Des
déchets dénaturent la beauté de
la plage. Dans un endroit aussi sauvage, c'est vraiment dommage que
les autochtones n'aient pas l'idée d'enterrer leurs détritus à l'écart.
Hassan (un peu raciste) prétend que les Africains (noirs) sont
paresseux, mais comment faut-il qualifier cette négligence et
ce laisser-aller ?
Non
seulement c'est dégoûtant, mais en plus c'est dangereux,
et il n'est pas question de marcher pieds nus dans un dépotoir
pareil. Le hameau contient une épicerie
minuscule, quelques maisons de pêcheurs
invisibles et des maisons "secondaires" pour des vacanciers
marocains (ou français). Cet
hébergement est plus que
sommaire : une simple pièce
de béton à la
fenêtre obturée
par un
volet,
sans
point d'eau ni WC. Là aussi, du moment que des gens résident
régulièrement,
comment se fait-il que rien n'ait été prévu sur
le plan sanitaire ?
Nous
installons les matelas par terre après
avoir entassé les sacs dans un coin et pendant que le cuisinier,
avec l'aide des deux chameliers, s'affaire à la préparation
du repas dans une pièce
voisine (nous ne voulons pas savoir comment), nous
entamons une partie de tarot avec Hassan, meilleur joueur que nous
tous, et
qui ne tarde pas à connaître aussi des rudiments du mus,
avec les annonces en basque.
Il pleut pendant la nuit, on entend
l'averse couvrir le grondement de la mer, frapper les
volets et la terrasse, tandis qu'une fuite s'annonce dans la pièce
attenante qui sert de débarras avec le choc répété de
gouttes sur le matériel entreposé. Le
lendemain, malgré la
pluie persistante, Richard, Jean-Louis B. et moi allons faire un
plouf, histoire de nous débarbouiller un
peu dans l'eau limoneuse. Hassan n'en est pas encore revenu !
Nous
courons en maillot et en chaussures jusqu'au sable lavé par la marée
haute où nous laissons les sandales et poursuivons, toujours courant
sous la pluie et dans le vent, jusqu'à la mer qui s'est retirée très
loin. A
ce propos, Jean-Louis B. se fait une frayeur car, après quelques
minutes
de
baignade, il
remonte en cherchant désespérément nos sandales qu'il imagine emportées
par une vague plus longue. Heureusement, nous
les avions déposées suffisamment loin...
Il
faut attendre : les chameaux n'ont pas de muscles aux jambes, nous
explique Hassan, et ils sont incapables
de remonter la côte tant que le sol dérape autant. Le dessous de leurs
pattes est formé de larges coussinets adaptés pour marcher sur un
sable fluide (comme des raquettes sur la neige), mais
pas du tout pour s'accrocher sur la boue ou les rochers. Nous entamons
une
énième partie de tarot jusqu'à ce que la pluie s'estompe et que
nous
puissions repartir vers le gîte suivant, toujours en longeant la côte
où j'aperçois un élégant échassier, peut-être une
aigrette garzette de chez nous qui passe l'hiver ici ou transite simplement
avant de
poursuivre encore plus au sud.
Malgré les averses, l'absence de luminosité
et le vent qui nous souffle dans le dos (à l'inverse du vent dominant,
si l'on en juge par la forme de la végétation), nous apprécions beaucoup
ce paysage sauvage, où
la mer cogne et explose en gerbes renouvelées au bas des falaises
où se découpe, ici une arche, là
un vaste entablement, ailleurs des strates colorées creusées de grottes
ou de canyons où
se déversent en cascades et cuvettes les eaux jaunâtres d'oueds minuscules.
Miraculeusement, dans cet air iodé et l'absence de terre,
la végétation
s'accroche et même fleurit en cette saison tardive mais arrosée.
Il suffit de l'observer, cactus ou plante grasse, pour réaliser toute
l'incongruité de cette pluie qui n'arrive pas à faire germer l'herbe
incapable de résister aux dures conditions d'ensoleillement et de
sécheresse qui règnent d'ordinaire.
Nous avons droit à un spectacle
parfaitement inhabituel, où la vision fantomatique des dromadaires
aux pattes de devant entravées qui broutent un peu plus loin
sous la surveillance de leur
pâtre emmitouflé
dans
son burnous à la capuche pointue
rappelle, s'il en était besoin, que nous sommes bien aux portes
du grand désert aride du Sahara. Hassan
m'annonce qu'il s'apprête à effectuer un stage de botanique
dans le désert d'ici deux à trois semaines, dans le cadre
de sa formation permanente.
Il s'attend à le trouver vert et
fleuri, des conditions idéales pour prendre conscience de la
présence, même dans les zones les plus inhospitalières,
de
traces de vie tenace, capable de s'adapter par un cycle extrêmement
court permettant la reproduction sous forme de graines qui attendront
des lustres s'il le faut l'arrivée de nouvelles précipitations.
Sur une plage plus loin, je découvre avec désolation
deux lauriers roses encore vivaces arrachés au lit d'un oued
où ils avaient dû malencontreusement prendre racine.
En
milieu d'après-midi (nous avons été décalés par ce démarrage tardif),
nous parvenons au gîte situé non loin d'un cadre magnifique de cascades
où nous devions théoriquement nous baigner. Malheureusement,
la pluie a transformé les chutes d'eau tiède en torrents boueux peu
engageants.
Richard et
Jean-Louis B. en sont quitte, lors d'une accalmie ensoleillée
deux heures après, pour aller se baigner à l'embouchure, sur un coin
de plage, tandis que les autres lézardent dans la courette.
Les
éoliennes au sud d'Essaouira sont déjà en vue à l'horizon tandis que
le vent retrousse les vagues en crinières lumineuses dans le soleil
couchant. Un biotope particulier se concentre autour des cascades et
de l'embouchure, avec de nombreux petits oiseaux et une végétation
plus fournie.
Ce
qui m'intéresse dans ce gîte, malgré les conditions sanitaires toujours
sommaires qui commencent à lever
un vent de fronde (surtout par comparaison aux prestations de l'an
dernier), c'est justement l'approvisionnement en eau.
L'accès
au portail se fait
par
un petit
pont (une simple pierre)
qui
enjambe
une canalisation de béton qui semble circonscrire la propriété.
Je pars en exploration à l'aube suivante avant le petit déjeuner. En
réalité, celle-ci ne fait que la traverser pour se terminer dans le
champ de
maïs (!) en aval. Elle provient du village en amont qui en a été pourvu
par l'Etat qui a récemment développé de concert les équipements
d'eau potable et d'électrification rurale, en les assortissant
de la construction de routes, de pistes, d'une restructuration
foncière, de la création d'écoles et de dispensaires.
Jusqu’en
1980, certains équipements communaux faisaient partie intégrante
de l’aménagement et pouvaient représenter jusqu’à 10
pour cent des investissements alloués à l’équipement.
Au-dessus de la canalisation se trouvent des plantations capables de
supporter l'absence d'eau (céréales essentiellement je pense), tandis
que les cultures maraîchères irriguées occupent la partie basse (la
canalisation court à mi-colline).
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Pierre, Rose, Jean-Louis B., Michèle, Richard, Jean-Louis C., Cathy | Maroc pluvieux |
29 octobre au 4 novembre 2008 |
Dans ce récit, une dizaine de photos sont l'oeuvre de Pierre, que je remercie de sa contribution. |