Laffaire CRONE

 

 

Par Benot Bergeon,

Professeur des Universits.

 

 

 

Universit Bordeaux 1

33405 Talence cedex

 

benoit-bergeon@numericable.fr

 

 

 

 


Professeur l'Universit Bordeaux 1,

j'ai obtenu en octobre 2006 du Conseil d'Etat lannulation de la dcision de mon exclusion du Laboratoire d'Automatique et de Productique (UMR-CNRS 5131) prise par son directeur en septembre 2002, avec le soutien du Prsident de l'Universit [A1].

Cette exclusion tait motive par un dsaccord scientifique et venait conclure (provisoirement) une controverse qui a agit pendant 2 ans la communaut des chercheurs en Automatique franais.

Cette affaire illustre la faon dont les orientations actuelles du projet libral d'organisation de la recherche scientifique et de l'Universit, vont gnraliser l'ensemble des champs disciplinaires la situation qui existe depuis plusieurs annes dans les disciplines technologiques, par leur dpendance vis--vis des financements industriels.

 

Le dpartement des Sciences Physiques pour l'Ingnieur (SPI) du CNRS

 Attribuait, en 1997, au Professeur A. Oustaloup la mdaille d'argent pour ses travaux sur les systmes drive non entire, et surtout son application phare: une suspension hydro-pneumatique rvolutionnaire, dont les performances d'amortissement devaient tre indpendantes de la masse transporte. [1]

Cette rcompense tait justifie par la volont affiche d'encourager les automaticiens franais rechercher les applications industrielles de leurs travaux. En effet, au cours de la dcennie prcdente, ces chercheurs avaient surtout dvelopp l'approche de commande dite adaptative, alors que la communaut internationale, amricaine en tte, s'tait surtout intresse l'approche de commande robuste. Les responsables de la communaut (rassemble en Groupement de Recherche en Automatique, organisation sous tutelle du CNRS), ont cru redonner une image valorisante de l'automatique franaise en rcompensant une application russie d'une thorie[1] originale, prsente alors comme la rponse franaise aux thories amricaines de la commande robuste.

 

En novembre 2000, un chercheur du CNRS

du Laboratoire LAAS de Toulouse interrogeait publiquement, de faon un peu rude il est vrai, le Professeur Oustaloup sur certaines bizarreries contenues dans ses articles [1, 2][2] dcrivant le principe de fonctionnement de cette suspension:

- une premire description trs schmatique est caractrise par l'absence de raideur de ressort, ce qui se traduit par un enfoncement total de la carrosserie,

- une deuxime description prsente comme fidle la ralisation exprimentale, prsente une raideur de 215 N/m, 20 fois plus faible que celle de suspension hydro-pneumatique commercialise alors (elle-mme 5 fois plus faible que celle des suspensions mcaniques ordinaires). Une telle suspension marquerait un enfoncement d'environ 40 cm lors de l'entre d'un passager et serait totalement inutilisable du fait des mouvements de roulis et tangage induits par les virages, freinages et acclrations.

Ces critiques ont fait l'objet d'une communication au congrs national d'automatique (CIFA) Nantes en 2002 [4]. Pour toute rponse, A. Oustaloup et son quipe ont produit des crits confus qui, non seulement rpondent pour l'essentiel ct des questions, mais contiennent des erreurs mathmatiques manifestes et grossires[3].

Interrog directement ds novembre 2000 sur ces aspects scientifiques, j'ai affirm mon accord avec les critiques, produisant l'appui des rfrences tout fait banales, l'une de l'Encyclopdie Universalis, l'autre d'un manuel de mcanique auto de niveau CAP.

 

Par un courrier du 13 fvrier 2001 au directeur du CNRS, la direction de la recherche et de l'innovation du grand constructeur automobile franais

 qui avait financ les travaux du Professeur Oustaloup, rappelle que ce groupe "mne de nombreuses collaborations avec des laboratoires du CNRS", et qu'il "convient de veiller ce que les communications n'entravent pas la bonne marche des travaux que nous menons ensemble" [A2][4].

S'ensuivent une avalanche de soutiens des diffrents responsables d'instances de la recherche et universitaires : dpartements SPI et STIC (Sciences et Techniques de l'Information et de la Communication) du CNRS, section 61 (Automatique, Gnie informatique et Traitement de signal) du Conseil National des Universits et bureau du GDR Automatique du CNRS [A3.1, A3.2, A3.3, A3.4][5].

Le dlgu aux entreprises du CNRS demande mme que le CNRS prenne "des mesures disciplinaires vis--vis de MM. Montseny et Salut, voire intenter contre eux une action en justice pour le prjudice qu'ils ont caus au CNRS". [A4]

Je rappelle que le "prjudice" a t cr par la publication d'articles scientifiques mettant en cause la validit des transferts industriels d'un laboratoire du CNRS.

 

La Dcision no 010009BPC du 1er octobre 2001 de cration dunits mixtes de recherche

prononce l'admission du LAP comme nouvelle Unit Mixte de Recherche du CNRS, sous le numro 5131.

Une telle dcision est en gnral prononce aprs une valuation longue et difficile des travaux mens dans le laboratoire candidat. Le LAP franchit cette tape au moment o les travaux de son directeur sont fortement critiqus.

 

Fort de ce soutien massif des instances,

A.      Oustaloup prononce mon exclusion du LAP. En fait cette dcision tait attendue depuis fvrier 2001.

Aprs ma prise de position scientifique exprime au cours dune runion du comit de direction du LAP (donc en interne), sest mise en place une commission  des Professeurs chargs danalyser la situation cre par la prise de position de BB dans le cadre de la polmique ayant mis en cause AO .

 

Aprs quelques runions et un change de courriers [A5], cette commission exige que je signe une dclaration selon laquelle je mengage  :

adhrer au schma scientifique de lUMR en cours de reconnaissance tel quil a t dfini et expertis par le CNRS,

ne pas susciter, alimenter, ni soutenir une polmique pouvant nuire au crdit scientifique de lUMR, afin den prserver lunit.

 

Signer une telle dclaration signifiait que :

en  adhrant au schma scientifique   je reniais le fondement scientifique des critiques que javais mises ;

en minterdisant de  alimenter ni soutenir une polmique   jacceptais damputer la ncessaire libert dexpression du chercheur scientifique.

 

Ayant donc refus de signer cette dclaration, mon exclusion sest faite en 2 temps :

septembre 2001 : exclusion de lUMR (qui venait dՐtre cre !) mais maintien dans le LAP (qui na pas dautre contour que lUMR) [A6];

septembre 2002 : exclusion du LAP [A1]

 

Il est vrai quen juillet 2002 jai tmoign dans le procs, en injures prives, intent par AO contre le chercheur toulousain (relax au pnal, loi d'amnistie, et condamn au civil des dommages et intrts).

 

 Epilogue.

Aprs cette exclusion, jai alert les diffrentes instances (Prsident dUniversit Bordeaux 1, Directeur de lENSEIRB, Direction gnrale du CNRS, Direction gnrale de la Recherche au Ministre de lEducation Nationale, de la Recherche et de la Technologie, [A7]) en affirmant le bien fond de mes positions scientifiques par des courriers qui sont tous rests sans rponse.

Jai diffus auprs de mes collgues automaticiens franais des articles [5, 6] dmontrant les erreurs contenues dans des articles de AO, sans avoir reu ce jour la moindre contradiction srieuse.

Jai tent de proposer un expos au cours dun sminaire dun groupe[6] de recherche du CNRS spcialis. Cet expos a t interdit par le responsable du GR Automatique ! [A8] qui na pas jug utile de rpondre mon courrier [A9].

 

Conclusion scientifique.

A la fin de lanne 2005, jai propos 2 articles de revues scientifiques :

- Comment on the paper : The CRONE Suspension: Management of the Dilemma Comfort-Road Holding (by Moreau et al.), [7] . Cet article est disponible ici.[A10].

 

- On Bode's "Ideal cut-off characteristics" and non-rational feedback laws, soumis la revue IEEE-Transactions on Automatic Control. Cet article n'a pu tre publi cause de sa contribution scientifique juge insuffisante, mais le rapport d'expert confirme le bien-fond de l'analyse. Cet article est disponible ici [A11]. Le rapport de lecture en anglais [A12] ainsi que la traduction en Franais [A13] (avec lautorisation de lEditeur de la revue).

 

Ces 2 articles et ces commentaires dmontrent le bien-fond scientifique des critiques que jai formules de nombreuses reprises dans mes interventions au conseil de direction du LAP (en janvier 2001), puis dans mes divers courriers et lettres ouvertes.

 

 

Conclusion juridique.

Le Conseil dՃtat finalement saisi le 15 mars 2005, dcide dans sa lecture du 12 octobre 2006 dannuler la dcision dexclusion du LAP prise mon encontre le 23 septembre 2002 [A14].

 

Bilan

Pour avoir exprim, lintrieur du laboratoire et de faon trs mesure lextrieur avant mon exclusion, un avis scientifique contraire celui du professeur Alain Oustaloup, directeur, jai t priv pendant 4 ans des moyens matriels, financiers et humains (collaborateurs, doctorants) ncessaires la conduite de travaux de recherche de bon niveau. LՎvolution de carrire des enseignants-chercheurs se faisant largement sur lՎvaluation de leurs travaux de recherche, ma promotion la premire classe des professeurs duniversit se trouve gravement compromise.

Au cours de ces annes, jai pu justifier et faire valider par des experts extrieurs la pertinence scientifique de mon soutien aux critiques portes sur la suspension CRONE.

Les frais de justice (levs pour ce qui concerne les honoraires dun avocat au Conseil dEtat) restent entirement ma charge.

 

Rfrences

 

 [1] OUSTALOUP A., MOREAU X., NOUILLANT M. The Crone Suspension, Control Engineering Practice, vol. 4, n 8, pp 1101-1108, 1996.

 

[2] OUSTALOUP A., MOREAU X., NOUILLANT M. From fractal robustness to non integer approach in vibration insulation : the Crone suspension. Proc. Of the 36th IEEE CDC, San Diego, Ca. Dc 1997.

 

 [3] OUSTALOUP A., MOREAU X. et MATHIEU X. Commande Crone : principes et exemples d'application. Techniques de l'Ingnieur, trait Mesures et Contrle, R 7 422. 1997.

 

 [4] MONTSENY G., SALUT G., A propos de la  suspension Crone . CIFA 2002, Nantes, juillet 2002.

 

[5] BERGEON B., "Etude et simulations de suspensions hydro-pneumatiques", www.laas.fr/gt-opd/.

 

[6] BERGEON et MONTSENY G. "Commentaire sur l'article R 7422 des Techniques de l'Ingnieur", www.laas.fr/gt-opd/.

 

[7] BERGEON B.,Comment on the paper : The CRONE Suspension: Management of the Dilemma Comfort-Road Holding (by Moreau et al.), Nonlinear Dynamics, Vol. 45, N 3-4, Aug. 2006, pp 427-428, Springer Netherlands.



[1] Cette thorie des systmes dordre fractionnaire est en fait dcrite pour la premire fois en 1945, par un des fondateurs de lautomatique , H. W. Bode, dans son livre  Network Analysis and Feedback Amplifier Design , Van Nostrand, New York.

[2] On comparera les figures 4, 5 et 7 de la rfrence [1] et les figures 6, 7 et 8 de la rfrence [2], dans lesquelles pourtant les valeurs numriques des diffrents paramtres sont trs diffrentes.

[3]  En particulier laffirmation que les caractristiques de raideur de la suspension sont indpendantes du poids suspendu et de ses variations.

[4] Il est remarquable que ce courrier reconnat que  la suspension Crone prsente des qualits dadaptativit plus importantes que la srie par la non-linarit des raideurs , en complte contradiction avec les affirmations de lՎquipe crone.

[5] Aucun de ces documents, publis sur le site http://www.enseirb.fr/epilog/, ne fait rfrence une quelconque entorse la dontologie scientifique de ma part.

[6]  GT MOSAR du Groupement de Recherche en Automatique, issu du GT Commande robuste que javais cre en 1997, et dont jai d abandonner la responsabilit la suite de mon exclusion du LAP.