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BIRMANIE
Mercredi 14 février 2007
Un taxi nous prend devant notre hôtel à six heures du matin pour nous emmener, à une bonne trentaine de kilomètres de là, au nouvel aéroport de Bangkok qui vient tout juste d'ouvrir malgré des problèmes d'affaissement des pistes dus à une construction mal étudiée sur un sol marécageux ! Cela n'empêche aucunement l'architecture d'être magnifique. Je voulais récupérer une taxe pour l'achat de l'appareil de photo de Chantal que nous avons acheté lors de notre premier passage en Thaïlande, mais je n'ai pas fait tamponner la facture lorsque nous sommes sortis du pays pour continuer le voyage vers la Malaisie et l'Indonésie. Le délai de remboursement est maintenant dépassé. Et devant les douaniers thaïlandais, pas de discussion possible !!! Cela nous a tout de même pris la tête une bonne heure durant !
L'arrivée à Yangon se fait sans problème. Les visas que nous avons tant eu de mal à nous procurer en Malaisie sont à peine examinés ! Nous prenons un taxi pour l'hôtel que nous avons choisi situé assez près de la célébrissime pagode Shwedagon. Avant d'arriver, le chauffeur s'arrête sur le bas-côté de la route pour nous proposer du change. Un peu suspicieux, je ne change que quarante dollars. L' Eden Palace Hotel n'en a que le nom : autant le personnel est adorable, autant les chambres nous semblent très chères pour le confort proposé. Ici, comme dans la majorité des capitales au monde, le logement écorne sérieusement le budget.
Les longues formalités de l'hôtel étant remplies (dépôt des passeports, formulaires, durée du séjour, itinéraire et moyens de transport prévus en Birmanie, que dis-je, au Myanmar !), nous partons pour la fameuse pagode mille fois vantée par les voyageurs.
Après une demi-heure de marche dans la fournaise, au détour d'un virage, elle surgit dans toute sa splendeur plantée sur le haut d'une colline arasée. On lit partout que c'est la plus belle du monde, sinon la plus grandiose. À la voir ainsi, fière et étincelante dans son habit d'or, c'est certainement vrai. Un frisson de plaisir me parcourt d'ailleurs à l'instant le dos. Il en est toujours ainsi lorsque je découvre la première fois un lieu ou un monument tant de fois admiré dans les magazines ou à la télévision. Et aujourd'hui, c'est le cas.
Le parc arboré et bien entretenu, en bas des marches de la galerie couverte qui monte à la pagode, déroule d'immenses pelouses d'un épais gazon. Un groupe de quatre femmes arrachent les mauvaises herbes à la main, assises sur leurs talons. Deux moines en toge jettent quelques miettes en guise d'offrande aux poissons du plan d'eau et aux nombreux pigeons qui ont flairé le bon coup. L'effusion publique des sentiments est plutôt chose rare en Asie où les gens préfèrent la totale intimité pour se faire part de leur amour. Pourtant, ici, les jeunes amoureux se promènent en se tenant par la taille, bien serrés l'un contre l'autre. Bravant les interdits, ils viennent vers nous et nous saluent longuement en nous adressant nombre de sourires. Nous aimerions bien échanger quelques paroles avec ces jeunes, mais très peu parlent l'anglais ; les autorités militaires qui dirigent durement le pays ne souhaitant qu'un minimum d'échanges entre la population et les étrangers de passage.
La galerie que nous empruntons pour la montée est bordée d'innombrables boutiques toutes sans exception spécialisées dans la bondieuserie. En haut de l'escalier, le vendeur de tickets nous fait mettre nu-pieds et recouvrir nos jambes d'un sarong .
Sortis de la pénombre de la galerie, l'abondance et l'éclat des ors et des couleurs nous éblouissent et procurent à l'ensemble une impression de grande harmonie. Le stûpa central est loin d'être le seul monument de la place. Des dizaines et des dizaines d'autres clochetons, stûpas, pagodons attirent tout autant le regard. Dans le dédale des templions, les pèlerins prient à genoux ou assis par terre devant un oratoire pendant que d'autres déposent leurs offrandes et se recueillent devant l'une des nombreuses statues de Bouddha. Au milieu de la place centrale pavée de marbre se dresse, fier et splendide, le stûpa principal. Pour une fois, devant une telle beauté, je dois parler chiffres. D'une hauteur totale de cent mètres, elle est recouverte de huit mille six cent quatre-vingt-huit plaques d'or. Sa base est entourée de soixante-quatre pagodons. Sur la flèche se trouve une sorte d'ombrelle entourée de mille quatre cents clochettes en or et en argent surmontée d'une girouette ornée de deux mille quatre cent pierres précieuses. Au sommet, une petite sphère d'or est incrustée de plus de quatre mille diamants et une émeraude de soixante-seize carats est positionnée de manière à recevoir le premier et le dernier rayon du soleil !
C'est ce que nous avons pu remarquer puisque nous ne sommes partis qu'une fois la nuit tombée. Encore sous le choc de l'émerveillement, nous voici, dans la nuit noire puisqu'il n'y a pas d'éclairage public, à chercher un endroit pour manger. Un restaurant aux abords de la pagode, pourtant recommandé dans les guides, nous fait fuir dès notre entrée tant la salle nous paraît lugubre dans sa nudité. Heureusement, à quelques centaines de mètres de là, une petite affaire de famille bien accueillante nous attend. Toutes les tables sont pratiquement occupées et uniquement par des locaux ce qui est signe de qualité. Après avoir choisi dans une vitrine une assiette de poisson, une de viande (ne me demandez pas laquelle, je n'en sait strictement rien !), deux de légumes, nous regagnons notre table où nous attendent une assiette de légumes crus servis avec une sauce épicée, un panier de riz, des cacahuètes et une sorte de petites boules de sucre pétri. Accompagné d'une grande bière chacun, le repas s'avère très bon. Nous repartons repus une demi-heure plus tard et seulement allégés de trois euros pour nous deux !
15 et 16 février 2007
Pour préparer les deux petits-déjeuners, le cuisinier mettra un temps certain et, en plus, ce n'est pas bon. Mais devant l'envie de bien faire et l'extrême gentillesse du serveur, un peu gauche dans sa tenue chemise blanche, noeud papillon, pantalon noir et .... tongs, nous préférons ne rien dire. Devant la grille, le gardien nous arrête un taxi dans la rue, nous conseille sur le prix maximum à payer et le fait nous conduire au grand marché de Bogyoke où nous voulons aller. Nous ne sommes pas encore sortis du taxi que deux jeunes gens se précipitent vers nous pour savoir si nous voulons changer de l'argent. Le temps de réfléchir quelques instants sur l'opportunité de le faire maintenant, nous acceptons. Nous voilà partis derrière eux dans le labyrinthe des travées au milieu des étalages. Ils nous font pénétrer dans l'une des arrière-boutiques où une famille est installée. Nous nous mettons d'accord avec un homme plus âgé sur le taux de change et, peu rassuré, je sors mes beaux dollars tout neufs. L'espace d'un instant, je me vois dans un film noir, perdu dans un lieu que je ne connais pas, ne parlant pas la langue, de grosses gouttes perlant sur le front, une chanson du Grand Orchestre du Splendid dans la tête (Macao, Macao .... Ça sent le sang....écarlate !)... Tous me regardent lorsque je m'installe compter les énormes liasses de kyats birmans que vient de me donner l'homme qui parait être le chef de famille. Au bout d'un moment qui m'a semblé assez long, je me lève et acquiesce. Tout est OK. Alors un large sourire éclaire tous les visages, y compris les nôtres, il n'a eu aucun problème. Nous nous quittons en rigolant mais, coincés au fond de cette pièce sombre, Chantal et moi n'étions pas si rassurés que cela....
Le marché en lui-même nous paraissant peu intéressant, nous partons à pied pour celui de Thein Gyi Zei . Incroyablement animé, il se tient dans la rue ou sous les porches d'un trottoir couvert. Les vendeurs hurlent à tue-tête pour proposer leurs produits à la foule des chalands. Nous ne résistons pas au plaisir de nous offrir une grosse grappe de raisins. La marchande, toute gentille, s'en va nous chercher de l'eau et la verse dans notre sac plastique pour la laver. Malgré l'origine inconnue du liquide, impossible de ne pas commencer à manger la grappe devant elle, elle aurait été tellement déçue ! Nos intestins, désormais bien habitués, ne nous causeront aucun souci et c'est tant mieux car le raisin se révèle excellent !
Une des choses qui nous surprend le plus est l'abondance de boutiques de fils, de machines à coudre, de limes, de clés, de cadenas. Il y en a un nombre invraisemblable. Aujourd'hui encore, je n'en ai pas l'explication.
Pour mon ordinateur qui commence à souffrir un peu et que je porte dans mon sac photo, j'achète une sacoche spéciale et un cadenas. Pour continuer une collection commencée dès le premier jour en Martinique, je m'offre deux nouveaux bracelets et en paie un autre à Chantal. Il m'est arrivé d'en porter dix-sept en même temps ! C'est d'ailleurs l'un des signes distinctifs des routards qui se respectent. Mais maintenant, je me suis nettement calmé et n'en mets plus que six à la fois !
Nous errons dans les parages au gré des rues le reste de la journée, nous accordant seulement une pause réparatrice devant une bière pression avant de retourner dans le même restaurant qu'hier soir.
Une fois le petit-déjeuner avalé (toujours aussi peu ragoûtant mais servi avec tant d'attention qu'on se doit de ne rien dire), nous filons pour une longue journée de marche vers le lac Kandawgyi . En chemin, la pagode la plus récente de Yangon nous dévoile la magnificence du kitsch, du moins à l'intérieur. Les piliers sont décorés de faux arbres au feuillage de ciment peint. Quant à la voûte du dôme, elle est constellée d'un fatras de choses hétéroclites : immense coquillage, tête de cheval, flèche, coq, stûpa et plein d'autres bidules que nous ne reconnaissons même pas. Il doit certainement y avoir une signification, mais aussi bien Chantal que moi ne souhaitons nous la faire expliquer par le guide qui vient de nous repérer ! Aussi nous éclipsons-nous le plus discrètement et le rapidement possible de cette étrange pagode !
Sous la grosse chaleur, le tour du lac nous paraît long. Il n'y a pas grand chose à voir sinon un restaurant en béton en forme de bateau coiffé d'une pagode et semblant posé sur l'eau. Un peu plus loin, une famille d'éléphants, toujours en ciment, paît sous les cocotiers près d'une mare ! Dans le parc attenant, pour nous abriter un peu, nous allons sur les bords de la piscine municipale où seulement deux gamins s'amusent dans l'eau. Nous sommes les seuls à la cafétéria assez lugubre avec si peu de monde. Le sandwich au poulet grillé est pourtant bon et nous l'avalons de bon appétit. Je regrette de ne pas avoir pris mon maillot, car j'ai une furieuse envie de piquer une tête. Devant un tel supplice, nous préférons partir nous perdre dans les rues avoisinantes que de rester assis sur notre chaise à regarder un bassin vraiment trop tentant !
Dans le parc, beaucoup de jeunes amoureux sont assis sur les bancs, blottis l'un contre l'autre malgré la canicule. Au coin d'une rue, une femme prépare et vend la fameuse chique, le bétel, qui rend les dents si rouges ! Hommes et femmes en consomment. Quelques morceaux de noix d'arec, du tabac, éventuellement des épices sont roulés en boule compacte dans une feuille de bétel badigeonnée de chaux. Pour apprécier la chique, certains en avalent le jus, mais beaucoup le recrachent, ce qui macule les trottoirs d'innombrables taches rouge sang !!!
Au gré de nos pérégrinations, nous voici de nouveau arrivés devant la pagode Shwedagon . C'est le milieu de l'après-midi et nous décidons d'y retourner tant son ambiance nous a séduits la première fois.
Le ticket (cinq US dollars pour les touristes étrangers) est cher pour un pays comme la Birmanie. Mais puisque les autorités militaires en place ont besoin d'argent et que nous voulons bien leur en donner ... ! C'est là tout le paradoxe de visiter le pays. D'un côté, on se sent coupable de participer à l'enrichissement de la dictature qui étouffe complètement la population. Et de l'autre, les gens sont tellement fiers de nous accueillir et reconnaissants que nous venions les voir chez eux qu'il serait franchement dommage de les priver d'une telle joie. Ils ont ainsi l'impression de se sentir moins seuls.
Il y a moins de monde en cette fin d'après-midi et la pagode nous semble encore plus belle que la première fois. Sympas, des moines de tout âge se laissent prendre en photo pendant qu'une quinzaine de balayeuses en rang serré balaient consciencieusement le marbre du sol en avançant toutes ensemble au milieu des fidèles. Il règne dans ce lieu étonnant une sérénité qu'on ressent palpable et, comme envoûtés, nous restons une fois de plus jusqu'à la nuit.
17, 18 et 19 février 2007
Le taxi roule à vive allure sur les larges avenues encore relativement peu encombrées. Nous allons à la gare routière assez éloignée du centre prendre le bus qui va nous emmener au Rocher d'Or . Il nous faut cinq heures et demie pour parcourir les deux cents kilomètres depuis Yangon. Heureusement, dans le bus, nous faisons la connaissance de Christelle et Patrick, deux Alsaciens en vadrouille à travers la Birmanie. Pris par la conversation durant la majeure partie du voyage, nous oublions l'inconfort de nos sièges pourtant complètement détruits !
Kinn Pun, notre destination, est un village perdu en pleine campagne. Il y n'a que deux possibilités pour loger ici et je crois que j'ai choisi la moins bonne ! Privés d'électricité pour l'instant, on nous la promet pour ce soir ; mais j'ai peur pour nos batteries à recharger. Après un semblant de douche sous le mince filet d'eau froide de notre salle de bains, nous partons à la découverte du hameau. Le long de la rue principale, en terre et un peu défoncée, de nombreuses boutiques sommaires vendent dans la poussière toutes sortes de fruits confits. Cela à l'air d'être la spécialité du coin. Un jeune garçon, d'un large sourire, réussit à nous séduire et nous repartons quelques instants plus tard avec quelques centaines de grammes de ses produits : un vrai délice. Tellement bons d'ailleurs, que nous retournons lui en acheter aussitôt après avoir tout mangé !
De la rue partent de nombreux chemins dont celui qui monte au Rocher d'Or en, paraît-il, quatre heures de marche. Ils s'enfoncent à travers la végétation vers d'autres habitations disséminées dans la campagne, construites en bambou et recouvertes de palmes séchées. Des gamins peu farouches viennent jouer avec nous et, par leurs cris et leurs rires, attirent les parents sur le bord du chemin. Nous passons là, parmi eux, un très agréable moment jusqu'au coucher du soleil.
À notre réveil nous sommes dans l'obscurité, car l'électricité qui a un peu marché hier soir juste le temps de recharger les batteries est de nouveau coupée. Sur la place du village, le vieux camion qui monte les pèlerins au Rocher d'Or attend d'être plein avant de démarrer. Nous nous asseyons tassés les uns contre les autres dans la benne débâchée. Deux autres touristes sont eux aussi serrés comme des sardines, mais l'ambiance est à la rigolade. Un groupe de jeunes filles birmanes nous prend en amitié et nous offre plein de choses inconnues à grignoter ! Par contre, une heure à se faire secouer dans la fraîcheur du petit matin, sur une route de béton très pentue à certains endroits, magnifique mais dangereuse, semble tout de même un peu long à nos fesses meurtries !
Du parking où s'arrête enfin le camion-bus, il nous faut encore grimper presque une heure avant d'atteindre l'esplanade du fameux rocher. En chemin, des boutiques proposent de l'eau et des friandises pour reprendre quelques forces. D'autres, plus orientées vers la médecine, présentent de l'huile d'éléphant, des dents de tigre ou encore des crânes de singe pour faire baisser la fièvre !
Plusieurs fois au cours de la montée, la vue qu'on découvre sur le site, perdu en pleine nature, surplombant une vallée couverte de forêt tropicale, est magique. Après avoir montré nos passeports (!) et nous être acquittés d'un droit d'entrée, nous pénétrons enfin dans l'enceinte du site. C'est à cet instant que nous croisons Christelle et Patrick qui entamaient déjà leur descente, eux qui avaient choisi de dormir non loin du rocher pour tenter de choper, sitôt leur rapide visite matinale terminée, d'abord un bus puis ensuite un train pour se rendre à Mandalay . Nous leur souhaitons bonne chance pour la suite de leur voyage.
Le fameux rocher est là devant nous, ne tenant en équilibre, paraît-il, que par la présence d'un cheveu de Bouddha à sa base. Il mesure presque sept mètres de hauteur et est coiffé d'une flèche dorée, elle-même de sept mètres. Il a été doré à la feuille au fil des siècles par la foule des pèlerins venus s'y recueillir. Pour un bouddhiste, venir ici est effectivement essentiel dans son parcours religieux. Mais seuls les hommes ont le droit de s'en approcher et de le toucher. Restée en retrait, Chantal regarde donc de loin le groupe de moines devant moi tenter d'incruster malhabilement de minces feuilles d'or dont certaines s'envolent vers le ravin en dessous. Chaque année le roc aux formes arrondies est recouvert d'une bâche pour sa restauration. Il faut en effet déposer de nouvelles feuilles d'or aux endroits que les fidèles ne peuvent atteindre, c'est à dire sur au moins les quatre cinquièmes de sa surface.
Il fait chaud maintenant et la lumière devient très dure pour les photos. Aussi préférons-nous redescendre. Le chemin, même en pente, est épuisant. Pour reprendre notre souffle, nous restons assister à une partie acharnée de carrom, le billard birman qui se joue sur un plateau de teck avec un palet lancé d'un coup de doigt sur des jetons. Souvent, comme pour cette partie, quelques billets sont mis en jeu.
Revenus à Kinn Pun , nous assistons sur la place du village à une partie de chinlon très populaire dans tout le pays . Il s'agit cette fois d'un jeu qui consiste à jongler et à se passer une balle de rotin tressé avec les pieds ou la tête sans la faire tomber. Incroyable l'habileté avec laquelle ces joueurs se renvoient la balle : une vraie chorégraphie !
L'envie nous prend de retourner acheter des fruits confits. Le gamin est tout heureux de nous revoir et nous fait goûter à d'autres fruits qu'on ne connaissait pas. Et ne nous demandez pas ce que c'est, nous n'en savons fichtre rien, mais nous les trouvons tous très bons !!!
Quelques stands plus loin, une femme tente de vendre du thanakha à Chantal. En Birmanie, deux traditions perdurent : le bétel (la fameuse chique locale) et le thanakha . C'est le produit de beauté des femmes birmanes et parfois des enfants. Pratiquement toutes se fardent les joues de cette pâte claire qui leur sert de parfum, d'antiseptique, de protection contre le soleil et la transpiration. Les plus coquettes dessinent, avant qu'il ne soit totalement sec, des décorations à l'aide d'une brosse à dents. Mais Chantal refuse ; elle n'a pas l'intention de se badigeonner le visage de retour en France !
Dans la soirée, au restaurant du village qui fait aussi office d'agence de voyage, d'épicerie, de quincaillerie, nous réservons deux places pour le bus qui va nous ramener vers Yangon demain.
À six heures trente précises, le bus pratiquement complet démarre. On nous a placés aux deux meilleures places du bus habituellement réservées aux autorités. Au fur et à mesure des arrêts au long du parcours, comme partout en Asie dans les transports locaux, le bus est plus que archi comble, si c'est possible de l'être ! Pour une fois, nous sommes un peu à l'écart de la mêlée et pouvons admirer les premiers rayons du soleil qui dorent d'une jolie manière la campagne en train de se réveiller.
À la descente du car, deux des jeunes Birmanes dont nous avions fait la connaissance dans la benne du camion grimpant au Rocher d'Or et qui voyageaient avec nous dans le bus offrent à Chantal un porte-clé en guise de souvenir. Cette attention la touche beaucoup, et nous ne savons quoi leur dire pour les remercier. Les Birmans sont des gens vraiment très attachants, nous le vérifierons tout au long de notre parcours.
De la gare routière, un taxi déglingué nous mène à la gare ferroviaire où nous voulons attraper le train de nuit pour Mandalay . Pas de chance, le train est complet et, nous ayant repérés, des autorités autoritaires (!), nous accompagnent dans leur bureau sommaire vérifier nos passeports et visas, notre emploi du temps, notre parcours, nos intentions. Ils souhaitent en plus nous réserver nos billets sur le train de demain, ce que je refuse catégoriquement. Je n'ai pas l'intention, mais alors pas la moindre intention, de faire ce que eux voudraient que nous fassions. Et c'est d'un pas décidé, Chantal sur les talons, que je quitte les lieux sans me retourner un seul instant. Une fois hors de la gare, nous nous asseyons prendre le temps de réfléchir un peu à ce que nous allons faire.
Deux hommes qui me semblent être indiens, viennent nous proposer du change, ce que j'accepte car il nous en faudra pour plus tard et ce doit être plus facile d'en trouver ici. On se met d'accord sur le taux. Je désire changer trois cents dollars. L'un d'entre eux me tend alors d'énormes liasses de kyats et m'incite à les recompter. Je lui demande tout de même un peu plus d'intimité et je les suis tous les deux dans le fond d'une boutique juste en face. Chantal, elle, reste surveiller les bagages sur le trottoir. Bien installé sur un tabouret je recompte tranquillement les billets.Je dois en recevoir trois cent quatre-vingt-dix ! Je les regroupe dix par dix en paquets de cent. Cent... Deux cents...Trois cents... Ce sont des billets de mille et il me reste quatre-vingt-dix mille à compter. Mais, parce que il y a évidemment un mais, il n'y a que neuf mille ! Il tente de me faire croire que je fais une erreur. Je lui sors alors ma calculette. Avant que je ne saisisse quoi que ce soit dessus, le second me tape dans le dos avec un grand rire et me tend les quatre-vingt-un mille restants !!! Cette fois, c'est bon, je peux lui donner mes trente billets de dix dollars. Une fois dans sa main, il les regarde et me dit d'un air vraiment navré qu'il pensait recevoir des billets de cents dollars, et que pour des billets de dix le taux n'était plus du tout le même ! Ben voyons.... ! Au lieu de discuter avec ces truands indiens, je reprends mes dollars qu'ils venaient de poser sur la table et leur laisse les liasses de kyats. C'est bon, on ne va pas ameuter tout le quartier pour si peu, et plus vite je serai parti, mieux ça vaudra pour moi !
Une fois dehors, je respire d'un coup un peu mieux ! Je retrouve Chantal et lui explique la chose ; elle n'en revient pas ! Dire qu'on nous a conseillé les dollars en petites coupures ! De toute manière, je pense que cela ne se serait pas passé autrement avec de gros billets, les gars ne cherchant qu'à escroquer leurs pigeons. Il nous faudra donc faire le change ailleurs ! N'empêche que l'épisode m'a amener à un moment devant une petite agence qui vend des places de bus de nuit pour Mandalay . Nous y allons et réservons deux places VIP tout confort pour cette nuit. Il nous reste deux heures à tuer avant qu'un minibus ne vienne nous chercher ici, aussi décidons-nous de retourner à l'ombre sur notre trottoir de tout à l'heure. Durant ces deux heures, nous pouvons observer le manège incessant de nos deux indiens à la chasse aux touristes. Tous repartent de la même manière que moi, en les maudissant. Tous sauf un qui repart en souriant et en leur serrant la main. Il ne doit s'être rendu compte de rien. Je me livre à un petit calcul. Sur le nombre, admettons qu'ils en plument un par jour, ce qui paraît très plausible. En ce qui nous concerne, il ont tenté de me voler soixante-deux dollars, ce qui représente près de deux fois le revenu mensuel moyen !!! Vous vous rendez compte de la fortune qu'ils amassent, même s'ils doivent arroser la police locale pour pouvoir exercer leur talent !...
Le conducteur d'un taxi bleu, sorte de camionnette-taxi, charge nos bagages comme il le peut au milieu des jambes des passagers. Nous faisons là la connaissance de deux jeunes filles espagnoles vraiment sympas qu'on croisera ensuite de nombreuses fois dans tout le pays !
Les sièges de notre bus tout confort devraient convenir à des enfants non turbulents de moins de dix ans, mais pour des adultes ils paraissent plutôt très étroits et rapprochés. Tiens, la conduite est à droite en Birmanie, et le poste de conduite du chauffeur aussi. Va y avoir du sport !... En détaillant un peu les choses, on pense deviner pourquoi le véhicule fait partie des bus VIP : ça ne peut être la rangée de sièges supplémentaires en plastique qui occupe l'allée centrale, il s'agit plus vraisemblablement du vieil écran pendu au plafond. Génial, il va y avoir un film. D'ailleurs le programme a l'air de vouloir démarrer dès les premiers kilomètres. Bon, la sono est un peu forte et parasitée au maximum, mais l'adjoint au chauffeur va certainement y remédier. C'est ce qu'il fait en effet. On le voit donner des tapes de plus en plus fortes dans le magnétoscope, ou du moins ce qu'il en reste. Ça marche, car le son est soudain meilleur, quoique encore très fort, mais c'est maintenant au tour de l'image de donner quelques soucis. Elle ne s'affiche qu'au rythme d'une image par seconde ! Au bout d'un certain temps, quelqu'un se lève un peu énervé semble-t-il et s'en va voir l'adjoint qui, consciencieux, monte un peu plus le volume !!! C'est drôle comment fonctionne le corps humain : sans le faire exprès, je me surprends en train de fouiller dans mon sac à la recherche de mes boules Quiès . Allez donc savoir pourquoi !!!
Vers minuit, le cinéma itinérant s'arrête parmi des dizaines d'autres bus sur le bord de la route. Un nombre incroyable de stands proposent de la nourriture pas chère. C'est vrai qu'il faut avoir faim pour oser pendre quelque chose, mais j'ai faim ! Je me fie à mon flair pour choisir mon stand et commande une soupe garnie de nouilles, de poulet et d'oeufs qui flottent sur le dessus. Le bol est un peu douteux, mais la soupe bien chaude, copieuse, et épicée juste comme il faut. Et pour quinze centimes d'euros, on ne peut tout de même pas exiger un plat de chez Roellinger à Cancale !....Malgré tout, Chantal préfère ne rien prendre.
Durant toute la nuit, des clips uniquement birmans et des films d'action chinois sont diffusés sans interruption. Même à travers les bouchons, la musique et le bruitage des combats m'irrite les tympans !!!
Lors du troisième et dernier arrêt, le jour va se lever et nous nous laissons tous les deux tenter par un thé et quelques pâtisseries artisanales. Cela fait maintenant quatorze heures que nous sommes assis sur des sièges trop étroits et trop serrés. Je n'ai pas fermé l'oeil de la nuit, au contraire de Chantal qui a tout de même réussi à dormir un peu malgré les secousses et le brouhaha. Le trajet, maintenant devenu très pénible, se termine enfin à la gare routière de Mandalay alors que le soleil darde ses premiers rayons de la journée. Un rabatteur avec une pancarte de l'hôtel où nous voulons descendre nous désigne le taxi bleu qui va nous y conduire.
20, 21 et 22 février 2007
Dans beaucoup de pays ce serait chose impossible, mais en Asie, lorsqu'ils ont une chambre de libre, les tenanciers n'hésitent pas à vous la donner, sans supplément, même à sept heures du matin. La nôtre est très correcte et la douche tiède nous requinque. Le petit-déjeuner que les serveuses acceptent de nous servir finit de nous remettre complètement d'aplomb.
La preuve ? Nous partons à pied vers la colline de Mandalay !
Grosse erreur !... D'après le plan du guide, elle se trouve juste à l'opposé, de l'autre côté du Palais Royal. Mais il y a une chose que je n'ai pas regardée : l'échelle ! Nous nous en rendons vite compte en voyant la longueur des fossés rectilignes entourant l'enceinte du Palais ! Un rapide calcul nous fait prendre conscience du nombre de kilomètres à parcourir pour simplement faire l'aller et le retour : une dizaine ! C'est trop pour nos jambes encore fatiguées de la montée et descente du Rocher d'Or, et de leur nuit de car passée recroquevillées.
Avec les vélos que nous venons de louer en face de la guesthouse, le chemin paraît tout de suite beaucoup plus court et, comme par enchantement, plus agréable. Il nous faut pourtant escalader à pied les mille sept cents marches pour atteindre le haut de la colline. L'effort en vaut pourtant la chandelle car, de la pagode clinquante coiffant le sommet, la vue est magnifique sur la ville et le Palais Royal, le fleuve Irrawaddy et la campagne environnante. À nos pieds, le plus grand bâtiment de la ville se remarque facilement par sa forme ronde et sa taille : c'est la prison !
En redescendant nous croisons nos deux copines espagnoles qui, pourtant parties avant nous hier de Yangon , sont arrivées ce matin après nous. Elles n'avaient pas pris le bus VIP !
La visite de quelques belles pagodes au pied de la colline ayant fini de nous épuiser, nous allons assister au coucher de soleil assis sur le trottoir devant les fossés remplis d'eau. Des promeneurs s'arrêtent accomplir quelques mouvements sur des agrès de gymnastique mis à la disposition du public. Moi-même je m'y essaie, mais vu mon état de forme, je ne préfère pas me claquer et arrête très rapidement !!! Chantal, quant à elle, feint carrément de ne pas les voir !
Pour dîner, nous choisissons un restaurant populaire archicomble où, comme à Yangon , nous choisissons dans la vitrine ce que nous voulons manger.Une fois encore, le prix est plus que raisonnable pour la qualité et la quantité servie. Inutile de vous préciser que nous n'avons pas traîné longtemps, et que, à peine allongés, nous dormions déjà !
Levés en pleine forme, le petit-déjeuner avalé, nous sommes prêts à partir, quand un soi-disant guide nous impose sa présence. En y regardant de plus près, je pense plutôt qu'il s'agit d'un agent de la police secrète qui veut nous pister toute la journée. Je sais que la ville en regorge et qu'avec mon appareil, je ne passe pas inaperçu ! Devant son insistance et pratiquement sommés d'accepter, nous le prenons avec nous. Mais il montera dans la minuscule cabine avec le chauffeur, je ne veux pas de lui à l'arrière avec nous. Ce petit tracas résolu, le taxi bleu que j'ai réservé pour la journée part enfin pour la balade vers les anciennes capitales après nous avoir déposés au préalable devant un hôtel pour que nous puissions y faire du change (à un taux meilleur qu'à Yangon ) ...
À Amarapura, notre premier arrêt, les rues abritent de très nombreux ateliers de sculpture. Les énormes blocs de marbre sont d'abord dégrossis au burin ou à la scie électrique, puis polis à la pierre. Le travail ressemble un peu à un travail à la chaîne. Chacun a sa spécialité. Il y a ceux qui dégrossissent, ceux qui cisèlent et ceux qui poncent. Tout le monde est concentré et ne s'interrompt que très rarement. La poussière vole de toutes parts, la rue en est toute blanche. La majorité des grosses pièces sont sculptées dans un certain style (birman, chinois, thaïlandais ou autre) et partent directement à l'exportation. Je n'écoute aucune des explications que nous dispense le faux guide. Je suis même heureux de constater que je l'énerve un peu en n'arrêtant pas de prendre des photos. Et dès qu'il me voit entamer la conversation avec un ouvrier, il revient en catastrophe me demander d'accélérer. Il rigole ou quoi lui ? Il ne manquerait plus qu'il vienne me donner des ordres maintenant ! Du coup, nous prenons encore plus notre temps. Et lorsque Chantal et moi en avons assez du vacarme des ponceuses et du martèlement incessant des burins sur la pierre, nous partons nous réfugier dans une pagode toute proche et retrouver calme et sérénité !
En fait, c'est la plus prestigieuse et la plus vénérée de la ville. Hormis la tête qu'il a bien lisse, le grand bouddha qu'elle abrite a le reste du corps déformé par les milliers de feuilles d'or que les fidèles posent quotidiennement. On dit que sont torse est recouvert d'une épaisseur de vingt-cinq centimètres de feuilles d'or ! La ferveur des gens nous impressionne, et Chantal, encore une fois, ne peut admirer la statue que de loin puisque les femmes ne doivent pas l'approcher.
Dans les rues avoisinantes, des ateliers de marionnettes produisent et exposent un nombre impressionnant de pantins et de poupées magnifiques. Dommage que la place dans nos sacs soit si comptée, sinon nous en aurions acheté une !
Maintenant, le guide-cerbère tient absolument à nous emmener voir des moines en quête de nourriture pas loin d'ici. Nous ne sommes pas chauds du tout, mais pour calmer un peu l'affaire, nous acceptons. Chose étonnante (!), tous les cars de touristes de la région sont réunis sur le parking et dans les rues voisines. L'attrape-touriste par excellence ! Des centaines de personnes sont massées sur les trottoirs de chaque côté du défilé et regardent les moines jouer la comédie en recevant théâtralement leur riz quotidien. Impossible de prendre une photo (d'ailleurs, je n'en ai même pas envie) sans avoir une dizaines d'individus blancs et chapeautés eux-mêmes en train de mitrailler ! À un moment, je tente d changer de trottoir et me fait enguirlander grave par le chef des moines ! Fuyons, Chantal, fuyons ! Si j'aime voyager en individuel, c'est justement pour ne pas avoir à subir ça ! Les processions que nous avons vues à Luang Prabang au Laos étaient cent fois plus jolies, nous étions pratiquement seuls et les moines ne jouaient pas !!! Alors que fait-on ici ?
Passablement énervé, je ferme le clapet du guide qui voulait nous emmener voir un autre truc du même genre. M'adressant au chauffeur, je l'oblige à nous emmener directement à Sagaing une autre des anciennes capitales que nous voulons voir. Malheureusement, avec tout le temps perdu auparavant, il est midi lorsque nous parvenons à la pagode U Ponya au sommet de la plus haute colline. C'est l'heure la pire pour les photos. Nous sommes seuls d'ailleurs, pas un autre touriste à la ronde ! C'est ici que je voulais venir en premier. On aurait eu tout le temps dans l'après-midi de visiter les ateliers de sculpteurs. Je suis vert de rage, d'autant que la vue est superbe : l'avalanche de pagodes dorées qui dévale les pentes de dizaines de collines alentour est d'une beauté époustouflante. Ggrrrr !
Le taxi stoppe à quelques kilomètres de là devant un bras de rivière qu'il va nous falloir traverser en barque. Il n'y a plus que deux places. Notre guide adoré va devoir rester à terre. Mince alors ! ...Il a quand même le temps de nous souffler qu'il faut que nous soyons revenus dans une heure ! Oui, oui, compte sur nous !......
Une fois débarqués de l'autre côté, la magie du lieu nous séduit immédiatement. Dans les champs, les paysans sont voûtés sur leur besogne. Une carriole tirée par une vieille jument passe devant une pagode en plein ravalement, les ouvriers frottant, badigeonnant scrupuleusement l'antique monument. Dans un village, apercevant nos appareils, toute une famille demande à passer devant l'objectif, la mamie allant jusqu'à déculotter un bambin, trop fière d'exhiber son petits-fils ! Une fois la visite du beau monastère en teck de Bagaya terminée, il nous faut retourner jusqu'à l'embarcadère retrouver notre ami qui doit être passablement énervé vu tout le temps qu'on a pris pour faire notre tour à pied !
Mais non, nous sommes toujours en Asie, et un asiatique d'où qu'il soit, prend assez sur lui pour ne pas perdre la face. C'est donc un homme charmant et souriant que nous retrouvons, s'enquérant de tous nos désirs !
Le taxi reprend la route vers le pont d'U Bein . Mais avant d'y arriver, pour la énième fois de la journée, le conducteur doit débourser quelques billets à plusieurs péages plus ou moins autorisés pour pouvoir continuer sa route. Nous atteignons le célébrissime pont juste à la bonne heure en fin d'après-midi.
Autorisé seulement aux piétons, il demeure le plus long pont en bois du monde. Entièrement en teck, il a été construit au milieu du dix-neuvième siècle avec le bois de récupération du palais de Inwa , détruit et abandonné après un tremblement de terre. Nous ne nous pressons pas pour effectuer les mille deux cents mètres de sa longueur et en profitons pour nous délecter des scènes de vie quotidienne qui se déroulent tout autour de nous. De nombreux moines dans leur tenue rouge marchent par groupes de deux ou trois, se frayant un chemin entre les vélos que poussent des paysans rentrant chez eux. Sur l'eau, de graciles embarcations peintes promènent de rares touristes tandis que des pêcheurs tentent d'attraper assez de poissons pour nourrir ce soir toute la famille. Le soleil couchant arrose d'or et de pourpre un vieil arbre desséché dont le reflet dans l'eau sans ride vient mourir à nos pieds. Nous n'en partons qu'à la nuit tombée, tant il est difficile de quitter un lieu aussi paisible et aussi enchanteur. Il fait nuit noire depuis longtemps lorsque le taxi nous dépose devant la guesthouse et nous regardons s'éloigner sans aucun regret le guide qui n'a pas réussi, à son grand désespoir, à nous guider du tout.... !
Autant dans la journée nous mourrons de chaud, autant le matin de bonne heure, nous supportons notre polaire. C'est ainsi équipés que deux trishaws (vélotaxis) nous emmènent après le petit-déjeuner à l'embarcadère assez éloigné pour Mingun . Nous n'avons pas eu le choix à la réservation des billets. Les touristes doivent prendre l'unique bateau qui leur est dévolu, le ferry local leur étant désormais interdit. Il part à neuf heures pour revenir à treize heures, ce qui laisse deux heures et demie pour faire le tour du site.
La balade sur l' Irrawaddy est agréable. Des embarcations à longues rames traversent d'une rive à l'autre, tandis que des caravanes de radeaux descendent leur chargement de bambous jusqu'à la mer d'Andaman.
Au débarquement, une armée de gamins aborde les visiteurs en leur proposant des charrettes tirées par des boeufs. Les plus riches d'entre nous se laissent tenter tandis que Chantal et moi préférons marcher jusqu'à la fameuse pagode lézardée ! Cet édifice, jamais achevé, aurait dû être la plus grande pagode du monde. Mais à la mort du roi, la construction pharaonique s'est arrêtée, après trente ans de dur labeur, pour cause de caisses vides et de désertion de plus en plus fréquente des esclaves. Le tremblement de terre de 1838 provoqua la célèbre faille dans le mur de ce qu'il convient d'appeler aujourd'hui le plus gros tas de briques du monde !
Pour continuer dans les superlatifs, nous allons, à quelques pas de là, sonner la plus grande cloche du monde en état de marche. Armée d'un battant en bois, Chantal parvient à peine à faire résonner les quatre-vingt-dix tonnes de fonte !
Dans le village, je me laisse tenter par un jus de canne à sucre pressé devant nous. C'est un bon moyen pour se désaltérer, le soleil tapant maintenant vraiment fort. Dans la rue de jolies jeunes filles, ayant remarqué que nous étions français, nous interpellent de leur voix douce à coups de c'est joli, c'est pas cher, c'est local pour tenter de vous vendre un chapeau tressé, une peinture ou autre souvenir local...
Sur le bateau qui nous ramène vers Mandalay, je retrouve Frank, un Allemand dont j'ai fait la connaissance à l'aller. À peine le temps d'une conversation et nous sommes déjà arrivés. Les trishaws de ce matin sont là à nous attendre sous le soleil de plomb ! Une fois bien calés dans notre siège, ils s'aventurent sans peur dans la circulation. En ce qui nous concerne, nous sommes bien moins rassurés qu'eux ! Heureusement, nous avons affaire à des pros du guidon et c'est en toute sécurité qu'ils naviguent au milieu des taxis bleus, des vélotaxis, des épaves roulantes, des piétons, des carrioles, des boeufs, des chiens, des piétons, des nids de poule, jusqu'à l'atelier de fabrication de feuilles d'or dont les bouddhistes ornent tout ce qu'ils vénèrent. Une rapide visite nous fait découvrir la pénibilité du travail. Ici, tout est fait à la main depuis des siècles. Les batteurs, de jeunes hommes, martèlent en cadence et sans rechigner (du moins ne le montrent-ils pas !) les lingots d'une vingtaine de grammes qui donneront au final plus de deux mille feuilles d'or !!! Ces feuilles, encore plus fines que du papier à cigarette, sont ensuite découpées en petits carrés réguliers par des jeunes filles. Inutile de vous préciser qu'elles sont hypersurveillées par un chef pas très rigolard ! En partant, nous nous laissons aller à acheter quelques feuilles, minutieusement emballées dans des sachets transparents.
Pour à peine trois euros à nous deux, nous retournons manger dans la même cantine shan que les soirs précédents : bol de soupe, saladier de riz, crudités, trois plats de viande et une grande bouteille de bière. Pourquoi aller chercher ailleurs ?!!
23 février 2007
Aujourd'hui nous laissons Mandalay derrière nous pour nous diriger vers Bagan , un des sites archéologiques les plus célèbres du monde et le coeur touristique de la Birmanie. Pour nous y rendre nous allons naviguer sur l' Irrawaddy . Cela nous changera des bus peu confortables que nous avons eu jusque là.
Nous quittons à regret la guesthouse et notre chambre sympa de Mandalay où le personnel était des plus charmants et très efficace dans l'achat ou la réservation de billets.
Un petit taxi bleu vient nous prendre devant l'hôtel pour nous conduire dans l'obscurité finissante à l'embarcadère. Il fait encore un peu frais à cette heure matinale et une légère brume enveloppe les berges qui commencent à s'animer. Notre bateau est là, attendant sa cohorte de routards. Nous nous retrouverons entre nous, car les locaux sont interdits sur ce navire fluvial, comme d'ailleurs nous le sommes sur leurs embarcations.
Une fois les tickets visés, nous appareillons au moment précis où le disque solaire apparaît au-dessus de l'horizon. Sur le pont arrière, je retrouve Frank, l'Allemand d'hier, et Richard un Anglais de soixante-sept ans qui voyage seul durant six mois tous les ans et dont nous avons fait la connaissance dans le bus vers Mandalay .
La vue sur les berges est magnifique. Des bateaux emmagasinent d'énormes troncs de teck dans leurs cales. La Birmanie possède en effet quatre-vingt-dix pour cent des réserves naturelles mondiales de ce bois précieux et le commerce juteux en est géré par... les militaires en place, bien évidemment !
Au fur et à mesure que nous progressons, nous croisons des barques de plus en plus nombreuses transportant leurs passagers vers les villages éparpillés le long du fleuve, des pêcheurs que les remous de notre bateau ne semblent même pas perturber, un long convoi de radeaux de bambous sur lequel une cabane sommaire abrite la famille qui vit dessus et qui s'occupe de son acheminement... Une heure pile après le départ de Mandalay , nous passons au pied des collines de Sagaing et de leurs innombrables pagodes dorées que fait reluire le soleil matinal dans une belle couleur cuivrée. Cette vision féerique restera certainement l'une des plus belles de notre passage en Birmanie, sinon de tout notre voyage.
Le soleil tapant de plus en plus fort, Chantal préfère aller s'abriter au pont inférieur dans l'espace climatisé où s'entasse la grosse majorité des passagers. Avec Frank, nous restons discuter sur le pont, au grand air, assis sur de simples chaises en plastique. Avec délice, nous contemplons les scènes de vie qui se déroulent devant nous. Des gamins vont faire boire un troupeau de vaches qui soulève un épais voile de poussière, un homme fait sécher des chapeaux de paille, qu'il vient sûrement de confectionner lui-même, étalés et bien rangés sur le sable de la berge. Lors d'une brève escale, des femmes n'hésitant pas à avancer à la rencontre du bateau avec de l'eau jusqu'au ventre, ont à peine le temps de nous lancer par dessus bord des régimes de bananes et recueillir en retour les sommes négociées que déjà nous repartons. Celles, moins chanceuses, qui proposaient pourtant de belles pièces de tissu depuis la rive, n'auront même pas eu la joie de pouvoir en faire toucher une...
La journée s'écoule tranquillement, au rythme de la croisière, sans être à un seul moment ennuyeuse. Avec Richard et Chantal, qui est remontée dans l'après-midi sur le pont supérieur, nous discutons autour d'une bière Mandalay bien fraîche (du moins, au début !) de tout et de rien. Frank, revenu d'une petite sieste au frais, se joint à nous. Le soleil est maintenant déclinant et, après quatorze heures de navigation, les premières pagodes de Bagan pointent leur zedi dans le paysage aride. Amarré à un ponton, le Road to Mandalay , insolent avec son luxe démesuré par rapport au pays, attend sa nuée de passagers fortunés avant d'appareiller et remonter le fleuve vers les anciennes capitales royales.
À peine débarqués, nous devons montrer patte blanche aux militaires et surtout nous acquitter du droit d'entrée au site : dix dollars américains par personne. Un taxi accepte de nous conduire où nous voulons aller. Notre premier choix n'est pas terrible, aussi continuons-nous vers Nyaung Oo . La guesthouse que nous choisissons est relativement bien située dans le village. Et comme à l'accoutumée dans le pays, le personnel est charmant et efficace. Notre chambre assez mignonne, nous avons même TV5 à la télévision. Comme pour fêter notre arrivée, ce soir il y a le match PSG - St Étienne qui est retransmis ! Chouette !
Je suis en train de finir de remplir mes formalités d'arrivée à l'accueil lorsque Richard, l'Anglais du bateau, arrive à son tour et prend lui aussi une chambre ici. Tout heureux de retrouver quelqu'un de connaissance, il m'invite à déguster un verre de rhum bon marché et tiède d'une bouteille soigneusement enveloppée dans un de ses sacs ! Au bout d'un certain temps, Chantal, restée dans la chambre et inquiète de ne pas me voir remonter, arrive à point nommé pour nous empêcher d'avoir tous les deux trop mal à la tête demain matin !!! La patronne, nous croyant sans doute très riches parce que nous sommes européens, nous recommande un restaurant réputé du village. Mais devant les prix pratiqués et le luxe un peu trop ronflant de l'établissement, nous préférons choisir tous les trois une gargote beaucoup plus simple et bien plus sympa. Nous ne regretterons d'ailleurs pas notre choix tellement la nourriture était de qualité. Comme souvent après une journée de voyage, à peine déshabillé et douché, je tombe presque instantanément dans les bras de Morphée. Ce n'est que le lendemain matin en me réveillant que je m'apercevrai que je n'ai pas regardé le match de foot !!!
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