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INDE du SUD
INDE DU SUD
Vendredi 30 et samedi 31 mars 2007
Avant de quitter le Népal, nous allons déjeuner pour la dernière fois dans le boui-boui que nous n'aurons jamais trahi une seule fois depuis que nous l'avons découvert. Un ultime petit-déjeuner bien servi, un dernier sourire du dévoué patron et nous voilà prêts à récupérer nos sacs à l'hôtel. Mais avant de régler la note de notre séjour, le tenancier tibétain et sa famille tiennent à nous offrir le petit-déjeuner ! Devant sa joie non feinte de nous faire plaisir, il nous est totalement impossible de refuser.... Nous voilà donc gavés pour deux jours !!!
Un peu avant midi, un taxi, dépêché par l'hôtel, vient nous chercher et nous fait traverser une dernière fois les quartiers populaires de Kathmandu jusqu'à l'aéroport.
Les écharpes tibétaines offertes par l'hôtelier ceintes autour du cou, nous montons dans l'avion flambant neuf de Jet Airways qui nous emmène jusqu'à Delhi où il nous faut changer d'aéroport pour attraper le vol vers Chennai, l'ancienne Madras.
Débarqués peu avant minuit dans cette mégalopole, pas un bus, même un bus de nuit, ne roule. C'est la grève jusque demain soir ! Après Calcutta à l'aller, c'est au tour de Chennai d'être paralysée... Génial, notre séjour commence bien en Inde !!!
Un taxi qui profite de la situation, nous transporte pour un prix exorbitant vers un quartier pas très loin du centre dans un hôtel recommandé par le Guide du Routard. Vu l'heure tardive à laquelle nous arrivons, il nous est impossible de discuter les prix et c'est avec une certaine anxiété sur notre séjour indien que nous prenons possession de notre chambre.
Après une courte nuit de sommeil, et condamnés à rester à Chennai pour la journée le taxi étant trop cher jusqu'à la prochaine étape, nous partons à l'aventure et à pied dans cette ville de plus de sept millions d'âmes posée le long de la seconde plus longue plage du monde. Mais n'allez surtout imaginer une plage bretonne ou landaise. Représentez-vous plutôt une étendue de quatorze kilomètres de gros sable poussiéreux, jonchée de milliers de sacs plastiques et de détritus, quelque peu nauséabonde, où des centaines d'hommes et femmes barbotent tout habillés dans l'eau peu profonde du rivage battu par les vagues. Même le tsunami meurtrier n'a pas réussi à la nettoyer !
Pour y arriver, nous traversons des quartiers populaires pauvres et très sales où nous devons faire attention où poser le pied, les toilettes publiques étant tout simplement le trottoir ! Inutile de vous décrire l'odeur infecte qui règne partout dans ces endroits.
Le front de mer nous ayant déçus, nous repartons à la découverte de la ville ; mais il n'y a rien d'intéressant à voir. Cette ville est vraiment hideuse au possible et la chaleur qui y règne n'arrange en rien sa visite. De plus sa population n'est pas des plus sympathiques et souvent nous devons faire face à une certaine agressivité. Après sept mois passés en Asie où les gens sont en général très accueillants, cela nous perturbe un peu. Il va falloir qu'on s'habitue à ce racisme latent qu'on sent poindre dans l'attitude des Tamouls .
Le bar que nous trouvons pour étancher notre soif est perché en haut d'un immeuble de béton décati. C'est un lieu totalement clos, sans fenêtres ni ouvertures, très faiblement éclairé, enfumé, diffusant de la musique forte, seulement fréquenté par des hommes cravatés qui viennent boire un peu d'alcool à l'abri des regards et par deux ou trois filles faciles. L'endroit est lugubre, mais, heureusement, la Kingfisher est bien fraîche et l'air climatisé nous ragaillardit un peu.
Peu emballés par cette première journée indienne, nous recherchons en début de soirée un endroit où manger. Nous atterrissons près d'une gare dans une cantine surpeuplée aux tables en formica recouvertes d'une bonne couche de graisse. Il n'y a rien de ce que nous connaissons et nous nous en remettons à notre bonne étoile. Mais en cette chaude soirée, elle doit être un peu vacillante car le repas n'est pas terrible. On tentera de faire mieux la prochaine fois.... Dans une pâtisserie non loin de là, nous craquons tous les deux pour une pleine assiette de petits gâteaux à la crème, très sucrés mais pas trop mauvais.
Au moment de demander l'addition, un fou rire nous prend car, depuis ce matin, j'ai un mal fou à parler ; une extinction de voix due à la climatisation trop poussée dans l'aéroport de Delhi et dans les avions ne laisse passer que les sons aigus ! De toute ma vie, je ne me souviens pas d'en avoir eu une aussi sévère et plus je tente de dire quelque chose, plus nous rions .... !
1er au 3 avril 2007
Les Indiens sont vraiment des roublards-nés.Un chauffeur de rickshaw avec lequel nous venons de négocier le prix pour la gare routière assez éloignée nous dépose après quelques centaines de mètres devant un simple arrêt de bus d'où nous pourrons rejoindre la gare routière !!! Impossible de le faire aller plus loin. Je divise d'office le prix convenu par deux....
Le bus dans lequel nous montons pour nous rendre à Mamallapuram, à une soixantaine de kilomètres, fait certainement partie des plus rustiques du continent indien avec sa carrosserie cabossée de partout, ses fenêtres à barreaux et sans vitres, ses sièges dépareillés et complètement défoncés. Mais, moins de deux heures plus tard, il nous dépose pourtant sur la place animée du village. Quarante ans plus tôt, les Beatles posaient eux aussi leurs sacs dans ce village de pêcheurs.
Après nous être débarrassés difficilement des rabatteurs, nous échouons dans un hôtel familial aux chambres surchauffées mais propres, puis partons aussitôt découvrir le rivage. Ah, les plages indiennes... ! Elles pourraient être magnifiques, mais elles sont d'une telle saleté que nous n'avons aucune envie de nous allonger sur le sable. De toute manière, il y a foule : beaucoup d'hommes et peu de femmes, et tous ceux qui se baignent le font tout habillés. La plupart sont venus visiter le temple du Rivage, posé sur le sable. Pour le protéger des embruns qui rongeaient la pierre dont il est construit, on a aménagé une digue et un terrain autour. C'est l'un des plus célèbres du sud de l'Inde.
La chaleur est telle que je craque tout de même pour un bain dans les rouleaux qui déferlent. Le courant est puissant à cet endroit et je dois faire attention à ne pas aller trop loin et à me faire emporter. Ce soir, au restaurant, nous apprendrons qu'au moment de ma baignade quatre Indiens sont morts noyés. Ne sachant pas nager et empêtrés dans leurs vêtements, c'est chose apparemment relativement courante ici... Aussi, personne ne s'en formalise outre mesure !
Juste en face de l'hôtel, un restaurant assez sympa nous régale chacun avec un beau poisson grillé, un curry de légumes, un pancake à la banane et au chocolat et d'une grande bière. Une balade dans la rue à flâner devant les ateliers de cuir achève la journée. J'en profite pour m'acheter une paire de sandales que je porterai jusqu'au terme du voyage.
C'est la pleine lune en ce moment et mon humeur s'en ressent, du moins c'est Chantal qui le dit ! Je dors mal en effet : d'une part à cause de la chaleur, mais surtout à cause de mes côtes qui me font souffrir depuis Kathmandu dès que je suis allongé. La douleur est toujours aussi intense et il n'y a aucun moyen d'y remédier.
La ville en elle-même n'est pas très jolie, mais nous apprécions la vie quotidienne dans les rues à l'écart. Des femmes viennent aux fontaines remplir leurs cruches qu'elles portent ensuite sur la tête, d'autres dessinent devant leur porte des kolams qui chasseront les mauvais esprits et amèneront chance et prospérité dans la maison. Un marchand de fruits ambulant promène son chariot de porte en porte, quelques vaches sacrées s'acharnent à nettoyer les rues de leurs détritus malgré l'ampleur de la tâche. À un orphelinat, nous apportons t-shirts, bermudas, chemises que nous ne mettons plus et que nous avons gardé dans nos sacs jusque là pour cette occasion. L'accueil est chaleureux, les enfants, qui apparemment ne connaissent ni eau ni savon, sont contents de recevoir de nouveaux habits, mais nous sommes un peu déçus lorsque, juste avant de partir, le responsable nous demande, en plus, de l'argent...
Nous faisons un détour pour aller réserver un billet de train dans un bâtiment que nous avons du mal à trouver, mais déclarons vite forfait devant la très longue queue de personnes attendant de passer devant le guichetier. Nous prendrons le bus pour notre prochaine étape vers Madurai.
Chantal va passer l'après-midi autour de la piscine d'un hôtel voisin du nôtre pendant que je pars faire des photos au temple Arjuna's Penance et la colline autour. Toute une partie de ce magnifique ensemble a été creusée à même le granit, une autre représente des bas-reliefs ciselés dans la pierre, tandis qu'une dernière, composée de temples construits, est dispersée sur l'éminence rocheuse. J'y flâne tout l'après-midi et le soleil est en train de disparaître derrière l'horizon lorsque je rejoins Chantal, les pieds écorchés par le cuir de mes nouvelles sandales !
Le restaurant dans lequel nous mangeons ce soir a été reconstruit après le passage du tsunami : les photos affichées à l'intérieur sont là pour le prouver. Le poisson grillé et les légumes, servis par le patron peu volubile qui a dû oublier son amabilité à la maison avant de venir, y sont excellents.
Lors d'une visite auprès des sculpteurs de pierre, dont l'école de Mamallapuram est l'une des plus réputées en Inde, une armée de gamins miséreux, pour la plupart tout nus, nous suit pas à pas, entre les différents ateliers alignés sur un côté de la route, dans l'espoir de recevoir un petit quelque chose. La sculpture fait vivre plusieurs milliers de familles de la région proche, les commandes de grosses pièces affluant du monde entier. Tout près de là, un groupe de cinq temples a lui aussi été taillé à même le rocher de granit. Le résultat est étonnant de beauté, surtout dans la lumière dorée du matin.
Après un dernier souper chez celui qui a encore oublié son amabilité chez lui, nous rentrons préparer les sacs pour le départ demain matin vers Madurai et son temple paraît-il très beau...
4 et 5 avril 2007
Un premier bus nous emmène trente kilomètres plus loin (en une heure trente !) et nous dépose sur le bord de la route en plein soleil près d'un marché. Le bus pour Madurai doit théoriquement s'arrêter là aussi... Nous attendrons quarante-cinq minutes dans la fournaise ! Tout, absolument tout, est écrit en tamoul, l'une des vingt-deux langues indiennes reconnues (sans compter les langues régionales et les dialectes !) et lire nous est impossible. Nous nous en remettons donc à la bonne foi d'un homme qui nous indique un bus en partance.
Durant un arrêt, un jeune Indien refuse de nous vendre une bouteille d'eau ! Mais où est donc passée la gentillesse et le dévouement asiatique que nous avons côtoyés durant plusieurs mois ? Depuis mes débuts de voyageur, il y a plus de trente cinq ans, c'est la première fois que cela m'arrive ! Ces Tamouls ne nous paraissent pas vraiment sympathiques. Écoeurés de ce racisme primaire, nous nous partageons les quelques gorgées qui nous restent en regardant distraitement défiler le paysage d'une beauté toute relative...
Heureusement, l'auberge de jeunesse choisie sur le guide est bien située et propre.
Pour la visite du Sri Meenakshi Temple, munis de nos billets d'entrée, nous devons laisser nos tongs devant l'une des quatre entrées monumentales. C'est l'un des sanctuaires les plus impressionnants de tout le continent indien avec ses onze gopurams (tours hérissées de centaines de statues multicolores de divinités). Celui de la porte sud s'élève à soixante mètres de hauteur, ce qui en a fait la plus haute construction d'Asie durant des siècles.
Un mariage va avoir lieu. Dans l'une des galeries, des femmes en habits de fête (saris et bijoux magnifiques) se laissent photographier sans retenue, fières qu'un étranger s'intéressent à elles. Cela portera chance, paraît-il, au jeune couple. L'une des femmes vient me parler, dans la langue locale et par gestes. Interloqué, je n'ose pas comprendre ce qu'elle me propose. Elle me désigne en effet sa fille, une très jolie demoiselle de treize-quatorze ans, aux magnifiques yeux rieurs soudain déformés par la peur qui n'osent plus me regarder. Un jeune homme parlant anglais m'explique que la maman me propose, avec le plus grand sérieux, la main de sa fille ! Interdit, ne m'attendant pas à ce genre de situation, je lui fais comprendre, par l'intermédiaire du jeune interprète, que je suis déjà marié et que je ne peux accepter. La fillette, qui vient de comprendre que je refusais, retrouve d'un coup son beau sourire d'enfant. Cet épisode m'aura beaucoup marqué et me rappelle la fois où, dans un village du Rajasthan deux ans auparavant, une mère nous avait mis son bébé dans les bras pour que nous le ramenions avec nous en France. Décidément, l'Inde, avec ses moeurs complètement différentes des nôtres, n'en finit pas de nous étonner...
Chantal, elle, parle chiffon avec une dame au front peint en blanc et décoré d'un tika rouge qui lui explique qu'elle devrait porter un bracelet d'argent à chacune de ses chevilles et des bagues au deuxième orteil de chaque pied puisqu'elle est mariée. Chantal la remercie de sa leçon et lui avoue que ce n'est que par coquetterie qu'elle n'en porte qu'à un seul pied.
Pour admirer le Pudu Mandapa hors de l'enceinte principale, nous sortons par la porte est. Cette halle couverte accueille aujourd'hui, entre ses piliers en pierre sculptée, des centaines de tailleurs qui façonnent habilement vêtements et fleurs de tissus sur de vieilles machines à coudre à pédale.
Pour re-rentrer à l'intérieur du temple, arguant le fait que je porte un bermuda, les gardiens me refusent l'entrée. En leur montrant et nos deux billets d'entrée et les photos faites quelques instants auparavant, Chantal arrive à captiver leur attention et à les faire rigoler. J'en profite pour me noyer dans la foule des arrivants et ainsi pénétrer discrètement dans l'enceinte qu'on aurait souhaité m'interdire. Une fois la visite terminée et les chaussures récupérées, nous nous apercevons que nous voulons aller exactement de l'autre côté du temple, dans la rue opposée. Qu'à cela ne tienne, nous allons couper par le sanctuaire ! Nous cachons nos tongs dans le petit sac que Chantal porte continuellement sur le dos et pénétrons dans la galerie qui mène à l'intérieur. Une gardienne pas commode m'interpelle et veut m'empêcher d'entrer, me désignant le bermuda de sa cravache. Il m'arrive pourtant sous le genou. Je lui fais remarquer que beaucoup des visiteurs hommes indiens portent le dhoti ou veshti remonté jusqu'en haut des cuisses, le tissu coincé dans la ceinture. Elle tope alors le premier homme qui lui tombe sous la main, dénoue la cotonnade qui, dépliée, cache ainsi les jambes. Le pauvre homme, pas au courant de l'histoire, ne comprend rien du tout à ce qui lui arrive ! Je profite de l'épisode pour m'éclipser, mais la matrone, rogue et dans tous ses états, me rattrape en un clin d'oeil et, me menaçant de sa cravache, m'oblige à déguerpir. Pour de bon cette fois ! Et je vous jure que je préfèrerais faire deux fois le tour du bâtiment en rampant, plutôt que d'avoir affaire de nouveau à elle !!!
Mais peut-être se défoule-t-elle simplement de toutes les brimades qu'elle a endurées depuis sa naissance, comme la quasi totalité des femmes indiennes. Voilà une des choses les plus révoltantes de ce pays : la condition de la femme. Pour des parents, avoir une fille représente un mauvais investissement, une énorme charge financière en plus à cause de la dot, toujours payée par la famille de la mariée et toujours en vigueur bien qu'officiellement interdite. Son rôle d'épouse non plus n'est pas des plus excitants : quand elle n'est pas battue tous les jours, elle peut être violée par son propre conjoint. Selon un sondage de Amnesty International, quarante pour cent des femmes indiennes subissent des violences conjugales, plus de deux fois la moyenne mondiale. Elle mange après toute la famille ce qu'il reste, dans son foyer elle n'a le droit que de se taire, dès l'enfance toutes les corvées lui reviennent de droit. On prête beaucoup plus d'attention à une vache sacrée qu'à une femme ici. Et on voudrait nous faire croire que cela est en train de disparaître. Nulle part nous n'avons pu le constater...
Eh, Chantal ! Mon sac photo est vraiment trop lourd. Tu peux le porter, s'il te plaît ?.... Ça veut dire quoi ce refus ??!!!
Justement ! Je prends des clichés de gens dans la rue lorsque des hommes attablés devant un thé me font signe de les prendre en photo. Je suis en train de peaufiner mon cadrage lorsqu'une femme passe devant l'objectif. La pauvre dame s'est fait insulter comme si elle avait commis un crime. Devant un tel déchaînement d'âneries, j'ai préféré plier bagage. Et c'est moi ensuite qui ai essuyé leurs sarcasmes parce que j'avais refusé de prendre la photo... Bonjour l'ambiance !
Au restaurant, pendant la très, très longue attente de nos plats, Hedi, un routard français, se joint à nous et nous raconte son périple. Il débute son tour du monde et tourne depuis un mois en Inde sa première destination. Dans ses propos, nous sentons une envie de changer d'air et d'aller voir un peu ailleurs ! Il faut dire que la population dans ce coin du sud est horripilante. La preuve en est l'addition de nos repas que je viens de payer ; gentiment, comme souvent je laisse la monnaie au serveur, mais celui-ci en veut encore plus et me le fait bien savoir. Tu as raison mec... je reprends tout ! Après les épisodes de l'entrée du temple, de la photo des hommes insultant la pauvre femme, et de cette dernière prise de tête, nous en avons déjà notre claque de l'Inde. Depuis le début du voyage, hormis le jour du vol de mon matériel au Mexique, c'est la première fois que nous avons envie d'être ailleurs. Et dire que nous avons encore un mois à passer avant de prendre l'avion de Mombay vers le Sultanat d'Oman. Le temps va être long...
6 au 16 avril 2007
Énervés comme nous le sommes, nous décidons de bouleverser notre itinéraire. Nous choisissons d'aller nous cacher et de détendre nos nerfs en pelote dans le Kerala sur la plage paraît-il très jolie de Varkala.
En attendant de nous rendre à la gare routière, nous prenons un petit-déjeuner dans une pâtisserie à peu près propre et des jus de fruits frais sur un trottoir pas trop sale à cet endroit !
Aujourd'hui vendredi, ce sont les fêtes de Pâques qui débutent. Les rues sont envahies par une foule de pèlerins. Ils défilent avec une sorte de lance assez fine, d'environ deux à trois mètres de longueur, qui leur traverse les deux joues sans une goutte de sang. Certains portent, en plus, des braises encore rouges sur un plateau posé sur la tête. D'autres encore ont la langue transpercée d'une espèce de flèche. Ils sont pour la plupart habillés de jaune et recouverts d'une épaisse couche de poudre de couleur. Beaucoup sont en transe. Une cacophonie de sons de cymbales, de chants, de cris, de lamentations accompagne le cortège interminable. Encore fâchés d'hier, nous ne prenons aucune photo de cette procession dont la signification nous échappe complètement !
Nous demandons à un conducteur de rickshaw stationné devant la YMCA de nous emmener à la gare routière. Pour une fois, nous nous mettons très vite d'accord sur le prix. Pourtant, un truc m'interpelle : nous partons dans la direction opposée à celle de notre arrivée alors que nous allons au même endroit. Pendant le trajet, nous dépassons la longue procession des pèlerins toujours en transe et marchant toujours aussi vite. Les kilomètres défilent et nous voilà bientôt arrivés à un carrefour dans un quartier plus ou moins abandonné à la limite de la ville. Pas un chat à la ronde. Le chauffeur nous affirme que nous sommes à la gare routière et nous demande de payer la course ! Devant notre refus de descendre du véhicule et à notre demande, il prend des renseignements auprès du seul passant dans les parages. Après de longues palabres, il se retourne vers nous et nous annonce qu'il y a effectivement une autre gare routière, mais de l'autre côté de la ville à une bonne vingtaine de kilomètres, qu'il veut bien nous y emmener mais que le prix sera triplé ! Ben, voyons !!! Je prends quelques secondes de réflexion, juste assez pour constater que nous n'avons pas d'autre issue que celle d'accepter sa proposition. Nous voilà faits comme des rats ! Bien vu ! J'avoue qu'à cet instant, j'ai envie de l'applaudir, car nous avons foncé dans son piège tête baissée ! Mon seul regret est de ne pas avoir demandé à l'arrivée dans la vraie gare routière le nom de celle-ci au policier fainéantant adossé à l'ombre d'un arbuste. Histoire de prouver à notre chauffeur que nous n'avions pas été dupes de sa malhonnêteté... Trop en colère, je lui fais même grâce de la monnaie de la course !
Assis sur un banc à attendre son bus, Hedi a décidé d'abréger son séjour. Il a envie d'aller en Thaïlande pour se détendre lui aussi et se dépêche de remonter le continent au plus vite.
Le guichetier, comme beaucoup de monde ici, a l'air mal embouché. Il fait passer plein d'Indiens devant moi alors que j'étais arrivé avant eux. Je ne dis rien mais lorsque vient enfin mon tour, j'ai juste envie de lui foutre mon poing dans la figure. Je me retiens, car je ne désire en aucun cas connaître de plus près les fonctionnaires de cet état ! La femme d'hier à l'entrée du temple m'a suffi... Pourtant, avant que le bus n'arrive, il quitte son guichet et vient tailler la bavette avec nous. Il nous donne même plein de tuyaux et d'adresses comme si nous étions les meilleurs amis du monde. Déboussolés, nous sommes totalement déboussolés !!!
Madurai-Quilon-Varkala (rickshaw-bus-bus-rickshaw) : épuisante journée de transport avec un changement dans une station où l'on rechigne à nous renseigner sur le bus à prendre. Oh ! Vivement que nous soyons arrivés ! Il est plus de vingt-deux heures lorsque nous déposons nos sacs dans un bungalow que nous venons de négocier et bien sûr tous les restaurants du coin sont fermés depuis longtemps. Ce soir, nous nous couchons donc le ventre vide, à part quelques cacahuètes d'un paquet qui traînait au fond du sac !
Le bruit des vagues nous réveille le lendemain matin. Nous nous levons avec le soleil, les estomacs réclamant pitance. Mais autre problème auquel nous n'avons pas pensé : nous sommes dans une station balnéaire qui accueille bon nombre d'Indiens aisés en villégiature et d'étrangers qui profitent des soins ayurvédiques, spécialité du coin et à la mode dans nos contrées. Les bars et restaurants qui servent les petits-déjeuners ouvrent de ce fait beaucoup plus tard qu'ailleurs ! Il va encore nous falloir attendre !!!
Nous en profitons pour découvrir le coin. Tout près de l'hôtel, une vingtaine d'hommes halent, depuis le rivage, à la force des bras, un chalut déployé auparavant au large par trois hommes en barque. Une heure plus tard, le filet étalé sur le sable de la plage délivre son verdict : seulement une dizaine de kilos de sardines. Les discussions vont bon train entre vendeurs et acheteurs et les esprits s'échauffent. Pourtant, quelques minutes plus tard, une fois la pêche vendue et la tension retombée, le lourd filet est replié et emporté à dos d'homme au village tout proche. Tous les matins, nous assisterons à la même scène pittoresque avant d'aller prendre le petit-déjeuner.
L'endroit est joli. Un sentier bordé de restaurants et de cabanons abritant des boutiques longe la falaise. Une belle plage de sable fin et propre (!) sur laquelle les rouleaux déferlent abrite deux sources d'eau minérale où des jeunes filles viennent laver le linge de la famille. L'ambiance est plutôt sympa malgré la vocation touristique du secteur.
Nous dévorons un petit-déjeuner, moyen et cher, dans un des restaurants ouverts. Déçus, nous devrons en trouver un autre pour les jours suivants !
Dans la mer chaude, un bain rafraîchit à peine ; heureusement que le vent souffle et tempère un peu la chaleur. Je passe des heures entières dans l'eau à m'amuser comme un gosse avec les beaux rouleaux qui viennent éclater sur le rivage. Chantal remplit inlassablement des grilles de sudoku, allongée sur le sable fin. Après Puerto Angel au Mexique et le sud de la Thaïlande, c'est notre troisième séjour plage.Rien de tel pour retaper un organisme fatigué et remonter un moral en berne...
Il y a bien sûr quelques étrangers à passer leurs vacances ici, mais nous ne sommes pas en majorité. À mon grand étonnement, les Indiens sont plus nombreux que nous. Nous sommes cependant bien loin de la surpopulation. Dans notre hôtel par exemple, il n'y a qu'un couple en plus du nôtre. C'est en fait la fin de saison. Dans un bon mois (la seconde partie du mois de mai) la mousson sera là ; les hôtels et restaurants seront alors pratiquement tous fermés.
Ce soir, pour nous venger de la veille où nous n'avons rien dîné, nous dégustons chacun un énorme morceau de marlin grillé pour cent roupies la part (un euro cinquante). Pour nous servir de la bière, les serveurs nous apportent en catimini des verres en terre cuite et cachent les bouteilles sous la table ! La vente d'alcool est en effet théoriquement interdite et les policiers veillent (?) au respect de la loi. Mais alors, où et comment les bars et restaurants s'approvisionnent-ils ?!!!
Les nerfs sont maintenant tombés et les gens sont un peu plus sympas et moins voleurs que dans le Tamil Nadu. Quoique...
Un autre soir où nous cherchons un endroit pour manger, un racoleur nous attrape devant son restaurant et nous convainc de prendre du barracuda (présenté joliment sur un lit de glace derrière lui) servi grillé. Nous nous mettons d'accord sur les prix et la taille des morceaux. Pour tromper l'attente qui, on le devine, sera certainement assez longue, nous commandons deux special teas , c'est-à-dire deux bières dans le jargon local (à cause de l'interdiction !). Lorsque le serveur nous apporte les assiettes presque une heure plus tard, le poisson est bien sûr deux fois moins gros que prévu. Ni une, ni deux, Chantal et moi nous levons de table et partons en refusant bien évidemment de payer nos deux bières. Affolement général parmi le personnel qui nous implore de revenir nous asseoir. Nous posons d'abord nos conditions et le responsable finit par accepter, de mauvaise grâce, de nous servir les portions commandées ! Nous avons eu le nez creux de rester car le poisson était délicieux. Non, mais !!!
Puisque nous allons rester un moment ici, nous devons impérativement dégoter un restaurant sympa où les serveurs sont de bonne foi et pas voleurs lorsqu'ils rendent la monnaie. Nous avons appris à nos dépens que c'est chose rare dans le pays ! Et nous le trouvons enfin le troisième jour. Situé sur la falaise dominant la plage, il est mignon avec ses lampions et les prix pratiqués sont très corrects vu la qualité et la quantité. Nous y prendrons tous nos petits-déjeuners et la plupart de nos dîners. Une seule faiblesse : la longue attente, nous sommes en Inde tout de même ! Le record sera de une heure quinze avant d'être servis du premier plat ! Et dire que nous sommes ici pour nous calmer !!!
Les trois premiers jours nous avons droit à un gros orage en fin de journée avec grondements de tonnerre, éclairs déchirant les nuages étonnamment noirs et pluie diluvienne pendant une petite demi-heure. Entre les nombreuses coupures d'électricité, nous tentons notre chance sur Skype pour appeler la famille : voir nos enfants sur l'écran nous met du baume au coeur.
Les journées passent vite. Nous ne faisons rien d'autre que manger, lire et remplir les grilles de sudoku pour Chantal, et manger, plonger dans les vagues et m'asperger de l'eau douce jaillissant des sources pour moi. Nous prenons des vacances en fait !
Le vendredi 14 avril, nous célébrons mon anniversaire. Deux ans auparavant nous étions aussi en Inde - à Pushkar au Rajasthan - avec comme repas de fête bananes et verre d'eau, la viande, les oeufs, l'alcool étant totalement interdits dans la ville sainte. Cette année, j'ai prévu le coup : il me reste un peu de la bouteille de whisky que nous avons achetée au Népal ! Installés sur la terrasse de notre bungalow, nous fêtons donc tranquillement mes cinquante et un ans en grignotant des cacahuètes et en dissimulant la bouteille de l'alcool interdit sous la table. Des fois que... ! Puis, pour bien continuer la soirée, nous allons déguster une belle portion de barracuda grillé sur le bord de la falaise. Mmmm...
Le week-end, les familles indiennes arrivent en masse sur la plage et se baignent habillées par groupes : les hommes d'un côté, les femmes de l'autre ! Il règne une grande pagaille et les gardiens ne savent plus où donner du sifflet tant la baignade est dangereuse avec le fort courant, les rouleaux d'au moins trois mètres de hauteur et tous ces gens empêtrés dans leurs vêtements qui barbotent sans savoir nager !
Chantal, bonne observatrice, en profite pour noter que les hommes les plus jeunes portent un jean très moulant taille haute et patte d'éléphant (style 70's), la chemise à carreaux flottant au vent, et ceux d'un âge plus mûr un pagne blanc qu'ils remontent jusqu'à mi-cuisse. La plupart ont en commun une brioche débordant allègrement de leur chemise ouverte ! Les femmes ne sont pas en reste. Jeunes et moins jeunes portent un sari toujours seyant, mais passée la trentaine d'années, toutes deviennent grassouillettes avec le ventre replet. Dommage, car bon nombre d'entre elles ont les traits fins.
Une rafale de vent chaud plus forte que les autres fait s'envoler des feuilles d'un livre que Chantal est en train de lire. Elle se précipite pour les ramasser et quelques hommes charitables et empressés l'assistent dans son entreprise. Elle les remercie gentiment de leur aide, et, en retour, tous lui réclament sans rire de l'argent pour leur bonne action !!! Cela gâche vraiment tout...
Mardi 17 avril 2007
Nous quittons, encore dans la nuit, notre bungalow. Un rickshaw, réservé hier soir, vient nous chercher et nous transporte, coincés à l'arrière avec nos sacs, jusqu'à la gare. C'est notre première aventure ferroviaire indienne. Malgré le train vétuste peu confortable et tout ce que les plus médisants nous ont raconté sur ce genre de transport, nous nous attendions à pire ; entre autres délices prédits et non avenus, le grignotage des doigts de pied par les rats ! Peut-être n'en ont-ils simplement pas eu le temps puisque le trajet jusque Kollam n'est que d'une vingtaine de kilomètres. De là, un bateau nous promènera jusque Allepey à travers les backwaters pendant plus de quatre-vingts kilomètres. C'est la croisière pittoresque et principale curiosité touristique de la région du Kerala que tout visiteur en vadrouille dans le sud de l'Inde se doit de réaliser.
Non loin de l'embarcadère, après avoir acheté nos tickets et en attendant le départ de notre bateau, nous faisons le plein de calories. Pâtisseries maison, beignets de banane, thé massala, jus d'ananas frais constituent le petit-déjeuner bon, bien servi et peu onéreux de la gargote bondée de locaux. Nous voilà fins prêts pour attaquer une grosse journée de navigation.
À bord, nous faisons la connaissance d'une mère et de sa fille françaises qui nous narrent leurs aventures indiennes. Débarquées elles aussi à Chennai l'ancienne Madras, elles ont, comme nous, enchaîné par Madurai avant de « péter un câble » devant l'agressivité continuelle des Indiens à leur égard. Elles ont préféré prendre un taxi de Madurai à Kollam et ainsi échapper à tous leurs sarcasmes. Je repense, à ce moment-là, aux deux jeunes gens rencontrés à Kathmandu qui nous avaient souhaité bonne chance en Inde du Sud. Je comprends désormais ce qu'ils ont voulu nous dire et me voilà, d'un coup, rassuré de savoir que d'autres personnes ont ressenti la même chose que nous ! J'avais peur que cela vienne de Chantal et de moi !
Les backwaters sont des canaux artificiels et étroits qui relient les nombreux lacs intérieurs s'étendant sur pratiquement toute la longueur de la côte du Kerala. Ils constituent un réseau de mille six cents kilomètres de voies navigables largement utilisées pour le transport local des marchandises. Les rives sont bordées d'une végétation luxuriante de cocotiers, de rizières, de jardins d'épices. Par endroits, les jacinthes d'eau obstruent les chenaux. Des pêcheurs jettent leurs éperviers dans les eaux saumâtres depuis une frêle embarcation, tandis que d'autres actionnent d'immenses carrelets : les fameux filets chinois. Deux hommes, armés d'une perche, font filer une longue barque chargée de noix de coco sur les eaux tranquilles. Une kettuvalam promène un couple de touristes. Cette embarcation emblématique était autrefois le seul moyen de d'échange commercial dans les backwaters. Construite en matériaux naturels et sans un clou, recouverte d'un toit en feuilles de palmier séchées, elle permettait l'acheminement des vivres et principalement du riz. Tombées en désuétude, elles ne servent plus qu'à promener les touristes dans le labyrinthe des canaux.
Nous traversons de très nombreux villages avec leur école, leurs habitations toute simples, leur église. Le Kerala est, en effet, très catholique et abrite de très nombreuses chapelles et basiliques. Sur un petit ghât, une femme lave son linge, une autre sa vaisselle tandis qu'à quelques mètres de là un vieil homme fait sa toilette debout au milieu des jacinthes d'eau. Sur une langue de terre coincée entre canal et rizières, une maisonnette résonne du cri joyeux des enfants. La journée se passe ainsi, tranquille et calme, loin du vacarme de la circulation.
Avant Allepey, la voie d'eau s'élargit. De rustiques bateaux-bus, rafistolés de partout, font la navette entre la ville et les villages de la lagune. Le soleil va être mangé par l'horizon lorsque notre bateau s'arrime au quai en plein centre ville de Allepey. La balade a été plutôt agréable et reposante. Nous avons à peine débarqués que, déjà, les klaxons qui ne savent pas ce que le mot pause veut dire agressent nos tympans. Retour à la civilisation !!!
Un rickshaw nous emmène à la guesthouse que nous avons choisie sur le guide. C'est une demeure de charme tenue par une famille qui ne peut pas (ne veut pas ?) nous faire à dîner. Le frigo est, paraît-il, vide...
Qu'à cela ne tienne, nous partons à pied dans la nuit noire vers le centre ville chercher quelque chose à manger. Des chiens errants s'approchent nous renifler les mollets. Pas trop rassurés, nous accélérons franchement le pas ! Après deux ou trois tentatives avortées à cause d'une hygiène douteuse, nous dégotons enfin un restaurant relativement propre. Le boui-boui est typiquement indien avec sa lumière trop crue émise par des néons grésillants, ses ventilateurs poussifs et bruyants qui brassent un air imbibé de l'odeur de l'huile chaude, son autel enguirlandé de lumières clignotantes avec une statuette de Ganesh le dieu à la tête d'éléphant saupoudrée de rouge, ses tables grasses, ses serveurs moustachus qui se recoiffent entre chaque assiette servie, son service lentissime, son special tea . La nourriture y est pourtant très bonne et l'addition très légère. C'est donc repus que nous nous en retournons vers notre guesthouse à trente minutes à pied de là, suivis comme à l'aller par une meute de chiens plus curieux que méchants...
Suite du récit de l'Inde du Sud