Parmi
les sept problématiques sur lesquelles
travaillent les chercheurs aquitains de l'INRA, l'étude du saumon
et de son aquaculture y contribue au titre de la Qualité et la
sécurité
des aliments,
l'Hydrobiologie,
la Nutrition humaine et l'Ecologie. L’Institut national de la
recherche agronomique (INRA) est en effet un organisme de recherche scientifique
publique
finalisée, placé sous la double tutelle du ministère
de l'Enseignement supérieur et de la Recherche et du ministère
de l’Agriculture et de la Pêche. Dans le cadre de la Semaine
de la Science 2008, événement national, une
dizaine de chercheurs appartenant à deux équipes de St
Pée s/Nivelle a été sollicitée
pour intervenir sur
le
double
thème
de
la raréfaction
du saumon sauvage atlantique et de l'extension de son aquaculture en
vue de l'alimentation humaine.
A
l'heure actuelle, 99% du saumon consommé provient de l'élevage.
En effet, on a constaté depuis 1990 une
baisse drastique des tonnages
pêchés. Quant à la salmoniculture,
initiée en 1970 en Norvège et en Ecosse, elle a connu
un grand développement, corrélatif à celui de l'aquaculture mondiale
en général. Cet état
de fait nécessite
réflexion,
d'une part sur le maintien ou la modification des populations sauvages,
et d'autre part
sur les
conséquences
de l'aquaculture sur le saumon,
l'économie, la santé humaine et l'environnement. Le saumon
a impressionné les humains dès le néolithique (ci-contre,
Abri du Poisson (près
d'Eyzies-de-Tayac) : une des rares représentations d'un saumon,
gravée au plafond ; c'est également le plus vieux poisson
gravé dans la roche
: - 25 000 ans).
Il
demeure le symbole d'une nature sauvage et vierge et l'emblème
du courage, pour sa volonté pugnace à franchir les obstacles
les plus difficiles en remontant les torrents.
Son cycle biologique reproduit ci-contre indique sa dépendance à l'égard de plusieurs milieux, la rivière, aux stades de frai, d'alevin et de tacon, puis l'océan atlantique après le processus de smoltification repérable à sa robe argentée et qui lui permet, après avoir descendu la rivière (dévalaison, parcours catadrome) de supporter le milieu salin maritime. Son retour au lieu de naissance (parcours anadrome, homing) marque souvent la fin de sa vie au terme des accouplements et de la mise en place du frai sous les graviers. On sait peu de choses sur sa vie dans l'océan atlantique, si ce n'est que les pêcheurs ont remarqué des concentrations au large des îles Feroe près du Groënland, près des côtes nord-américaines, où le saumon européen se mêle à ses cousins américains, ainsi que dans des zones atlantiques plus centrales.
Dès
le XVIIIe s., il a été constaté une
chute progressive des prises de pêche dans les cours d'eau français,
précédant la baisse des prises en mer qui s'est
intensifiée jusqu'en 1990, date à partir
de laquelle elles ont accusé une chute vertigineuse. En 1948,
les trois quarts des prises dans l'Adour étaient encore de gros
saumons. Entre 1985 et 1995, celles-ci sont devenues inférieures à 40%.
Les barrages sont la cause de la disparition de nombreuses populations
de saumons, essentiellement parce qu'ils empêchent les remontées
des géniteurs jusqu'aux zones de frai et d'autre part, quand le passage
peut
se
faire
(échelle à poissons),
il y a mortalité des smolts dans les
turbines lors de leur descente (ce n'est pas le cas du barrage de St Pée
s/Nivelle,
qui est un barrage écrêteur, système passif destiné à supprimer
les crues en aval).
Il faut savoir que le jeune saumon ne procède à la smoltification qu'à partir d'un certain poids, qui dépend des conditions de température et corrélativement d'alimentation dans la rivière. Par conséquent, il pourra retarder d'un an, voire deux ou trois, son départ en mer, notamment dans les régions du Nord de l'Europe. Ensuite, il est possible d'évaluer le temps qu'il a passé en mer par son poids d'abord (un castillon qui a passé un hiver en mer atteint les 2 Kg, s'il reste deux hivers, il sera plus lourd, etc.). Les chercheurs procèdent aussi à la scalimétrie. La croissance des poissons est continue durant toute leur vie, au stade d'alevin elle s'effectue très rapidement mais par la suite elle ne s'effectue pas au même rythme et devient très lente pour les individus âgés. Les écailles grandissent par couches successives au même rythme que le poisson, rythme qui varie suivant les saisons, la quantité de nourriture disponible, l'état de santé, les migrations et tout ce qui concerne la vie d'un poisson. On observe donc leurs stries (comme pour les cernes d'un arbre) : si elles sont rapprochées, sa croissance était lente, c'était l'hiver, si elles sont écartées, sa croissance a été plus rapide, c'était l'été (très schématiquement).
Les
chercheurs ont remarqué qu'une évolution semble se produire
parmi la population des tacons (les jeunes saumons
mâles de rivière) qui sont étudiés (quelques
uns sont prélevés par pêche
électrique - sans les tuer -, ils sont mesurés, étudiés,
marqués). On
constate que le nombre de juvéniles sexuellement matures croît
dans la Nivelle. Une
expérience a été tentée. On a mis en présence
une femelle qui avait effectué
son séjour dans l'Atlantique avec des juvéniles matures,
considérablement plus petits qu'elle. Tout d'abord, elle a fait
mine de les chasser, elle paraissait parfaitement indifférente.
Puis (faute de mieux), elle a fini par accepter de s'accoupler avec l'un
d'eux. Le
problème, c'est que ce dernier avait court-circuité le
cycle habituel, et, contrairement aux vieux mâles, il n'avait nullement
l'intention de rester
à jeun et de se laisser mourir après l'acte. Il s'est mis à chercher
à dévorer les oeufs enfouis sous les graviers par la nageoire
anale de la femelle qui a dû s'épuiser à protéger
sa future progéniture en chassant
le père tant et plus. Alors, ce comportement est-il un moyen
détourné
de s'alimenter en hiver, ou bien débouche-t-il réellement
sur des naissances d'alevins en compensation du manque de vieux mâles
? (photo ci-jointe d'un couple "normal" : Crédit, David
Grimardias, INRA/UPPA, UMR Ecobiop). Il faudra faire des recherches de
paternité pour le savoir.
Dans la nature, il arrive également qu'une truite mâle tente sa chance auprès
d'une femelle saumon. Est-ce le signe de la création d'une nouvelle espèce
hybride ?
En
attendant, on constate que ce caractère (qui préexistait avant
la raréfaction des grands mâles) paraît
se transmettre par hérédité,
puisque la participation des juvéniles
précoces à la fécondation
est passée de 20% à 50%. La
tactique "précoce" prend le pas sur la "migratrice" :
est-ce que les grands mâles vont totalement disparaître
? En effet, les tacons peuvent tenter de migrer l'hiver suivant, mais
ils devront
subir en attendant les attaques des autres tacons, ils auront perdu
de l'énergie avec l'activité de leurs gonades et leur
maturation précoce.
Il faut préciser
également que les sources de nourriture dans l'océan
atlantique se sont agrégées, ce qui signifie que le saumon
migrateur doit subir de longues
périodes de jeûne en traversant de vastes déserts
aquatiques avant de croiser des zones plus densément peuplées
où s'alimenter. C'est plus difficile de trouver de la nourriture, par
conséquent,
un jeune grandi
trop vite, qui a smoltifié trop tôt, risque d'être
trop faible pour survivre dans l'océan, de même que le
tacon mature qui a tardé à smoltifier
mais
a perdu des forces pendant ses mois supplémentaires en rivière.
L'impact pour la population, outre le fait peut-être anecdotique
qu'ils exercent une prédation sur les oeufs, est le risque d'avoir
les mâles maturants
d'une même cohorte répartis sur une seule année et non 3
ou
4 (jeunes
mâles maturants ne migrant pas, mâles d'un an, 2 ans ou 3 ans de
mer). Une disparition complète des grands mâles favoriserait aussi
l'apparition
d'hybrides
truite-saumon, dont le faible succès reproducteur affaiblirait encore
la
population de saumons. Enfin, si
les femelles
adoptent le même comportement et deviennent précocement
matures,
l'espèce
des saumons, tout comme les truites, demeurera en permanence dans les
rivières, sans plus aucune vie marine.
Où sont passés
les saumons atlantiques ? |
18 novembre 2008 |
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Aujourd'hui, la majorité du saumon consommé est issu de
l’élevage. Pourquoi ? Qu’est-il advenu du saumon sauvage ? Quel est l’impact de l’élevage du saumon sur l’environnement et la santé ? Des questions émergent sur le devenir des populations de saumons sauvages ainsi que sur le développement de l’aquaculture. Avec des exemples précis de leurs activités de recherche, les chercheurs du Pôle d’hydrobiologie INRA de Saint-Pée-sur-Nivelle vous invitent à mieux comprendre les enjeux, les limites de l’élevage de saumon et les conséquences sur les populations sauvages. |
Semaine de la science : Conférence-Débat à Montaury UFR Sciences et Techniques de la Côte Basque : Université de Pau et des Pays de l'Adour - à Anglet (Pyrénées Atlantiques - 64) Unités participantes : Unités mixtes de recherche Ecologie & Biologie des Populations de Poissons et Nutrition, Aquaculture et Génomique |
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Intervenants : UMR Ecobiop : A. Bardonnet Chargé de recherche INRA, V. Bolliet Maître de conférences UPPA, F. D'Amico, Maître de conférences UPPA, P. Gaudin, Directeur de recherche INRA, C. Piou, Post-Doctorant INRA, C. Tentelier Maître de conférence UPPA UMR Nuage : O. Clément, Ingénieur GREF, G.Corraze, Chargé de recherche INRA, S. Panserat, Chargé de recherche INRA, I. Seliez, Chargé de recherche INRA |