Chemin
faisant, nous passons devant une école juste à l'heure de la sortie
des classes et nous nous retrouvons dans la
situation cocasse d'être à la fois observateurs de cette nuée d'enfants
exubérants qui retournent à pied chez eux et objets de leur très grande
curiosité. Ils nous entourent, se bousculent en rigolant, nous suivent
sur nos talons en nous singeant par groupes de trois, cinq, dix gamins
bavards et rieurs. S'enhardissant, ils nous disent bonjour, indiquent
leur
prénom
et demandent si nous
avons quelque
chose à leur offrir. Au milieu de cette foule, nous sommes un peu inquiets
et prenons garde à nos affaires, j'évite de prendre des photos et nous
hâtons un peu le pas. Mais ils sont seulement heureux d'avoir de la
visite et Pierre se paye un beau succès en réussissant à discuter
par le truchement d'un garçon plus âgé, parle foot et bains de
mer,
joue
avec
eux sans se laisser démonter par leur attention rapprochée. J'essaie
d'entrer en contact avec de très mignonnes filles en costume traditionnel
berbère très coloré ou vêtements occidentaux cachés sous une blouse
blanche (uniforme obligatoire des écolières seulement), mais aucune
n'a assez
de vocabulaire
pour
pouvoir
communiquer avec nous,
hormis
la
mention
de
leur prénom
(l'une
s'appelle
assez curieusement Maria).
A
ce propos, pour contrebalancer certaines informations réductrices,
nous n'avons jamais eu le sentiment d'être en danger ou de
risquer d'être agressé par la population, même très dense comme à Marrakech.
Nous sommes dans un monde essentiellement piéton et, comme dans nos
randonnées pyrénéennes ou nos footings à Chiberta, il est d'usage (à
la campagne ou dans les villages) de se saluer lorsqu'on se croise.
Nous échangeons des bonjours, Salam Aleykum et
signes de la main fort sympathiques, qui nous donnent l'assurance permanente
d'être accueillis et acceptés par les gens qui répondent toujours à
nos demandes, nous renseignent dans les limites de leur vocabulaire
français, avec amabilité et gentillesse.
Souvent, l'inquiétude naît de notre incapacité à comprendre l'arabe ou le berbère, de l'idée bien ancrée que nous ne sommes considérés que comme des sources de revenus (alors que souvent ils se décarcassent pour nous rendre service sans aucune attente d'argent en retour). Elle surgit aussi à cause de la forte majorité d'hommes dehors, qui rend notre présence féminine à l'extérieur presque incongrue. En fait, un homme occidental en pays islamique est bien plus assimilable qu'une femme. Beaucoup d'hommes sont en tenue européenne, à l'inverse des femmes qui portent très souvent le foulard et une tenue traditionnelle (mais très rarement le tchador), et surtout ils vivent énormément dehors alors que beaucoup de femmes sont invisibles, cantonnées à l'intérieur des maisons.
Pour revenir à la problématique de l'arganier,
l'Etat (le roi Mohamed VI) a pris conscience de la nécessité de
libérer les femmes de
leur enfermement domestique et de leur offrir la possibilité d'un
revenu qui leur soit propre. Des
coopératives ont été créées, où seules
des femmes travaillent et se répartissent le bénéfice
de leur activité. Par exemple, des forêts d'arganiers
ont été acquises
par l'Etat qui fait récolter les fruits (ramassés par
terre) par des hommes au printemps. Les amandes sont traitées
de façon à en obtenir
les huiles
alimentaire
et cosmétique qui sont vendues dans des locaux commerciaux et
touristiques similaires à celui
que nous avons visité, où se tenaient deux équipes
de cinq ouvrières.
Elles
sont payées à la quantité d'huile produite, soit
2 €uros par jour (bien
chichement, comme me le fait comprendre l'une d'entre elles,
très ouverte, qui m'encourage à m'installer devant sa
meule de pierre et broyer les amandes torréfiées). Par
contre, la jeune guide
était
fonctionnaire,
payée par l'Etat. Selon une étude, ces coopératives ne sont
qu'une phase transitoire bien inadaptée sur le plan économique et très
peu rentables, car mal gérées par ces femmes pour la plupart analphabètes
ou par l'administration qui se substitue à elles et n'a pas le dynamisme
du privé. Les prix sur le marché marocain sont très bas, il faudrait
davantage commercer sur le plan international avec une recherche active
de débouchés lucratifs.
Nous
nous installons dans notre gîte tenu par un couple qui a agrandi
récemment
l'habitation pour recevoir régulièrement
et davantage de monde. Les murs sont fraîchement peints, la pièce
où
nous dînons et dormons sur des banquettes et les matelas portés à
dos de dromadaire, spacieuse, et les sanitaires parfaitement propres,
WC à la turque (sans chasse d'eau comme d'habitude, uniquement
pourvus d'un seau sous un robinet d'eau et d'une tasse de plastique
pour verser l'eau et nettoyer) séparés de la douche par
une cloison, le grand luxe. Ici, l'eau extraite des
puits
est légèrement
salée, à cause de la proximité de la mer et de
la qualité
des sols fortement minéralisés en maints endroits du
Maroc.
Chaque
demeure et chaque village sont donc équipés de châteaux
d'eau, citernes et réservoirs de toute taille où est
collectée
l'eau de pluie qui servira plus d'une fois à la confection de
nos repas sans nous rendre malades du tout. Sur notre trajet le long
de la côte,
nous en trouverons de loin en loin, à l'usage des pêcheurs
et des bergers qui surveillent leurs dromadaires aux silhouettes préhistoriques
qui évoquent celles
des diplodocus au long cou gracile et la tête peu engageante.
Avant de prendre le thé à la
menthe traditionnel accompagné de crêpes
épaisses
et poreuses
assorties d'huile d'argane ou de liquide caramélisé, succédané du
miel au Maroc (rare et cher), nous
partons au bord de la falaise observer le coucher du soleil, espérant
apercevoir le rayon vert à sa plongée
sous la mer à l'horizon.
Il
fait froid et le vent souffle fort pendant que l'obscurité prend
possession du paysage aride et rocailleux, où nos dromadaires tentent
avec persévérance
de trouver leur pitance en broutant sans sourciller les buissons
épineux.
Le
lendemain, tandis que les bagages sont de nouveau hissés dans
des filets et des paniers et savamment fixés par des cordes
sur le dos des dromadaires (il faut qu'ils soient bien arrimés car
ils se relèvent en redressant d'abord leurs pattes de derrière, puis
de devant, dans un balancement inverse de celui de leur marche à l'amble),
notre hôtesse
me fait des signes pressants pour que je pénètre dans
une cabane de pierres au fond de la cour. Sa fille est en train de
confectionner
le pain
sous forme
de grosses galettes
qu'elle façonne avant d'insérer dans la gueule du four
de terre sur des braises brûlantes qui le carbonisent un peu
en surface. Sitôt
cuit (c'est très rapide, en quelques minutes à peine),
elle le partage à
la ronde et nous fait déguster des quignons brûlants,
odorants et parfaitement délicieux.
Le signal du départ est donné, c'est l'heure d'entreprendre notre première vraie marche (la veille nous avions seulement déambulé dans Essaouira et, après le transfert en minibus, marché une petite heure jusqu'à la côte à travers la forêt d'arganiers. Nous retrouvons autour du village les mêmes champs de cailloux bien lissés qui nous avaient tant étonnés au pied de l'Atlas, avec des haies de branches d'épineux et des murets de pierres soigneusement assemblées. Il est difficile d'imaginer que ces champs puissent verdir au printemps, tellement la terre végétale semble rare. Par ces temps pluvieux, les sols lessivés perdent d'ailleurs leur contenu nourricier qui se déverse dans une mer teintée de rouge quasiment jusqu'à l'horizon. Les vagues soulèvent des paquets de limon brunâtre peu engageants, tandis que l'écume réussit encore à demeurer blanche. Tout en avançant sur la sente étroite, j'admire la végétation rare, si différente de la nôtre, un oeil vers l'échancrure des falaises où se niche une plage au sable immaculé.
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Pierre, Rose, Jean-Louis B., Michèle, Richard, Jean-Louis C., Cathy | Maroc pluvieux |
29 octobre au 4 novembre 2008 |
Dans ce récit, une dizaine de photos sont l'oeuvre de Pierre, que je remercie de sa contribution. |