature et remplissage.
Un rapide bilan de l'évolution qui va de Soufflot à Wright :
La 6e période avait vu la séparation progressive des effets liés à la matérialité d'avec les effets captivant spécialement notre esprit, une séparation qui était liée à leur différence de plus en plus affirmée et qui s'est très normalement retrouvée à la première étape de la 7e période par une séparation très nette entre les parties du bâtiment portant les notions de compacité matérielle (la coupole du Panthéon de Paris et son tambour, les ailes de la Glyptothèque de Munich) et les parties dont la lecture captive spécialement notre esprit (la colonnade entourant la coupole du Panthéon, le portique central de la Glyptothèque de Munich).
Dès la deuxième étape, les effets de matérialité et les effets intéressant l'esprit ont parfois cessé d'être portés par des formes bien distinctes mais ont commencé à pouvoir se mélanger sur les mêmes formes. Ainsi, pour donner un exemple pris à la dernière étape, ce sont les mêmes formes de l'atelier de Georges Braque qui portent la séparation matérielle entre structure porteuse et remplissages et qui ont des différences d'aspect qui sont lues par notre esprit. Paradoxalement, lorsqu'il a lieu, ce rassemblement des deux notions sur les mêmes formes signale qu'elles sont devenues autonomes l'une de l'autre : autonomes, puisqu'elles peuvent désormais se rassembler sur les mêmes formes sans se confondre alors que, pour se différencier lors de la 7e période, il avait fallu les séparer sur des formes de plus en plus distinctes.
Qu'elles soient portées par les mêmes formes ou qu'elles le soient par des formes d'emblée séparées, le résultat est toutefois toujours que l'autonomie des deux notions est devenue de plus en plus affirmée, comme en témoignent les exemples donnés à la dernière étape de formes à la limpidité géométrique visiblement créées par un esprit humain qui se dressent et s'affirment isolément au milieu de formes naturelles visiblement générées par la pure matérialité de la puissance végétale.
(dernière version de ce texte : 1er février 2023) - Suite : 8e période