II IMPLICATIONS
Lexpérience de Christine Reymond permet de prendre la mesure des différentes applications de tandem. Dans le secondaire en effet, lapprentissage autonome en tandem passe dabord par un apprentissage du type même dapprentissage. Et comme Christine la bien souligné les élèves ne sont pas forcément prêt à travailler différemment. Je me suis interrogé sur ces « zones de résistance » pour reprendre une expression dAlbane Cain, tant chez les élèves que chez le professeur.
II-1 Implications pour lélève
Lélève doit être prêt à:
Conclusion : Si les résistances du côté élève peuvent être fortes, elles demeurent néanmoins gérables par lenseignant sil sait utiliser une démarche progressive comme la montré Christine. En revanche, les résistances du côté du professeur doivent être levées par lui seul.
II-2 Implications pour le professeur
Lapprentissage autonome en tandem quil sagisse du tandem par internet (où le professeur ne peut contrôler tous les messages) ou du tandem présentiel (le professeur ne peut entendre toutes les conversations) remet considérablement en cause la conception du rôle de lenseignant. Même si en théorie tout le monde se croit un « facilitateur dapprentissage » selon lexpression de Carl Rogers dans Liberté pour apprendre, dans les faits, les pratiques et lesprit qui y préside se trouvent souvent en contradiction. Voici quelles sont les implications pour lenseignant :
Le professeur doit accepter:
Une nouvelle conception de lapprentissage : Lapprentissage en autonomie entre pairs
Le professeur cesse dêtre la référence du savoir dans la classe. Plus exactement laxe privilégié est laxe élève savoir. Mais ceci peut être vrai dans une relation de classe normale. Ici un changement plus radical encore sopère puisque un tiers simmisce dans la relation pédagogique, et un tiers expert de surcroît, qui nest pourtant pas enseignant : le partenaire natif de chaque langue étudiée.
Lapprentissage devient une démarche médiatisée par les élèves eux-mêmes qui utilisent pleinement leur potentiel. Lélève peut apprendre dun autre élève, natif de la langue et de la culture. Tout élève est également expert de sa langue maternelle par rapport au partenaire apprenant. Tandem favorise donc la valorisation de lexpertise élève même si elle présente des défaillances.
Une centration sur la sphère de lélève
Le fait que lapprentissage se fasse dans une relation entre pairs (peer learning) favorise aussi la centration sur la sphère de lélève.
Autant dans la salle de classe lenseignant est dans la plupart des cas celui qui apporte le dossier, le thème traité, autant dans lapprentissage en tandem, la conversation repose sur des intérêts communs définis par les apprenants. Et cela même si des fiches de tâches existent et peuvent émaner du professeur.
Lélève-correcteur et évaluateur
Dans lapprentissage autonome en tandem lenseignant se trouve décentré par rapport à la relation dapprentissage, il nen est plus le médiateur privilégié et son rôle de correcteur et dévaluateur est également remis en cause. De fait, tout travail ne peut pas être vu ou évalué. Lapprentissage se construit aussi grâce à cet effacement du professeur. Ce nest pas facile pour un enseignant daccepter que toute erreur ne soit pas systématiquement corrigée. Mais renoncer à la communication au nom de la correction de la langue relève dune vision idéaliste de la langue. Car lerreur est aussi le fait du natif et des professeurs eux-mêmes, et peut-on même dans ce cas parler derreur là où il sagit seulement du caractère vivant et fluctuant dune langue ? Dans lapprentissage en tandem, il faut savoir que cest la communication et la conscience culturelle et sociale qui prévalent sur la correction linguistique.
Le professeur peut se sentir déconcerté face à cette démarche inhabituelle qui modifie considérablement ses repères. Il peut penser : « je ne construis plus de projet pédagogique, je ne gère plus les échanges, je ne corrige plus, je névalue plus. Autant dire que je nexiste plus. »
Ce nest pas vrai, le professeur existe toujours mais sous une autre forme, celle de conseiller.
Une nouvelle conception du rôle de lenseignant qui devient un facilitateur dapprentissage en autonomie
Son expertise de lapprentissage est utilisée dans une démarche de conseil : aider lapprenant à déterminer ses objectifs, à évaluer ses progrès, à redéfinir un parcours dapprentissage. Devenir un « facilitateur dapprentissage » selon lexpression de Carl Rogers sinscrit dans un projet humaniste qui voit le professeur au service de lélève.
Dans Objectifs et procédés lors de lentretien individuel de conseil dapprentissage (traduit par Erik Otto), Helmut Brammerts, Mike Calvert, Karin Kleppin rappellent les trois postures du conseiller selon Carl Rogers dont voici la première :
« Acceptation sans conditions, valorisation positive de lapprenant signifie dans notre contexte: Le conseiller accepte lapprenant en tant que personne ayant le droit et étant, par principe, capable de prendre lui-même des décisions relatives à son apprentissage. Il accepte et soutient lapprenant, peu importe quil ait pris les mêmes décisions ou la manière dont il évalue les progrès déjà réalisés et ceux à venir ».
- « Je ne construis plus de projet pédagogique » : au contraire ici, le rôle de lenseignant est dautant plus fondamental quil doit aider lapprenant à construire un projet pédagogique fondé sur lautonomie. Le dialogue est essentiel pour laider à diagnostiquer ses besoins, à les formuler en termes dobjectifs dapprentissage, à réorienter le projet une fois les objectifs atteints.
- « Je ne gère plus les échanges » : Lenseignant gère lorganisation globale du tandem, veille à la régularité des échanges lorsquil sagit dun tandem par internet, à lappariement des élèves lorsquil sagit dun tandem face à face, propose des regroupements de paires pour une mutualisation des approches et des méthodes, et organise des séances de réflexion commune sur les démarches dapprentissage et de communication. Il conserve lentière responsabilité du bon fonctionnement des séances.
- « Je ne corrige plus » : Dans le dialogue avec lélève, lenseignant aide ce dernier à diagnostiquer ses propres erreurs, à demander des corrections ciblées à son partenaire et à proposer à son partenaire des corrections ciblées pour laider à progresser et à réinvestir ultérieurement les acquisitions nouvelles.
- « Je névalue plus » : Si lintégralité des échanges ne peut être évaluée, en tant que conseiller, lenseignant doit aider lélève à évaluer ses prises de notes, à prendre en compte les corrections et informations apportées par son partenaire et procéder à un bilan sommatif de lapprentissage en tandem (constitution dun portfolio) qui pourra être intégré dans son bilan individuel annuel.
Brammerts et al écrivent : « Le conseiller peut soutenir lapprenant en particulier en développant sa capacité à réfléchir sur ses processus dapprentissage dans le but dapprendre à les gérer lui-même, à décider de ses propres objectifs dapprentissage, à estimer constamment ses décisions (par exemple en fonction de conditions ou de besoins ayant évolué), à trouver et à exploiter le mieux possible les possibilités dapprentissage qui lui paraissent efficaces (contextes dapprentissage, méthodes, stratégies, documents etc.) et à évaluer ses propres progrès ».
Des qualités nouvelles:
- Lécoute
Des études menées sur la prise de parole en classe de langue ont montré la place prépondérante de la parole enseignante: 57% du temps en classe danglais, par exemple, contre 44% en classe dallemand. les chiffres donnés ici se réfèrent à une étude INRP déjà ancienne mais on peut penser que le silence et lécoute restent trop négligés en classe de langue. On lira à ce sujet louvrage récent et excellent du GFEN Réussir en langues et en particulier les articles de Marie-Pierre Pomares sur le silence et de Marie-Alice Médioni sur lécoute.
Le conseil est une manière denseigner qui requiert précisément des qualités découte, de prise en compte des désirs et des besoins spécifiques de chaque élève,
Brammerts et al commentent ainsi la deuxième proposition de Rogers concernant lattitude du conseiller :
« LEmpathie, comprendre de manière introspective signifie dans notre contexte: Le conseiller essaie de comprendre quels objectifs lapprenant veut atteindre, où se trouvent ses possibilités et ses limites et quels critères de décision pourraient être importants pour lui. Lentretien qui mène à cette compréhension doit permettre, et permettra, à lapprenant de prendre plus facilement conscience de ces facteurs pouvant intervenir ultérieurement dans ses prises de décision. »
- Une créativité respectueuse de lélève
Le rôle de conseiller requiert également une créativité de tous les instants (pour aider lélève à réorienter ses objectifs par exemple), une adaptabilité aux situations, aux demandes, à tous les problèmes qui peuvent se présenter.
En même temps cette créativité doit demeurer « modeste », ne pas empiéter sur celle de lélève qui reste le maître de son apprentissage.
Brammerts et al commentent ainsi la troisième proposition de Rogers :
« Authenticité, congruence, transparence signifie dans notre contexte: Le conseiller ne se cache pas derrière un masque (par exemple celui dun expert omniscient), mais essaie détablir une rencontre non-hiérarchique de personne à personne. Lauthenticité et la transparence représentent une possibilité de traiter le problème suivant : dune part, le conseiller est un expert en matière dapprentissage et il sait que lapprenant le perçoit en tant que tel, dautre part cependant, il accorde une plus grande importance à lauto-responsabilité de lapprenant quà sa propre opinion. Cest une attitude qui lui permet par exemple de faire intervenir sa propre opinion de sorte que lapprenant ne la considère pas immédiatement comme une consigne à suivre ».
Pour résumer, Brammerts et al découpent lentretien de conseil en trois phases : « Tout dabord vous devrez aider lélève à préciser ses objectifs dapprentissage et les obstacles à leur atteinte ; laider ensuite à décider de méthodes pour atteindre ces objectifs et résoudre ces problèmes ; enfin, laider à sinterroger sur ses prochaines étapes dapprentissage y compris les procédés dauto-évaluation ».
Conclusion : On peut donc dire que tandem favorise une relation pédagogique nouvelle à laquelle le système éducatif français est encore peu habitué, où lidentité des partenaires ne se construit pas a priori ou dans labsolu mais à travers le dynamisme même de lapprentissage.
Claire Tardieu
Professeur des Universités
IUFM de Rouen
France
OUVRAGES CITES
Brammerts, Helmut, Calvert, Mike, Kleppin, Karin, Objectifs et
procédés lors de lentretien individuel de conseil dapprentissage (traduit
par Erik Otto),
Finkielkraut, Alain,l'Humanité perdue, Seuil, 1996.
Gardner, Howard, Les Intelligences multiples, Retz, 1996.
Grand Larousse en cinq volumes, tome 2, Paris, 1988.
Réussir en langues, GFEN, préface de Jean-Yves Rochex, Chronique
sociale, Lyon, 1999.
Houssaye, Jean, Le triangle pédagogique, Berne Lang, 1988.
Houssaye Jean La Pédagogie, une encyclopédie pour aujourd'hui,
ESF,1993.
Les enseignements en CM2 et en 6ème, ruptures et
continuités, INRP, 1987, p.153.
Rogers, Carl, Liberté pour apprendre, Dunod, 1971.
Sartre, L'Etre et le Néant, Gallimard, 1943, p.98-99.
Tardieu, Claire, Le professeur citoyen, Editions M.T.,
1999.